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06/12/2018 | FRANCE | N°17NC02057

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre - formation à 3, 06 décembre 2018, 17NC02057


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme F...E...ont demandé au tribunal administratif de Nancy de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2008, et des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1600398 du 20 juin 2017, le tribunal administratif de Nancy a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 11 août 2017, M. et Mme F...E..., représentés par MeD..., demandent à la cour :


1°) d'annuler ce jugement du 20 juin 2017 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté leur...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme F...E...ont demandé au tribunal administratif de Nancy de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2008, et des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1600398 du 20 juin 2017, le tribunal administratif de Nancy a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 11 août 2017, M. et Mme F...E..., représentés par MeD..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 20 juin 2017 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté leur demande tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2008, et des pénalités correspondantes ;

2°) de prononcer la décharge de cette imposition et des pénalités correspondantes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Ils soutiennent que l'opération d'apport de titres ne peut être regardée comme n'ayant pas d'autre objectif que celui d'éluder l'impôt ou d'atténuer les charges fiscales au sens de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales et ne caractérise donc pas un abus de droit.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 février 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. et Mme E...ne sont pas fondés.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lambing,

- les conclusions de Mme Peton, rapporteur public,

- et les observations de MeA..., susbtituant MeD..., représentant MmeE....

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme E...ont fait l'objet d'un contrôle sur pièces à l'issue duquel l'administration a remis en cause le bénéfice du sursis d'imposition de la plus-value qu'ils ont réalisée lors de l'apport de leurs parts de la société par actions simplifiée (SAS) E...à la société Vabrumel development, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales. Par proposition de rectification du 28 décembre 2011, l'administration leur a notifié dans le cadre de la procédure de rectification contradictoire une cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu au titre de l'année 2008 ainsi que la pénalité de 80 % correspondante. M. F... E..., décédé en cours d'instance devant la cour, et Mme B...E..., relèvent appel du jugement du 20 juin 2017 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté leur demande tendant à la décharge de cette imposition et des majorations correspondantes.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. (...) / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification. ".

3. Le comité consultatif pour la répression des abus de droit, saisi à la demande de M. et MmeE..., a confirmé le bien-fondé de la mise en oeuvre à leur égard de la procédure de répression des abus de droit. Il incombe donc à MmeE..., en vertu des dispositions citées ci-dessus, d'apporter la preuve inverse.

4. D'autre part, aux termes de l'article 150-0 A du code général des impôts dans sa version applicable au litige : " I.-1. Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices non commerciaux et aux bénéfices agricoles ainsi que des articles 150 UB et 150 UC , les gains nets retirés des cessions à titre onéreux, effectuées directement ou par personne interposée, de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres mentionnés au 1° de l'article 118 et aux 6° et 7° de l'article 120, de droits portant sur ces valeurs, droits ou titres ou de titres représentatifs des mêmes valeurs, droits ou titres, sont soumis à l'impôt sur le revenu lorsque le montant de ces cessions excède, par foyer fiscal, 20 000 euros pour l'imposition des revenus de l'année 2007 et 25 000 euros pour l'imposition des revenus de l'année 2008. (...) ". Aux termes de l'article 150-0 B du même code : " Les dispositions de l'article 150-0 A ne sont pas applicables, au titre de l'année (...) d'apport de titres mentionnées au premier alinéa réalisées en France, dans un autre Etat membre de la Communauté européenne ou dans un Etat ou territoire ayant conclu avec la France une convention fiscale contenant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, ainsi qu'aux opérations, autres que les opérations d'apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés, pour lesquelles le dépositaire des titres échangés est établi en France, dans un autre Etat membre de la Communauté européenne ou dans un Etat ou territoire ayant conclu avec la France une convention fiscale contenant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales. (...) ". Il ressort de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 30 décembre 1999 de finances pour 2000 dont elles sont issues, que le législateur a, en les adoptant, entendu faciliter les opérations de restructuration d'entreprises, en vue de favoriser la création et le développement de celles-ci, par l'octroi automatique d'un sursis d'imposition pour les plus-values résultant de certaines opérations qui ne dégagent pas de liquidités. L'opération par laquelle des titres d'une société sont apportés par un contribuable à une société qu'il contrôle, puis sont immédiatement cédés par cette dernière, répond à l'objectif économique ainsi poursuivi par le législateur, lorsque le produit de cession fait l'objet d'un réinvestissement dans une activité économique, à bref délai, par cette société. En revanche, en l'absence de réinvestissement, une telle opération doit, en principe, être regardée comme poursuivant un but exclusivement fiscal dans la mesure où elle conduit, en différant l'imposition de la plus-value, à minorer l'assiette de l'année au titre de laquelle l'impôt est normalement dû à raison de la situation et des activités réelles du contribuable.

5. Il résulte de l'instruction que par acte du 27 juin 2008, M. et Mme E...ont apporté à la société à responsabilité limitée de droit belge Vabrumel development, créée par ces derniers le 16 juin 2008, la totalité des actions qu'ils détenaient dans le capital de la société par actions simplifiée (SAS) J.PE..., pour un montant de 13 930 000 euros. La plus-value réalisée a été placée sous le régime du sursis d'imposition de l'article 150-0 B du code général des impôts. Par acte du 30 juillet 2008, la société Vabrumel development a cédé ces mêmes titres à la société Concept management pour un prix de 12 500 000 euros. Par proposition de rectification du 28 décembre 2011, l'administration a remis en cause le bénéfice du sursis d'imposition dont ont bénéficié M. et Mme E...au motif que l'opération d'apport de titres suivie dans un court délai par une cession, n'avait pas d'autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que les intéressés, s'ils n'avaient pas créé la société Vabrumel development et ne lui avaient pas cédé les titres en cause, auraient normalement supportées. Par avis du 20 novembre 2014, le comité de l'abus de droit fiscal a considéré que les actes étaient constitutifs d'un abus de droit. Mme E...soutient que la société Vabrumel development a entrepris des négociations pour réinvestir le produit de la cession, permettant le développement du groupe E...à l'international.

6. En premier lieu, il n'est pas contesté, qu'à la date de la cession des titres détenus par la société Vabrumel development, M. et Mme E...en étaient les seuls associés et M. E...en était le gérant. Ils pouvaient, en cette qualité, librement disposer des titres de la société J.P E..., et décider de les céder afin de percevoir les liquidités correspondantes. Ils doivent, dès lors, être regardés comme ayant, grâce à l'interposition de la société Vabrumel development, pu appréhender effectivement les liquidités obtenues lors de la cession des titres à la société Concept management.

7. En deuxième lieu, l'administration a relevé que M. E...avait engagé des négociations avec la société Concept management en vue de céder ses titres au sein de la SAS J.P E...dès mars 2008, avant même la création de la société Vabrumel development. M. E... avait exprimé son souhait de céder son entreprise début 2008 tel que cela ressort d'un entretien qu'il a accordé à l'association nationale pour la transmission d'entreprises. En outre, l'administration a constaté que la société Vabrumel development n'a eu aucune activité commerciale en 2008 et que son actif était constitué à 90 % par des placements de trésorerie au titre de ses exercices 2009 et 2010. Afin de démontrer que l'opération litigieuse était justifiée par un motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer leurs charges fiscales normales, Mme E...produit divers courriels de la société Vabrumel development ou de M. E...échangés avec des entreprises tierces concernant des projets d'aménagement de magasins. Cependant, ces pièces ont seulement trait à l'activité commerciale principale du groupeE..., offrant des prestations de services dans le domaine de l'agencement de boutiques, et ne caractérisent pas un réinvestissement du produit de la cession des titres en litige. Mme E...se prévaut également des discussions engagées avec la société anonyme I-Movix en mars 2010 afin d'investir 1 000 000 euros. La requérante produit aussi une lettre d'intention du 28 décembre 2012 signée par la société Vabrumel development par laquelle celle-ci envisageait de souscrire au capital des sociétés Luminéo et Ecometis pour une somme globale de 3 000 000 euros. Ces négociations, dont il n'est pas établi au demeurant qu'elles auraient abouti, sont intervenues près de deux ans après la cession des titres à la société Concept management. Le produit de cession n'a dès lors pas fait l'objet d'un réinvestissement dans un délai immédiat ou dans un bref délai. S'il est par ailleurs justifié de la participation de la société Vabrumel development au capital de la SAS Greentek à hauteur de 300 000 euros par acte du 29 mars 2013, ce réinvestissement est intervenu postérieurement à la notification de la proposition de rectification à M. et Mme E...et près de trois ans après la cession des titres par la société Vabrumel development. Le montant investi ne constitue pas, par ailleurs, une part significative du produit de cession qui s'élevait à 12 500 000 euros. La requérante se prévaut ensuite d'un mandat du 7 mars 2008 conclu avec M. C... et d'un courrier du 27 février 2015 de M. C...relatif à l'abandon d'un projet d'investissement. Cependant, ces documents concernent des projets d'investissement de M. E... à titre personnel et non pour le compte de la société Vabrumel development. Il en est de même pour le protocole d'accord conclu le 20 octobre 2010 entre M. E...et la société Innovation Solar AG, dès lors qu'il est fait référence dans le document au mandat de prospection de M.C..., la société Vabrumel development n'étant qu'un intermédiaire dans l'opération. En tout état de cause, ce document est établi plus de deux ans après la cession des titres et ne constitue qu'un accord de principe, aucune somme n'étant mentionnée. S'agissant des prêts conclus les 17 février et 30 août 2011 par la société Vabrumel development avec la société Immo-Vitalis GmbH à hauteur de 1 500 000 euros chacun, la requérante soutient qu'il s'agit d'une avance de fonds à la société suisse ISH en vue du développement des activités de sa filiale, la société Diesoil germany GmbH. Toutefois, le contrat de nantissement d'actions du 30 mai 2012 conclu entre la société Vabrumel development et la société Innovation Solar AG, garantissant selon la requérante les prêts conclus les 17 février et 30 août 2011, mentionne la mise à disposition de fonds à la société Diesoil germany GmbH et ne comporte aucune référence aux prêts. En outre, les actes de prêts comportaient déjà des clauses afin de garantir le remboursement des sommes mises à la disposition de la société Immo-Vitalis GmbH. Par conséquent, les prêts conclus au bénéfice de la société Immo-Vitalis GmbH, en l'absence de circonstances particulières de nature à leur retirer leur caractère patrimonial, ne constituaient pas un investissement dans une activité économique. En tout état de cause, ces prêts et l'acte de nantissement du 30 mai 2012 ont été conclus plus de trois ans après l'opération de cession. La requérante, en se prévalant seulement du contexte économique difficile, n'apporte aucun élément démontrant que des démarches avaient été engagées plus tôt avec l'ensemble de ces sociétés ou que des difficultés liées à l'importance et à la nature de l'investissement projeté justifient ces délais particulièrement importants après la cession des titres. Dans ces conditions, il n'apparaît pas que la société Vabrumel development ait effectivement réinvesti le produit de la cession du 30 juillet 2008 dans une activité économique.

8. Eu égard à ce qui a été dit aux points 6 et 7, Mme E...n'apporte pas la preuve qui lui incombe que l'opération litigieuse ne présentait pas les caractéristiques d'un montage constitutif d'un abus de droit.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme E...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...E...et au ministre de l'action et des comptes publics.

2

N° 17NC02057


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Analyses

19-01-03-03 Contributions et taxes. Généralités. Règles générales d'établissement de l'impôt. Abus de droit et fraude à la loi.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Stéphanie LAMBING
Rapporteur public ?: Mme PETON
Avocat(s) : WELZER

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Date de la décision : 06/12/2018
Date de l'import : 18/12/2018

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 17NC02057
Numéro NOR : CETATEXT000037791187 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2018-12-06;17nc02057 ?
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