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18/01/2021 | FRANCE | N°19MA02221

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 5ème chambre, 18 janvier 2021, 19MA02221


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Les associations "Mouvement citoyennes maintenant" et "Collectif 13 droit des femmes" ont demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler la décision du maire de la commune de Béziers de faire installer, le 15 septembre 2017, en divers lieux de l'espace public communal, une affiche représentant un homme étranglant une femme.

Par un jugement n°1704531 du 19 mars 2019, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande et a mis à leur charge une somme globale de 1 500 euros à ve

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Les associations "Mouvement citoyennes maintenant" et "Collectif 13 droit des femmes" ont demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler la décision du maire de la commune de Béziers de faire installer, le 15 septembre 2017, en divers lieux de l'espace public communal, une affiche représentant un homme étranglant une femme.

Par un jugement n°1704531 du 19 mars 2019, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande et a mis à leur charge une somme globale de 1 500 euros à verser à la commune de Béziers au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 17 mai 2019, les associations "Mouvement citoyennes maintenant" et "Collectif 13 droit des femmes", représentées par Me B..., demandent à la Cour :

1°) d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 19 mars 2019 rejetant leur demande et mettant à leur charge une somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) d'annuler la décision litigieuse du maire de la commune de Béziers ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Béziers une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- elles ont intérêt à agir ;

- la décision en litige constitue une discrimination faite aux femmes proscrite par l'article 1er de la loi du 27 mai 2008, ainsi que cela ressort d'une recommandation du Conseil de l'Europe ;

- elle contrevient aux dispositions de l'article 1er de la loi du 4 août 2014 ;

- elle viole le principe d'égalité entre les femmes et les hommes en méconnaissance des articles 1 et 2 de la Déclaration universelle des droit de l'homme, le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 5 de la convention sur l'élimination de toutes formes de discrimination à l'égard des femmes, le préambule et l'article 55 de la charte des Nations-Unies et l'article 23 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- elle constitue un harcèlement proscrit par la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, l'article 222-33 du code pénal, les dispositions de la loi du 13 juillet 1983 et l'article 40 de la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (dite d'Istanbul) ;

- elle porte atteinte à la dignité humaine et méconnait les dispositions de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales ;

- l'intentionnalité de la campagne est à ces égards sans incidence.

- la décision est entachée de détournement de pouvoir en ce qu'elle ne vise qu'à assurer la propagande personnelle du maire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 juillet 2019, la commune de Béziers, représentée par la SCP Juris Excell, conclut à ce qu'il n'y ait lieu à statuer sur les conclusions de la requête et, subsidiairement, à leur rejet. Elle sollicite également qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge des associations requérantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la juridiction administrative est incompétente pour réprimer les abus de la liberté d'expression et connaître des conclusions de la requête ;

- il n'y a plus lieu de statuer dès lors que l'affiche a été retirée ;

- les associations requérantes sont dépourvues d'intérêt à agir ; le tribunal a omis de se prononcer à cet égard ;

- la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, et notamment son préambule ;

- la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 ;

- la charte des Nations-Unies signée à San Francisco le 26 juin 1945 ;

- la convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code pénal ;

- la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations ;

- la loi n°2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., représentant les associations "Mouvement citoyennes maintenant" et "Collectif 13 droit des femmes", et de Me C..., représentant la commune de Béziers.

Considérant ce qui suit :

1. Les associations "Mouvement citoyennes maintenant" et "Collectif 13 droit des femmes" relèvent appel du jugement du 19 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a, d'une part, rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du maire de la commune de Béziers de faire installer, le 15 septembre 2017, en divers lieux de l'espace public communal, une affiche représentant un homme étranglant une femme et, d'autre part, mis à leur charge une somme globale de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

2. S'il n'appartient qu'aux juridictions judiciaires de connaître des actions tendant à réprimer les délits commis par la voie de la presse ou par tout autre moyen de publication, institués par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la présente action ne vise pas à la répression d'un tel délit, mais seulement à obtenir l'annulation de la décision d'une autorité publique. L'exception d'incompétence de la juridiction administrative ne peut dès lors qu'être écartée.

Sur l'exception de non-lieu à statuer :

3. Si, avant que le juge n'ait statué, l'acte attaqué est rapporté par l'autorité compétente et si le retrait ainsi opéré acquiert un caractère définitif faute d'être critiqué dans le délai du recours contentieux, il emporte alors disparition rétroactive de l'ordonnancement juridique de l'acte contesté, ce qui conduit à ce qu'il n'y ait lieu pour le juge de la légalité de statuer sur le mérite du recours dont il était saisi. Il en va ainsi, quand bien même l'acte rapporté aurait reçu exécution. Cependant, dans le cas où l'administration se borne à procéder à l'abrogation de l'acte attaqué, cette circonstance prive d'objet le recours formé à son encontre, qu'à la double condition que cet acte n'ait reçu aucune exécution pendant la période où il était en vigueur et que la décision procédant à son abrogation soit devenue définitive.

4. En l'espèce, si l'affiche a été retirée de l'espace public communal dès le 25 septembre 2017, la décision de la faire installer n'a pas été rapportée par l'autorité municipale mais seulement abrogée. Dès lors qu'elle a reçu exécution, l'exception de non-lieu doit être écartée.

Sur la légalité de la décision contestée :

5. L'affiche litigieuse représente, à la façon d'un dessin de bande-dessinée rappelant l'univers cinématographique des années 50, une femme se faisant étrangler par un homme. Elle porte, sur ses deux-tiers, le slogan " dotations, emplois aidés, logement, subventions... / L'Etat étrangle nos communes " et la mention " #ÇaFaitMal ". Comme l'ont relevé à juste titre les premiers juges, elle se borne, sans ambigüité, à dénoncer auprès des habitants de la commune, sur un ton certes provocateur, l'attitude de l'Etat vis-à-vis des collectivités locales. Contrairement à ce que soutiennent les associations requérantes et sans qu'il soit besoin de se référer aux intentions de l'autorité municipale, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle porterait un message sous-jacent à connotation sexiste et créerait un environnement hostile et menaçant pour les femmes. Ainsi, elle ne porte pas atteinte à la dignité humaine, n'institue aucune discrimination ou harcèlement à l'égard des femmes, ni ne banalise ou promeut les violences faites à celles-ci. Il s'ensuit que les moyens de la requête tirés de ce que la décision contestée méconnaîtrait la Constitution, la Déclaration universelle des droits de l'homme, la charte des Nations-Unies, la convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, la directive du 5 juillet 2006, le code général des collectivités territoriales, le code pénal et les lois des 13 juillet 1983, 27 mai 2008 et 4 août 2014 doivent en tout état de cause être écartés.

6. Le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.

7. Sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense, il résulte de tout ce qui précède que les associations "Mouvement citoyennes maintenant" et "Collectif 13 droit des femmes" ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision litigieuse.

Sur les frais liés au litige :

8. Dès lors que leur recours pour excès de pouvoir a été à bon droit rejetée par les premiers juges et qu'elles ne font valoir aucune circonstance particulière, les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a mis à leur charge, au titre des frais exposés par la commune de Béziers en première instance et non compris dans les dépens, une somme globale de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

9. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Béziers, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une quelconque somme au titre des frais exposés par les associations requérantes et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions au bénéfice de la commune de Béziers.

D É C I D E :

Article 1er : La requête des associations "Mouvement citoyennes maintenant" et "Collectif 13 droit des femmes" est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Béziers au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association "Mouvement citoyennes maintenant", à l'association "Collectif 13 droit des femmes" et à la commune de Béziers.

Délibéré après l'audience du 4 janvier 2021, où siégeaient :

- M. Bocquet, président,

- M. Marcovici, président assesseur,

- Mme A..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 janvier 2021.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA02221
Date de la décision : 18/01/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Collectivités territoriales - Dispositions générales - Contrôle de la légalité des actes des autorités locales.

Droits civils et individuels - Libertés publiques et libertés de la personne - Droits de la personne.


Composition du Tribunal
Président : M. BOCQUET
Rapporteur ?: Mme Caroline POULLAIN
Rapporteur public ?: M. PECCHIOLI
Avocat(s) : QUESTIAUX

Origine de la décision
Date de l'import : 29/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-01-18;19ma02221 ?
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