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15/09/2020 | FRANCE | N°19MA03689

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 9ème chambre, 15 septembre 2020, 19MA03689


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... B... a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté du 8 juillet 2019 par lequel le préfet de la Haute-Corse l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Par un jugement n° 1900954 du 12 juillet 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.>
Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 1er août 2019, M. B..., repr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... B... a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté du 8 juillet 2019 par lequel le préfet de la Haute-Corse l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Par un jugement n° 1900954 du 12 juillet 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 1er août 2019, M. B..., représenté par Me E..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bastia du 12 juillet 2019 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Haute-Corse du 8 juillet 2019 ;

3°) d'ordonner, en application de l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qu'il soit mis fin aux mesures de surveillance prévues à l'article L. 561-2 du même code ;

4°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Corse de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, pendant la durée de l'examen de son recours devant la Cour nationale du droit d'asile, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à venir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à l'expiration de ce délai ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision portant obligation de quitter est illégale dès lors que sa demande d'asile ne pouvait être rejetée selon la procédure accélérée et qu'il bénéficie du droit au maintien sur le territoire français prévu par l'article L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- cette décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision de refus de délai de départ volontaire méconnaît le 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision fixant le pays de destination est illégale du fait de l'illégalité des décisions dont elle découle ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision portant interdiction de retour est insuffisamment motivée ;

- cette décision est entachée d'erreur d'appréciation au regard du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

La requête a été communiquée au préfet de la Haute-Corse qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant libyen né en 1982 et déclarant être entré en France au cours de l'année 2011, a sollicité en vain l'asile au mois d'avril 2018. Par un arrêté du 8 juillet 2019, le préfet de la Haute-Corse l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans. L'intéressé relève appel du jugement du 12 juillet 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, aux termes du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger (...) lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : / 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; (...) / 6° Si (...) l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 743-1 et L. 743-2 (...) ". L'article L. 743-2 du même code dispose que : " Par dérogation à l'article L. 743-1, (...), le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin (...) lorsque : (...) / 7° L'office a pris une décision de rejet dans les cas prévus au I et au 5° du III de l'article L. 723-2 (...) ". Selon le III de l'article L. 723-2 auquel il est ainsi renvoyé : " L'office statue (...) en procédure accélérée lorsque l'autorité administrative chargée de l'enregistrement de la demande d'asile constate que : (...) / 5° La présence en France du demandeur constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat (...) ".

3. D'une part, il n'appartient pas à la Cour de se prononcer sur la légalité de la décision du 5 juin 2019 par laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, statuant en procédure accélérée sur le fondement du 5° du III de l'article L. 723-2 du même code, a rejeté la demande d'asile de M. B.... Ce dernier ne saurait, dès lors, utilement exciper de l'illégalité de cette décision dans le cadre de la présente instance.

4. D'autre part, compte tenu de cette décision de rejet prise dans le cadre de la procédure accélérée, l'intéressé ne bénéficiait plus, en vertu des dispositions citées ci-dessus de l'article L. 743-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, du droit de se maintenir sur le territoire français. Dans ces conditions, le préfet de la Haute-Corse a pu légalement se fonder sur les dispositions du 6° du I de l'article L. 511-1 du même code pour l'obliger à quitter le territoire français.

5. Enfin, au surplus, il ressort des pièces du dossier que, pour obliger M. B... à quitter le territoire français, le préfet de la Haute-Corse s'est également fondé sur les dispositions citées ci-dessus du 1° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. M. B..., qui n'établit ni même n'allègue être entré régulièrement en France et qui n'était pas titulaire d'un titre de séjour en cours de validité à la date de cette décision, ne conteste pas ce dernier motif de nature à justifier cette mesure d'éloignement.

6. En second lieu, si M. B... invoque en appel le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il n'apporte toutefois aucun élément de fait ou de droit nouveau. Dans ces conditions, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption du motif retenu à bon droit par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bastia au point 7 du jugement contesté.

Sur la légalité de la décision de refus de délai de départ volontaire :

7. Aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) l'autorité administrative peut (...) décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : (...) / 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...) / h) Si l'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français (...) ".

8. Pour refuser d'accorder à M. B... un délai de départ volontaire, le préfet de la Haute-Corse s'est fondé sur les dispositions citées au point précédent. D'une part, l'intéressé ayant, ainsi qu'il a été dit, déposé une demande d'asile, valant demande de titre de séjour, sa situation n'entrait pas, contrairement à ce qu'a estimé le préfet, dans le champ d'application du a) du 3° du II de cet article L. 511-1. D'autre part, l'intéressé, qui s'est borné, au cours de son audition par les services de police, à répondre négativement à la question qui lui était posée de savoir s'il accepterait de retourner dans son pays d'origine dans l'hypothèse où une mesure d'éloignement serait prononcée à son encontre, ne saurait être regardé comme ayant, par cette réponse, explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français au sens des dispositions du h) du 3° du même II. Par suite, en refusant d'accorder un délai de départ volontaire à M. B..., le préfet de la Haute-Corse a fait une inexacte application des dispositions citées ci-dessus du 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :

9. M. B... soutient que son retour en Libye l'exposerait à des traitements inhumains et dégradants. Toutefois, il n'apporte, en appel, aucune précision à l'appui de ses allégations. Eu égard à ce qui a été dit au point 6 du présent arrêt, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en prenant la décision fixant le pays de destination, le préfet de la Haute-Corse aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé.

Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour :

10. Aux termes du III de l'article L. 5111 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. (...) / La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".

11. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les motifs qu'invoque l'autorité compétente sont de nature à justifier légalement dans son principe et sa durée la décision d'interdiction de retour.

12. Il ne ressort pas des termes de l'arrêté attaqué, ni d'aucune autre pièce du dossier, que M. B..., qui n'a pas fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement, constituerait une menace pour l'ordre public. Dans ces conditions, et alors que l'intéressé se prévaut de sa relation avec une ressortissante française, en décidant de lui interdire le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans, durée maximale prévue par les dispositions citées au point 10, le préfet de la Haute-Corse a fait une inexacte application de ces dispositions.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du préfet de la Haute-Corse du 8 juillet 2019 refusant de lui accorder un délai de départ volontaire et lui interdisant le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens dirigés à leur encontre, il y a lieu d'annuler ces deux décisions ainsi que, dans cette mesure, le jugement attaqué.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

14. Aux termes de l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si l'obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles (...) L. 561-1 et L. 561-2 et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas. / Si la décision de ne pas accorder de délai de départ volontaire (...) est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles (...) L. 561-1 et L. 561-2 et le président du tribunal administratif ou le magistrat désigné à cette fin rappelle à l'étranger son obligation de quitter le territoire français dans le délai qui lui sera fixé par l'autorité administrative en application du II de l'article L. 511-1 (...) ".

15. D'une part, l'exécution du présent arrêt, prononçant uniquement l'annulation des décisions portant refus de délai de départ volontaire et interdiction de retour, n'implique pas nécessairement que M. B... soit muni d'une autorisation provisoire de séjour. Par suite, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par l'intéressé ne peuvent qu'être rejetées.

16. D'autre part, il ne résulte pas de l'instruction que M. B... ferait l'objet d'une mesure d'assignation à résidence à la date du présent arrêt. Par suite, les conclusions de l'intéressé tendant à ce qu'il soit mis fin aux mesures de surveillance prévues à l'article

L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Les décisions du préfet de la Haute-Corse du 8 juillet 2019 refusant d'accorder un délai de départ volontaire à M. B... et lui interdisant le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans sont annulées.

Article 2 : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bastia du 12 juillet 2019 est annulé en tant qu'il est contraire à l'article 1er du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. B... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Corse et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bastia.

Délibéré après l'audience du 1er septembre 2020, où siégeaient :

- Mme A..., présidente assesseure, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme D..., première conseillère,

- M. C..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 15 septembre 2020.

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N° 19MA03689


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA03689
Date de la décision : 15/09/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme SIMON
Rapporteur ?: M. Raphaël MOURET
Rapporteur public ?: M. ROUX
Avocat(s) : LELIEVRE-CASTELLORIZIOS

Origine de la décision
Date de l'import : 26/09/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-09-15;19ma03689 ?
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