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07/12/2006 | FRANCE | N°04NC00397

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 07 décembre 2006, 04NC00397


Vu le recours, enregistré le 4 mai 2004, présentée par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ; le ministre demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 99-1486 en date du 16 décembre 2003 par lequel le Tribunal administratif de Nancy a prononcé la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés et des pénalités y afférentes auxquels la Société Nancéienne Varin-Bernier a été assujettie au titre des exercices clos en 1991, 1992, 1993 et 1994 à raison de la remise en cause des déficits du GIE Sandrine Bail ;

2°) de remettre les impos

itions litigieuses à la charge de la Société Nancéienne Varin-Bernier, assorties de...

Vu le recours, enregistré le 4 mai 2004, présentée par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ; le ministre demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 99-1486 en date du 16 décembre 2003 par lequel le Tribunal administratif de Nancy a prononcé la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés et des pénalités y afférentes auxquels la Société Nancéienne Varin-Bernier a été assujettie au titre des exercices clos en 1991, 1992, 1993 et 1994 à raison de la remise en cause des déficits du GIE Sandrine Bail ;

2°) de remettre les impositions litigieuses à la charge de la Société Nancéienne Varin-Bernier, assorties des seuls intérêts de retard ;

Il soutient :

- que l'opération en cause dissimule une opération de crédit classique derrière une opération de crédit bail qui n'a pu être inspirée par aucun autre motif que celui d'atténuer la charge fiscale ;

que, bien que non constitutifs d'un abus de droit, certains éléments tels que la comptabilisation des amortissements, calculés sur des durées trop courtes, et l'existence de loyers progressifs, concourent au montage qui en relève par leurs modalités de prise en compte ;

- qu'après avoir écarté les moyens retenus par le tribunal administratif, il convient, par l'effet dévolutif de l'appel, d'écarter les moyens tirés respectivement de l'absence de débat oral et contradictoire pour l'année 1995 et de la méconnaissance de l'article 48 du livre des procédures fiscales, qui sont respectivement inopérant et infondé ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 29 octobre 2004 et complété par mémoire enregistré le 2 août 2006, présentés pour la Société Nancéienne Varin-Bernier par Me Meier ;

La Société Nancéienne Varin-Bernier conclut au rejet du recours du ministre et à ce qu'une somme de 15 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient :

- que le mode de refinancement choisi ne peut être qualifié de constitutif d'un abus de droit, le contrat mis en place étant au contraire le plus adapté au refinancement de biens d'investissement lourd, comme l'ont reconnu les pouvoirs publics, le législateur, le conseil national de la comptabilité et l'administration fiscale ;

- que les stipulations contractuelles ayant été pleinement exécutées par les parties, comme le reconnaît l'administration, le tribunal administratif ne pouvait en tout état de cause conclure à la fictivité du contrat ;

- que l'administration n'est pas fondée à critiquer la comptabilisation des amortissements et l'existence de loyers progressifs ;

- que, subsidiairement, un groupement d'intérêt économique ne saurait être réputé auteur d'un abus de droit ;

Vu l'ordonnance du président de la première chambre de la cour fixant la clôture de l'instruction au 10 août 2006 à 16 heures ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts ;

Vu la loi n° 66-455 du 2 juillet 1966 modifiée ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 16 novembre 2006 :

- le rapport de M. Vincent, président,

- les observations de M. Muller, représentant la Société Nancéienne Varin-Bernier,

- et les conclusions de M. Adrien, commissaire du gouvernement ;

Sur les conclusions à fin de rétablissement de l'impôt :

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction alors en vigueur : «Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : (…) qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus… / L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité dont les avis rendus feront l'objet d'un rapport annuel. Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé du redressement» ; qu'il résulte de ces dispositions que lorsque l'administration use des pouvoirs que lui confère ce texte dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable dès lors qu'elle établit que ces actes ont un caractère fictif, ou bien, à défaut, n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles ;

Considérant que, par acte du 27 mai 1991, la Société nationale des chemins de fer belges a cédé au groupement d'intérêt économique Sandrine Bail, dont la Société Nancéienne Varin-Bernier détient 10 % du capital, deux rames de train à grande vitesse trans-Manche en cours de construction, pour la somme de 587 928 524 F (89 629 125,69 euros) ; que, par contrats de crédit-bail du même jour, ces biens ont été donnés en location par le groupement à la Société nationale des chemins de fer belges pour une durée comprise entre la date de livraison des rames et le 30 juin 2009, et ont fait l'objet d'une promesse de vente à la date du 30 juin 2001 ou à celle du 30 juin 2009, moyennant un prix convenu ; que les financements mobilisés par le groupement pour faire face au prix d'acquisition des rames susrappelé, aux frais d'acquisition et au coût du préfinancement, générant un besoin total de financement de 695 777 765 F, se composent, d'une part, de financements bancaires en trois tranches A, B et C s'élevant globalement à 518 977 765 F, soit 74,6 % du total, et, d'autre part, d'un emprunt obligataire souscrit par le preneur, d'un montant de 176 808 000 F, soit 25,4 % de l'ensemble, ce dernier étant rémunéré par le bailleur au taux nominal de 11,97 % ; que l'administration, estimant que le contrat de crédit-bail était fictif, au motif qu'il masquerait un contrat de crédit classique de durée moindre, et exclusivement inspiré par des intérêts fiscaux, l'a écarté sur le fondement des dispositions de l'article 64 du livre des procédures fiscales et a réintégré dans les résultats de la Société Nancéienne Varin-Bernier la quote-part lui revenant dans les déficits constatés par le groupement d'intérêt économique Sandrine Bail au titre des exercices clos en 1991, 1992, 1993 et 1994 ; que, s'étant abstenue de saisir le comité consultatif pour la répression des abus de droit, elle supporte la charge de la preuve des intentions qu'elle invoque ;

Considérant que le contrat susmentionné, dont il est constant qu'il a été exécuté conformément aux stipulations liant les parties, prévoit la location, par un groupement d'intérêt économique qui en demeure propriétaire, de biens que la société preneuse a exploités dans le cadre de son activité de transport, en bénéficiant d'une promesse unilatérale de vente du bailleur moyennant un prix convenu tenant compte, au moins pour partie, des loyers versés et répond ainsi, contrairement à ce que soutient le ministre, à la qualification d'opération de crédit-bail au sens de l'article 1er de la loi n° 66-455 du 2 juillet 1966 ; que la contribution susrappelée de la Société nationale des chemins de fer belges au financement de l'opération ne saurait avoir pour effet de remettre en cause cette qualification, ni ne permet de regarder le contrat comme fictif dès lors, en tout état de cause, que cette participation, qu'aucune disposition ne proscrit et qui relève des garanties offertes au bailleur, ne peut être regardée comme hors de proportion par rapport à l'ensemble des concours bancaires accordés ; qu'il n'y a pas lieu d'exclure de ceux-ci les avances consenties au groupement par ses actionnaires dans le cadre de la tranche C de financement, que le ministre ne saurait qualifier à bon droit d'avances correspondant aux économies fiscales attendues par les membres du groupement en raison des déficits générés au titre des premières années du contrat, et financées en réalité par le Trésor, dès lors que les termes des prêts dont s'agit ont été définis dès l'origine et que leur versement était dû indépendamment de la situation fiscale des membres du groupement, leur permettant ou non d'imputer lesdits déficits sur leurs résultats imposables ; que, de même, le recours à ces avances pour relayer les financements classiques dès la deuxième année du contrat ne traduit nullement une prolongation artificielle de ce dernier au-delà de 2001, dès lors qu'il est constant que la location des automotrices s'est poursuivie conformément aux termes de la convention ; que le ministre n'établit donc pas, par ces seules circonstances, le caractère fictif du contrat en cause ;

Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que l'opération litigieuse doit s'analyser comme un refinancement de la Société nationale des chemins de fer belges, dont il est constant qu'elle connaissait des besoins structurels de financement ; qu'eu égard aux modalités du contrat ci-dessus mentionnées, celle-ci a pu bénéficier d'un important flux de trésorerie sans dégradation de ses ratios financiers, dès lors que le crédit-bail n'est pas comptabilisé comme un emprunt, ni par là-même de sa capacité ultérieure d'endettement, tout en préservant la pérennité de ses moyens d'exploitation ; que s'il est constant que la Société Nancéienne Varin-Bernier disposait d'un intérêt fiscal à conclure le contrat litigieux, elle a pu mener à bien, grâce notamment à la participation financière du preneur et à la garantie souscrite par l'Etat belge sous forme d'un arrêté royal couvrant le paiement de toutes sommes dues au titre du contrat, une opération d'envergure sans supporter la charge de la totalité de l'investissement et engendrant, en outre, un risque financier notablement réduit ; qu'ainsi le contrat litigieux comportait un intérêt économique tant pour le preneur que, contrairement à ce que soutient le ministre, pour le bailleur ; que le ministre ne saurait tirer de la dispense accordée à la Société des chemins de fer belges d'assurer les biens loués la conclusion que le contrat conclu ne présentait pas l'intérêt économique des contrats de crédit-bail, dès lors que le preneur, dans le cadre de sa politique de propre assureur, a accepté de se comporter comme tel à l'égard du bailleur, et disposait, ainsi qu'il a été dit, de la garantie de l'Etat belge ; qu'une fois remboursé l'emprunt souscrit par ladite société, le risque encouru par les membres du groupement demeurait en outre minoré par un dépôt de garantie opéré par celle-ci ; qu'enfin, eu égard aux enjeux financiers de l'opération, le recours à un groupement d'intérêt économique répond à la nécessité d'une syndication bancaire ; qu'ainsi, s'il est constant que les modalités de financement définies contractuellement ont eu notamment pour effet de majorer les déficits du groupement durant la première partie du contrat, par excédent des amortissements pratiqués sur les loyers perçus, le ministre ne justifie pas de ce que le contrat de crédit-bail en cause aurait été inspiré par le seul motif d'atténuer les charges fiscales que la société requérante, par l'intermédiaire du groupement, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles ; que, par suite, l'administration n'était pas en droit d'écarter le contrat de crédit-bail en cause sur le fondement des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ;

Considérant, en second lieu, que le redressement litigieux procède du rejet des déficits du groupement d'intérêt économique imputés sur les résultats imposables de la Société Nancéienne Varin-Bernier à raison de la quote-part lui revenant, sur le fondement de l'article L. 64 susrappelé du livre des procédures fiscales ; qu'à supposer qu'il y soit recevable, le ministre ne propose pas de substitution de base légale audit redressement ; qu'il ne saurait par suite utilement faire valoir la double circonstance que l'amortissement des automotrices pratiqué par le groupement d'intérêt économique ne serait pas conforme à la durée normale d'utilisation de ces matériels et que la répartition contractuelle des loyers sur l'ensemble de la période de location ne rendrait pas correctement compte des avantages économiques procurés au preneur par le bien loué ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nancy a prononcé la décharge du complément d'impôt sur les sociétés auquel la Société Nancéienne Varin-Bernier a été assujettie au titre des exercices clos en 1991, 1992, 1993 et 1994 ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la Société Nancéienne Varin-Bernier et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE est rejeté.

Article 2 : L'Etat versera à la Société Nancéienne Varin-Bernier une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE et à la Société Nancéienne Varin-Bernier.

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N° 04NC00397


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : Mme MAZZEGA
Rapporteur ?: M. Pierre VINCENT
Rapporteur public ?: M. ADRIEN
Avocat(s) : BAKER et MC KENZIE

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Date de la décision : 07/12/2006
Date de l'import : 04/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 04NC00397
Numéro NOR : CETATEXT000017998111 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2006-12-07;04nc00397 ?
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