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08/04/2020 | FRANCE | N°18NC00382

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 08 avril 2020, 18NC00382


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Besançon, d'une part, d'annuler l'arrêté du 9 janvier 2018, par lequel le préfet du Doubs a décidé son transfert auprès des autorités italiennes et l'arrêté du même jour par lequel le préfet du Doubs l'a assignée à résidence pendant quarante-cinq jours avec obligation de se présenter quotidiennement à la brigade de gendarmerie d'Ecole Valentin entre 8 h et 8 h 30, d'autre part, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 800 euros au titre de l

'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1800060 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Besançon, d'une part, d'annuler l'arrêté du 9 janvier 2018, par lequel le préfet du Doubs a décidé son transfert auprès des autorités italiennes et l'arrêté du même jour par lequel le préfet du Doubs l'a assignée à résidence pendant quarante-cinq jours avec obligation de se présenter quotidiennement à la brigade de gendarmerie d'Ecole Valentin entre 8 h et 8 h 30, d'autre part, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1800060 du 19 janvier 2018, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée sous le n° 18NC00382 le 16 février 2018, Mme A..., représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Besançon du 19 janvier 2018 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, les arrêtés du 9 janvier 2018 par lesquels le préfet du Doubs a décidé son transfert auprès des autorités italiennes et son assignation à résidence ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me C... de la somme de 800 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le préfet a méconnu l'article 4 du règlement n°604/2013 du 26 juin 2013 dès lors qu'elle n'a pas bénéficié d'une information complète sur ses droits dans une langue qu'elle comprend ;

- le préfet a méconnu l'article 17 de ce règlement au regard de sa situation de famille et de santé ;

- sur le fondement de l'article 10 de ce règlement, la France aurait dû se déclarer compétente pour procéder à l'examen de sa demande ;

- son transfert auprès des autorités italiennes méconnaît les exigences de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et la convention internationale des droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 mai 2018, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.

Le préfet du Doubs fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, par application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la cour était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré du non-lieu à statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision de transfert.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 20 février 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Goujon-Fischer, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante guinéenne née le 20 janvier 1999, est entrée sur le territoire français le 21 juillet 2017 et a déposé une demande d'asile le 14 septembre 2017. La consultation des données de l'unité centrale Eurodac lors de l'instruction de cette demande a révélé que ses empreintes avaient préalablement été relevées en Italie les 14 et 18 juillet 2017. Les autorités italiennes, saisies le 3 octobre 2017, ont donné implicitement leur accord pour la reprise en charge de l'intéressée. Par deux arrêtés du 9 janvier 2018, le préfet du Doubs a décidé de transférer Mme A... auprès des autorités italiennes et l'a assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Mme A... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.

Sur la légalité de la décision de transfert :

2. Il ressort des pièces du dossier que, le 13 avril 2018, soit postérieurement à l'introduction de la requête, Mme A... a pu faire enregistrer au guichet unique des demandeurs d'asile de la préfecture du Doubs sa demande d'asile en procédure normale et s'est vu délivrer une attestation de demandeur d'asile. Cette reconnaissance par la France de sa responsabilité dans l'examen de la demande d'asile de Mme A... a implicitement mais nécessairement abrogé l'arrêté du 9 janvier 2018 décidant de son transfert à destination de l'Italie, qui n'a reçu aucune exécution. Par suite, les conclusions de la requérante tendant à l'annulation du jugement du 19 janvier 2018 rejetant sa demande d'annulation de l'arrêté du 9 janvier 2018 décidant sa remise aux autorités italiennes sont devenues sans objet, de même que les conclusions tendant à l'annulation de cet arrêté. Il n'y a, dès lors, pas lieu d'y statuer.

Sur la légalité de l'assignation à résidence :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment : / a) des objectifs du présent règlement (...) / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 (...) ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et en tout état de cause en temps utile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend.

4. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date du 14 septembre 2017, à laquelle a eu lieu l'entretien individuel de Mme A... avec un agent de la préfecture du Doubs, celle-ci a été informée en français du refus d'autorisation de séjour au titre de l'asile qui lui était opposé ainsi que de l'engagement de la procédure de réadmission vers l'Italie et des conditions de déroulement de cette procédure. Elle s'est notamment vu remettre une brochure d'informations générales relatives aux demandeurs d'asile, un guide spécifique dédié à la procédure Dublin III et un guide relatif au règlement Eurodac, sur lesquels elle a apposé, en français, la mention selon laquelle ces documents lui avaient été remis le 14 septembre 2017. L'information qui a été ainsi donnée dans une langue qu'elle avait déclaré comprendre était suffisante pour satisfaire aux exigences du paragraphe 4 précité de l'article 3 du règlement n° 604-2013 du 26 juin 2013. La requérante n'apporte pas d'élément de nature à établir qu'elle n'aurait en réalité pas compris le français.

5. En deuxième lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Aux termes de l'article 10 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 : " Si le demandeur a, dans un État membre, un membre de sa famille dont la demande de protection internationale présentée dans cet État membre n'a pas encore fait l'objet d'une première décision sur le fond, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit ". Aux termes de l'article 2 du même règlement : " Aux fins du présent règlement, on entend par : (...) g) "membres de la famille", dans la mesure où la famille existait déjà dans le pays d'origine, les membres suivants de la famille du demandeur présents sur le territoire des États membres : - le conjoint du demandeur, ou son ou sa partenaire non marié(e) engagé(e) dans une relation stable, lorsque le droit ou la pratique de l'État membre concerné réserve aux couples non mariés un traitement comparable à celui réservé aux couples mariés, en vertu de sa législation relative aux ressortissants de pays tiers (...) ". Enfin, aux termes de l'article 17-1 du même règlement : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement ".

6. Si Mme A... se prévaut de sa relation avec un compatriote guinéen dont la demande d'asile, instruite en France, n'avait pas encore fait l'objet d'une décision définitive à la date de l'arrêté attaqué, en faisant valoir qu'il était le père de son enfant à naître et a reconnu l'enfant à sa naissance, elle n'apporte pas d'élément de nature à établir le caractère stable de la relation, récente, entretenue avec l'intéressé. Celui-ci n'avait donc pas la qualité d'un membre de la famille au sens et pour l'application des dispositions précitées des articles 2 et 10 du règlement (UE) n° 604/2013, dont la requérante ne peut, dès lors, se prévaloir.

7. Ainsi qu'il vient d'être dit, la relation de l'intéressée avec le père de son enfant à naître était récente. Celle-ci ne fait par ailleurs état d'aucune autre attache familiale en France et n'apporte pas d'éléments de nature à établir que sa grossesse et son état de santé faisaient obstacle, à la date de l'arrêté attaqué, à son transfert vers l'Italie. Dès lors, en décidant de ce transfert, le préfet du Doubs n'a ni commis d'erreur manifeste d'appréciation dans la mise en oeuvre du paragraphe 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013, ni méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

8. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que la décision portant assignation à résidence devrait être annulée, par voie de conséquence de l'illégalité des décisions de transfert, ne peut qu'être écarté.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet du Doubs du 9 janvier 2018 l'ayant assignée à résidence. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions de la requête dirigées contre cet arrêté.

Sur les frais liés à l'instance :

10. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

11. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que le conseil de Mme A... demande au titre des dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de Mme A... tendant à l'annulation de l'arrêté du 9 janvier 2018 décidant son transfert en Italie, sur ses conclusions tendant à l'annulation du jugement du 19 janvier 2018 du tribunal administratif de Besançon en tant qu'il a rejeté ces mêmes conclusions et sur ses conclusions aux fins d'injonction.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Doubs.

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N° 18NC00382


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. KOLBERT
Rapporteur ?: M. Jean-François GOUJON-FISCHER
Rapporteur public ?: Mme KOHLER
Avocat(s) : MAILLARD-SALIN

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Date de la décision : 08/04/2020
Date de l'import : 21/04/2020

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 18NC00382
Numéro NOR : CETATEXT000041800266 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-04-08;18nc00382 ?
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