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22/07/2020 | FRANCE | N°18MA02560

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre, 22 juillet 2020, 18MA02560


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... F... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la commune d'Eyragues à lui verser une somme de 48 796,80 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'illégalité de la décision du 24 décembre 2010 par laquelle le maire de la commune d'Eyragues a refusé d'enregistrer la déclaration de mise en location-gérance de son fonds de commerce de taxi.

Par un jugement n° 1505491 du 28 mars 2018, le tribunal administratif de Marseille a condamné la comm

une d'Eyragues à lui verser une somme de 9 600 euros.

Procédure devant la Cour ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... F... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la commune d'Eyragues à lui verser une somme de 48 796,80 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'illégalité de la décision du 24 décembre 2010 par laquelle le maire de la commune d'Eyragues a refusé d'enregistrer la déclaration de mise en location-gérance de son fonds de commerce de taxi.

Par un jugement n° 1505491 du 28 mars 2018, le tribunal administratif de Marseille a condamné la commune d'Eyragues à lui verser une somme de 9 600 euros.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 30 mai 2018, le 13 janvier 2020 et le

12 mai 2020, la commune d'Eyragues, représentée par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 28 mars 2018 ;

2°) de rejeter la demande de M. F... devant le tribunal administratif de Marseille ;

3°) de mettre à la charge de M. F... une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier en ce que le tribunal administratif a omis de se prononcer sur les causes exonératoires de responsabilité qu'elle avait invoquées devant lui et ne les a pas davantage visées ;

- M. F... et son cocontractant ont fait preuve d'imprudence fautive ;

- la situation irrégulière dans laquelle M. F... s'est placé, en manquant à son obligation d'assurer l'exploitation effective et continue de l'autorisation de stationnement, fait obstacle à la réparation du préjudice allégué ;

- le préjudice allégué par M. F... n'est pas certain ;

- en tout état de cause, doivent être déduits de l'indemnité la taxe sur la valeur ajoutée au taux de 19,6 %, compte tenu de l'assujettissement de M. F... à cette taxe, ainsi que les prélèvements sociaux et le montant de l'impôt auxquels M. F... aurait été soumis dans le cadre de la perception des loyers.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 12 décembre 2019, le 30 janvier 2020 et le 27 juin 2020, M. F..., représenté par Me E..., demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête de la commune d'Eyragues ;

2°) par la voie de l'appel incident :

- de réformer le jugement du tribunal administratif de Marseille du 28 mars 2018 en tant que celui-ci a limité à la somme de 9 600 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné la commune d'Eyragues en réparation du préjudice qu'il a subi ;

- de porter cette indemnité à la somme de 48 796,80 euros, subsidiairement à la somme de 39 228,80 euros ;

3°) de mettre à la charge de la commune d'Eyragues une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par la commune d'Eyragues ne sont pas fondés ;

- l'illégalité de la décision du maire d'Eyragues annulée par la juridiction administrative engage la responsabilité pour faute de la commune pour réparer l'intégralité du préjudice qu'il a subi, lequel correspond aux redevances qu'il n'a pu percevoir entre le 24 décembre 2010 et le

17 mars 2015, ou, à tout le moins, jusqu'au 6 mai 2014.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des transports ;

- le code général des impôts ;

- le décret n° 95-935 du 10 août 1995 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. G...,

- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,

- et les observations de Me D..., substituant Me C..., représentant la commune d'Eyragues.

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 28 mars 2013, confirmé par la cour par un arrêt du 6 mai 2014, le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision du 24 décembre 2010 par laquelle le maire d'Eyragues avait refusé d'émettre un avis favorable à la conclusion du contrat de location gérance du fonds de commerce que M. F..., artisan taxi titulaire d'une autorisation de stationnement sur la commune, lui avait soumis. La commune d'Eyragues fait appel du jugement du 28 mars 2018 par lequel le tribunal administratif de Marseille l'a condamnée à verser à M. F... une somme de 9 600 euros en réparation du préjudice financier résultant de l'illégalité de cette décision. M. F... demande, par la voie du recours incident, la réformation de ce jugement en tant que cette indemnité est insuffisante.

Sur la régularité du jugement :

2. La commune d'Eyragues a soutenu devant les premiers juges que la demande présentée devant son maire par M. F..., qui envisageait de continuer son exploitation par la location de son véhicule, ayant en réalité pour objet d'en faire la déclaration sur le fondement de l'article 10 du décret du 10 août 1995, ni ces dispositions, ni celles de l'article L. 3121-2 du code des transports ne permettaient au maire de s'y opposer, de sorte que l'intéressé aurait dû se considérer libre de conclure le contrat présenté. En constatant " qu'il résulte de l'instruction que la décision du maire de la commune d'Eyragues refusant d'enregistrer la déclaration de M. F... de mise en location-gérance de son fonds de commerce de taxi, qui contrairement à ce que soutient la collectivité ne présentait aucun caractère superfétatoire, est la cause directe de l'absence de conclusion de ce contrat avec M. A..., le tribunal administratif de Marseille a écarté de façon suffisamment précise cette argumentation. Ainsi, le jugement attaqué a été régulièrement rendu alors même qu'il ne vise pas cette même argumentation.

Sur les conclusions indemnitaires de M. F... :

3. Aux termes de l'article L. 3121-2 du code des transports, dans sa rédaction applicable au litige, codifiant les dispositions de l'article 3 de la loi du 20 janvier 1995 relative à l'accès à l'activité de conducteur et à la profession d'exploitant de taxi : " Le titulaire de l'autorisation de stationnement (...) a la faculté de présenter à titre onéreux un successeur à l'autorité administrative qui a délivré celle-ci. Cette faculté est subordonnée à l'exploitation effective et continue de l'autorisation de stationnement pendant une durée de cinq ans à compter de sa date de délivrance. Toutefois, cette durée est de quinze ans dans les cas suivants : 1° Pour les titulaires d'autorisations nouvelles délivrées postérieurement au 21 janvier 1995 (...) ". Aux termes de l'article 10 du décret du 17 août 1995 portant application de la loi n° 95-66 du 20 janvier 1995, applicable au litige : " Toute personne physique ou morale peut être titulaire de plusieurs autorisations de stationnement. Le titulaire d'une ou plusieurs autorisations de stationnement doit en assurer l'exploitation effective et continue, ou avoir recours à des salariés. Après en avoir fait la déclaration à l'autorité compétente pour délivrer les autorisations de stationnement, il peut également assurer cette exploitation en consentant la location du véhicule taxi à un conducteur de taxi. Dans ce cas, le titulaire de l'autorisation tient un registre contenant les informations relatives à l'état civil du locataire et son numéro de carte professionnelle. Ce registre est communiqué à tout moment sur leur demande aux agents des services chargés des contrôles. L'autorité compétente pour délivrer les autorisations de stationnement peut, dans l'intérêt de la sécurité et de la commodité de la circulation sur les voies publiques, subordonner la délivrance d'une autorisation sollicitée en vue de l'exploitation d'un taxi par location à la présentation par le demandeur d'un contrat de louage conforme à un contrat-cadre approuvé par elle (...) ".

4. En premier lieu, il résulte de l'instruction que, par sa décision du 24 décembre 2010, le maire d'Eyragues, qui s'est cru à tort saisi par M. F... d'une demande de transfert de l'autorisation de stationnement au titre de l'article L. 3121-2 du code des transports, s'y est opposé, au motif que le bénéficiaire désigné ne figurait qu'en dixième position sur la liste d'attente en vue de la délivrance de nouvelles autorisations. Cependant, la demande de M. F..., qui envisageait de continuer son exploitation par la location de son véhicule, ayant en réalité pour objet d'en faire la déclaration sur le fondement de l'article 10 du décret du 10 août 1995, ni ces dispositions, ni celles de l'article L. 3121-2 du code des transports ne permettaient au maire de s'y opposer. Cette illégalité, sur laquelle le tribunal administratif de Marseille s'est fondé pour annuler cette décision par son jugement du 28 mars 2013, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune d'Eyragues à réparer les préjudices subis par M. F... qui en résultent directement. Sur ce point, si la commune soutient qu'il était loisible à M. F... de conclure ce contrat en dépit de la décision du 24 décembre 2010, l'illégalité de celle-ci n'a été révélée qu'à la suite du jugement du 28 mars 2013. Ainsi, l'impossibilité pour M. F... de conclure le contrat de location-gérance projeté trouve sa cause directe et certaine dans l'illégalité de la décision du 24 décembre 2010.

5. En deuxième lieu, M. F..., qui a versé au dossier la copie du projet de contrat de location-gérance soumis au maire d'Eyragues, justifie, par la production d'une attestation de la personne intéressée, que celle-ci aurait conclu avec lui ce contrat si le maire n'avait adopté la décision du 24 décembre 2010. Dans ces conditions, et eu égard au surplus à la rareté des autorisations de stationnement et au montant du chiffre d'affaires réalisable comparé à celui de la redevance qui devait être mise à la charge du locataire gérant, M. F... doit être regardé comme ayant perdu une chance sérieuse de signer le contrat de location-gérance projeté, et de reconduire celui-ci par tacite reconduction à l'expiration de la durée initiale d'un an. Dans la mesure, en revanche, où ce contrat stipulait une durée maximale de 24 mois à compter du 1er janvier 2011, le requérant n'est pas fondé à obtenir une indemnité dépassant la période de validité de ce contrat ainsi fixée au 31 décembre 2012.

6. Il résulte de l'instruction que le montant de la redevance prévue était fixé à 956,80 euros par mois toutes taxes comprises. M. F... ne démontre ni que les loyers qu'il aurait perçus à ce titre n'auraient pas été soumis à la taxe sur la valeur ajoutée, ni que le taux de cette taxe n'aurait pas été de 19,6 %, ni qu'il n'aurait pas eu la possibilité d'en déduire le montant de celle qu'il aurait perçue à raison de ses propres opérations taxables. Par suite, le montant hors taxes de la redevance mensuelle devant être fixé à 769,27 euros, le gain manqué entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2012 résultant de la faute commise par la commune d'Eyragues doit être évalué à la somme de 18 462 (soit 769,27 x 24) euros hors taxes.

7. En troisième lieu néanmoins, M. F..., faute d'avoir pu faire assurer l'exploitation de son taxi par location, est resté tenu par les dispositions de l'article 10 du décret du 17 août 1995 d'assurer l'exploitation effective et continue de l'autorisation de stationnement délivrée par le maire d'Eyragues. Il résulte en outre de l'instruction, d'une part, qu'il était titulaire d'une autre autorisation de stationnement délivrée le 10 juillet 1997 par le maire de Châteaurenard, exploitée, selon l'attestation de ce dernier, au moyen d'un véhicule de marque et de modèle Jaguar X-type, d'autre part, que le projet de location gérance de l'autorisation consentie par le maire d'Eyragues portait sur l'utilisation d'un véhicule de marque et de modèle Volkswagen Carry. M. F... soutient que, au cours de la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012, il a exercé son activité professionnelle de taxi au titre de ces deux autorisations, et principalement au titre de celle délivrée par le maire de Châteaurenard, où il réside, ce que n'a pas contredit la commune d'Eyragues en réponse à une mesure d'instruction. Ainsi, la faute commise par le maire d'Eyragues en s'opposant illégalement à l'exploitation sous le régime de la location gérance de l'autorisation de stationnement qu'il lui avait donnée a privé l'intéressé de la possibilité de procéder à cette forme d'exploitation pour cette autorisation tout en continuant à exploiter personnellement et à temps complet l'autorisation délivrée par le maire de Châteaurenard.

8. Si la commune d'Eyragues fait valoir que M. F... se serait placé dans une situation irrégulière après le 1er janvier 2011 en manquant à son obligation d'assurer l'exploitation effective et continue de l'autorisation de stationnement délivrée par le maire d'Eyragues, cette circonstance était seulement de nature à permettre à ce dernier, s'il s'y croyait fondé, à engager une procédure de retrait de cette autorisation sur le fondement de l'article 13 du décret du 17 août 1995 mais ne démontre en rien que le dommage subi trouverait sa cause non pas dans l'illégalité fautive commise par le maire mais dans l'irrégularité de cette situation, qui, en réalité, découle de cette faute.

9. Il résulte des avis d'imposition produits par M. F... que le montant de ses revenus industriels et commerciaux imposables tirés de son activité de taxi exercée sur les deux communes d'Eyragues et de Châteaurenard s'est élevé globalement à 17 961 euros en 2011 et à 8 784 euros en 2012, soit 26 745 euros au total. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du montant de ces revenus résultant de l'activité exercée sur la commune d'Eyragues en le fixant à 5 000 euros, à déduire du montant de 18 462 euros hors taxes correspondant au gain manqué résultant de la faute commise par la commune d'Eyragues. Par suite, le montant de l'indemnité à laquelle M. F... a droit doit être fixé à 13 462 euros.

10. Il résulte de ce qui précède, d'une part, que la commune d'Eyragues n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort, que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille l'a condamnée à verser à M. F... une somme de 9 600 euros, d'autre part, que M. F... est seulement fondé à demander que cette somme soit portée à 13 462 euros.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. F..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la commune d'Eyragues demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune d'Eyragues une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. F... et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la commune d'Eyragues est rejetée.

Article 2 : La somme de 9 600 euros que la commune d'Eyragues a été condamnée à verser à M. F... par le jugement du 28 mars 2018 est portée à 13 462 euros.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 28 mars 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : La commune d'Eyragues versera à M. F... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... F... et à la commune d'Eyragues.

Délibéré après l'audience du 7 juillet 2020, où siégeaient :

- M. Badie, président,

- M. G..., président assesseur,

- M. Ury, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 22 juillet 2020.

N° 18MA02560 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 18MA02560
Date de la décision : 22/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

60-01-04-01 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Responsabilité et illégalité. Illégalité engageant la responsabilité de la puissance publique.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: M. Philippe D'IZARN DE VILLEFORT
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : IBANEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 08/08/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-07-22;18ma02560 ?
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