La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/08/2012 | FRANCE | N°12NC00007

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 02 août 2012, 12NC00007


Vu la requête, enregistrée le 3 janvier 2012, présentée pour M. Vito A, demeurant ..., par Me Bineteau ;

M. A demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 1000728 du 7 novembre 2011 par lequel le magistrat désigné par le Tribunal administratif de Strasbourg n'a que partiellement fait droit à sa demande en condamnant La Poste et l'Etat à lui verser solidairement la somme de 4 000 euros en réparation de son préjudice ;

2°) de condamner solidairement La Poste et l'Etat à lui verser une somme de 90 514 euros, assortie des intérêt légaux à compter de

la réception de ses demandes préalables et de la capitalisation des intérêts, en répa...

Vu la requête, enregistrée le 3 janvier 2012, présentée pour M. Vito A, demeurant ..., par Me Bineteau ;

M. A demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 1000728 du 7 novembre 2011 par lequel le magistrat désigné par le Tribunal administratif de Strasbourg n'a que partiellement fait droit à sa demande en condamnant La Poste et l'Etat à lui verser solidairement la somme de 4 000 euros en réparation de son préjudice ;

2°) de condamner solidairement La Poste et l'Etat à lui verser une somme de 90 514 euros, assortie des intérêt légaux à compter de la réception de ses demandes préalables et de la capitalisation des intérêts, en réparation de son préjudice ;

3°) de mettre à la charge solidaire de La Poste et de l'Etat la somme de 3 000 euros à lui verser au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- La Poste a commis une faute dans la gestion de sa carrière ;

- l'Etat a commis une faute dans le cadre de l'exercice de ses pouvoirs règlementaires, mais aussi une faute lourde dans le cadre de l'exercice de ses pouvoirs de tutelle, et c'est ainsi à tort que le tribunal n'a pas retenu l'existence d'une faute lourde dans l'exercice du pouvoir de tutelle ;

- il a subi un préjudice matériel et un préjudice professionnel ;

- il est victime de troubles dans ses conditions d'existence et a subi un préjudice moral ;

- le lien de causalité entre le préjudice subi et les fautes de La Poste et de l'Etat est établi ; il doit être présumé victime du préjudice allégué ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 30 janvier 2012, présenté par le ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, qui conclut au rejet de la requête de M. A ;

Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés :

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 29 février 2012, présenté pour M. A, qui conclut aux mêmes fins que sa requête, par les mêmes moyens ;

Il soutient en outre que le juge reconnaît que l'agent a été privé d'une chance sérieuse d'être inscrit à un tableau d'avancement, si ses mérites professionnels sont constatés et qu'il remplissait les conditions requises pour se présenter à l'examen permettant l'accès au grade supérieur ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 12 mars 2012, présenté pour La Poste par Me Bellanger, qui conclut au rejet de la requête de M. A et à ce que soit mise à la charge de M. A une somme de 1 000 euros à lui verser au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle fait valoir que :

- la requête de première instance était irrecevable, car la demande préalable n'était pas personnalisée au cas de l'agent, ni suffisamment précise sur les fautes reprochées à La Poste et à l'Etat ;

- les prétentions indemnitaires de l'intéressé se heurtent à la prescription quinquennale de l'article 2277 du code civil ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

Vu les notes en délibéré produites respectivement les 11 et 12 juillet 2012 pour La Poste et pour M. A ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;

Vu la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de La Poste et de France Télécom ;

Vu le décret n° 88-213 du 3 mars 1988 modifiant le décret 57-1319 du 21 décembre1957 relatif au statut particulier des corps des services de la distribution et de l'acheminement des postes et télécommunications ;

Vu le décret n° 72-500 du 23 juin 1972 portant statut particulier du corps des agents d'exploitation des P et T ;

Vu le décret n° 92-930 du 7 septembre 1992 relatif au statut particulier des corps des agents d'exploitation de la Poste et de France Télécom ;

Vu le décret n° 2004-1300 du 26 novembre 2004 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de France Télécom ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 juillet 2012 :

- le rapport de M. Favret, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Dulmet, rapporteur public,

- et les observations de Me Lérat pour Me Bineteau, avocat de M. A ;

Considérant que M. A demande à la Cour de réformer le jugement n° 1000728 du 7 novembre 2011 par lequel le magistrat désigné par le Tribunal administratif de Strasbourg n'a que partiellement fait droit à sa demande en condamnant La Poste et l'Etat à lui verser solidairement la somme de 4 000 euros en réparation de son préjudice ;

Sur la fin de non recevoir soulevée par La Poste :

Considérant qu'il y a lieu d'adopter le motif retenu par les premiers juges pour écarter la fin de non-recevoir soulevée par La Poste, tirée de ce que la demande préalable de M. A était stéréotypée et insuffisamment précise sur les fautes reprochées à La Poste et à l'Etat ;

Sur l'exception de prescription :

Considérant qu'il y a lieu d'adopter le motif retenu par les premiers juges pour écarter l'exception de prescription opposée par La Poste ;

Sur la responsabilité de La Poste et de l'Etat :

Considérant qu'aux termes de l'article 29 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de La Poste et de France Télécom : " Les personnels de La Poste et de France Telecom sont régis par des statuts particuliers, pris en application de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ( ...) " ; qu'aux termes de l'article 26 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d'être proposés au personnel appartenant déjà à l'administration (...), non seulement par voie de concours (...) mais aussi par la nomination de fonctionnaires (...) suivant l'une des modalités ci-après : / 1° Examen professionnel ; / 2° Liste d'aptitude établie après avis de la commission paritaire du corps d'accueil (...) " ;

Considérant, d'une part, que la possibilité offerte aux fonctionnaires qui sont demeurés dans les corps dits de " reclassement " de La Poste de bénéficier, au même titre que les fonctionnaires ayant choisi d'intégrer les nouveaux corps dits de " reclassification " créés en 1993, de mesures de promotion organisées en vue de pourvoir des emplois vacants proposés dans ces corps de " reclassification ", ne dispensait pas le président de La Poste, avant le 1er janvier 2002, de faire application des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne dans le cadre des corps de " reclassement " ; que le ministre chargé des postes et télécommunications était tenu de veiller au respect par La Poste du droit à la promotion interne, garanti aux fonctionnaires " reclassés " comme aux fonctionnaires " reclassifiés " de l'exploitant public par les dispositions combinées de la loi du 2 juillet 1990 et de la loi du 11 janvier 1984 ;

Considérant, d'autre part, que le législateur, par la loi du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales, en permettant à La Poste de ne recruter, le cas échéant, que des agents contractuels de droit privé, n'a pas entendu priver d'effet les dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne à l'égard des fonctionnaires " reclassés " ; que, par suite, les décrets régissant les statuts particuliers des corps de " reclassement ", en ce qu'ils n'organisaient pas de voies de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes et privaient en conséquence les fonctionnaires " reclassés " de toute possibilité de promotion interne, étaient entachés d'illégalité ; que l'Etat a commis une faute en attendant le 14 décembre 2009 pour adopter le décret n° 2009-1555 organisant les possibilités de promotion interne pour les fonctionnaires des corps de reclassement de La Poste ; qu'en faisant application des décrets illégaux et en refusant de prendre toute mesure de promotion interne au bénéfice des fonctionnaires " reclassés " au motif que ces décrets en interdisaient la possibilité, le président de La Poste a, de même, commis une illégalité ;

Considérant que les fautes sus décrites de La Poste et de l'Etat sont, ainsi que l'a souligné à bon droit le tribunal administratif, de nature à entraîner leur responsabilité solidaire à l'égard de M. A, à condition toutefois qu'elles soient à l'origine d'un préjudice personnel, direct et certain subi par ce dernier ;

Sur le préjudice :

En ce qui concerne le préjudice de carrière résultant de la perte de chance sérieuse de promotion :

Considérant que M. A soutient qu'il a subi un préjudice matériel et professionnel, dès lors qu'il a perdu une chance sérieuse de promotion, étant demeuré dans son grade de préposé, alors qu'il aurait dû être promu au grade d'agent d'exploitation distribution acheminement ; que, si la promotion interne au choix ne constitue pas un droit pour les fonctionnaires, La Poste ne conteste pas que le requérant remplissait les conditions statutaires pour bénéficier d'une promotion, que sa notation témoignait de sa valeur professionnelle depuis 1998 et que, dès 1994, sa hiérarchie était favorable à son évolution vers un poste de niveau supérieur ; que l'intéressé doit ainsi être regardé comme ayant été privé d'une chance sérieuse de promotion ; qu'il s'ensuit qu'il avait droit à l'indemnisation du préjudice de carrière résultant de cette perte de chance sérieuse ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 15 000 euros ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à indemniser son préjudice de carrière résultant de sa perte de chance sérieuse de promotion ;

En ce qui concerne les troubles dans les conditions d'existence et le préjudice moral :

Considérant qu'il y a lieu d'adopter le motif retenu par le tribunal administratif, qui a estimé que M. A était fondé à réclamer une indemnité au titre de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence à raison des fautes relevées, et que ce préjudice devait être évalué à la somme de 4 000 euros ;

Considérant que le jugement attaqué doit être réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt ;

Sur les conclusions au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que La Poste demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire de La Poste et de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. A au titre des mêmes dispositions ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1000728 du 7 novembre 2011 du magistrat désigné par le Tribunal administratif de Strasbourg est réformé en ce qu'il est contraire au présent arrêt.

Article 2 : La Poste et l'Etat verseront solidairement à M. A une somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice de carrière.

Article 3 : La Poste et l'Etat verseront solidairement à M. A une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de M. A est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Vito A, à La Poste et au ministre de l'économie, des finances et du commerce extérieur.

''

''

''

''

2

12NC00007


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 12NC00007
Date de la décision : 02/08/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. Contentieux de la fonction publique. Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. LAURENT
Rapporteur ?: M. Jean-Marc FAVRET
Rapporteur public ?: Mme DULMET
Avocat(s) : MOREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2012-08-02;12nc00007 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award