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21/10/2010 | FRANCE | N°09NC00714

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre - formation à 3, 21 octobre 2010, 09NC00714


Vu, I, sous le n° 09NC00714, la requête, enregistrée le 18 mai 2009, complétée par mémoires enregistrés les 2 octobre 2009, 15 février et 12 mai 2010, présentée pour le GIE MOËT HENNESSY DISTRIBUTION, dont le siège est 20 avenue de Champagne à Epernay (51333), par Me Beetschen ; le GIE MOËT HENNESSY DISTRIBUTION demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 0300647 du 19 mars 2009 par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne n'a que partiellement fait droit à sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 191 845, 30 eu

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Vu, I, sous le n° 09NC00714, la requête, enregistrée le 18 mai 2009, complétée par mémoires enregistrés les 2 octobre 2009, 15 février et 12 mai 2010, présentée pour le GIE MOËT HENNESSY DISTRIBUTION, dont le siège est 20 avenue de Champagne à Epernay (51333), par Me Beetschen ; le GIE MOËT HENNESSY DISTRIBUTION demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 0300647 du 19 mars 2009 par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne n'a que partiellement fait droit à sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 191 845, 30 euros majorée du montant des intérêts au taux légal courant à compter du 1er janvier 2003, eux-mêmes portant intérêts à partir de cette même date ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 191 845,30 euros majorée des intérêts légaux décomptés à partir du 1er janvier 2003, eux-mêmes portant intérêts à compter de cette même date ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient :

- que le jugement du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, qui a omis d'examiner le moyen tiré de l'absence de liquidité et d'exigibilité de la créance, est, pour ce motif, entaché d'irrégularité ;

- pour ce qui est de la responsabilité de l'Etat, que les arrêtés ministériels des 17 août 1995 et 15 mars 1996 fixant, respectivement à 1 % en 1994 et 0,1 % à compter de 1995, la rémunération de la créance sur l'Etat issue de la suppression de la règle du décalage d'un mois sont entachés d'une illégalité fautive, en premier lieu, en ce qu'ils procèdent d'une erreur manifeste d'appréciation commise par le ministre dans l'exercice du pouvoir d'appréciation qui lui a été délégué par le législateur, en second lieu, en ce qu'ils méconnaissent les stipulations des articles 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 14 de la même convention, dès lors qu'ils n'assurent pas un juste équilibre entre la sauvegarde du droit de propriété et les exigences de l'intérêt général et instituent une différence de traitement entre les contribuables ainsi qu'entre les divers créanciers de l'Etat et, en troisième lieu, en ce qu'ils enfreignent les obligations imposées par la Cour de justice des Communautés européennes dans son arrêt du 18 décembre 2007 dès lors que le dispositif transitoire issu de la loi de finances rectificative pour 1993, qui a conduit à augmenter la créance de l'assujetti sur le Trésor, n'a pas eu pour conséquence de réduire les effets de l'ancienne règle du décalage d'un mois ;

- pour ce qui est de la détermination du préjudice relatif à la période comprise entre le 1er janvier 1994 et le 11 mars 2002, qu'il y a lieu de faire application du taux de 4,5 % résultant de l'arrêté du 15 avril 1994, seul demeuré légalement applicable jusqu'au remboursement total de la créance en 2002 ; qu'un taux d'un montant au moins égal à celui applicable aux obligations assimilables du Trésor est seul de nature à réparer le préjudice subi, alors que la portée de l'intérêt général s'est réduite avec le temps ; que, dans l'hypothèse où l'exception de prescription quadriennale serait retenue, elle est en droit d'obtenir la réparation du préjudice subi en 1997, qui ne pouvait être déterminé qu'en 1998, dès lors que seul est connu au terme d'une année donnée l'intérêt servi au titre de l'année précédente ;

- pour ce qui est de l'exception quadriennale résultant de la loi n°68-1250 du 31 décembre 1968, qu'il y a lieu de faire application des trois cas d'interruption de prescription prévus par ses dispositions, alors que la créance n'était ni liquide, ni exigible avant l'intervention du décret du 13 février 2002 prévoyant son remboursement par anticipation, date à laquelle le délai de prescription a seulement commencé à courir ; qu'un droit de créance né de la méconnaissance d'une norme internationale ne disparaît pas avec l'expiration du délai de recours prévu par le droit national ; qu'un délai de prescription trop restrictif prive le contribuable de son droit au recours effectif garanti par l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'une loi nationale de prescription ne peut faire obstacle à la reconnaissance d'un droit né de la méconnaissance du droit communautaire ; que la prescription a été interrompue par le recours pour excès de pouvoir présenté à l'encontre du dispositif litigieux le 22 avril 2002 ; qu'en vertu des articles 2 et 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le droit de propriété est imprescriptible et ne peut se voir limiter qu'en cas de nécessité publique légalement constatée et que, par suite, faute de pouvoir contester la conformité de la prescription quadriennale aux dispositions de la constitution, elle ne bénéficie pas d'un droit à un recours effectif au sens de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- pour ce qui est de la capitalisation des intérêts, il y a lieu d'ajouter les intérêts accordés au titre de chaque année aux intérêts de l'année suivante afin de corriger les effets de l'érosion monétaire ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 10 mars 2010, présenté par le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat qui conclut au rejet de la requête ;

Il soutient qu'aucun des moyens n'est de nature à justifier l'indemnisation demandée ;

Vu, II, sous le n° 09NC00739 le recours, enregistré le 19 mai 2009, complété par un mémoire enregistré le 10 mars 2010, présenté par le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE qui demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 19 mars 2009 par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a condamné l'Etat à verser au Gie Moët Hennessy Distribution une somme rémunérant, du 1er janvier 1998 au 29 décembre 2001, le solde de la créance détenue sur le Trésor public en conséquence de la suppression de la règle du décalage d'un mois, par application d'un taux d'intérêt s'élevant à 1,68 % pour l'année 1998, 1,73 % pour l'année 1999, 1,37 % pour l'année 2000 et 2,13 % pour l'année 2001, sous déduction de la rémunération déjà allouée au taux de 0,1 % ;

2°) de rejeter la demande présentée par le Gie Moët Hennessy Distribution ;

Il soutient que :

- le tribunal a entaché son jugement d'une insuffisance de motivation en ne répondant pas au moyen tiré de ce qu'à défaut de limite minimale prévue par le texte législatif, le pouvoir réglementaire était libre de fixer le taux de rémunération de la créance, sous réserve que celui-ci n'excède pas la plafond de 4,5 % ;

- le tribunal a entaché son jugement d'une insuffisance de motivation en ne justifiant pas du lien direct de causalité entre la faute qu'aurait commise l'administration et le préjudice invoqué ;

- le moyen invoqué en cours de première d'instance par le Gie Moët Hennessy Distribution et tiré de la prétendue illégalité des arrêtés pris en application de l'article 271 A du code général des impôts est irrecevable en ce qu'il procède d'une cause juridique différente de celle invoquée dans la demande adressée à l'administration qui ne concluait qu'à l'indemnisation du préjudice financier résultant de l'immobilisation de la créance, distinct de celui ultérieurement invoqué tenant à l'insuffisante rémunération de ladite créance ;

- l'arrêté du 15 mars 1996 retenant un taux de rémunération de 0,1 % ne peut être tenu pour entaché d'une erreur manifeste, en l'absence de taux plancher fixé par le législateur qui a ainsi clairement conféré au pouvoir réglementaire un large pouvoir d'appréciation ;

- le nouveau dispositif issu de la loi du 22 juin 1993 a placé les redevables dans une situation plus favorable que l'ancien dispositif, quel que soit le taux de rémunération retenu, et il n'est pas justifié d'un quelconque préjudice qui résulterait de la suppression de la règle du décalage d'un mois ;

- il n'est pas justifié d'une faute commise par l'administration ;

- il est approximatif de considérer que le taux de 4,5 % correspond à peu près à la moitié du taux légal et d'en tirer la conclusion selon laquelle la rémunération de la créance aurait dû être calculée sur une telle base ;

- la créance de la société, atteinte par la prescription au titre des années antérieures à 1998, était certaine, liquide et exigible dès 1993 et la société se trouvait, à cette date, en mesure de connaître l'importance de son préjudice, pour ensuite le chiffrer précisément devant le juge ;

- le recours formé par un tiers le 22 avril 2002 ne portait pas sur les modalités de rémunération de la créance sur le Trésor et n'a pu interrompre la prescription dans les conditions posées par la loi du 31 décembre 1968 ;

Vu les mémoires en défense, enregistrés les 2 octobre 2009, 15 février et 12 mai 2010, présentés pour le Gie Moët Hennessy Distribution par Me Beetchen, qui conclut au rejet du recours du MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE ;

Il soutient que :

- il y a lieu, à tout le moins, de lui accorder réparation du préjudice dans les limites d'un taux d'intérêt équivalent à la moitié du taux applicable aux obligations assimilables du Trésor ;

- un taux d'un montant au moins égal à celui applicable aux obligations assimilables du Trésor est seul de nature à réparer le préjudice subi, alors que la portée de l'intérêt général s'est réduite avec le temps ;

- dans l'hypothèse où l'exception de prescription quadriennale serait retenue, elle est en droit d'obtenir la réparation du préjudice subi en 1997, qui ne pouvait être déterminé qu'en 1998, dès lors que seul est connu au terme d'une année donnée l'intérêt servi au titre de l'année précédente ;

- l'exception quadriennale, qui ne commence à courir que lorsque les créances sont devenues certaines, liquides et exigibles ne saurait lui être opposée dès lors que seul le décret du 13 février 2002 a permis de constater le préjudice définitif ;

- le délai de prescription a été interrompu par l'action introduite en 2002 par un autre contribuable ;

- un droit de créance né de la méconnaissance d'une norme internationale ne disparaît pas avec l'expiration du délai de recours prévu par le droit national et le délai de prescription trop restrictif prive le contribuable de son droit au recours effectif garanti par l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- une loi nationale de prescription ne peut faire obstacle à la reconnaissance d'un droit né de la méconnaissance du droit communautaire ;

- en vertu des articles 2 et 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le droit de propriété est imprescriptible et ne peut se voir limiter qu'en cas de nécessité publique légalement constatée et que, par suite, faute de pouvoir contester la conformité de la prescription quadriennale aux dispositions de la Constitution, elle ne bénéficie pas d'un droit à un recours effectif au sens de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la Constitution du 4 octobre 1958 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la sixième directive 77/388/CEE du Conseil des Communautés européennes du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le livre des procédures fiscales ;

Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

Vu la loi n° 93-859 du 22 juin 1993 ;

Vu le décret n° 2002-179 du 13 février 2002 relatif au remboursement par anticipation des créances sur le Trésor nées de la suppression de la règle du décalage d'un mois en matière de taxe sur la valeur ajoutée ;

Vu l'arrêté du 15 avril 1994 fixant les modalités de paiement des intérêts des créances résultant de la suppression du décalage d'un mois ;

Vu les arrêtés des 17 août 1995 et 15 mars 1996 fixant le taux d'intérêt applicable à compter des 1er janvier 1994 et 1er janvier 1995 aux créances résultant de la suppression du décalage d'un mois ;

Vu l'arrêt du 18 décembre 2007 de la Cour de justice des communautés européennes rendu dans l'affaire C-368/06 SA Cedilac ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 9 septembre 2010 :

- le rapport de Mme Fischer-Hirtz, président,

- et les conclusions de Mme Steinmetz-Schies, rapporteur public ;

Sur la jonction :

Considérant que la requête n° 09NC00714 du GIE MOËT HENNESSY DISTRIBUTION et le recours n° 09NC00739 du MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;

Considérant que par une demande préalable en date du 27 décembre 2002 adressée au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, le GIE MOËT HENNESSY DISTRIBUTION a contesté les modalités de remboursement de la créance sur le Trésor née de la suppression par l'article 2 de la loi du 22 juin 1993 portant loi de finances rectificative pour 1993 de la règle dite du décalage d'un mois en matière d'imputation de la taxe sur la valeur ajoutée et a sollicité le versement d'une somme de 191 845,30 euros au titre de l'indemnisation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'insuffisante rémunération de cette créance de 1993 à 2002 ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant, en premier lieu, que si le GIE MOËT HENNESSY DISTRIBUTION soutient que le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a entaché son jugement d'irrégularité en ne répondant pas au moyen tiré de ce que la créance sur l'Etat résultant de la suppression de la règle dite du décalage d'un mois n'est devenue certaine, liquide et exigible qu'à compter de la publication du décret du 13 février 2002 relatif au remboursement par anticipation des créances sur le Trésor, il ressort des motifs du jugement attaqué que le tribunal a répondu à ce moyen en jugeant que les arrêtés ministériels qui ont déterminé les taux d'intérêt applicables aux remboursements échelonnés étaient antérieurs à la publication du décret susvisé et que le groupement était dès lors à même de chiffrer avec une précision suffisante le montant du préjudice ; que, par suite, le moyen doit être écarté ;

Considérant, en deuxième lieu, que le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a expressément écarté l'argumentation présentée en défense par le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE et tirée de ce que le législateur n'aurait pas fixé de limite minimale au taux de l'intérêt qui assortirait la créance sur le Trésor ;

Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort des motifs du jugement attaqué que le tribunal a implicitement, mais nécessairement, statué sur le lien de causalité entre la faute commise par l'Etat, du fait de l'erreur manifeste commise par le ministre dans l'exercice du pouvoir d'appréciation qui lui avait été délégué par le législateur, et le préjudice subi par la société du fait de l'immobilisation de sa créance ; qu'il suit de là que le moyen doit être écarté ;

Sur les conclusions relatives aux années 1993 à 1997 et sur l'exception de prescription quadriennale opposée par le ministre :

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 susvisée : Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) ; que l'article 2 de la même loi dispose que : La prescription est interrompue par : Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance (...) Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance (...) Toute communication écrite d'une administration intéressée, même si cette communication n'a pas été faite directement au créancier qui s'en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance (...) Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée ; qu'aux termes de l'article 3 de cette loi : La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, (...) ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ; qu'enfin, aux termes de l'article 7 de la même loi : L'administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond (...) ;

Considérant, en premier lieu, que le GIE MOËT HENNESSY DISTRIBUTION ne saurait soutenir qu'il n'a eu connaissance de la possibilité d'agir contre l'Etat français à raison de la non-conformité alléguée au droit communautaire des dispositions de l'article 271 A du code général des impôts, issues de l'article 2 de la loi de finances rectificative du 22 juin 1993, qu'à compter de la publication du décret du 13 février 2002 qui lui a permis de chiffrer de manière définitive son préjudice, dès lors qu'il avait eu la possibilité de contester les modalités de la rémunération de sa créance dès la publication des arrêtés du ministre chargé du budget des 15 avril 1994, 17 août 1995 et 15 mars 1996 fixant respectivement les taux de 4,5 %, 1% et 0,1 % pour les intérêts échus en 1993, et à compter des 1er janvier 1994 et 1er janvier 1995 ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte des termes mêmes des dispositions de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat que le délai de prescription quadriennale commence à courir à compter du premier jour de chacune des années suivant celles au cours desquelles les droits ont été acquis ; que, par suite, il y a lieu de prendre en compte, pour l'application de ces dispositions, l'année au cours de laquelle sont nés les droits au paiement de la créance correspondant à la différence entre les intérêts versés au taux fixé par les arrêtes des 15 avril 1994, 17 août 1995 et 15 mars 1996 et les intérêts auxquels le groupement requérant estimait avoir droit ; que le GIE MOËT HENNESSY DISTRIBUTION, dont le droit à rémunération de la créance née du décalage d'un mois est distinct de la créance née du décalage elle-même, n'est pas fondé à soutenir que la créance relative aux intérêts n'est devenue certaine, liquide et exigible qu'à la date à laquelle la créance non cessible et non négociable sur le Trésor née de la suppression du décalage d'un mois est elle-même devenue liquide et exigible en conséquence du décret du 13 février 2002 décidant son remboursement par anticipation ; qu'il n'est pas davantage fondé, à soutenir que l'exception de prescription quadriennale devait être décomptée en retenant l'année au cours de laquelle est intervenu l'arrêté portant fixation des intérêts et non celle au cours de laquelle les intérêts courus devaient être regardés comme acquis ;

Considérant, en troisième lieu, que les délais de prescription n'ont pu, en application des dispositions de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 précitées, être interrompus par des recours formés par d'autres contribuables placés dans des situations comparables dès lors qu'ils se rapportaient nécessairement à des créances distinctes ;

Considérant, en dernier lieu, que le délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis, institué à peine de prescription par les dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1968, ne présente pas un caractère exagérément court et ne saurait, dès lors, être regardé comme ayant eu pour effet de priver le GIE MOËT HENNESSY DISTRIBUTION de la possibilité de saisir un tribunal du litige l'opposant à l'Etat en méconnaissance du droit à un recours effectif garanti par les stipulations de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni comme limitant de façon très restrictive l'exercice d'un droit à réparation né de la non-conformité avec le droit communautaire ; que la circonstance que le GIE MOËT HENNESSY DISTRIBUTION n'était pas alors en droit de contester par voie d'exception la constitutionnalité de la loi du 31 décembre 1968 au regard des articles 2 et 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne saurait par elle-même avoir pour effet d'écarter les règles de prescription qui en sont issues ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la demande du GIE MOËT HENNESSY DISTRIBUTION tendant à la réparation du préjudice financier subi au titre des années 1993 à 2002 en raison de l'insuffisante rémunération de sa créance, présentée à l'administration le 27 décembre 2002, était prescrite pour les années 1993 à 1997 ;

Sur les conclusions relatives aux années 1998 à 2002 :

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par le ministre :

Considérant que la demande présentée par le GIE MOËT HENNESSY DISTRIBUTION devant l'administration fiscale tendait à la condamnation de l'Etat à raison du préjudice causé par l'immobilisation illégale de la créance née de la suppression de la règle du décalage d'un mois ; que si le groupement s'est ensuite prévalu devant le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de l'insuffisante rémunération de sa créance, une telle demande, clairement fondée sur l'existence d'une faute à la charge de l'Etat, ne relève pas d'une cause juridique distincte et ne peut, contrairement à ce que soutient le ministre, être tenue pour nouvelle ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée par le ministre ne peut qu'être écartée ;

En ce qui concerne le principe de la responsabilité de l'Etat :

Considérant que, selon l'article 17, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil des Communautés européennes du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, applicable au présent litige, le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible et que, selon l'article 18, paragraphe 2, de la même directive, la déduction est opérée par imputation sur le montant de la taxe due pour une période de déclaration du montant de la taxe pour laquelle le droit à déduction a pris naissance au cours de la même période ; que l'article 28, paragraphe 3, sous d), a toutefois prévu que les Etats membres pourraient, pendant une période transitoire, continuer à appliquer des dispositions dérogeant au principe de la déduction immédiate prévue par l'article 18, paragraphe 2 ; qu'en vertu de l'article 18, paragraphe 4, quand le montant des déductions autorisées dépasse celui de la taxe due pour une période de déclaration, l'Etat, peut décider soit de faire reporter l'excédent sur la période suivante, soit de procéder au remboursement selon des modalités qu'il fixe, sauf excédent insignifiant dont le report ou le remboursement peut, de ce fait, être refusé ;

Considérant que, par l'article 2 de la loi de finances rectificative pour 1993 du 22 juin 1993, la France a mis fin à la règle dite du décalage d'un mois qu'elle appliquait en vertu de la dérogation prévue par l'article 28 précité de la directive, et selon laquelle la déduction de la taxe ayant grevé les biens ne constituant pas des immobilisations et les services ne pouvait être opérée qu'au titre du mois suivant celui au cours duquel la taxe était devenue exigible ; que, par le même texte, la France a institué, pour les redevables ayant commencé leur activité avant le 1er juillet 1993, un régime transitoire, selon lequel une partie de la taxe déductible constituait une créance sur le Trésor remboursable sur une période initialement fixée à vingt ans, la totalité des créances ayant été finalement remboursée de façon anticipée en 2002 ;

Considérant, en premier lieu, que, par un arrêt du 18 décembre 2007, rendu dans l'affaire C-368/06, dans le cadre de la procédure de question préjudicielle, la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que les articles 17 et 18 de la directive du 17 mai 1977 précitée ne s'opposent pas au régime transitoire institué par la France à l'occasion de la suppression de la règle du décalage d'un mois, autorisée par l'article 28, paragraphe 3, sous d), de la même directive, pour autant qu'il soit vérifié par le juge national que, dans son application au cas d'espèce, le régime transitoire réduit les effets de la disposition nationale dérogatoire antérieure ; que, dès lors qu'il y a ainsi lieu d'évaluer l'effet de l'ensemble du régime transitoire sur la seule disposition nationale antérieure qui dérogeait au principe de l'affectation immédiate de la taxe déductible sur la taxe collectée, le GIE MOËT HENNESSY DISTRIBUTION ne saurait utilement soutenir qu'en méconnaissance des articles 17 et 18 paragraphe 4 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, la loi du 22 juin 1993 n'aurait pas eu pour effet de réduire les effets de la disposition dérogatoire dont disposait la France, en se prévalant de la seule circonstance que compte tenu du mécanisme même de détermination de la créance sur le Trésor prenant en compte le mois moyen, la créance détenue par l'assujetti se trouverait augmentée ;

Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou tout autre situation ; que les dispositions des 1 à 5 de l'article 271 A du code général des impôts, issues du II de l'article 2 de la loi du 22 juin 1993, n'ont conduit à reporter le remboursement que d'une somme représentant un mois moyen d'excédent de taxe et non de la totalité des excédents qui ont pu être constatés, somme calculée sur une période allant du 1er août 1992 au 31 juillet 1993 et, ainsi, pour les onze douzièmes, antérieure à l'entrée en vigueur de la nouvelle rédaction du 3 du I de l'article 271 du code général des impôts, issue du I de l'article 2 de la loi du 22 juin 1993 et supprimant le décalage d'un mois ; que, s'agissant des assujettis relevant du régime réel normal d'imposition, l'article 8 du décret du 14 septembre 1993 a prévu le remboursement immédiat de la totalité des créances n'excédant pas 150 000 F et, à concurrence de 25 %, le remboursement immédiat des créances d'un montant supérieur, avec un minimum de 150 000 F ; que ce texte, dès lors, d'une part, qu'il a garanti aux titulaires d'une créance excédant 150 000 F un remboursement d'un montant au moins égal à cette somme et, d'autre part, qu'il était applicable à l'ensemble des entreprises assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée et leur a permis d'obtenir le remboursement intégral desdites créances, n'a créé aucune discrimination avec les titulaires de créances d'un montant inférieur et n'a pas eu pour effet de créer une différence de traitement injustifiée entre redevables de la taxe sur la valeur ajoutée selon la taille des entreprises concernées ; qu'en outre, la circonstance que les assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée concernés par le dispositif de remboursement progressif des créances nées de la suppression du décalage d'un mois avaient la qualité de créancier de l'Etat n'imposait pas de leur réserver un traitement identique aux autres créanciers de l'Etat, notamment les porteurs d'obligations assimilables du Trésor, qui ne se trouvaient pas dans la même situation ; que les différences de rémunération afférentes aux titres de ces deux catégories de créanciers présentaient ainsi une justification objective ; qu'il suit de là que, si les créances de taxe sur la valeur ajoutée nées de l'instauration d'un régime de déduction immédiate supérieures à un certain montant ont fait l'objet d'un remboursement différé et ont donné lieu à un niveau de rémunération inférieur à celui des taux d'intérêts du marché ou à ceux auxquels peuvent prétendre d'autres catégories de créanciers de l'Etat, la distinction ainsi introduite par le législateur et qui est pertinente au regard des buts poursuivis, n'a pas abouti à des effets disproportionnés au regard des buts poursuivis et ne pouvait être regardée comme une discrimination prohibée par les stipulations combinées des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel à cette convention ;

Considérant toutefois, en dernier lieu, que si les stipulations précitées de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatives au respect de la propriété privée, dès lors qu'elles ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général, ne faisaient pas obstacle, en elles-mêmes, à la mise en oeuvre d'un dispositif transitoire, destiné à répartir sur plusieurs années la charge de remboursement de la créance née de la suppression de la règle du décalage d'un mois, ni même à ce que la créance sur le Trésor public mentionnée par le II de l'article 2 de la loi du 22 juin 1993 fût rémunérée à un taux inférieur à celui applicable aux autres créances sur l'Etat, et, en tout état de cause, a fortiori à celui pratiqué sur le marché pour le financement à court terme des entreprises, compte tenu de l'intérêt qui s'attachait à la conciliation de l'instauration d'un régime de droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée se rapprochant des règles de droit commun prévues par la sixième directive avec la nécessité de limiter l'impact budgétaire d'une telle mesure, le ministre chargé du budget ne pouvait, sans porter une atteinte excessive au droit des redevables de la taxe sur la valeur ajoutée au respect de leurs biens, fixer un taux de rémunération de cette créance aboutissant à une dépréciation de celle-ci en termes réels ; qu'il suit de là qu'en fixant, par l'arrêté du 15 mars 1996, un taux de 0,1 % pour les intérêts échus à compter du 1er janvier 1995, correspondant à un niveau de rémunération quasi-nul, et en maintenant ce taux pour les intérêts dus au titre des années 2000 à 2003, alors même que la part non encore remboursée des créances sur le Trésor revêtait un caractère résiduel, l'Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ; que le groupement est, par suite, fondé à demander réparation du préjudice qu'il a subi à ce titre ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que le GIE MOËT HENNESSY DISTRIBUTION a bénéficié du remboursement du solde de sa créance détenue sur le trésor public à la date du 29 décembre 2001 ; qu'il sera fait une juste appréciation de la rémunération à laquelle le Gie pouvait prétendre en la calculant, compte tenu de l'origine de la créance et de la nécessité de concilier une rémunération effective de cette créance avec les contraintes d'intérêt général de limitation de l'impact budgétaire de la mesure, sur la base d'un taux d'intérêt équivalent à la moitié du taux applicable aux obligations assimilables du Trésor, soit, 2,30 % pour l'année 1998, 2,35 % pour l'année 1999, 2,70 % pour l'année 2000 et 2,50 % pour l'année 2001 ;

En ce qui concerne le préjudice indemnisable :

Considérant qu'il y a lieu de condamner l'Etat à verser au GIE MOËT HENNESSY DISTRIBUTION une indemnité d'un montant correspondant à la différence entre la rémunération calculée sur la base ci-dessus indiquée et celle qui lui a été allouée au titre des intérêts échus du 1er janvier 1998 au 29 décembre 2001 ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le GIE MOËT HENNESSY DISTRIBUTION est fondé à soutenir, dans cette mesure seulement, que c'est à tort que, par le jugement contesté, le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande ; qu'en revanche, le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont condamné l'Etat à indemniser le GIE MOËT HENNESSY DISTRIBUTION à raison du préjudice subi du fait de la suppression de la règle dite du décalage d'un mois ;

Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :

Considérant que le GIE MOËT HENNESSY DISTRIBUTION a droit aux intérêts des sommes qui lui sont dues à compter du 30 décembre 2002, date de réception par l'administration de sa demande préalable ; que sa demande tendant à la capitalisation des intérêts, formée le 2 avril 2003, doit être regardée comme prenant effet le 30 décembre 2003, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de condamner l'Etat à verser au GIE MOËT HENNESSY DISTRIBUTION la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DECIDE :

Article 1er : L'Etat est condamné à verser au GIE MOËT HENNESSY DISTRIBUTION un complément d'indemnité calculé selon les modalités ci-dessus, assortie des intérêts aux taux légal à compter du 30 décembre 2002. Les intérêts échus à la date du 30 décembre 2003, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le recours du MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE et le surplus des conclusions de la requête du GIE MOËT HENNESSY DISTRIBUTION sont rejetés.

Article 3 : Le jugement du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera au GIE MOËT HENNESSY DISTRIBUTION la somme de 2 000 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au GIE MOËT HENNESSY DISTRIBUTION et au MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT.

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N° 09NC00714-09NC00739


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 09NC00714
Date de la décision : 21/10/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : M. COMMENVILLE
Rapporteur ?: Mme Catherine FISCHER-HIRTZ
Rapporteur public ?: Mme STEINMETZ-SCHIES
Avocat(s) : CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE ; CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE ; CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2010-10-21;09nc00714 ?
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