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13/09/2021 | FRANCE | N°18MA05361

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 13 septembre 2021, 18MA05361


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... et la SARL Visto Mar ont demandé au tribunal administratif de Toulon, à titre principal, de condamner la commune du Lavandou à leur verser la somme de 79 600 euros en réparation du préjudice qu'ils estiment avoir subi au titre des frais engagés et du manque à gagner, et à titre subsidiaire de condamner la commune du Lavandou à leur verser la somme de 2 676 euros, sommes assorties des intérêts au taux légal à compter du 4 mai 2015 avec capitalisation des intérêts.

Par un jugement

n° 1503100 du 26 octobre 2018, le tribunal administratif de Toulon a condamné la co...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... et la SARL Visto Mar ont demandé au tribunal administratif de Toulon, à titre principal, de condamner la commune du Lavandou à leur verser la somme de 79 600 euros en réparation du préjudice qu'ils estiment avoir subi au titre des frais engagés et du manque à gagner, et à titre subsidiaire de condamner la commune du Lavandou à leur verser la somme de 2 676 euros, sommes assorties des intérêts au taux légal à compter du 4 mai 2015 avec capitalisation des intérêts.

Par un jugement n° 1503100 du 26 octobre 2018, le tribunal administratif de Toulon a condamné la commune du Lavandou à verser à M. A... la somme de 79 600 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 mai 2015, avec capitalisation.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 19 décembre 2018, la commune du Lavandou, représentée par Me Roi, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1503100 du 26 octobre 2018 ;

2°) de rejeter la requête présentée par la SARL Visto Mar et M. A... ;

3°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté comme irrecevables les conclusions indemnitaires présentées par l'EURL Visto Mar ;

- sa responsabilité ne peut être engagée ; plusieurs omissions dans le dossier de candidature de M. A... justifiaient le rejet de son offre comme irrégulière ; le projet de sous-traité d'exploitation était incomplet ;

- l'identité du candidat soumissionnaire était ambiguë ;

- le processus de création de l'EURL Visto Mar n'était pas suffisamment avancé pour qu'elle soit regardée comme une société en cours de constitution au sens des dispositions de l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales ;

- M. A... ne justifie d'aucun préjudice personnel ;

- la somme réclamée devant le tribunal administratif de Toulon est supérieure à celle chiffrée dans le recours préalable ;

- le montant du préjudice n'est pas justifié ; l'étude prévisionnelle versée par M. A... n'a pas de valeur probante ; les données de cette étude ne sont pas cohérentes ;

- M. A... n'avait aucune chance de remporter le lot ; il n'a dès lors droit à aucune indemnisation.

Par un mémoire en défense et un mémoire complémentaire, enregistrés le 4 avril 2019 et le 12 juillet 2019, M. A..., représenté par Me Lopasso, demande à la Cour :

1°) à titre principal, de rejeter la requête et de confirmer le jugement ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner la commune à lui verser la somme de 2 676 euros ;

3°) de condamner la commune du Lavandou à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le projet de sous-traité fourni à l'appui de son dossier de candidature comportait tous les éléments listés dans le règlement de consultation ; son dossier était complet et son offre régulière ;

- le dossier de candidature mentionnait le montant de la redevance ;

- la commune du Lavandou a méconnu le principe d'égalité de traitement entre les candidats, dès lors que d'autres candidatures incomplètes n'ont pas été rejetées pour irrégularité et ont fait l'objet d'une demande de régularisation ;

- son offre avait une chance sérieuse d'être retenue ;

- le montant de l'indemnité est justifié ; l'étude prévisionnelle est probante ;

- elle a droit, à titre subsidiaire, aux frais engagés pour un montant de 2 676 euros.

Par ordonnance en date du 13 juin 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 juillet 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C... Point, rapporteur,

- les conclusions de M. B... Thielé, rapporteur public,

- et les observations de Me Bazile pour la commune du Lavandou et de Me Lopasso pour M. A....

Considérant ce qui suit :

1. Par arrêté en date du 11 mars 2005, le préfet du Var a accordé la concession de plage naturelle de Saint-Clair à la commune du Lavandou. Par délibération du 12 juin 2014, la commune du Lavandou a attribué le lot n° 3 de la délégation de service public d'exploitation de la plage de Saint-Clair à la SARL Les Pingouins. Par un courrier du 26 juin 2014, la commune a informé M. A... que son offre pour l'attribution de ce lot avait été rejetée, au motif qu'elle était irrégulière au regard de l'article 5 du règlement de consultation. Par courrier en date du 27 avril 2015, M. A... a adressé une demande indemnitaire à la commune du Lavandou, en réparation du préjudice qu'il estimait avoir subi du fait de son éviction illégale de la procédure d'attribution de la délégation de service public du lot n° 3. La commune du Lavandou fait appel du jugement du tribunal administratif de Toulon par lequel elle a été condamnée à indemniser M. A... à hauteur de 79 600 euros.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la responsabilité de la commune du Lavandou :

2. Aux termes de l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales : " (...) La commission mentionnée à l'article L. 1411-5 dresse la liste des candidats admis à présenter une offre après examen de leurs garanties professionnelles et financières, de leur respect de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés prévue aux articles L. 5212-1 à L. 5212-4 du code du travail et de leur aptitude à assurer la continuité du service public et l'égalité des usagers devant le service public. ". Aux termes de l'article L. 1411-2 du même code : " Les garanties professionnelles sont appréciées notamment dans la personne des associés et au vu des garanties professionnelles réunies en son sien. Les sociétés en cours de constitution (...) peuvent être admises à présenter une offre dans les mêmes conditions que les sociétés existantes. ". Aux termes de l'article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales, dans sa version applicable au litige : " Après décision sur le principe de la délégation, il est procédé à une publicité et à un recueil d'offres dans les conditions prévues aux troisième et quatrième alinéas de l'article L. 1411-1. (...). Au vu de l'avis de la commission, l'autorité habilitée à signer la convention engage librement toute discussion utile avec une ou des entreprises ayant présenté une offre. Elle saisit l'assemblée délibérante du choix de l'entreprise auquel elle a procédé. Elle lui transmet le rapport de la commission présentant notamment la liste des entreprises admises à présenter une offre et l'analyse des propositions de celles-ci, ainsi que les motifs du choix de la candidate et l'économie générale du contrat. ".

3. Aux termes de l'article 3 du règlement de la consultation : " Pour chaque lot de plage, en contrepartie de la mise à disposition au délégataire du lot, celui-ci devra acquitter auprès de la commune du Lavandou une redevance annuelle, dont le candidat proposera le montant en fonction d'un seuil minimum fixé par le Conseil municipal comme suit : " n° 3 de la plage de Saint Clair : 20 000 euros (...) et révisé chaque année selon les modalités suivantes : (...) ". Aux termes de l'article 4 du règlement de la consultation : " Le projet de sous-traité d'exploitation, signé par le candidat et complété par le montant de la redevance qu'il s'engage à verser annuellement à la commune, révisable dans les conditions définies à l'article 3. / Le candidat devra produire un compte d'exploitation prévisionnel ainsi qu'un plan des investissements à envisager sur le lot de plage. (...) L'engagement financier d'une banque, si nécessaire. ". L'article 5 de ce règlement définit le contenu du dossier de consultation qui doit comporter pour chaque lot les fiches suivantes à compléter par le candidat : " Une fiche " Projet " qui devra décrire son projet d'exploitation ; une fiche " Personnel " qui devra indiquer le nom de ses employés, leur qualification, notamment ceux titulaires des diplômes requis pour la surveillance et le secours aux usagers des bains de mer. Il est précisé que l'exploitation du lot de plage ne pourra débuter, lors de chaque saison, qu'à la condition de présence effective d'un surveillant de baignade titulaire du BNSSA ; une fiche " Matériel " qui devra indiquer les moyens prévus par le candidat pour faire face à ses différentes obligations de service public ; une fiche " Embellissement " (...), une fiche " Tarif à destination des usagers " et une fiche " Redevance " qui ne pourra en aucun cas être d'un montant inférieur à celui exigé par la commune ; un projet de contrat paraphé, complété, daté et signé par le candidat ; (...) une fiche des investissements financiers qui ne pourront, le cas échéant, pas reprendre les frais de structure déjà amortis. ".

4. Le règlement de la consultation prévu par une autorité concédante pour la passation d'un contrat de délégation de service public est obligatoire dans toutes ses mentions. Lorsque le règlement de la consultation impose la production de documents ou de renseignements à l'appui des offres, l'autorité habilitée à signer la convention de délégation de service public ne peut, après avis de la commission mentionnée à l'article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales, engager de négociation avec un opérateur économique dont l'offre n'est pas accompagnée de tous ces documents ou renseignements que si cette insuffisance, d'une part, ne fait pas obstacle à ce que soit appréciée la conformité de l'offre aux exigences du cahier des charges et, d'autre part, n'est pas susceptible d'avoir une influence sur la comparaison entre les offres et le choix des candidats qui seront admis à participer à la négociation. Elle peut regarder l'offre comme incomplète et par suite irrégulière si les exigences du règlement de la consultation liées à la production de documents ne sont pas remplies, sous réserve que ces exigences ne soient pas manifestement inutiles à l'appréciation de l'offre et à sa comparaison avec les offres des autres candidats.

5. Aux termes du courrier du 24 juin 2014, la commune du Lavandou a rejeté l'offre présentée par M. A... au motif qu'elle était irrecevable " au regard de l'article 5 du règlement de la consultation, dans la mesure où le projet de sous-traité n'était pas complété et sans identification. ".

6. Il résulte de l'instruction que le dossier présenté par M. A... comprenait le projet de sous-traité daté et signé, mais que ce document n'était pas complétement rempli dès lors que le nom du soumissionnaire et le montant de la redevance proposée n'étaient pas renseignés. Toutefois, le dossier de candidature présenté par M. A... contenait une lettre de présentation en son nom, permettant de l'identifier sans ambigüité comme étant le soumissionnaire de l'offre, en sa qualité de responsable et détenteur de parts unique de l'EURL Visto Mar, laquelle était en cours de constitution. Par suite, la commune du Lavandou n'est pas fondée à soutenir que l'absence de mention du nom du soumissionnaire dans la case prévue à cet effet dans le contrat pré-rempli aurait fait obstacle à l'identification du candidat. En outre, M. A... a produit dans son dossier de candidature des projets de statut manifestant sa volonté de créer ladite société et indiquant clairement qu'il en serait le gérant et l'unique détenteur de parts. Les projets de statut et la note de présentation du projet précisent le montant du capital, à hauteur de 7 000 euros. M. A... s'est ainsi engagé sur le montant de sa participation dans la société en cours de création. La commune du Lavandou ne pouvait, dans ces conditions, opposer à M. A... l'absence d'informations précises sur la constitution de la société. De plus, la commune du Lavandou ne peut utilement soutenir que M. A..., qui présentait une candidature au nom d'une personne morale, aurait été tenu de produire un CV ainsi que le préconisait l'appel à candidature pour les candidatures des personnes physiques. Enfin, M. A... a produit à l'appui de son offre un dossier prévisionnel comportant un plan de financement, un compte d'exploitation prévisionnel, un bilan synthétique, un tableau de financement et des éléments d'analyse sur la trésorière prévisionnelle et le financement des investissements. La commune du Lavandou n'est dès lors pas fondée à soutenir que le dossier de candidature de M. A... ne permettait d'apprécier ni ses garanties professionnelles, ni ses garanties financières. Par ailleurs, M. A... a fourni à l'appui de son dossier une fiche " redevance ", ainsi que le prévoyait l'article 5 du règlement de la consultation, dans laquelle figurait explicitement le montant de la redevance proposée, à savoir 25 000 euros. Dans ces conditions, les omissions relevées par la commune du Lavandou pour déclarer l'offre irrégulière avaient un caractère purement formel et n'étaient pas de nature à empêcher l'appréciation de la conformité de la candidature de M. A... aux exigences du règlement de la consultation. De telles omissions, au regard des informations fournies par ailleurs dans le dossier de candidature produit par M. A..., n'étaient pas davantage susceptibles d'avoir une influence sur l'appréciation de l'offre de M. A... et la comparaison entre les offres. Par suite, la commune du Lavandou n'est pas fondée à soutenir que la candidature présentée par M. A... était irrégulière.

7. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir qu'il a été irrégulièrement évincé de la procédure d'attribution du lot n° 3 de la délégation de service public d'exploitation de la plage de Saint-Clair.

En ce qui concerne la réalité du préjudice :

8. La commune du Lavandou ne conteste pas dans ses écritures d'appel le fait que M. A... avait des chances sérieuses d'emporter le contrat. Par ailleurs, ainsi qu'il a été rappelé précédemment, M. A... a régulièrement présenté une offre pour le compte d'une société en cours de constitution. Il résulte de l'examen du projet de statuts de la SARL Visto Mar que M. A... aurait été l'unique détenteur de parts de cette société. Par suite, contrairement à ce qu'affirme la commune du Lavandou sur ce point, M. A... justifie d'un préjudice personnel.

En ce qui concerne le montant du préjudice :

9. Aux termes de l'article 2 du règlement de la consultation, relatif à la durée de la convention, la délégation de service public est consentie pour trois saisons avec une échéance au 31 octobre 2016, chaque saison couvrant la période du 1er avril au 31 octobre de l'année considérée. Il résulte de l'instruction que M. A... a produit à l'appui de son dossier de candidature une étude prévisionnelle réalisée par la société d'expertise comptable Groupe FGC sur la période de janvier 2014 à décembre 2016. Toutefois, la commune du Lavandou fait valoir que cette étude n'a pas de valeur probante et comporte des incohérences. Au regard de l'incertitude entourant les données et les hypothèses à partir desquelles a été réalisée cette étude prévisionnelle, qui a un caractère déclaratif, la Cour ne dispose pas des éléments permettant d'évaluer l'ampleur du préjudice subi par M. A.... Il y a lieu, dans ces conditions, de prescrire une expertise économique et comptable pour évaluer le montant du préjudice subi par M. A... du fait de son éviction irrégulière du contrat en cause.

D É C I D E :

Article 1er : Il sera, avant de statuer sur les conclusions indemnitaires présentées par M. A..., procédé à une expertise contradictoire en présence de M. A... et de la commune du Lavandou, avec mission pour l'expert, qui sera désigné par la présidente de la Cour, de :

- prendre connaissance de l'entier dossier ;

- déterminer le montant du bénéfice que M. A... aurait perçu en sa qualité d'associé unique de la société à créer, compte tenu des charges fixes et variables que cette société aurait supportées dans l'exécution du contrat et des recettes procurées par celui-ci, au cours de la période allant du 1er janvier 2014 au 31 octobre 2016.

Article 2 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative.

Article 3 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas statué par le présent arrêt sont réservés.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune du Lavandou, à M. A... et à la SARL Visto Mar.

Délibéré après l'audience du 1er septembre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Guy Fédou, président,

- M. Gilles Taormina, président assesseur,

- M. C... Point, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 septembre 2021.

3

N° 18MA05361


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-02 Marchés et contrats administratifs. - Formation des contrats et marchés.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. FEDOU
Rapporteur ?: M. François POINT
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : ROI

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Date de la décision : 13/09/2021
Date de l'import : 21/09/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 18MA05361
Numéro NOR : CETATEXT000044043331 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-09-13;18ma05361 ?
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