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21/02/2020 | FRANCE | N°19MA00748

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 21 février 2020, 19MA00748


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler trois titres exécutoires émis à son encontre le 16 septembre 2015 par le maire de Cannes sous les n° 424, 425, 426, pour des montants respectifs de 1 788 euros, 1 824 euros, et 1 752 euros pour avoir paiement d'indemnités d'occupation sans droit ni titre du domaine public par son navire stationné au port Canto au cours des années 2007, 2008 et 2006, ainsi que de prononcer la décharge des sommes correspondantes.

Par un jugement n° 15

04865 du 18 décembre 2018, le tribunal administratif de Nice a, d'une part, pa...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler trois titres exécutoires émis à son encontre le 16 septembre 2015 par le maire de Cannes sous les n° 424, 425, 426, pour des montants respectifs de 1 788 euros, 1 824 euros, et 1 752 euros pour avoir paiement d'indemnités d'occupation sans droit ni titre du domaine public par son navire stationné au port Canto au cours des années 2007, 2008 et 2006, ainsi que de prononcer la décharge des sommes correspondantes.

Par un jugement n° 1504865 du 18 décembre 2018, le tribunal administratif de Nice a, d'une part, par son article 1er, annulé le titre exécutoire n° 426 du 16 septembre 2015 d'un montant de 1 752 euros et déchargé M. B... de l'obligation de payer la somme correspondante et a, d'autre part, par son article 2, rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 16 février 2019 et le 24 avril 2019, la commune de Cannes, représentée par Me D..., demande à la Cour :

1°) d'annuler l'article 1er de ce jugement du tribunal administratif de Nice du 18 décembre 2018 ;

2°) de rejeter dans son intégralité la demande présentée par M. B... devant ce tribunal ;

3°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier faute pour le tribunal de ne pas avoir examiné le moyen qu'elle soulevait tiré de l'existence d'actes interruptifs de prescription ;

- la demande de première instance était tardive et donc irrecevable ;

- la créance de la commune n'était pas prescrite à raison de l'existence d'actes interruptifs de prescription.

La requête a été régulièrement communiquée à M. B..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile ;

- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,

- et les observations de Me Me D..., représentant la commune de Cannes.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., dont le navire était amarré au port Pierre Canto de Cannes, n'était titulaire d'aucun titre d'occupation régulier de cet emplacement portuaire depuis qu'il avait refusé de signer la convention portant autorisation d'occupation du domaine public portuaire pour son navire. Il a maintenu celui-ci à cet emplacement au moins au cours des années 2006, 2007 et 2008 sans s'être acquitté des redevances légales, avant qu'il ne lui soit enjoint d'évacuer cet emplacement. La commune de Cannes a, le 16 septembre 2015, émis à son encontre trois titres exécutoires pour avoir paiement d'indemnités d'occupation sans droit ni titre du domaine public par son navire pour des montants respectifs de 1 752 euros, 1788 euros et 1 824 euros au titre des périodes d'occupation irrégulière correspondant à chacune des années 2006 à 2008. A la demande de M. B..., le tribunal administratif de Nice a, par un jugement du 18 décembre 2018, annulé le titre exécutoire en litige relatif à l'année 2006, l'a déchargé de l'obligation de payer la somme correspondante et a rejeté le surplus de sa demande. La commune de Cannes demande l'annulation de ce jugement en tant qu'il a fait droit à la demande de l'intéressé.

Sur le cadre juridique du litige :

2. D'une part, l'article 2227 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile précisait que : " L'Etat, les établissements publics et les communes sont soumis aux mêmes prescriptions que les particuliers, et peuvent également les opposer. ". L'article 2277 du code civil énonçait quant à lui que : " Se prescrivent par cinq ans les actions en paiement : (...) Des loyers, des fermages et des charges locatives (...) et généralement de tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts ". Toutefois, l'article 2262 du même code, dans sa rédaction antérieure à la même loi disposait que : " Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi. ".

3. D'autre part, la loi du 17 juin 2008 a, par ailleurs, réduit la durée de la prescription civile de droit commun pour prévoir, à l'article 2224 du code civil, que : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ". Aux termes du premier alinéa de l'article 2232 de ce code, dans sa rédaction issue de la même loi : " Le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit ". Enfin, aux termes du II de l'article 26 de la loi du 17 juin 2008 : " Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ".

4. Les dispositions relatives aux prescriptions abrégées sont d'interprétation stricte et ne peuvent être étendues à des cas qu'elles ne visent pas expressément. Avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, la prescription quinquennale édictée par l'article 2277 du code civil, alors applicable, ne visait que les créances payables et exigibles périodiquement. A défaut de dispositions ou de clauses contractuelles définissant les modalités d'émission et de recouvrement des indemnités dues au titre de l'occupation sans titre du domaine public, la créance détenue par l'occupant irrégulier de ce domaine ne pouvait être regardée comme étant soumise au régime de la prescription quinquennale spéciale édictée par l'article 2277 du code civil et relevait de la prescription trentenaire de droit commun alors prévue par l'article 2262 du code civil. Cependant, il résulte des dispositions de l'article 2224 de ce code dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 et du II de l'article 26 de cette loi que l'action en paiement des indemnités représentatives de la redevance d'occupation du domaine public relève, depuis l'entrée en vigueur de ladite loi le 19 juin 2008, soit le lendemain de sa publication au Journal officiel le 18 juin 2008, d'un délai de prescription de cinq ans. Le délai de prescription de cinq ans prévu par l'article 2224 du code civil a donc commencé de courir à compter de la date de cette entrée en vigueur.

5. Il résulte ensuite du principe d'annualité issu de l'article L. 2125-4 du code général de la propriété des personnes publiques et dont il y a lieu de faire application aux indemnités dues au titre de l'occupation sans titre du domaine public, que celles-ci deviennent exigibles à l'issue de chaque période annuelle. Le point de départ de la prescription est ainsi le 1er janvier de l'année suivant celle du constat de l'occupation irrégulière du domaine public.

6. Enfin, en l'absence de toute autre disposition applicable, les causes d'interruption et de suspension de la prescription quinquennale instituée par les dispositions de l'article 2224 du code civil sont régies par les principes dont s'inspirent les dispositions du titre XX du livre III du même code. Il en résulte qu'un titre exécutoire émis par l'administration en vue de recouvrer une somme au titre d'une occupation sans titre du domaine public interrompt la prescription à la date de sa notification et que la preuve de celle-ci incombe à l'administration.

Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif de Nice :

7. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que la créance que la commune de Cannes détenait sur M. B..., du fait de l'occupation sans droit ni titre du domaine public au cours de l'année 2006, relevait de la prescription trentenaire de droit commun et n'était pas prescrite le 19 juin 2008, lorsqu'est entrée en vigueur la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, par l'effet de sa publication au Journal officiel de la République française du 18 juin 2008. Le délai de prescription de cinq ans prévu par l'article 2224 du code civil a donc commencé de courir à compter de la date de cette entrée en vigueur et devait expirer le 18 juin 2013 à minuit. Toutefois, la commune de Cannes avait déjà émis le 26 mai 2011 un titre exécutoire pour assurer le recouvrement de la même créance, qui a été contesté par M. B... devant le tribunal administratif de Nice par une requête enregistrée le 22 août 2011. Si ce titre exécutoire a été annulé par le tribunal administratif par un jugement du 22 janvier 2015 au motif que la commune avait fait en l'espèce application de manière erronée du tarif applicable aux navires de passage et non pas de celui prévu pour les titulaires d'une convention d'amodiation, cette annulation n'impliquait pas au regard du motif d'annulation, l'extinction de la totalité de la créance litigieuse, compte tenu de la possibilité d'une régularisation par l'administration par application du tarif pertinent. L'intéressé doit ainsi être regardé comme ayant reçu notification de ce titre exécutoire au plus tard à la date de sa saisine du tribunal administratif. Cette notification a eu pour effet d'interrompre le délai de prescription applicable à la créance de la commune de Cannes. Ni ce délai, ni le délai prévu par l'article 2262 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008, ni celui prévu par l'article 2232 du même code dans sa rédaction résultant de cette loi, n'étaient expirés à la date du 16 septembre 2015. Par suite, la créance de la commune au titre de l'année 2006 n'était pas prescrite à cette date, lorsque le titre exécutoire en litige a été émis.

8. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Nice s'est fondé sur ce que la créance de la commune au titre de l'année en cause était prescrite pour annuler le titre exécutoire n° 426 du 16 septembre 2015 d'un montant de 1 752 euros et décharger M. B... de l'obligation de payer la somme correspondante.

9. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Nice.

Sur les autres moyens soulevés par M. B... :

10. En premier lieu, aux termes du deuxième alinéa de l'article 24 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique : " Toute créance liquidée faisant l'objet (...) d'un ordre de recouvrer indique les bases de la liquidation (...) ". Ainsi, tout état exécutoire doit indiquer les bases de la liquidation de la créance pour le recouvrement de laquelle il est émis et les éléments de calcul sur lesquels il se fonde, soit dans le titre lui-même, soit par référence précise à un document joint à l'état exécutoire ou précédemment adressé au débiteur.

11. D'une part, le titre exécutoire contesté mentionne qu'il correspond à l'amarrage du navire de M. B... dans le port Canto au poste 228 pour l'année 2006. D'autre part, il indique le tarif dont il est fait application " catégorie A tarif convention annuelle " tel que fixé par une délibération tarifaire dont la date est précisée. Il s'en déduit sans aucune ambiguïté à la seule lecture du titre en litige qu'il a été fait application en l'espèce des tarifs appliqués aux titulaires d'une convention annuelle d'amarrage tel que fixé par une délibération du conseil municipal dont la référence est précisée et dont il n'est ni soutenu ni même allégué qu'elle n'aurait pas été régulièrement publiée. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'il n'aurait pas été régulièrement informé des bases et éléments de calcul de la dette dont il lui était demandé le règlement.

12. En deuxième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article 24 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique : " Dans les conditions prévues pour chaque catégorie d'entre elles, les recettes sont liquidées avant d'être recouvrées. La liquidation a pour objet de déterminer le montant de la dette des redevables. Les recettes sont liquidées pour leur montant intégral, sans contraction avec les dépenses. (...) ".

13. L'objet du titre exécutoire en litige émis par l'ordonnateur de la commune est seulement de déterminer le montant de la dette de M. B... à l'égard de la collectivité publique. Ainsi, la circonstance que l'intéressé aurait payé au comptable public partiellement ou totalement la somme mise à sa charge par ce titre exécutoire, à la supposer établie, ne peut être utilement invoquée dans un contentieux d'assiette visant à l'annulation de ce titre exécutoire et à la décharge des sommes correspondantes.

14. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens tirés de l'irrégularité du jugement, que la commune de Cannes est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a annulé le titre exécutoire n° 426 du 16 septembre 2015 émis à l'encontre de M. B... et déchargé l'intéressé de l'obligation de payer la somme correspondante.

Sur les frais liés au litige :

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... une somme de 500 euros à verser à la commune de Cannes au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Nice n° 1504865 du 18 décembre 2018 est annulé.

Article 2 : Les conclusions de la demande de M. B... présentées devant le tribunal administratif de Nice tendant à l'annulation du titre exécutoire n° 426 du 16 septembre 2015 émis à son encontre et à la décharge de l'obligation de payer la somme correspondante sont rejetées.

Article 3 : M. B... versera à la commune de Cannes une somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Cannes et à M. A... B....

Délibéré après l'audience du 7 février 2020, où siégeaient :

- M. Pocheron, président de chambre,

- M. C..., président assesseur,

- M. Coutier, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 21 février 2020.

2

N° 19MA00748

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Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Comptabilité publique et budget - Créances des collectivités publiques.

Domaine - Domaine public - Régime - Occupation - Utilisations privatives du domaine.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. POCHERON
Rapporteur ?: M. Georges GUIDAL
Rapporteur public ?: M. CHANON
Avocat(s) : PALOUX

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Date de la décision : 21/02/2020
Date de l'import : 03/03/2020

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 19MA00748
Numéro NOR : CETATEXT000041626596 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-02-21;19ma00748 ?
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