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25/01/2007 | FRANCE | N°06NC00515

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 25 janvier 2007, 06NC00515


Vu le recours, enregistré le 10 avril 2006, complétée par mémoire enregistré le 19 décembre 2006, présenté par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ;

Le ministre demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement en date du 30 décembre 2005 par lequel le Tribunal administratif de Nancy l'a condamné à verser une somme de 10 000 € à Mme X en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait du décès de son fils lors d'un incendie survenu à la maison d'arrêt de Bar-le-Duc, et une somme de 56 676,94 € à la caisse primaire d'assurance maladie de la Meuse au ti

tre du remboursement des débours exposés par celle-ci ;

2°) de rejeter les demandes...

Vu le recours, enregistré le 10 avril 2006, complétée par mémoire enregistré le 19 décembre 2006, présenté par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ;

Le ministre demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement en date du 30 décembre 2005 par lequel le Tribunal administratif de Nancy l'a condamné à verser une somme de 10 000 € à Mme X en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait du décès de son fils lors d'un incendie survenu à la maison d'arrêt de Bar-le-Duc, et une somme de 56 676,94 € à la caisse primaire d'assurance maladie de la Meuse au titre du remboursement des débours exposés par celle-ci ;

2°) de rejeter les demandes présentées par Mme X et par la caisse primaire d'assurance maladie de la Meuse ;

Il soutient que :

- le tribunal ne pouvait soulever d'office le moyen tiré de la faute liée à la nature des matelas mis à la disponibilité du détenu sans le soumettre à la discussion contradictoire et alors qu'il ne s'agit pas d'un moyen d'ordre public ;

- le tribunal a commis une erreur de droit en estimant qu'une faute simple pouvait engager la responsabilité de l'Etat alors que celle-ci n'est mise en jeu qu'en cas de faute lourde ou de fautes successives ;

- au cas d'espèce, l'administration n'a commis aucune faute lourde ; l'organisation de la surveillance a été conforme à la circulaire du 28 avril 1998 relative à la rémunération des astreintes de nuit et des interventions de nuit des gradés ; le gradé de permanence dans la nuit du 14 au 15 août 2000 a assuré son astreinte à son domicile situé à moins de 5 minutes de trajet de la maison d'arrêt ; la surveillance des gardiens a été effectuée en conformité avec les consignes de sécurité fixées par les circulaires en vigueur à l'époque ;

- s'il n'était pas incombustible, le matelas utilisé dans le quartier disciplinaire où était détenue la victime était cependant composé d'une double housse et parfaitement conforme aux recommandations techniques applicables ;

- il n'y a pas de lien de causalité entre le prétendu retard invoqué par Mme X dans l'intervention des services de secours et le décès de M. ... ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 17 août 2006, présenté pour la caisse primaire d'assurance maladie de la Meuse, par la SCP Millot-Loggier et Fontaine, avouées ;

La caisse primaire d'assurance maladie de la Meuse conclut :

1°) au rejet du recours du MINISTRE DE LA JUSTICE ;

2°) à la condamnation de l'Etat à lui payer une somme de 760 € au titre de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article 9 de l'ordonnance n° 96-51 du 24 janvier 1996 ;

3°) à la condamnation de l'Etat à lui payer une somme de 750 € au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- le Cour statuera ce que de droit sur les mérites de cet appel ;

- elle confirmera le jugement en tant qu'il a condamné l'Etat à lui verser une somme de

56 676,24 € ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 21 novembre 2006, présenté pour Mme Marie-Yvonne X, élisant domicile ..., par Me Leininger, avocat ;

Mme X conclut au rejet du recours du MINISTRE DE LA JUSTICE ;

Elle soutient que :

- la responsabilité de l'Etat est engagée car on ne pouvait laisser isolé un détenu dont les tendances suicidaires étaient connues et surtout parce que l'intervention n'a pas été en l'espèce suffisamment rapide en raison de la lenteur des secours et du formalisme particulier observé ;

- l'intervention des surveillants sur les lieux n'a pas été suffisamment rapide pour éviter l'intoxication de la victime au monoxyde de carbone ; les pompiers n'ont pas été prévenus suffisamment tôt pour être présents dans les quatre minutes, ce qui aurait pu sauver la vie de

M. ... ;

- la victime était sous traitement médicamenteux et on ne peut écarter l'hypothèse d'un suicide ;

- en application de l'article 270 du code de procédure pénale, les surveillants sur place auraient pu privilégier une intervention personnelle pour raisons graves et péril imminent et en l'absence de gradé en service de nuit ;

- le personnel sur place était insuffisamment formé aux cas d'urgence ;

- la nature combustible du matelas est établie par le développement de l'incendie ;

Vu la décision en date du 15 décembre 2006 attribuant l'aide juridictionnelle totale à Mme X ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 4 janvier 2007 :

- le rapport de M. Martinez, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Tréand, commissaire du gouvernement ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE soutient que le tribunal ne pouvait soulever d'office le moyen tiré de la faute liée à la nature des matelas mis à la disposition du détenu sans le soumettre à la discussion contradictoire et alors qu'il ne s'agit pas d'un moyen d'ordre public ;

Considérant qu'il ressort des pièces de la procédure que tant Mme X que le ministre en défense ont évoqué expressément les « matériaux combustibles » en se référant aux termes mêmes du rapport d'expertise complémentaire produit en pièce jointe ; qu'il ressort d'ailleurs de ces pièces et notamment du compte rendu des services de secours, que leur intervention a pour origine un « feu de matelas » et que selon les déclarations du surveillant de permanence lors de l'enquête pénale, « le matelas était en mousse », « rien d'autre ne peut brûler dans la cellule » ; qu'ainsi, en précisant dans ses motifs que l'incendie « s'est déclaré dans une cellule équipée de matelas en mousse dont le caractère inflammable était d'ailleurs connu », le tribunal n'a pas soulevé d'office un moyen tiré de la faute qu'aurait commise l'administration dans l'agencement des locaux mais s'est borné à énoncer un élément de fait résultant de l'instruction afin de répondre au moyen de la requérante tiré de l'insuffisante rapidité d'intervention des surveillants ; que, par suite, le ministre n'est pas fondé à soutenir que le jugement serait sur ce point entaché d'irrégularité ;

Au fond :

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment des déclarations des surveillants lors de l'enquête judiciaire, que le lundi 14 août 2000, M. Elvis ..., placé sous mandat de dépôt et écroué à la maison d'arrêt de Bar-le-Duc, a été placé, à la suite d'une agression sur un co-détenu, en quartier disciplinaire où il était le seul détenu ; que le lendemain, vers 19H10, le surveillant « rondier », alerté par d'autres détenus, a constaté par l'oeilleton la présence d'une fumée dense dans la cellule de M. ... et informé le surveillant « portier », afin qu'il prévienne à son tour le surveillant chef assurant la permanence ; que celui-ci a quitté son domicile pour arriver dans l'établissement vers 19H15 ; qu'il a ouvert les portes de la cellule de M. ... vers 19H20 afin d'y extraire difficilement l'intéressé qui gisait au sol, tandis que le surveillant rondier muni d'un extincteur tentait vainement de maîtriser l'incendie ; que les services d'incendie et de secours, appelés à 19H24, se sont rendus sur les lieux à 19H30 ; qu'après une longue hospitalisation, en vue de traiter ses brûlures et ses graves difficultés respiratoires, M. ... devait décéder le 29 septembre 2000 ;

Considérant qu'il résulte également de l'instruction, et notamment des rapports d'autopsie, que le décès de M. ... est consécutif à une encéphalopathie post-anoxique en rapport avec une intoxication au monoxyde de carbone et que l'incendie a été provoqué par un mégot de cigarette dans un contexte de somnolence dû à l'absorption de benzodiazépines ; qu'il ressort du rapport d'autopsie complémentaire, non contesté, que la limitation du séjour près du foyer d'incendie aurait réduit l'intoxication et, par suite, le risque d'encéphalopathie ;

Considérant qu'en vertu du plan opérationnel intérieur de l'établissement élaboré en application des circulaires alors en vigueur, l'ouverture des cellules ne pouvait se faire qu'en présence du gradé de permanence, seul habilité à accéder aux clés des cellules entreposées dans le poste de garde et à en faire usage ; que, cependant, ce surveillant n'était pas sur place mais avait été autorisé à effectuer l'astreinte à son domicile situé à environ cinq minutes en automobile de l'établissement pénitentiaire ; qu'en outre, alors que selon l'article D 270 du code de procédure pénale alors applicable, une intervention pour raisons graves ou péril imminent n'est permise à l'intérieur d'une cellule qu'à la condition d'être effectuée par au moins deux membres du personnel, les effectifs sur place en service de nuit se limitaient à deux personnes, soit le surveillant « rondier » et le surveillant « portier », lequel était insusceptible de pouvoir agir dans la mesure il était tenu, en vertu des circulaires en vigueur, de rester à son poste de garde situé hors des bâtiments de détention ; que, dès lors, si des raisons de sécurité justifient que le surveillant rondier ne dispose ni des clés des cellules ni de la clé du local où elles sont conservées, le dispositif organisationnel mis en place au sein de l'établissement n'était pas de nature à permettre une intervention dans les meilleurs délais propres à préserver la sécurité des détenus en cas d'incendie, compte tenu notamment du danger toxique, bien connu de l'administration, provoqué par la combustion des matelas en mousse, y compris ceux répondant aux normes techniques applicables ; qu'enfin, le surveillant portier, qui s'est employé avant tout à aviser le gradé de permanence, n'a alerté les services de lutte contre l'incendie qu'un quart d'heure après avoir été prévenu par son collègue rondier ; que dans ces conditions, en admettant même qu'elle était conforme aux instructions, l'application stricte de ce dispositif de surveillance a en l'espèce contribué à retarder de façon significative l'ouverture de la cellule totalement enfumée ainsi que l'intervention sur place des pompiers et a par suite compromis les chances de survie de M. ... ; que pour exonérer l'Etat de sa responsabilité, le ministre ne saurait utilement se prévaloir de ce que l'astreinte à domicile du surveillant de permanence était conforme à la circulaire du 28 avril 1998 relative à la rémunération des astreintes de nuit effectuées par les gradés surveillants ; qu'il suit de là que le tribunal a pu, sans commettre ni d'erreur de droit ni d'erreur d'appréciation, considérer que les faits susmentionnés, qui révèlent une organisation inadaptée du service pénitentiaire, étaient, dans les circonstances de l'espèce, constitutifs d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nancy l'a condamné à réparer les conséquences dommageables du décès de M. ... ;

Sur les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de la Meuse tendant au versement de l'indemnité forfaitaire de gestion :

Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie de la Meuse, à laquelle le tribunal administratif a alloué une somme de 760 € au titre de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article 9 de l'ordonnance n° 96-51 du 24 janvier 1996, n'est pas fondée à réclamer une indemnité à ce titre dans la présente instance ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions susmentionnées de la caisse primaire d'assurance maladie de la Meuse ;

D É C I D E :

Article 1er : le recours du GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ainsi que les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de la Meuse sont rejetés.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, à Mme Marie-Yvonne X et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Meuse.

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06NC00515


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 06NC00515
Date de la décision : 25/01/2007
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. DESRAME
Rapporteur ?: M. José MARTINEZ
Rapporteur public ?: M. TREAND
Avocat(s) : MILLOT-LOGIER et FONTAINE SCP

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2007-01-25;06nc00515 ?
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