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24/09/2020 | FRANCE | N°19NC01175-19NC01176

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre, 24 septembre 2020, 19NC01175-19NC01176


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) Pharmacie B... a demandé au tribunal administratif de Nancy de la décharger, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur les sociétés qui lui ont été assignés au titre des années 2010, 2011 et 2012 et des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er avril 2009 au 31 mars 2013.

Par un jugement n° 1702373 du 14 février 2019, le tribunal administratif de Nancy a p

rononcé la décharge des pénalités pour manoeuvres frauduleuses ayant assorti les impositions...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) Pharmacie B... a demandé au tribunal administratif de Nancy de la décharger, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur les sociétés qui lui ont été assignés au titre des années 2010, 2011 et 2012 et des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er avril 2009 au 31 mars 2013.

Par un jugement n° 1702373 du 14 février 2019, le tribunal administratif de Nancy a prononcé la décharge des pénalités pour manoeuvres frauduleuses ayant assorti les impositions supplémentaires contestées et rejeté le surplus des conclusions de la demande.

M. B... a demandé au tribunal administratif de Nancy de prononcer la décharge en droits et pénalités des suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales qui lui ont été assignés au titre des années 2010, 2011, 2012 et 2013.

Par un jugement n° 1702387 du 14 février 2019, le tribunal administratif de Nancy après avoir constaté un non-lieu à statuer dans la mesure d'un dégrèvement prononcé en cours d'instance, a prononcé la décharge des pénalités pour manoeuvres frauduleuses ayant assorti les impositions contestées et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête enregistrée le 12 avril 2019, sous le numéro 19NC01176, ainsi qu'un mémoire complémentaire enregistré le 24 août 2020, la SELARL Pharmacie B..., représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 2 du jugement du 14 février 2019 ;

2°) de la décharger des impositions et majorations laissées à sa charge ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le service n'a pas rapporté la preuve de ce que sa comptabilité serait entachée de graves irrégularités de nature à lui ôter sa valeur probante en se fondant sur le seul fait qu'elle utilise un logiciel de gestion de la société Alliadis dénommé Alliance Premium différent du logiciel Alliance Plus ayant fait l'objet de l'expertise citée par les propositions de rectifications et alors qu'aucun élément n'est apporté permettant de démontrer que l'utilisateur du logiciel est intervenu afin de procéder à la suppression d'opérations en caisse dont le logiciel utilisé ne comporte pas la fonctionnalité ;

- le service fonde sa reconstitution sur le seul retraitement effectué du bureau des données du logiciel de gestion sans tenir compte des rendus de monnaie et en se fondant sur un fichier des recettes commerciales dont les opérations sont par nature impossible à effacer selon le rapport d'expertise sur lequel l'administration se fonde ; la faiblesse des écarts par rapport aux chiffres d'affaires déclarés, imputables aux aléas de toute exploitation commerciale normale et compte tenu des autres erreurs affectant les calculs effectués, démontre le caractère mal-fondé de la reconstitution.

Par un mémoire enregistré le 3 octobre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

II. Par une requête enregistrée le 12 avril 2019, sous le numéro 19NC01176, ainsi qu'un mémoire complémentaire enregistré le 24 août 2020, M. B..., représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 2 du jugement du 14 février 2019 ;

2°) de le décharger des impositions et majorations laissées à sa charge ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'administration ne rapporte pas la preuve de l'appréhension des revenus qu'elle regarde comme ayant été distribués par la société Pharmacie B... pour chaque année civile et en particulier l'appréhension de chaque règlement espèce prétendument non comptabilisé ;

- le service n'a pas rapporté la preuve de ce que la comptabilité de la SELARL Pharmacie B... serait entachée de graves irrégularités de nature à lui ôter sa valeur probante en se fondant sur le seul fait qu'elle utilise un logiciel de gestion de la société Alliadis dénommé Alliance Premium différent du logiciel Alliance Plus ayant fait l'objet de l'expertise citée par les propositions de rectifications et alors qu'aucun élément n'est apporté permettant de démontrer que l'utilisateur du logiciel est intervenu afin de procéder à la suppression d'opérations en caisse dont le logiciel utilisé ne comporte pas la fonctionnalité ;

- le service fonde sa reconstitution sur le seul retraitement effectué du bureau des données du logiciel de gestion sans tenir compte des rendus de monnaie et en se fondant sur un fichier des recettes commerciales dont les opérations sont par nature impossible à effacer selon le rapport d'expertise sur lequel l'administration se fonde ; la faiblesse des écarts par rapport aux chiffres d'affaires déclarés, imputables aux aléas de toute exploitation commerciale normale et compte tenu des autres erreurs affectant les calculs effectués, démontre le caractère mal-fondé de la reconstitution.

Par un mémoire enregistré le 3 octobre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par M. B... n'est fondé.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.

Ont été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A... ;

- les conclusions de Mme Haudier, rapporteur public,

- et les observations de Me E..., représentant la SELARL Pharmacie B... et M. B....

Considérant ce qui suit :

1. La SELARL Pharmacie B..., dont la date de clôture des exercices comptables est le 31 mars, a fait l'objet de deux vérifications de comptabilité au titre de la période du 1er janvier 2009 au 31 mars 2012 et du 1er avril 2012 au 31 mars 2013 ayant donné lieu à trois propositions de rectification des 16 décembre 2013, 30 septembre 2014 et 17 juin 2015 par lesquelles le service a notifié, selon la procédure contradictoire, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et d'impôt sur les sociétés assortis, en ce qui concerne les minorations de recettes découlant selon l'administration de l'utilisation d'un logiciel permissif dénommé Alliance Premium, des pénalités pour manoeuvre frauduleuse. Les rectifications proposées ayant été refusées par la société, le service les a maintenues par lettre des 13 mars, 27 mars et 6 novembre 2015. Le différend a alors été soumis à la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires laquelle dans sa séance du 13 juillet 2016 a été d'avis d'abandonner un redressement en matière de provision et a rendu un avis favorable s'agissant des autres redressements en matière de dissimulation de recettes. Les impositions ont été mises en recouvrement conformément à l'avis de la commission et la SELARL Pharmacie B... a déposé une réclamation le 20 décembre 2016 qui a été rejetée le 13 juillet 2017. Par le jugement ci-dessus visé du 14 février 2019 le tribunal administratif de Nancy a déchargé les pénalités pour manoeuvres frauduleuses et a rejeté le surplus des conclusions tendant à la décharge des impositions. M. B..., gérant de la SELARL Pharmacie B... a été regardé par l'administration, sur le fondement du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, comme le bénéficiaire des revenus réputés distribués par cette société correspondant aux minorations de recettes que lui a imputées le vérificateur. C'est ainsi que trois propositions de rectification lui ont été notifiées les 16 décembre 2013, 21 novembre 2014 et 12 novembre 2015. M. B... ayant refusé les rectifications proposées selon la procédure contradictoire, le service a confirmé sa position par lettres modèle 3926 des 16 mars 2015, 7 avril 2015 et 12 novembre 2015. Contre les suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, assortis des pénalités pour manoeuvre frauduleuse, M. B... a formé une réclamation le 13 janvier 2017 qui a été rejetée le 13 juillet suivant. Par le jugement ci-dessus visé du 14 février 2019, le tribunal administratif de Nancy, après avoir constaté un non-lieu à statuer dans la mesure d'un dégrèvement prononcé en cours d'instance a prononcé la décharge des majorations pour manoeuvre frauduleuse et rejeté les conclusions tendant à la décharge des impositions laissées à la charge de M. B.... Par les deux requêtes ci-dessus visées qu'il y a lieu de joindre afin de statuer par un seul arrêt, ce dernier ainsi que la SELARL Pharmacie B... relèvent appel de ces jugements en tant qu'ils ont rejeté leurs conclusions aux fins de décharge.

Sur la situation de la SELARL Pharmacie B... :

2. Aux terme de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : "Lorsque l'une des commissions ou le comité mentionnés à l'article L. 59 ou le comité prévu à l'article L. 64 est saisi d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission ou le comité./Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission ou du comité. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge ".

3. Au cours de la vérification de comptabilité de la SELARL Pharmacie B..., le vérificateur a constaté que les opérations de ventes et de recettes étaient enregistrées au moyen du logiciel de gestion Alliance Premium dont les données servaient à l'établissement de la comptabilité et des déclarations de chiffres d'affaires. Ce logiciel constitue une version améliorée du logiciel Alliance Plus dont il a été démontré à l'occasion de plusieurs instances juridictionnelles, ayant donné lieu à des décisions de justice passées en force de chose jugée, qu'il permettait aux utilisateurs exploitants de pharmacie de supprimer de manière définitive de la comptabilité des opérations de ventes effectuées en espèces. Si la SELARL Pharmacie B... soutient que le logiciel qu'elle utilise ne comporte pas une telle fonctionnalité, il ressort des constatations effectuées par le vérificateur que l'enregistrement des factures et des règlements en caisse comporte des ruptures dans leur numérotation pour l'ensemble de la période vérifiée. Le vérificateur a également mis en lumière à partir de l'examen de la comptabilité matière que les quantités d'achats revendus pour certains produits étaient supérieures aux quantités facturées dans l'historique des ventes. Il se déduit de ces éléments que la comptabilité de la SELARL Pharmacie B... ne présente pas la garantie d'une justification des recettes déclarées et doit ainsi être regardée comme comportant de graves irrégularités. Par suite, les impositions ayant été mises en recouvrement conformément à l'avis de la commission, la charge de la preuve du caractère mal fondé de la reconstitution des recettes effectuée par l'administration incombe à la SELARL Pharmacie B....

4. Afin de procéder à la reconstitution des recettes non enregistrées, le service a d'abord constaté que lors des journées sans rupture de numérotation la part des ventes en espèces représentait 7,86 % des ventes totales tandis que lors des journées comportant de telles ruptures cette part n'en représentait que 3,99 %. L'administration, après avoir testé deux méthodes, l'une consistant à retrouver le nombre de ventes manquantes à partir des fichiers des factures, l'autre consistant à déterminer le nombre de règlements espèces manquants à partir du fichier règlements, a choisi la seconde comme étant la plus favorable au contribuable. Elle a alors déterminé le montant du ticket moyen des règlements en espèces hors tiers payant lors des journées sans anomalie et a réintégré la différence existant entre ce ticket moyen et le montant des règlements en espèces lors des journées comportant des anomalies de numérotation. Cette reconstitution, qui n'est pas viciée dans son principe ni sommaire, a établi des insuffisances de recettes espèces déclarées s'élevant pour chaque exercice à 2 538,40 euros TTC, 27 628,15 euros TTC, 17 439,45 euros TTC et 12 753,82 euros TTC, respectivement, sans qu'il ait été besoin de savoir quelle personne a actionné le logiciel litigieux. Afin de critiquer cette reconstitution, la société requérante, qui ne propose aucune autre méthode plus précise, se borne à soutenir que le service n'aurait pas tenu compte des " rendus de monnaie " et des " opérations commerciales " sans même préciser l' incidence que ces éléments auraient sur la détermination du ticket moyen laquelle repose, comme il a été dit, sur les encaissements effectivement réalisés. Si la société requérante soutient que, compte tenu du chiffre d'affaires moyen annuel déclaré par la pharmacie exploitée par elle, de l'ordre de quatre millions d'euros par exercice, et des incertitudes inhérentes à toute reconstitution extra-comptable de chiffres d'affaires, la faiblesse des écarts relevés par l'administration entre le chiffre d'affaires déclaré et celui reconstitué, démontrerait le caractère mal fondé des redressements litigieux, il résulte des éléments ci-dessus analysés que la reconstitution litigieuse n'a concerné que les recettes espèces se rapportant aux ventes sans tiers-payant et sans compte fournisseur. Ces ventes déclarées étant de l'ordre de 200 000 euros chaque année, les insuffisances relevées sont suffisamment significatives pour établir l'existence de dissimulations de recettes. Par suite, la SELARL Pharmacie B... n'est pas fondée à demander la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés, des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée et des intérêts de retard laissés à sa charge.

Sur la situation à l'impôt sur le revenu de M. B... :

5. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts : "1. Sont considérés comme revenus distribués :/1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ".

6. D'une part, en cas de refus des propositions de rectification par le contribuable qu'elle entend imposer comme bénéficiaire de sommes regardées comme distribuées, il incombe à l'administration d'apporter la preuve que celui-ci en a effectivement disposé. Toutefois, le contribuable qui, disposant seul des pouvoirs les plus étendus au sein de la société, est en mesure d'user sans contrôle de ses biens comme de biens qui lui sont propres et doit ainsi être regardé comme le seul maître de l'affaire, est présumé avoir appréhendé les distributions effectuées par la société qu'il contrôle.

7. D'autre part, les revenus visés par l'article 109 du code général des impôts ne sont présumés distribués à la date de clôture de l'exercice au terme duquel leur existence a été constatée que si la société, le contribuable ou l'administration n'apportent pas d'éléments de nature à établir que la distribution a été, en fait, soit postérieure, soit antérieure à cette date.

8. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que l'administration a mis en lumière des dissimulations de recettes par la SELARL Pharmacie B... au titre des exercices litigieux clos le 31 mars de chaque année. Ces recettes non comptabilisées n'ayant été mises ni en réserve ni incorporées au capital, elles sont présumées avoir été distribuées par la société et sont imposables chez le bénéficiaire de ces distributions dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers. Si M. B..., gérant de la société, soutient que l'administration n'a pas établi qu'il avait personnellement appréhendé ces sommes, il résulte de l'instruction que le requérant est propriétaire de 99 % des parts du capital social et dispose des pouvoirs les plus étendus au sein de la SELARL Pharmacie B... et doit ainsi être présumé, en sa qualité de maître de l'affaire, comme le bénéficiaire des revenus distribués par elle. En se bornant à soutenir qu'il n'est pas établi qu'il aurait personnellement actionné le logiciel permissif ayant permis les dissimulations de recettes litigieuses, il ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de ce qu'il n'en a pas été bénéficiaire.

9. L'administration a regardé les recettes dissimulées comme ayant été appréhendées par M. B... à la clôture de chaque exercice social, survenant le 31 mars de chaque année afin de l'imposer au titre de chaque année sur les revenus ainsi distribués. M. B..., qui a pu prélever les espèces à des dates différentes de celles au cours desquelles elles ont été dissimulées, ne rapportant pas la preuve qu'il aurait effectivement appréhendé ces sommes à une autre date que le 31 mars de chaque année, n'est pas fondé à soutenir que les années d'imposition au titre desquelles il a été imposé dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers seraient erronées.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la SELARL Pharmacie B... et M. B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués du 14 février 2019, le tribunal administratif de Nancy a rejeté leurs demandes. Par suite, leurs requêtes d'appel doivent être rejetées en toutes leurs conclusions y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Les requêtes de la SELARL Pharmacie B... et de M. B... sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SELARL Pharmacie B..., à M. D... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

N°s 19NC01176 et 19NC01175 2


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