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14/10/2019 | FRANCE | N°17MA03704

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 14 octobre 2019, 17MA03704


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... A... a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 210 000 euros en réparation des conséquences dommageables du rejet de sa demande de mutation sur le poste de principal adjoint du collège Antoine Risso à Nice.

Par un jugement n° 1601898 du 16 juin 2017, le tribunal administratif de Nice a condamné l'Etat à verser à Mme A... une somme de 2 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence endurés

et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... A... a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 210 000 euros en réparation des conséquences dommageables du rejet de sa demande de mutation sur le poste de principal adjoint du collège Antoine Risso à Nice.

Par un jugement n° 1601898 du 16 juin 2017, le tribunal administratif de Nice a condamné l'Etat à verser à Mme A... une somme de 2 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence endurés et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 24 août 2017 et 6 mars 2019, Mme A..., représentée par Me B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ou, à défaut, de réformer ce jugement ;

2°) de porter l'indemnisation qui lui est due au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence à, respectivement, 5 000 et 6 000 euros ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser, au titre des préjudices économiques, une indemnité de 192 000 euros ou, subsidiairement, de 60 600 euros ou, plus subsidiairement encore, de 50 000 euros ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé car il ne répond pas aux moyens tirés du caractère illégal de la décision de refus de mutation et de l'autorité de la chose jugée s'attachant au jugement du tribunal annulant cette décision ;

- le tribunal a entaché sa décision d'une irrégularité procédurale en se dispensant de recourir aux mesures d'instruction qu'elle sollicitait ;

- le refus de mutation qui lui a été opposé ne repose sur aucun motif de nature à le fonder et est ainsi entaché d'une illégalité interne ;

- l'absence de motif précis à la décision lui a causé un préjudice moral ;

- le refus de mutation lui a imposé de résider à Beausoleil cinq jours par semaine et de demeurer séparée de sa famille, ce qui a causé un trouble dans ses conditions d'existence ;

- cette situation l'a amenée à anticiper son départ en retraite, ce qui est la cause d'un préjudice économique ;

- elle a, à tout le moins, perdu une chance sérieuse de prolonger sa carrière professionnelle pendant plusieurs années.

Par un mémoire en défense enregistré le 25 février 2019, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse conclut :

1°) à l'annulation, par la voie de l'appel incident, du jugement du 16 juin 2017 en tant qu'il a fait droit à la demande de Mme A... et au rejet de cette demande ;

2°) au rejet de la requête d'appel de Mme A....

Il soutient que :

- la réalité du préjudice invoqué par la requérante n'est pas établie, pas plus que le lien de causalité avec le refus de mutation contesté ;

- les moyens soulevés par Mme A... sont infondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'éducation ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D... Grimaud, rapporteur,

- et les conclusions de M. C... Thiele, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., membre du corps des personnels de direction de l'éducation nationale et affectée depuis 2009 au collège Bellevue de Beausoleil en qualité de principal adjoint, a présenté le 4 novembre 2011 une demande de mutation dans le cadre du mouvement national des personnels de direction organisé au titre de l'année 2012, en demandant, au premier rang de ses voeux d'affectation, l'emploi de principal adjoint du collège Antoine Risso à Nice. Cette demande de mutation a été implicitement rejetée, sans qu'il ait été pour autant pourvu, au bénéfice d'un autre agent, au poste en cause, ainsi demeuré vacant. Par un jugement n° 1202350 du 19 février 2015, le tribunal administratif de Nice a annulé cette décision au motif que le ministre n'avait produit aucune justification précise de nature à établir l'existence de motifs qui, tirés de l'intérêt du service, auraient pu fonder le rejet de la demande de mutation de l'intéressée.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".

3. Le jugement attaqué a statué sur les prétentions indemnitaires de Mme A... au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence en énonçant que l'administration n'avait communiqué que dans son mémoire en défense le motif justifiant le refus de mutation qui lui avait été opposé, lequel tiendrait aux modalités d'organisation du mouvement des personnels de direction. Ce faisant, le tribunal n'a pas répondu aux moyens, expressément soulevés par Mme A..., tirés de ce que le motif ainsi avancé par le ministre était excessivement imprécis et que l'autorité absolue de la chose jugée attachée au jugement du tribunal du 19 février 2015 s'étendait au motif d'annulation retenu, relevant selon elle de la légalité interne, moyens visant à censurer l'absence de tout motif fondant la décision litigieuse. Par ailleurs, il résulte tant du défaut de motivation qui vient d'être relevé que des motifs du jugement, qui se bornent à faire état d'un retard de l'administration à indiquer le motif de la décision de refus de mutation opposé à la requérante, une incertitude sur la consistance et la nature de la faute imputée par les premiers juges à l'Etat et, par suite, sur les motifs de la réfutation du lien de causalité entre cette faute et le préjudice financier invoqué. Il en résulte que Mme A... est fondée à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'irrégularité dans sa totalité et qu'il doit, dès lors, être annulé.

4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de Mme A....

Sur la responsabilité :

5. Il résulte de l'instruction que le ministre de l'éducation nationale n'a pas été en mesure, au cours de l'instance antérieure tendant l'annulation de la décision de refus de mutation opposée à Mme A..., d'indiquer les raisons pour lesquelles la demande de mutation de l'intéressée sur le poste vacant de principal adjoint du collège Antoine Risso de Nice avait été rejetée, ce qui a conduit le tribunal administratif de Nice à annuler cette décision pour défaut de motif par le jugement du 19 février 2015 mentionné ci-dessus, devenu définitif et revêtu de l'autorité absolue de la chose jugée. Par ailleurs, si le ministre fait état, dans le cadre du présent litige, de considérations générales relatives à l'organisation des mutations des personnels en cause et au refus de certains personnels affectés sur l'emploi demandé par Mme A... d'occuper ce poste, il s'en tient sur ce point à de vagues indications, sans d'ailleurs les assortir de la moindre pièce justificative, et ses affirmations sont du reste contestées par Mme A..., qui soutient pour sa part, sans être utilement contredite, qu'il n'était pas possible aux éventuels candidats retenus de rejoindre le poste en cause.

6. Si aucun principe ou disposition n'impose à l'administration de motiver l'ensemble des décisions qu'elle édicte, elle ne saurait en revanche ni adopter une mesure individuelle dépourvue de tout motif de nature à la justifier, ni se refuser à dévoiler les motifs justifiant une telle décision, sous réserve des exceptions prévues par la loi et relatives, notamment, aux secrets protégés par celle-ci.

7. En l'espèce, l'administration de l'éducation nationale s'est dispensée, avant la naissance du litige comme devant le Tribunal et la Cour, d'indiquer les raisons précises qui ont conduit à ce que Mme A..., au terme du processus d'affectation comprenant les réunions des commissions paritaires nationales et académiques et les consultations et décisions des autorités compétentes, se voie refuser l'affectation sur l'emploi demandé alors que celui-ci demeurait vacant. Ce refus ne repose ainsi, en définitive, sur aucun motif. Ce faisant, l'Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

Sur le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence :

8. Il résulte de ce qui vient d'être dit que Mme A... a été laissée, en dépit de multiples demandes formulées notamment à l'occasion des instances contentieuses qu'elle a engagées, dans l'ignorance des motifs pour lesquels le ministre refusait de l'affecter sur un emploi demeuré vacant et, partant, dans une situation d'incertitude quant à sa valeur professionnelle, à ses capacités d'adaptation à un nouveau poste et à la perception qu'en avait son encadrement. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice moral subi par Mme A... en lui allouant, à ce titre, une indemnité de 3 000 euros.

9. Il résulte par ailleurs de l'instruction que Mme A..., demeurée au collège Bellevue de Beausoleil alors que sa famille résidait à Nice, soit à une distance de 20 km, a, de ce fait, dû supporter les frais et inconvénients inhérents aux déplacements entre ces deux villes et à l'éloignement de ses attaches entre septembre 2012, date à laquelle elle aurait dû être affectée à Nice et le 5 octobre 2013, date de son départ en retraite. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice, dont il est suffisamment justifié par la requérante, et compte tenu de l'obligation de résidence pesant sur elle, en l'évaluant à la somme de 3 000 euros.

Sur le préjudice économique :

10. En premier lieu, il résulte de l'instruction que Mme A... a déposé une demande d'admission à la retraite le 6 juin 2012, après avoir appris que sa mutation au collège Antoine Risso de Nice était refusée. Pour autant, il ne résulte pas de l'instruction et il n'est d'ailleurs pas soutenu par la requérante, qui se borne à faire état de ses liens familiaux, amicaux et sociaux à Nice, que son maintien dans l'établissement où elle était affectée depuis 2009 l'aurait placée dans une situation de contrainte ayant pour objet ou pour effet de lui imposer de quitter prématurément le service. Par ailleurs, il résulte également de l'instruction que Mme A... n'a ni sollicité le bénéfice d'une dérogation à l'obligation de résidence qui lui aurait permis de résider à Nice ni réitéré sa demande de mutation vers le collège Antoine Risso, et a confirmé sa demande de mise à la retraite après en avoir, dans un premier temps, demandé le retrait, afin de prolonger son activité de quelques semaines en vue de bénéficier de droits à pension plus avantageux. Compte tenu de l'ensemble de ces circonstances, la cessation du service de Mme A... ne peut être regardée que comme la conséquence de l'expression de sa volonté et n'entretient aucun lien de causalité direct avec la décision fautive de refus de mutation prise à son encontre par l'administration. Pour les mêmes motifs, la requérante n'est pas fondée à soutenir que ce refus de mutation lui aurait fait perdre une chance quelconque de poursuivre son activité professionnelle.

11. Il résulte de ce qui précède que Mme A... est seulement fondée à demander, d'une part, l'annulation du jugement et, d'autre part, la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 6 000 euros en réparation de son préjudice moral et des troubles endurés dans ses conditions d'existence.

Sur les frais liés au litige :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1601898 du tribunal administratif de Nice du 16 juin 2017 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Mme A... une indemnité de 6 000 euros.

Article 3 : L'Etat versera à Mme A... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... A... et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Délibéré après l'audience du 30 septembre 2019, où siégeaient :

- M. David Zupan, président,

- Mme E... G..., présidente-assesseure,

- M. D... Grimaud, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 14 octobre 2019.

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N° 17MA03704


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