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15/10/2020 | FRANCE | N°19NC01251

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre, 15 octobre 2020, 19NC01251


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D..., épouse E... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 15 octobre 2018 par lequel le préfet du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 1806631 du 28 janvier 2019, la vice-présidente désignée par la présidente du tribunal administratif de Strasbourg a rejet

é la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 avril ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D..., épouse E... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 15 octobre 2018 par lequel le préfet du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 1806631 du 28 janvier 2019, la vice-présidente désignée par la présidente du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 avril 2019, Mme A... D... épouse E..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 28 janvier 2019 par lequel la vice-présidente désignée par la présidente du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 octobre 2018 par lequel le préfet du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an ;

2°) d'annuler cet arrêté du 15 octobre 2018 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir assortie d'une astreinte de cinquante euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

Sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les dispositions du 7°de l'article L.313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Sur la décision fixant le pays de destination :

- la décision sera annulée en conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire ;

Sur la décision d'interdiction de retour sur le territoire français :

- la décision n'est pas suffisamment motivée ;

- le préfet ne s'est pas prononcé sur les quatre critères du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle et méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistrés le 15 septembre 2020, la préfète du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.

Elle soutient les moyens soulevés par Mme E... ne sont pas fondés.

Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 mars 2019.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E..., née en 1956 et de nationalité kosovare, est entrée irrégulièrement en France le 2 avril 2017. Elle a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 31 janvier 2018 confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 31 août 2018. Par arrêté du 15 octobre 2018, le préfet du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Mme E... relève appel du jugement du 28 janvier 2019 par lequel la vice-présidente désignée par la présidente du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 15 octobre 2018.

Sur la légalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français :

2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ; ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

3. Mme E... soutient être à la charge de sa fille, ressortissante française, et vivre avec cette dernière et sa famille depuis son arrivée en France. Elle fait valoir qu'elle est isolée au Kosovo et sans ressource financière. Il ressort des pièces du dossier que la requérante était présente sur le territoire français depuis un an et demi à la date de la décision attaquée. L'intéressée ne justifie pas vivre au domicile de sa fille, un courrier échangé avec l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 15 octobre 2018 mentionnant une adresse dans un centre d'hébergement. En outre, en se bornant à produire quelques attestations de tiers, elle n'établit pas l'existence de liens d'une particulière intensité tant avec sa fille qu'avec ses petits-enfants. Elle n'apporte aucun élément relatif au soutien financier que lui aurait apporté sa fille depuis le décès de son époux en 1994 et aux liens qu'elle aurait conservés avec sa fille depuis que cette dernière s'est installée en France. Mme E... ne justifie pas ne plus disposer d'attache familiale au Kosovo, où elle a résidé jusqu'à l'âge de soixante-et-un ans. La préfète établit en appel que la mère de la requérante ainsi que ses deux soeurs résident au Kosovo. Enfin, en se bornant à produire une attestation d'une association caritative, la requérante ne démontre pas avoir fait preuve une insertion particulière en France. Dans ces conditions, et compte tenu notamment du caractère très récent de son séjour sur le territoire français, la décision d'obligation de quitter le territoire français qui lui a été opposée n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, elle n'a méconnu ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Sur la décision fixant le pays de destination :

4. Il résulte de ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français à l'encontre de la décision fixant le pays de destination.

Sur la décision d'interdiction de retour sur le territoire français :

5. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version applicable au présent litige : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. (...) / Lorsque l'étranger ne faisant pas l'objet d'une interdiction de retour s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative peut prononcer une interdiction de retour pour une durée maximale de deux ans à compter de sa notification. (...) / La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".

6. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère.

7. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.

8. En premier lieu, Mme E... reprend en appel le moyen qu'elle avait invoqué en première instance, tiré du défaut de motivation de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.

9. En deuxième lieu, la décision en litige prend en compte pour déterminer la durée de l'interdiction de retour les quatre critères prévus par le III de l'article L. 511-1 1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile précité, en indiquant que Mme E... est entrée sur le territoire français de manière irrégulière, qu'elle n'a pas été admise au séjour à la suite de sa demande d'admission à l'asile, qu'elle est veuve et sans charge de famille, qu'elle ne justifie pas être dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine et qu'elle ne démontre pas l'intensité de ses liens en France. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

10. En troisième lieu, eu égard à la présence illégale de la requérante en France et à l'absence d'intégration particulière sur le territoire français, le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en prononçant à l'encontre de la requérant une interdiction de retour en France d'une durée d'un an.

11. En dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 3, le préfet n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

12. Il résulte de tout ce qui précède, que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Il y a lieu de rejeter, par voie de conséquence, les conclusions aux fins d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... épouse E... et au ministre de l'intérieur.

Une copie du présent arrêt sera adressée au préfet du Bas-Rhin.

2

N° 19NC01251


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NC01251
Date de la décision : 15/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Stéphanie LAMBING
Rapporteur public ?: Mme HAUDIER
Avocat(s) : SCP KLING ET BARBY

Origine de la décision
Date de l'import : 27/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-10-15;19nc01251 ?
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