Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée Euro Invest a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la délibération du 17 avril 2013 par laquelle le conseil municipal de Vraux (Marne) a décidé d'exercer son droit de préemption urbain sur un bien situé 17 rue de Louvois, cadastré C 1925. Elle a également demandé à ce tribunal de condamner la commune de Vraux à lui verser une indemnité de 90 574 euros au titre du préjudice résultant pour elle de l'illégalité de cette décision de préemption.
Par un jugement n° 1301031 et 1302245 du 2 juillet 2015, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a, dans son article 1er, annulé la délibération du 17 avril 2013 décidant de l'exercice du droit de préemption et, dans ses articles 2 et 3, a rejeté le surplus des conclusions de la société Euro Invest, en particulier ses conclusions indemnitaires.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 4 septembre 2015 et le 16 septembre 2016, la société Euro Invest, représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 2 juillet 2015 en tant qu'il rejette ses conclusions indemnitaires ;
2°) de condamner la commune de Vraux à lui verser une indemnité de 90 574 euros au titre du préjudice résultant pour elle de l'illégalité de cette décision de préemption ;
3°) de rejeter les conclusions d'appel incident de la commune de Vraux ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Vraux une somme de 4 000 euros au titre de la première instance, et de 4 500 euros au titre de l'instance d'appel, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué a méconnu l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que le principe du contradictoire ;
- la commune de Vraux a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en décidant de préempter alors que n'existait aucun projet d'aménagement précis et sérieux et que la décision a été prise dans des conditions hasardeuses et approximatives ;
- elle a été privée d'une plus-value d'un montant de 90 574 euros ;
- ce préjudice est en lien direct avec l'illégalité de la décision de préemption ;
- l'appel incident présenté par la commune de Vraux, qui n'a pas été présenté dans un délai de deux mois, porte sur un litige distinct.
Par un mémoire en défense enregistré le 19 novembre 2015, la commune de Vraux (Marne), représentée par la SELAS Devarenne Associés Grand Est, conclut :
1) au rejet de la requête ;
2) par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement du 2 juillet 2015 en tant qu'en son article 1er il annule la délibération du 17 avril 2013 décidant de l'exercice du droit de préemption ;
3) de mettre à la charge de la société Euro Invest une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle justifie, à la date de la décision de préemption, d'un projet d'aménagement ;
- compte tenu de l'existence de ce projet d'aménagement, le préjudice dont se prévaut la société Euro Invest, résultant de la plus-value que cette entreprise soutient qu'elle aurait pu réaliser, est sans lien avec la décision de préemption ;
- le préjudice dont se prévaut l'entreprise requérante n'existe pas ; celle-ci n'a engagé aucun frais dont elle pourrait solliciter réparation ; son préjudice est purement éventuel ;
- le montant de ce préjudice est surévalué.
Les parties ont été informées que la cour était susceptible de statuer sur un moyen soulevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions d'appel incident présentées par la commune de Vraux, celles-ci se rapportant à un litige distinct de l'appel principal.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Fuchs,
- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,
- et les observations de Me B...pour la société Euro Invest et Me A...pour la commune de Vraux.
1. Considérant que la société Euro Invest, qui exerce une activité de marchand de biens, a été déclarée adjudicataire de l'immeuble situé 17 rue de Louvois à Vraux (Marne) par un jugement du tribunal de grande instance de Châlons-en-Champagne du 3 avril 2013 pour un montant de 36 000 euros ; que, par une délibération du 17 avril 2013, le conseil municipal de Vraux a décidé d'exercer son droit de préemption sur ce bien ; que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a, dans l'article 1er du jugement attaqué, annulé cette délibération ; que, dans son article 2, il a rejeté le surplus des conclusions présentées par la société Euro Invest, en particulier ses conclusions indemnitaires ; que la société Euro Invest, par la voie de l'appel principal, et la commune de Vraux, qui a formé un appel incident, relèvent appel de ce jugement ;
Sur la recevabilité des conclusions d'appel incident présentées par la commune de Vraux :
2. Considérant que, par la voie de l'appel incident, la commune de Vraux demande l'annulation du jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 2 juillet 2015 en tant que, en son article 1er, les premiers juges ont annulé la délibération du 17 avril 2013 ; que ces conclusions incidentes soulèvent un litige distinct de celui qui fait l'objet de l'appel principal présenté par la société Euro Invest, relatif au rejet de ses conclusions indemnitaires par l'article 2 de ce même jugement ; que, par suite, ces conclusions de la commune de Vraux, qui ont été enregistrées après l'expiration du délai de recours en appel, ne sont pas recevables ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Considérant que lorsque le juge administratif est saisi, postérieurement à la clôture de l'instruction et au prononcé des conclusions du rapporteur public, d'une note en délibéré émanant d'une des parties à l'instance, il lui appartient dans tous les cas d'en prendre connaissance avant la séance au cours de laquelle sera rendue la décision ; que, s'il a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice, de rouvrir l'instruction et de soumettre au débat contradictoire les éléments contenus dans la note en délibéré, il n'est tenu de le faire à peine d'irrégularité de sa décision que si cette note contient soit l'exposé d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office ;
4. Considérant que la note en délibéré que la commune de Vraux a produite le 22 juin 2015, après la séance publique mais avant la lecture de la décision, a été enregistrée au greffe du tribunal administratif et versée au dossier ; qu'eu égard au contenu de cette note, les premiers juges n'étaient pas tenus de la communiquer et de rouvrir l'instruction ; qu'ainsi, en estimant que cette note ne justifiait pas la réouverture de l'instruction et en se bornant à la viser sans prendre en compte son contenu pour rendre son jugement, le tribunal administratif n'a méconnu ni les dispositions de l'article L. 5 du code de justice administrative, aux termes desquelles " l'instruction des affaires est contradictoire ", ni, en tout état de cause, les stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur les conclusions indemnitaires présentées par la société Euro Invest :
5. Considérant qu'un acquéreur évincé par une décision de préemption illégale est en droit d'obtenir réparation des préjudices qui résultent pour lui, de façon directe et certaine, de cette décision ;
6. Considérant qu'en son article 1er, devenu définitif, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé la délibération du conseil municipal de Vraux décidant de l'exercice de son droit de préemption ; qu'il ressort des motifs du jugement attaqué que les premiers juges ont estimé que cette délibération méconnaissait les dispositions de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme, la commune ayant insuffisamment motivé sa décision et n'ayant pas établi la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme ; que cette illégalité est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Vraux ;
7. Mais considérant qu'il appartient à l'acquéreur évincé d'établir le caractère réel, direct et certain des préjudices dont il demande réparation ; qu'en l'espèce, la société Euro Invest demande à être indemnisée des préjudices financiers qu'elle estime subir en raison de l'impossibilité dans laquelle l'a placée la décision de préemption illégale de réaliser l'opération immobilière de réhabilitation qu'elle projetait, afin de transformer l'immeuble en cause en appartements qu'elle destinait à la vente ;
8. Considérant, d'une part, que la société soutient que son préjudice équivaut à la différence entre le prix de revente estimé du bien après réalisation des travaux et le coût de l'acquisition additionné du coût de ces travaux ; que, toutefois, elle ne détaille pas la consistance exacte du projet immobilier qu'elle envisageait et ne produit d'ailleurs qu'un seul devis estimatif des travaux, ne permettant pas d'établir avec suffisamment de certitude le coût de son projet ; qu'en outre, en se bornant à verser au dossier trois annonces immobilières, relatives à des produits dont la similarité avec le projet poursuivi n'est pas prouvée, elle ne justifie pas du prix de revente attendu ;
9. Considérant, d'autre part, que la société requérante n'apporte aucun élément de nature à justifier qu'un changement d'affectation de local commercial en immeuble d'habitation était possible au regard des règles d'urbanisme en vigueur ; qu'au contraire de ce qu'elle soutient, les pièces qu'elle produit ne permettent pas de révéler l'existence d'une autorisation d'urbanisme qui lui aurait été implicitement délivrée ;
10. Considérant, enfin, que la société Euro Invest a été déclarée adjudicataire de l'immeuble en litige par un jugement du tribunal de grande instance de Châlons-en-Champagne du 3 avril 2013 ; que l'annulation, par l'article 1er du jugement attaqué, de la délibération autorisant la préemption étant rétroactive, la commune doit être considérée comme ayant renoncé à préempter et la société requérante doit être regardée comme disposant de la pleine propriété de ce bien ; qu'il appartient, par conséquent, à la société Euro Invest de prouver soit qu'elle n'est plus en mesure de réaliser son projet en raison de l'illégalité de la délibération de préemption, soit qu'elle a subi de ce fait un retard qui lui préjudicie ; que la société requérante n'établit pas, ni même n'allègue, avoir subi un tel préjudice ;
11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société requérante n'établit pas le caractère certain du préjudice qu'elle allègue avoir subi ; que ce préjudice étant éventuel, sa demande indemnitaire doit être rejetée ; qu'il s'ensuit que la société Euro Invest n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la commune de Vraux la somme demandée par la société Euro Invest au titre de ces dispositions, ni de mettre à la charge de la société Euro Invest la somme demandée par la commune de Vraux au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Euro Invest est rejetée.
Article 2 : Les conclusions d'appel incident de la commune de Vraux ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Euro Invest et à la commune de Vraux.
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N° 15NC01927