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19/11/2021 | FRANCE | N°19MA03332

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 19 novembre 2021, 19MA03332


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Guignard Promotion a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler la délibération du conseil municipal de la commune d'Alès en date du 5 décembre 2016 portant désaffectation et déclassement de l'ancienne station d'épuration et cession de terrains à la SCI Voie du Rhône, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé le 19 avril 2017.

Par un jugement n° 1702610 du 25 juin 2019, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté cette demande.

Procédure

devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 19 juillet 2019, le 20 dé...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Guignard Promotion a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler la délibération du conseil municipal de la commune d'Alès en date du 5 décembre 2016 portant désaffectation et déclassement de l'ancienne station d'épuration et cession de terrains à la SCI Voie du Rhône, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé le 19 avril 2017.

Par un jugement n° 1702610 du 25 juin 2019, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 19 juillet 2019, le 20 décembre 2019, le 9 janvier 2020 et le 24 janvier 2020, la SARL Guignard Promotion, représentée par Me Bouyssou, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 25 juin 2019 ;

2°) d'annuler la décision implicite de rejet du recours gracieux de la société Guignard Promotion en date du 19 avril 2017 tendant au retrait de la délibération du conseil municipal de la commune d'Alès en date du 5 décembre 2016 portant désaffectation - déclassement de l'ancienne station d'épuration et cession des terrains à la SCI Voie du Rhône, ensemble ladite délibération ;

3°) de mettre à la charge de la commune d'Alès le versement d'une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif a omis de statuer sur des éléments de droit et de fait relatifs à l'absence de tardiveté de la requête ;

- le jugement est entaché d'une insuffisance de motivation ;

- sa requête n'était pas tardive ;

- elle reprend expressément en cause d'appel les moyens exposés devant les premiers juges ;

- son intérêt à agir n'est pas sérieusement contestable.

La SCI Voie du Rhône, représentée par la SCP d'avocats CGCB et associés, a présenté des mémoires, enregistrés le 13 septembre 2019, le 27 décembre 2019 et le 15 janvier 2020, en vertu desquels elle conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la SARL Guignard Promotion au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La SCI Voie du Rhône soutient que :

- à titre principal, la requête est irrecevable, dès lors qu'elle est tardive et que la société Guignard Promotion est dépourvue d'intérêt à agir ;

- à titre subsidiaire, elle s'associe pour le surplus aux conclusions de la commune d'Alès.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 novembre 2019, la commune d'Alès, représentée par Me Audouin, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge de la société Guignard Promotion au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune d'Alès soutient que :

- à titre principal, la requête est irrecevable du fait de sa tardiveté et de l'absence d'intérêt à agir de la société Guignard Promotion ;

- à titre subsidiaire, les moyens soulevés par la société Guignard Promotion ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales,

- le code général de la propriété des personnes publiques,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Prieto,

- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,

- et les observations de Me Germe, représentant la SCI Voie du Rhône et de Me Audouin, représentant la commune d'Alès.

Considérant ce qui suit :

1. Par délibération du 5 décembre 2016, le conseil municipal d'Alès a décidé de procéder à la désaffectation et au déclassement des terrains accueillant l'ancienne station d'épuration constitués des parcelles cadastrées section BW n° 9, 39 et 40 et de céder à la SCI Voie du Rhône une parcelle d'une surface d'environ 3 000 m² à prélever sur les parcelles cadastrées section BW n° 40 et 9, moyennant le prix de 90 euros le m².

2. La SARL Guignard Promotion a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler cette délibération du conseil municipal de la commune d'Alès en date du 5 décembre 2016 portant désaffectation et déclassement de l'ancienne station d'épuration et cession de terrains à la SCI Voie du Rhône, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé le 19 avril 2017.

3. Par un jugement du 25 juin 2019, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté cette demande comme irrecevable. La SARL Guignard Promotion relève appel de ce jugement et demande à la Cour d'annuler la décision implicite de rejet du recours gracieux de la société Guignard Promotion en date du 19 avril 2017 tendant au retrait de la délibération du conseil municipal de la commune d'Alès en date du 5 décembre 2016 portant désaffectation - déclassement de l'ancienne station d'épuration et cession des terrains à la SCI Voie du Rhône, ainsi que ladite délibération.

Sur la régularité du jugement :

4. La SARL Guignard Promotion soutient que le jugement contesté est entaché d'irrégularité en ce qu'il est insuffisamment motivé dans la mesure où le tribunal a omis de répondre à son moyen en défense tiré de ce que la délibération aurait dû lui être notifiée et, qu'en l'absence de notification, le délai de recours contentieux ne lui était pas opposable.

5. Une décision non notifiée à une personne à qui elle aurait dû l'être ne fait pas courir le délai de recours contentieux à son égard. La SARL appelante est ainsi fondée à demander l'annulation du jugement comme insuffisamment motivé. Par suite, il y a lieu, pour la Cour, d'annuler le jugement attaqué et de se prononcer immédiatement, par la voie de l'évocation sur la demande présentée par la SARL Guignard Promotion devant le tribunal administratif de Nîmes.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la demande de première instance :

En ce qui concerne la délibération du 5 décembre 2016 :

6. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée (...) ".

7. La délibération par laquelle un conseil municipal décide de vendre, sans aucune condition, un terrain à un particulier crée des droits au profit de l'acheteur. La vente est alors qualifiée de parfaite, et, à cet égard, un prix doit être regardé comme suffisamment déterminé s'il est déterminable en fonction d'éléments objectifs ne dépendant pas de la volonté d'une partie. En l'espèce, la vente est parfaite, sans aucune condition, et le prix est suffisamment déterminé puisqu'il suffit de multiplier la superficie de 3 000 m² par le prix unitaire de 90 euros le m², soit 270 000 euros. La délibération en litige est donc une décision individuelle créatrice de droits au bénéfice de la SCI Voie du Rhône. Une telle délibération devait être notifiée à cette dernière en sa qualité de bénéficiaire de la cession mais aucun texte n'imposait en l'espèce, notamment en l'absence d'appel d'offres, qu'elle soit également notifiée à la SARL Guignard Promotion alors même que celle-ci, qui est tiers à l'opération de cession, aurait également souhaité acquérir les parcelles et aurait reçu des assurances de la part du maire d'Alès. Ces seules assurances, qui n'ont pas été concrétisées par une délibération du conseil municipal, n'ont créé aucun droit au bénéfice de la SARL. Le compte-rendu de la délibération a été affiché en mairie sur une période de deux mois du 13 décembre 2016 au 13 février 2017, ce qui a fait courir le délai de recours contentieux à l'égard des tiers. Dès lors le recours gracieux du 19 avril 2017 a été formé après l'expiration du délai de recours contentieux de deux mois et n'a ainsi pu proroger ce délai. La circonstance que l'accusé de réception du recours gracieux comporte l'indication des voies et délais de recours n'a aucune incidence sur l'expiration du délai de recours et n'a pas ouvert un nouveau délai pour contester la délibération. D'ailleurs la commune n'était pas tenue de délivrer un accusé de réception du recours gracieux d'un tiers.

8. La SARL Guignard Promotion fait valoir en outre que la délibération aurait été adoptée après des manœuvres frauduleuses de la commune et que le délai de deux mois ne lui serait ainsi pas opposable. Toutefois, si la commune peut retirer à tout moment une délibération entachée de fraude, cette circonstance ne prolonge pas les délais de recours au bénéfice des tiers. Par suite, le moyen tiré de la fraude est inopérant.

9. Il ressort des pièces du dossier que la demande de la SARL Guignard Promotion n'a été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Nîmes que le 17 août 2017. Ainsi, elle a été présentée tardivement et n'est, par suite, pas recevable à l'encontre de la délibération du 5 décembre 2016.

En ce qui concerne la décision implicite de rejet du recours gracieux formé le 19 avril 2017 :

10. Le recours gracieux présenté par la SARL Guignard Promotion doit également être regardé comme tendant au retrait de la délibération le 19 avril 2017 et, notamment, fondé sur la fraude dont serait entachée cette délibération.

11. Un tiers justifiant d'un intérêt à agir est recevable à demander, dans le délai de recours contentieux, l'annulation de la décision par laquelle l'autorité administrative a refusé de faire usage de son pouvoir d'abroger ou de retirer un acte administratif obtenu par fraude, quelle que soit la date à laquelle il l'a saisie d'une demande à cette fin.

12. En l'espèce, compte tenu des assurances sur la cession de terrains dont elle se prévaut, la SARL Guignard Promotion justifie d'un intérêt à agir. Sa demande d'annulation a été présentée dans le délai de recours contentieux courant à compter du rejet implicite de la demande d'abrogation et est par suite recevable.

Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision implicite de rejet du recours gracieux formé le 19 avril 2017 :

13. Aux termes de l'article L. 241-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Par dérogation aux dispositions du présent titre, un acte administratif unilatéral obtenu par fraude peut être à tout moment abrogé ou retiré ".

14. Il incombe au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, d'une part de vérifier la réalité de la fraude alléguée et, d'autre part, de contrôler que l'appréciation de l'administration sur l'opportunité de procéder ou non à l'abrogation ou au retrait n'est pas entachée d'erreur manifeste, compte tenu notamment de la gravité de la fraude et des atteintes aux divers intérêts publics ou privés en présence susceptibles de résulter, soit du maintien de l'acte litigieux, soit de son abrogation ou de son retrait.

15. En l'espèce, la SARL Guignard Promotion met en cause le comportement de la commune d'Alès qui aurait notamment dissimulé au conseil municipal l'engagement de vendre les terrains à l'appelante et aurait persisté à faire croire à cette dernière à une vente prochaine sans l'informer de l'existence de la délibération du 5 décembre 2016.

16. La fraude ne peut résulter que du comportement du bénéficiaire d'une décision qui trompe l'administration sur sa situation véritable pour obtenir une décision en sa faveur. Or, en l'espèce, la SCI Voie du Rhône, bénéficiaire de l'opération, n'est pas mise en cause.

17. En outre, les éléments postérieurs à la délibération n'ont aucune incidence sur sa légalité. Enfin, l'insuffisante information des conseillers municipaux soulevée par la société appelante, à la supposer établie, si elle peut être constitutive d'une illégalité, ne saurait en tout état de cause entacher la délibération de fraude. Aussi, en l'absence de fraude, le maire de la commune d'Alès ne pouvait que rejeter la demande d'abrogation de la délibération.

18. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de la SARL Guignard Promotion, en tant qu'elles sont regardées comme étant dirigées contre le refus implicite d'abrogation de la délibération du 5 décembre 2016, doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune d'Alès, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la société Guignard Promotion, au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

20. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Guignard Promotion une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par la commune d'Alès et non compris dans les dépens et une somme de 1 000 euros au titre de ces mêmes frais pour la SCI Voie du Rhône.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1702610 du tribunal administratif de Nîmes du 25 juin 2019 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la SARL Guignard Promotion devant le tribunal administratif de Nîmes est rejetée.

Article 3 : La SARL Guignard Promotion versera à la commune d'Alès et à la SCI Voie du Rhône une somme de 1 000 euros à chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Guignard Promotion, à la commune d'Alès et à la SCI Voie du Rhône.

Délibéré après l'audience du 5 novembre 2021, où siégeaient :

- M. Pocheron, président de chambre,

- Mme Ciréfice, présidente assesseure,

- M. Prieto, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 novembre 2021.

N° 19MA03332 6

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Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Collectivités territoriales - Commune - Biens de la commune.

Domaine - Domaine public - Régime - Déclassement.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. POCHERON
Rapporteur ?: M. Gilles PRIETO
Rapporteur public ?: M. CHANON
Avocat(s) : SCP BOUYSSOU ET ASSOCIES

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Date de la décision : 19/11/2021
Date de l'import : 30/11/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 19MA03332
Numéro NOR : CETATEXT000044346306 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-11-19;19ma03332 ?
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