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07/10/2021 | FRANCE | N°20MA02180

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre, 07 octobre 2021, 20MA02180


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... D... et M. E... C... ont demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner le centre hospitalier d'Orange " Louis Giorgi " à verser à Mme D... la somme de 30 668 euros et à M. C... la somme de 19 334 euros en réparation des préjudices résultant des conditions de suivi de la grossesse et de l'accouchement de Mme D... dans cet établissement.

La caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse a également demandé de condamner le centre hospitalier d'Orange à lui verser la somme de 276

197,39 euros au titre de ses débours, avec intérêts calculés au jour de la deman...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... D... et M. E... C... ont demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner le centre hospitalier d'Orange " Louis Giorgi " à verser à Mme D... la somme de 30 668 euros et à M. C... la somme de 19 334 euros en réparation des préjudices résultant des conditions de suivi de la grossesse et de l'accouchement de Mme D... dans cet établissement.

La caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse a également demandé de condamner le centre hospitalier d'Orange à lui verser la somme de 276 197,39 euros au titre de ses débours, avec intérêts calculés au jour de la demande, et celle de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Par un jugement n° 1800920 du 20 mai 2020, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté ces demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 6 juillet 2020, Mme D... et M. C..., représentés par Me Giudicelli, demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 20 mai 2020 ;

2°) de condamner le centre hospitalier d'Orange à verser à Mme D... la somme de 30 668 euros et à M. C... celle de 19 334 euros ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Orange une somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Ils soutiennent que :

- le tribunal administratif de Nîmes a méconnu le principe de réparation intégrale en refusant de les indemniser des conséquences dommageables des actes réalisés par le centre hospitalier d'Orange ;

- le centre hospitalier d'Orange est responsable à hauteur de 40 % des 75 % de la perte de chance de leur enfant de ne pas être atteint d'un handicap ;

- la réparation des conséquences dommageables pour Mme D... A... la perte de chance consécutive aux manquements du devoir de conseil du centre hospitalier doit être évaluée à la somme de 6 668 euros et celles de son préjudice d'affection à la somme de 24 000 euros ;

- M. C... a droit au paiement de la somme de 19 334 euros en réparation du préjudice d'affection subi.

Par un mémoire, enregistré le 8 février 2021, le centre hospitalier d'Orange et la Société hospitalière d'assurances mutuelles, représentés par Me Le Prado, concluent au rejet de la requête de Mme D... et M. C... et des conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse.

Ils soutiennent que, en se prononçant comme il l'a fait, le tribunal administratif n'a pas méconnu le principe de la réparation intégrale du préjudice.

La procédure a été communiquée aux caisses primaires d'assurance-maladie de Vaucluse et des Hautes-Alpes qui n'ont pas produit d'observations.

La clôture de l'instruction a été fixée au 4 mai 2021, par application des dispositions de l'article R. 613-1 du code de justice administrative, par une ordonnance du même jour.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Mahmouti,

- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,

- et les observations de Me Demailly représentant le centre hospitalier d'orange et la Société Hospitalière d'Assurances Mutuelles.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., suivie durant sa grossesse par une sage-femme exerçant à titre libéral et par le centre hospitalier d'Orange " Louis Giorgi ", a donné naissance par césarienne réalisée en urgence au sein de ce même centre hospitalier, le 1er octobre 2009, à sa fille B..., née en état de mort apparente à 39 semaines et 3 jours. L'enfant en a conservé une infirmité motrice cérébrale et Mme D... a pour sa part développé une éviscération sur sa cicatrice de césarienne, compliquée par une hémorragie post-opératoire nécessitant une reprise chirurgicale réalisée les 10 et 11 octobre 2009. Agissant en leur nom et en qualité de représentants légaux de leur enfant, Mme D... et M. C... ont saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CRCI) de Provence-Alpes-Côte d'Azur, laquelle a rendu un avis le 12 juin 2014, sur la base du rapport d'expertise des docteurs Mounal et Roybet, spécialistes respectivement en gynéco-obstétrique et en pédiatrie. Ils ont obtenu, par un jugement du 27 avril 2017 du tribunal de grande instance de Carpentras, la condamnation solidaire de la sage-femme et de son assureur à verser, d'une part, à Mme D... la somme 10 000 euros en réparation du préjudice résultant du manquement de la sage-femme à son " devoir de conseil " et celle de 36 000 euros au titre de son préjudice d'affection et, d'autre part, à M. C... la somme de 29 000 euros en réparation de son préjudice d'affection. Mme D... et M. C... relèvent appel du jugement du 20 mai 2020 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier d'Orange à leur verser des indemnités se montant, respectivement, à 30 668 euros et 19 334 euros.

En ce qui concerne la responsabilité :

2. Comme l'ont retenu les premiers juges, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise produit devant la CRCI, dont le contenu n'est aucunement discuté par les parties, que le centre hospitalier d'Orange a commis deux fautes médicales, la première durant le suivi de la grossesse de la requérante en s'abstenant de prendre des mesures conformes aux règles de l'art en présence d'un retard de croissance intra-utérin, la seconde lors de sa prise en charge durant son accouchement, le 1er octobre 2009, en appelant tardivement l'obstétricien en vue de réaliser la césarienne malgré la souffrance fœtale constatée durant le travail. C'est dès lors à bon droit que les premiers juges ont retenu que la responsabilité de ce centre hospitalier était engagée à l'égard des requérants.

En ce qui concerne le lien de causalité et la nature du préjudice indemnisable :

3. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

4. Il résulte de l'instruction que les deux fautes commises par le centre hospitalier d'Orange ont compromis les chances de l'enfant de Mme D... et M. C... d'échapper en tout ou partie aux importantes séquelles dont elle reste atteinte. En outre, l'insuffisance de suivi de la grossesse de Mme D... à compter du 27 août 2009 l'a privée de la possibilité de bénéficier d'un accouchement déclenché et, par voie de conséquence, la réalisation d'une césarienne en urgence et ses complications. Ces points n'étant pas contestés en appel, il y a lieu d'évaluer, par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal au point 11 de son jugement, l'ampleur de la perte de chance résultant de l'insuffisance de suivi de la grossesse à compter du 27 août 2009 à 50% et celle résultant du retard à la naissance par césarienne à 25%, soit une perte de chance résultant des deux fautes cumulées de l'hôpital de 75%.

En ce qui concerne l'évaluation des préjudices :

5. Contrairement à ce qui est soutenu en défense, la nature et l'étendue des réparations incombant à une collectivité publique du chef d'une faute dont la responsabilité lui est imputée, ne dépendent pas de l'évaluation du dommage faite par l'autorité judiciaire dans un litige où elle n'a pas été partie et n'aurait pu l'être mais doivent être déterminées par le juge administratif, compte tenu des règles afférentes à la responsabilité des personnes morales de droit public.

6. Eu égard à ce qui vient d'être dit, il y a lieu de retenir l'évaluation faite à juste titre par le tribunal en fixant les préjudices d'affection subis par Mme D... et M. C... aux sommes respectives de 15 000 euros et 10 000 euros après application du taux de perte de chance et, compte-tenu du taux de perte de chance de 50% propre à l'insuffisance du suivi de sa grossesse par le centre hospitalier, il convient d'évaluer le préjudice résultant des troubles dans les conditions d'existence de Mme D... qui ont résulté à la somme de 5 000 euros.

En ce qui concerne le droit à réparation :

7. D'une part, lorsqu'un dommage trouve sa cause dans plusieurs fautes qui, commises par des personnes différentes ayant agi de façon indépendante, portaient chacune en elle le dommage au moment où elles ont été commises, la victime peut rechercher la réparation de son préjudice par l'une de ces personnes, sans préjudice de la possibilité pour celle-ci de former une action récursoire contre le ou les co-auteurs du dommage.

8. D'autre part, il appartient au juge administratif de prendre, en déterminant la quotité et la forme de l'indemnité par lui allouée, les mesures nécessaires en vue d'empêcher que sa décision n'ait pour effet de procurer à la victime, par suite des indemnités qu'elle a pu obtenir devant d'autres juridictions à raison des conséquences dommageables du même accident, une réparation supérieure au montant total du préjudice subi.

9. Il résulte des principes énoncés aux deux points précédents que c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que le préjudice d'affection de chacun des parents avait été intégralement réparé par les sommes, supérieures à ses propres évaluations, qui ont été allouées au même titre aux intéressés par le tribunal de grande instance de Carpentras.

10. En revanche, et dès lors qu'elle n'avait pu être indemnisée du préjudice résultant des troubles dans ses conditions d'existence causés par l'insuffisant suivi de sa grossesse imputable au seul centre hospitalier d'Orange par le jugement du tribunal de grande instance de Carpentras, c'est à tort que le tribunal, qui en a reconnu l'existence et en a évalué le montant, a refusé de faire droit à ses conclusions tendant à l'indemnisation d'un tel préjudice.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... est seulement fondée à demander qu'une indemnité de 5 000 euros réparant ses troubles dans ses conditions d'existence soit mise à la charge du centre hospitalier d'Orange. Le surplus des conclusions indemnitaires présentées en appel tant par elle-même que par M. C... doit, en revanche, être rejeté.

Sur la déclaration d'arrêt commun :

12. Il résulte de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale que la caisse doit être appelée en déclaration de jugement commun dans l'instance ouverte par la victime contre le tiers responsable, le juge étant, le cas échéant, tenu de mettre en cause d'office la caisse si elle n'a pas été appelée en déclaration de jugement commun. La caisse primaire d'assurance-maladie de Vaucluse a fait valoir devant la cour qu'elle n'entendait pas intervenir dans l'instance. Par suite, il y a lieu de lui déclarer le présent arrêt commun.

Sur les dépens :

13. Les requérants n'établissent pas avoir exposé de dépens dans le cadre de la présente instance. Dès lors, leurs conclusions tendant à ce que les dépens soient mis à la charge du centre hospitalier d'Orange doivent, en tout état de cause, être rejetées.

Sur les frais d'instance :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier d'Orange la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme D... et M. C... non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le centre hospitalier d'Orange est condamné à verser à Mme D... la somme de 5 000 euros.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 20 mai 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le centre hospitalier d'Orange versera à Mme D... et M. C... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt est déclaré commun à la caisse primaire d'assurance-maladie de Vaucluse.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... D..., à M. E... C..., au centre hospitalier d'Orange, à la Société hospitalière d'assurances mutuelles et aux caisses primaires d'assurance-maladie de Vaucluse et des Hautes-Alpes

Délibéré après l'audience du 23 septembre 2021 où siégeaient :

- M. Alfonsi, président de chambre,

- Mme Massé-Degois, présidente-assesseure,

- M. Mahmouti, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 octobre 2021.

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N° 20MA02180

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA02180
Date de la décision : 07/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-04 Responsabilité de la puissance publique. - Réparation.


Composition du Tribunal
Président : M. ALFONSI
Rapporteur ?: M. Jérôme MAHMOUTI
Rapporteur public ?: M. GAUTRON
Avocat(s) : GIUDICELLI

Origine de la décision
Date de l'import : 19/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-10-07;20ma02180 ?
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