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06/02/2020 | FRANCE | N°18NC02299

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 06 février 2020, 18NC02299


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le préfet du Haut-Rhin a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler le marché passé par la commune de Lutterbach avec la société CIE 93 (lot n° 13 Electricité) pour la réhabilitation d'un local commercial.

Par un jugement n° 1703125 du 6 juillet 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a décidé qu'il n'y avait pas lieu de prononcer la résiliation du marché.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée sous le n° 18NC02299 le 22 août 2018, le pré

fet du Haut-Rhin demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbo...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le préfet du Haut-Rhin a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler le marché passé par la commune de Lutterbach avec la société CIE 93 (lot n° 13 Electricité) pour la réhabilitation d'un local commercial.

Par un jugement n° 1703125 du 6 juillet 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a décidé qu'il n'y avait pas lieu de prononcer la résiliation du marché.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée sous le n° 18NC02299 le 22 août 2018, le préfet du Haut-Rhin demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 6 juillet 2018 ;

2°) d'annuler le marché (lot n° 13 Electricité) passé par la commune de Lutterbach avec la société CIE 93.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier, le tribunal administratif ayant jugé à tort qu'il n'y avait pas lieu de prononcer la résiliation du marché litigieux alors qu'il était saisi de conclusions aux fins d'annulation et que la circonstance que ce marché avait été exécuté ne faisait pas obstacle à cette annulation ;

- l'offre de la société CIE 93 ayant été reçue hors délai, elle aurait dû être éliminée ;

- le tribunal aurait dû tenir compte du fait que la société CIE 93 avait fait parvenir à la commune deux offres distinctes, de montants différents mais toutes deux datées du 15 décembre 2016.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 décembre 2018, la commune de Lutterbach, représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le déféré du préfet du Haut-Rhin était irrecevable ;

- les moyens soulevés par le préfet du Haut-Rhin ne sont pas fondés ;

- c'est à tort que le tribunal administratif a jugé que le marché litigieux était entaché d'illégalité.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;

- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Favret, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., pour la commune de Lutterbach.

Considérant ce qui suit :

1. Le 13 janvier 2017, la commune de Lutterbach a attribué à la société CIE 93 le lot n° 13 (Electricité) du marché de réhabilitation d'un local commercial. Après le rejet, par le maire de Lutterbach, du recours gracieux exercé contre ce marché dans le cadre du contrôle de légalité, le préfet du Haut-Rhin a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'un déféré tendant à son annulation. Il fait appel du jugement du 6 juillet 2018 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a jugé qu'en dépit de l'illégalité dont il était entaché, il n'y avait pas lieu de prononcer la résiliation de ce marché.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Alors que le préfet du Haut-Rhin avait demandé au tribunal administratif de Strasbourg, à titre principal, d'annuler le marché (lot n° 13 Electricité) passé par la commune de Lutterbach avec la société CIE 93, le jugement attaqué n'a pas statué sur ces conclusions et s'est borné, après avoir relevé l'illégalité dont il était entaché, à décider qu'il n'y avait plus lieu de prononcer la résiliation de ce marché, dès lors qu'il avait été entièrement exécuté. Cette omission à statuer est constitutive d'une irrégularité et le préfet du Haut-Rhin est, par suite, fondé à demander l'annulation du jugement du 6 juillet 2018.

3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur le déféré présenté par le préfet du Haut-Rhin devant le tribunal administratif de Strasbourg.

Sur le déféré du préfet du Haut-Rhin :

En ce qui concerne sa recevabilité :

4. Aux termes de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales : " Le représentant de l'Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission ". Aux termes de l'article R. 2131-7 du même code : " Le préfet ou le sous-préfet peut demander, pour exercer le contrôle de légalité, que des pièces complémentaires lui soient fournies ".

5. D'une part, il résulte des dispositions précitées de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales que le préfet est recevable à former, dans le délai de deux mois suivant leur transmission au contrôle de légalité, un déféré à l'encontre des contrats signés par les collectivités et qui lui sont transmis dans ce cadre. Contrairement à ce que soutient la commune de Lutterbach, le point de départ de ce délai n'est donc pas constitué par la publication de l'avis d'attribution du marché.

6. D'autre part, le délai de deux mois ainsi imparti au représentant de l'Etat dans le département court à compter, soit de la réception du texte intégral de l'acte ou des documents annexes réclamés, soit de la décision, explicite ou implicite, par laquelle l'autorité communale refuse de compléter la transmission initiale. En revanche, à défaut d'un recours gracieux dirigé contre l'acte ou d'une demande tendant à ce que l'autorité communale en complète la transmission, présentés par le représentant de l'Etat dans le délai de deux mois de la réception de l'acte, le délai imparti à ce dernier pour déférer cet acte au tribunal administratif court à compter de ladite réception. Dans le délai de deux mois suivant la transmission des documents annexes nécessaires, le représentant de l'Etat a la faculté de former un recours gracieux auprès de l'autorité départementale compétente. L'exercice d'un tel recours a alors pour effet de proroger le délai imparti au préfet pour saisir le tribunal administratif.

7. Il résulte de l'instruction que le marché litigieux a été transmis au contrôle de légalité par un courrier du 2 janvier 2017. Le sous-préfet de Mulhouse a, par une lettre du 21 février 2017, demandé au maire de Lutterbach de produire le détail des notes attribuées pour chacun des sous-critères et de justifier les notes attribuées à la société CIE 93 après négociation. Le maire a répondu à cette demande par un courrier en date du 1er mars 2017 et les derniers documents permettant de regarder la réponse de la commune comme étant complète ont été réceptionnés le 20 mars 2018. Le préfet ayant saisi le maire de Lutterbach, le 5 mai 2017, d'un recours gracieux, reçu le 19 mai suivant, le déféré préfectoral enregistré le 20 juin 2017 au greffe du tribunal administratif de Strasbourg n'était pas tardif et la fin de non-recevoir opposée à cet égard par la commune de Lutterbach doit être écartée.

En ce qui concerne les conclusions aux fins d'annulation du marché :

8. Il appartient au juge statuant sur un déféré préfectoral dirigé contre un contrat, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité de ce contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci.

9. Lorsqu'en outre, l'instruction permet d'établir que les vices entachant la convention litigieuse révèlent une volonté de la personne publique de favoriser un candidat et affectent ainsi gravement la légalité du choix du concessionnaire, ces vices impliquent, par leur particulière gravité et en l'absence de régularisation possible, que soit prononcée l'annulation de la convention litigieuse, dès lors qu'une telle mesure ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général.

10. Aux termes du IV de l'article 43 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 applicable au marché litigieux : " (...) Les candidatures et offres reçues hors délai sont éliminées ". Aux termes de l'article 7.1 du règlement de la consultation de ce marché : " Les candidats transmettent leur offre sous pli cacheté [...]. Il devra être remis contre récépissé ou envoyé par pli recommandé avec avis de réception [...]. Les plis qui ne seraient remis ou dont l'avis de réception serait délivré après la date et l'heure limites précitées ainsi que remis sous enveloppe non cachetée, ne seront pas retenus ".

11. Il résulte de l'instruction qu'à l'issue de la phase de négociation prévue par le règlement de la consultation, la commune de Lutterbach a, le 13 décembre 2016, fixé un délai de 48 heures aux candidats les mieux placés pour transmettre des compléments d'informations d'ordre technique, ainsi que leurs offres de prix. Ce délai, qui devait se décompter d'heure à heure, a été notifié à la société CIE 93 par courriel le 13 décembre à 16h33 et il expirait ainsi le 15 décembre à 16h33.

12. Si la commune de Lutterbach admet que l'offre de la société CIE 93 n'a été enregistrée que le 16 décembre 2016, soit après l'expiration du délai imparti, elle ne produit aucun élément permettant d'établir que, comme elle le soutient également, un exemplaire en aurait été remis au maire, en mains propres, le 15 décembre 2016, en soirée, soit déjà plusieurs heures après l'heure limite. A l'inverse, sa remise effective en mairie le 16 décembre seulement, est corroborée d'une part, par le contenu du courriel adressé à la commune le 15 décembre 2016 par M. C..., gérant de la société CIE 93, faisant état d'un problème informatique l'empêchant de photocopier l'offre et précisant : " Je vous apporte les offres demain matin au plus tôt. J'espère que vous nous en tiendrez pas rigueur ", d'autre part, par un autre courriel adressé par un agent communal au maître d'oeuvre le 16 décembre 2016 à 8 h 43, mentionnant que " l'entreprise CIE vient de passer, voici les éléments du lot 13 ". Dès lors, en n'éliminant pas l'offre de la société CIE 93, remise après l'expiration du délai imparti et en attribuant le marché à cette société, la commune de Lutterbach a gravement méconnu les règles d'attribution des marchés et en particulier le principe d'égalité entre les candidats.

14. Le manquement commis par la commune, qui n'est pas régularisable, a affecté la validité du choix de l'attributaire, et, alors qu'il résulte de l'instruction que la société CIE 93 a en réalité fait parvenir deux offres distinctes à la commune, d'un montant différent, mais toutes deux datées du 15 décembre 2016, il doit être regardé comme révélant la volonté de la commune de Lutterbach de favoriser la société CIE 93 dans l'attribution du marché. Il est ainsi de nature à justifier l'annulation de ce dernier. Dans les circonstances de l'espèce, ni l'entière exécution du marché ni le fait qu'une telle annulation priverait la commune des garanties post-contractuelles qui y sont attachées ne permettent de démontrer qu'elle porterait une atteinte excessive à l'intérêt général.

15. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Haut-Rhin est fondé à demander l'annulation du marché litigieux du 13 janvier 2017.

Sur les frais liés à l'instance :

16. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la commune de Lutterbach demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 6 juillet 2018 est annulé.

Article 2 : Le marché relatif au lot n° 13 " Electricité " attribué le 13 janvier 2017 à la société CIE 93 est annulé.

Article 3 : Les conclusions de la commune de Lutterbach tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à la commune de Lutterbach et à la société CIE 93.

Copie en sera transmise au préfet du Haut-Rhin.

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N° 18NC02299


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18NC02299
Date de la décision : 06/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Collectivités territoriales - Dispositions générales - Contrôle de la légalité des actes des autorités locales - Déféré préfectoral.

Collectivités territoriales - Commune.

Marchés et contrats administratifs - Fin des contrats - Résiliation - Pouvoirs du juge.


Composition du Tribunal
Président : M. KOLBERT
Rapporteur ?: M. Jean-Marc FAVRET
Rapporteur public ?: Mme KOHLER
Avocat(s) : M et R AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-02-06;18nc02299 ?
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