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18/09/2020 | FRANCE | N°18MA04322

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 18 septembre 2020, 18MA04322


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le syndicat CFDT des personnels civils du ministère de la défense de la direction des chantiers navals division service Toulon (DCNS) et le syndicat CGT des établissements DCNS de Toulon ont demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 30 décembre 2015 par laquelle le directeur général du travail a refusé l'inscription de l'établissement " DCNS division service Toulon " sur la liste des établissements ouvrant droit au dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs

de l'amiante et d'enjoindre au directeur général du travail d'inscrire l'é...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le syndicat CFDT des personnels civils du ministère de la défense de la direction des chantiers navals division service Toulon (DCNS) et le syndicat CGT des établissements DCNS de Toulon ont demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 30 décembre 2015 par laquelle le directeur général du travail a refusé l'inscription de l'établissement " DCNS division service Toulon " sur la liste des établissements ouvrant droit au dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante et d'enjoindre au directeur général du travail d'inscrire l'établissement sur cette liste pour la période de 2003 à 2012.

Par un jugement n° 1600620 du 19 juillet 2018, le tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 20 septembre 2018, le syndicat CFDT des personnels civils du ministère de la défense de la direction des chantiers navals division service Toulon (DCNS) et autre, représentés par Me B..., demandent à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 19 juillet 2018 ;

2°) d'annuler la décision du 30 décembre 2015 du directeur général du travail portant refus d'inscription de l'établissement " DCNS division service Toulon " sur la liste des établissements ouvrant droit au dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ;

3°) d'enjoindre au ministre du travail d'inscrire l'établissement " DCNS division service Toulon " sur la liste des établissements de construction et de réparation navale susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, de 2003 à 2012, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- les activités de calorifugeage à l'amiante effectuées au sein de l'activité de construction et de réparation navale de l'établissement de la société " DCNS division service Toulon " présentaient un caractère significatif ;

- les opérations de flocage et de calorifugeage à l'amiante y étaient fréquentes ;

- la décision contestée est entachée de rupture d'égalité entre les salariés de droit privé exerçant au sein de l'établissement et les personnels de droit public ayant un statut d'ouvrier de l'Etat ;

- elle est également entachée de rupture d'égalité au regard des salariés des entreprises sous-traitantes.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 décembre 2019, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le code du travail ;

- la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ;

- le décret n° 2001-1269 du 21 décembre 2001 relatif à l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'Etat relevant du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat ;

- le décret n° 2002-832 du 3 mai 2002 relatif à la situation des personnels de l'Etat mis à la disposition de l'entreprise nationale prévue à l'article 78 de la loi de finances rectificative pour 2001 ;

- l'arrêté du 21 avril 2006 relatif à la liste des professions, des fonctions et des établissements ou parties d'établissements permettant l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'Etat, fonctionnaires et agents non titulaires du ministère de la défense ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coutier, premier conseiller,

- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., représentant le syndicat CFDT des personnels civils du ministère de la défense de la direction des chantiers navals division service Toulon (DCNS) et autre.

Considérant ce qui suit :

1. Le syndicat CFDT des personnels civils du ministère de la défense de la direction des chantiers navals division service Toulon (DCNS) et le syndicat CGT des établissements DCNS de Toulon relèvent appel du jugement du 19 juillet 2018 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du 30 décembre 2015 par laquelle le directeur général du travail a refusé l'inscription de l'établissement " DCNS division service Toulon " sur la liste des établissements ouvrant droit au dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante et à ce qu'il soit ordonné au directeur général du travail d'inscrire l'établissement sur cette liste pour la période de 2003 à 2012.

2. En premier lieu, aux termes de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999 : " Une allocation de cessation anticipée d'activité est versée aux salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante ou de construction et de réparation navales, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent les conditions suivantes : / 1° Travailler ou avoir travaillé dans un des établissements mentionnés ci-dessus et figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget, pendant la période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante. L'exercice des activités de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, de flocage et de calorifugeage à l'amiante de l'établissement doit présenter un caractère significatif ; (...) / 3° S'agissant des salariés de la construction et de la réparation navales, avoir exercé un métier figurant sur une liste fixée par arrêté conjoint des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget. (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions que peuvent seuls être légalement inscrits sur la liste qu'elles prévoient les établissements dans lesquels les opérations de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, de calorifugeage ou de flocage à l'amiante ont, compte tenu notamment de leur fréquence et de la proportion de salariés qui y ont été affectés, représenté sur la période en cause une part significative de l'activité de ces établissements. Il en va ainsi alors même que ces opérations ne constitueraient pas l'activité principale des établissements en question.

4. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que, pour refuser l'inscription sollicitée, le ministre du travail a estimé que " les activités exposantes à amiante au sens du dispositif du fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ne représentaient pas une part significative de l'activité de cet établissement durant la période sollicitée, c'est-à-dire, depuis l'année 2003 jusqu'à l'année 2012. En effet, il n'est pas établi qu'une proportion significative des salariés de l'établissement ait effectué, à une fréquence régulière, ces activités. ".

5. Dans ses écritures, l'administration se réfère aux conclusions du rapport du 19 mars 2007 de l'inspectrice du travail à la direction départementale du travail de Paris portant sur l'ensemble des établissements de la DCN devenue DCNS puis Naval group, dont celui de Toulon, selon lesquelles l'utilisation de matériaux contenant de l'amiante friable aurait pris fin dès 1975-1976, seuls subsistant jusqu'en 1997 l'utilisation de peintures, de joints, de revêtements de sol, de batteries de torpilles et de membranes d'usine dans les sous-marins nucléaires contenant de l'amiante. Le rapport précise que de nouveaux matériaux contenant de l'amiante, et notamment des joints, peuvent continuer à être utilisés lors de certaines réparations et que le retrait des matériaux contenant de l'amiante friable, qui a été réalisé par des entreprises extérieures durant les années 1990, est désormais achevé, à l'exception des matériaux contenus dans les vases clos des chaudières de trois bâtiments, le Jeanne-d'Arc, le Duquesne et le Suffren, le retrait de ces matériaux ne pouvant être réalisé que lors du démantèlement de ces bâtiments. Ce rapport indique encore que les interventions d'entretien effectuées sur des matériaux contenant de l'amiante non friable sur les navires et les sous-marins peuvent amener encore actuellement des salariés de la DCN à être exposés à l'inhalation de fibres d'amiante, notamment au sein de l'établissement de Toulon. Le rapport précise que des procédures de protection des salariés ont été mises en oeuvre et fait état de la position de la direction du groupe selon laquelle à sa création comme société anonyme en 2003, le risque d'exposition des salariés aux fibres d'amiante était déjà devenu négligeable.

6. Par ailleurs, il ressort des énonciations du rapport co-signé par le directeur adjoint de l'unité territoriale du Var et de l'inspecteur du travail dans les armées de Toulon du 10 mai 2012 initialement rendu dans le cadre de l'instruction de la demande objet du refus contesté, que les opérations de retrait de l'amiante opérées dans les années 1990 n'ont pas eu pour effet de supprimer totalement la présence de matériaux amiantés et qu'il en subsiste encore dans les navires dont une partie seulement est précisément identifiée et localisée. Le rapport indique que depuis la création de la DCNS, la direction a intégré le risque amiante dans ses évaluations des risques et ses plans d'actions et que ce processus s'est renforcé à partir de 2010. Enfin, le rapport précise qu'aucune mesure de concentration de poussières d'amiante n'excède la valeur limite réglementaire et que la plus grande partie des résultats obtenus se situent très en dessous des valeurs limites d'exposition professionnelles.

7. Au soutien de leur requête, les syndicats appelants produisent les témoignages d'une dizaine d'employés faisant état de ce que de l'amiante serait encore présente dans les navires sur lesquels ils ont travaillé. Ces témoignages sont toutefois insuffisamment circonstanciés pour renseigner sur la proportion de salariés concernés rapportée aux 2 000 personnes qui sont employés au sein de l'établissement ainsi que sur la fréquence de leurs activités au contact de l'amiante. La production d'un tableau, dont l'origine n'est pas déterminée, détaillant la quantité de déchets amiantés éliminés, hors travaux spécifique, sur la période 2009-2012, évaluée à 17,887 tonnes, sans que soit cependant établi un lien quelconque entre ces déchets et les interventions des salariés de l'établissement, dont l'activité consiste en des opérations de maintenance et de réparation sur des bâtiments de surface et des sous-marins, ne permet pas davantage de démontrer qu'une proportion significative des salariés de cet établissement aurait effectué, à une fréquence régulière durant la période en cause, les activités mentionnées au point 3 ci-dessus, auxquelles il y a lieu d'assimiler les opérations de déflocage lors des interventions de maintenance. Il en est de même du fait qu'ont été émis 1 288 bons de travaux à risque et que 800 prélèvements biologiques positifs ont été recensés entre 2005 à 2011, la critique des modalités d'établissement de la valeur limite d'exposition étant à cet égard sans incidence. Enfin, la circonstance selon laquelle, sur la période en cause, les seules activités relatives " aux pannes, incidents et navires privés ", sans compter les activités régulières d'entretien et de maintenance, représenteraient 15 % de l'activité totale de l'établissement, ne saurait conduire à établir qu'au moins 15 % des salariés auraient été affectés de façon régulière à des opérations de traitement de l'amiante. C'est dès lors sans commettre d'erreur de droit ni d'erreur d'appréciation que le ministre a opposé un refus à la demande d'inscription sollicitée.

8. En second lieu, et d'une part, il ressort des pièces du dossier que l'établissement DCNS de Toulon a été créé en 2003 sous le statut d'entreprise nationale de droit privé, issue de la direction des chantiers navals (DCN) de Toulon, service à compétence nationale qui relevait antérieurement du ministère chargé de la défense. L'établissement DCNS de Toulon, aujourd'hui devenu Naval Group, emploie depuis sa création des fonctionnaires ouvriers de l'Etat, mis à disposition par leur administration d'origine, ainsi que des salariés relevant du droit privé. Par l'effet des dispositions de l'article 9 du décret du 3 mai 2002 selon lesquelles les ouvriers d'Etat mis à la disposition de l'entreprise nationale conservent le bénéfice des dispositions appliquées aux ouvriers sous statut en fonction dans les établissements relevant du ministère de la défense, notamment les dispositions du décret du 21 décembre 2001 relatif à l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'Etat relevant du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat, le bénéfice du dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante est nécessairement ouvert, pour la période de 2003 à 2012, aux employés de cet établissement ayant le statut d'ouvriers de l'Etat dès lors que l'annexe III de l'arrêté du 21 avril 2006 relatif à la liste des professions, des fonctions et des établissements ou parties d'établissements permettant l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'Etat, fonctionnaires et agents non titulaires du ministère de la défense, mentionne l'établissement DCN de Toulon et, s'agissant de la période considérée, fixe pour la majeure partie des emplois qu'elle comporte l'année 1945 comme date de début et ne prévoit pas de date de fin au motif que l'amiante est susceptible d'être encore présente. Ces ouvriers de l'Etat relèvent donc en la matière d'un régime juridique propre, issu de leur statut, et se trouvent dès lors dans une situation différente de celle des salariés de droit privé également employés par l'établissement DCNS de Toulon, pour qui le bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité procède exclusivement de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998. Ainsi qu'il a été dit au point 3 ci-dessus, ces dispositions législatives subordonnent l'inscription des établissements concernés sur la liste ministérielle à la justification du caractère significatif de l'exercice d'activités au contact de l'amiante, ce que n'exige pas, pour les ouvriers de l'Etat, l'article 1 du décret du 21 décembre 2001 ni aucun autre texte législatif ou réglementaire. Il s'ensuit que, alors même que les ouvriers de l'Etat et les salariés de droit privé employés sur le site y effectueraient des tâches comparables, le refus opposé par la décision contestée ne peut être regardé comme étant constitutif d'une rupture d'égalité devant la loi.

9. D'autre part, et en tout état de cause, il n'est pas établi que les salariés des sociétés sous-traitantes intervenant sur les chantiers de l'établissement DCNS de Toulon accompliraient des tâches identiques ou comparables à celles réalisées par les salariés de droit privé employés par l'établissement lui-même. Dès lors, la circonstance selon laquelle plusieurs de ces sociétés sous-traitantes sont inscrites sur la liste des entreprises de la réparation navale ouvrant droit au dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, également pour des périodes ne comportant pas de date de fin, ne saurait davantage révéler une méconnaissance du principe d'égalité devant la loi.

10. Il résulte de tout ce qui précède que le syndicat CFDT des personnels civils du ministère de la défense de la direction des chantiers navals division service Toulon (DCNS) et autre ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté leur demande. Par suite, la requête doit être rejetée, y compris les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : La requête du syndicat CFDT des personnels civils du ministère de la défense de la direction des chantiers navals division service Toulon (DCNS) et autre est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au syndicat CFDT des personnels civils du ministère de la défense de la direction des chantiers navals division service Toulon (DCNS), au syndicat CGT des établissements DCNS de Toulon et à la ministre du travail.

Délibéré après l'audience du 4 septembre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Pocheron, président de chambre,

- M. Guidal, président-assesseur,

- M. Coutier, premier conseiller.

Lu en audience publique le 18 septembre 2020.

3

N° 18MA04322

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 18MA04322
Date de la décision : 18/09/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Santé publique - Protection générale de la santé publique - Police et réglementation sanitaire - Salubrité des immeubles - Amiante.

Travail et emploi - Conditions de travail - Hygiène et sécurité.


Composition du Tribunal
Président : M. POCHERON
Rapporteur ?: M. Bruno COUTIER
Rapporteur public ?: M. CHANON
Avocat(s) : SELARL TEISSONNIERE et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 29/09/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-09-18;18ma04322 ?
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