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06/03/2020 | FRANCE | N°18MA03926

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 06 mars 2020, 18MA03926


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... C..., venant aux droits de son époux décédé M. A... C..., a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 547 324 euros en réparation du préjudice subi à raison des fautes lourdes commises par le commissaire du gouvernement exerçant la tutelle de la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile en s'abstenant de demander à la caisse d'appliquer aux pensions déjà liquidées le décret n° 95-825 du 30 juin 1995 et de

la faute commise par le Premier ministre en procédant à une codification erroné...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... C..., venant aux droits de son époux décédé M. A... C..., a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 547 324 euros en réparation du préjudice subi à raison des fautes lourdes commises par le commissaire du gouvernement exerçant la tutelle de la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile en s'abstenant de demander à la caisse d'appliquer aux pensions déjà liquidées le décret n° 95-825 du 30 juin 1995 et de la faute commise par le Premier ministre en procédant à une codification erronée du code de l'aviation civile.

Par un jugement n° 1600820 du 15 juin 2018, le tribunal administratif de Nice a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 14 août 2018 et le 26 février 2019, Mme C..., représentée par la SCP Briard, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 15 juin 2018 ;

2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé :

- les commissaires du gouvernement ayant successivement exercé la tutelle de la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile ont commis une faute lourde dans l'exercice de leur fonction ;

- le principe d'une décote relève du domaine de la loi ;

- la minoration par un coefficient de 0,4 n'est pas prévue par les dispositions législatives applicables ;

- le Premier ministre a commis une faute en omettant de mentionner, dans les éditions papier du code de l'aviation civile, les titres des sections IV, V, et VI du chapitre VI de ce code ;

- cette omission a eu pour effet d'induire en erreur les juridictions judiciaires qui se sont prononcées sur l'applicabilité des dispositions du décret du 30 juin 1995 aux pensions déjà liquidées.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 février 2019, le ministre de la transition écologique et solidaire, représenté par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de Mme C... la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

La requête a été communiquée au Premier ministre qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la décision n° 84 136 L du 28 février 1984 du Conseil constitutionnel ;

- le code de l'aviation civile ;

- la loi n° 72 1223 du 29 décembre 1972 ;

- la loi n° 84 834 du 13 septembre 1984 ;

- le décret n° 67 334 du 30 mars 1967 portant codification des textes réglementaires applicables à 'l'aviation civile (2° partie : règlements d'administration publique et décrets en Conseil d'Etat) ' ;

- le décret n° 84 469 du 18 juin 1984 ;

- le décret n° 95 825 du 30 juin 1995 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coutier, premier conseiller,

- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,

et les observations de Me B..., représentant Mme C..., et de Me E..., représentant la ministre de la transition écologique et solidaire.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... relève appel du jugement du 15 juin 2018 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 1 547 324 euros en réparation du préjudice subi à raison des fautes lourdes commises par le commissaire du gouvernement exerçant la tutelle de la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile en s'abstenant de demander à la caisse d'appliquer aux pensions déjà liquidées le décret n° 95-825 du 30 juin 1995 et de la faute commise par le Premier ministre en procédant à une codification erronée du code de l'aviation civile.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En citant les deux décisions des 27 juin 2002 et du 30 juin 1995 par lesquelles la Cour de cassation, appelée à se prononcer dans le cadre de litiges opposant plusieurs retraités bénéficiaires de pensions servies par la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile et ladite caisse portant sur l'application aux personnes déjà pensionnées des nouvelles modalités de calcul des droits à pension introduites par le décret du 30 juin 1995 relatif au régime de retraite complémentaire du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile a successivement dit pour droit qu'en l'absence dans ce décret de disposition prévoyant son application rétroactive, les liquidations intervenues avant sa date d'application n'avaient pas lieu d'être remises en cause par les modifications ultérieures du régime et que les dispositions de ce même décret modifiant le d) de l'article R. 426-5 du code de l'aviation civile ne s'appliquaient pas aux pensions liquidées antérieurement, puis en énonçant que les dispositions du chapitre VI du titre II du livre IV de la partie règlementaire du code de l'aviation civile et du décret du 30 juin 1995 ayant notamment modifié le d) de l'article R. 426-5 du code de l'aviation civile étaient suffisamment claires pour être interprétées sans recourir aux intitulés des sections organisant les dispositions réglementaires au sein de ce code, les premiers juges ont suffisamment motivé leur jugement, sans qu'il soit nécessaire de citer expressément les dispositions en cause.

3. Par ailleurs, il s'infère nécessairement du constat, repris par le tribunal, de l'absence dans le décret du 30 juin 1995 de disposition prévoyant son application rétroactive, la non application aux pensions liquidées antérieurement à son édiction des nouvelles modalités de calcul des droits à pension qu'il a introduites. Par suite, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de ce que le jugement attaqué serait irrégulier au motif d'une insuffisante motivation.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la faute lourde commise par les commissaires du gouvernement auprès de la caisse dans l'exercice de leur pouvoir de tutelle :

4. En premier lieu, aucune disposition de la loi du 13 septembre 1984 relative à la limite d'âge dans la fonction publique et le secteur public dans sa rédaction applicable à la date de l'édiction du décret du 30 juin 1995 ne prévoit la suppression de toute décote à la limite d'âge et ne saurait être interprétée comme telle. Il suit de là que cette loi ne peut en aucun cas être regardée comme ayant implicitement abrogé le décret n° 84-469 du 18 juin 1984 en ce que ce dernier prévoit une décote et, par voie de conséquence, le décret n° 95-825 en tant qu'il modifie le décret du 18 juin 1984. Dès lors, et en tout état de cause, Mme C... n'est pas fondée à soutenir qu'en s'abstenant de demander à la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile de ne pas faire application du décret du 18 juin 1984, les représentants des ministres chargés de l'aviation civile, des finances, de la sécurité sociale, des affaires économiques et de la tutelle des industries aéronautiques au conseil d'administration de la caisse de retraite, puis le commissaire du gouvernement auprès de la caisse auraient commis une faute lourde dans l'exercice de leurs pouvoirs de tutelle de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

5. En deuxième lieu, il ressort des énonciations de la décision n° 84-136 L du 28 février 1984 par laquelle le Conseil constitutionnel, sollicité par le Premier ministre pour se prononcer sur la nature juridique des dispositions de l'article L. 426-1 du code de l'aviation civile tel qu'il résulte de la loi n° 72-1090 du 8 décembre 1972, a jugé, après avoir posé le principe selon lequel " si, dans le régime complémentaire de retraite du personnel navigant de l'aéronautique civile, la définition de la nature des conditions exigées pour l'attribution de la retraite est au nombre des principes fondamentaux de la sécurité sociale qui relèvent, en vertu de l'article 34 de la Constitution, du domaine de la loi, il appartient au pouvoir réglementaire, sauf à ne pas dénaturer lesdites conditions, d'en préciser les éléments, tels que l'âge " que, si les dispositions en cause relèvent du domaine de la loi en tant qu'elles subordonnent l'acquisition du droit à la retraite à l'existence d'une condition d'âge ou qu'elles dispensent de cette condition les personnels devant cesser leur activité de navigant à la suite d'un accident ou d'une maladie consécutifs à l'exercice de la profession, elles ont au contraire un caractère réglementaire dans la mesure où elles se bornent à fixer l'âge de la retraite, et que, si la détermination des personnes assujetties à l'obligation de cotiser ainsi que le partage de cette obligation entre employeur et salarié constituent des principes fondamentaux réservés au législateur, le soin de fixer le taux de la part qui incombe à chacune de ces catégories de personnes entre dans la compétence du pouvoir réglementaire.

6. Eu égard à ce qu'a ainsi jugé le Conseil constitutionnel, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que le principe d'une décote introduit par le décret du 18 juin 1984 tiendrait de la définition de la nature des conditions exigées pour l'attribution de la retraite et serait donc au nombre des principes fondamentaux de la sécurité sociale qui relèvent, en vertu de l'article 34 de la Constitution, du domaine de la loi. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce qu'aucun décret ne pouvait avoir pour effet d'instituer une telle minoration sans méconnaître le domaine de la loi et l'article 34 de la Constitution doit être écarté.

7. En dernier lieu, si Mme C... invoque les dispositions de la loi n° 72-1223 du 29 décembre 1972 portant généralisation de la retraite complémentaire au profit des salariés et anciens salariés, précisant que cette loi, dont les dispositions ont été abrogées mais reprises à l'article L. 921-3 du code de la sécurité sociale, dispose que toutes les périodes travaillées sont validées, qu'elles soient cotisées ou non et qu'en conséquence, la minoration par un coefficient de 0,4 est illégale dès lors qu'elle n'a pas été prévue par la loi, ni cette loi du 29 décembre 1972 dans sa rédaction antérieure à son abrogation, ni les articles L. 921-1 et suivants du code de la sécurité sociale ne traitent de la validation de périodes travaillées. Ils n'ont également ni vocation à régir les modalités de calcul des pensions ni à interdire l'institution d'une décote. Dans ces conditions, et en tout état de cause, il ne saurait être reproché au commissaire du gouvernement auprès de la caisse de s'être abstenu de demander à ladite caisse d'appliquer aux pensions déjà liquidées les dispositions du décret du 30 juin 1995.

En ce qui concerne la faute commise par le Premier ministre en ayant laissé subsister une version erronée du code de l'aviation civile au Journal officiel de la République française :

8. Il résulte de l'instruction qu'alors que le décret du 30 mars 1967 portant codification des textes règlementaires applicables à l'aviation civile a organisé un découpage du chapitre VI intitulé " retraites " du titre II du livre IV de la partie règlementaire du code de l'aviation civile en sept sections comportant les articles R. 426-5 à R. 426-31, l'article 9 du décret n° 84-469 du 18 juin 1984 a introduit une nouvelle rédaction des articles R. 426-13 à R. 426-25, lesquels étaient positionnés au sein des sections IV, V et VI du code, sans toutefois reprendre expressément le découpage retenu dans le code. Il résulte également de l'instruction qu'à compter de 1987, l'édition papier du code de l'aviation civile publiée par la direction des journaux officiels ne comportait plus, dans le corps du texte, les sections IV à VII du chapitre VI du titre II du livre IV de la partie règlementaire. Ainsi, même si le découpage en sept sections demeurait mentionné dans la table analytique de ce code, l'ensemble des dispositions des articles R. 426-11 à R. 426-28 s'est trouvé positionné dans la section III relative à la constitution du droit à pension, et notamment l'article R. 426-16-1 qui était antérieurement placé dans la section IV intitulée " calcul de la pension ". A compter de l'édition papier de l'année 2005, ce même découpage ne figurait plus ni dans le corps du texte ni dans la table analytique. Ces sections ont toutefois été rétablies sur le site internet Légifrance à compter de février 2010.

9. S'il apparaît donc une discordance effective entre le découpage initial en sections du chapitre VI du titre II du livre IV de la partie règlementaire du code de l'aviation civile issu du décret précité du 30 mars 1967 et les éditions sur papier consolidées successives de ce code, puis les éditions électroniques, il ne résulte toutefois pas de l'instruction, alors que l'intitulé des divisions et subdivisions d'un texte juridique est en principe dépourvu de valeur normative, qu'elle a pu être de nature à faire obstacle à la bonne compréhension, accessibilité et intelligibilité de la norme. En tout état de cause, dès lors qu'aucune disposition du décret du 30 juin 1995 ne prévoit expressément l'application des dispositions introduites par ce texte aux pensions déjà liquidées et en l'absence, à les supposer même légaux, de tout protocole d'accord ou de toute autre pièce émanant de l'administration ou de la caisse de retraite elle-même de nature à révéler une quelconque intention expresse en ce sens, il ne saurait être soutenu que la différence de présentation invoquée peut avoir une incidence sur l'interprétation juridique des articles concernés.

10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

11. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme C... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de Mme C... une somme de 500 euros au titre des frais exposés par l'Etat et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Mme C... versera à l'Etat une somme de 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C..., au Premier ministre, à la ministre de la transition écologique et solidaire et à la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile.

Délibéré après l'audience du 21 février 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Pocheron, président de chambre,

- M. Guidal, président-assesseur,

- M. Coutier, premier conseiller.

Lu en audience publique le 6 mars 2020.

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N° 18MA03926

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Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Pensions - Régimes particuliers de retraite - Pensions diverses.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. POCHERON
Rapporteur ?: M. Bruno COUTIER
Rapporteur public ?: M. CHANON
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN et THIRIEZ

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Date de la décision : 06/03/2020
Date de l'import : 05/05/2020

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 18MA03926
Numéro NOR : CETATEXT000041812308 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-03-06;18ma03926 ?
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