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20/02/2019 | FRANCE | N°19MA00052

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 20 février 2019, 19MA00052


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E...A...agissant tant pour son compte que pour le compte de son fils mineur, G..., a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille de prescrire une expertise aux fins notamment de déterminer si l'ensemble des examens et diagnostics prénataux permettant de déceler une maladie ou une anomalie de l'enfant ont été réalisés par les différents praticiens qui sont intervenus dans le suivi de sa grossesse à l'hôpital de la Conception à Marseille et au centre hospitalier d'Avignon.>
Par une ordonnance n° 1803758 du 13 décembre 2018, il n'a pas été fait droit à...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E...A...agissant tant pour son compte que pour le compte de son fils mineur, G..., a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille de prescrire une expertise aux fins notamment de déterminer si l'ensemble des examens et diagnostics prénataux permettant de déceler une maladie ou une anomalie de l'enfant ont été réalisés par les différents praticiens qui sont intervenus dans le suivi de sa grossesse à l'hôpital de la Conception à Marseille et au centre hospitalier d'Avignon.

Par une ordonnance n° 1803758 du 13 décembre 2018, il n'a pas été fait droit à cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 4 janvier 2019, Mme A...agissant tant pour son compte que pour le compte de son fils mineur, G..., représentée par Me F..., demande à la cour :

1°) d'annuler l'ordonnance du 13 décembre 2018 ;

2°) de faire droit à sa demande en référé ;

3°) de mettre à la charge de l'hôpital de la Conception à Marseille et, subsidiairement du centre hospitalier d'Avignon, la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que l'ordonnance attaquée est insuffisamment motivée en ce qu'elle ne précise pas pour quels motifs l'expertise médicale qu'elle sollicite ne serait pas de nature à servir de support à l'indemnisation de son préjudice personnel, dans l'hypothèse où des erreurs médicales ou manquements fautifs seraient révélés ; que c'est à tort que le juge des référés a retenu que son action serait prescrite dès lors qu'elle a déposé une demande d'aide juridictionnelle le 4 avril 2018 et que cette demande a interrompu le délai de prescription qui n'a recommencé à courir qu'à compter du jour où la décision du bureau d'aide juridictionnelle en date du 31 août 2018 est devenue définitive.

Par un mémoire, enregistré le 24 janvier 2019, le centre hospitalier d'Avignon et l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille, représentés par Me D..., concluent au rejet de la requête.

Ils soutiennent qu'une expertise ne présente pas d'utilité si l'instance au fond est prescrite ; qu'en l'espèce, la demande d'aide juridictionnelle n'a pu interrompre le délai de prescription dès lors qu'elle a été rejetée ; qu'en tout état de cause, l'expertise ne présente pas d'utilité en tant qu'elle tend à évaluer les préjudices subis par l'enfant, compte tenu des termes de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles ; que l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille émet les plus expresses réserves quant à l'engagement de sa responsabilité ; que le centre hospitalier d'Avignon sollicite sa mise hors de cause, n'étant intervenu qu'à titre isolé, pour un examen sanguin, réalisé le 31 décembre 2007, tendant à la recherche de la toxoplasmose et de la rubéole.

La requête a également été communiquée à la caisse déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants Provence-Alpes et à la caisse d'assurance maladie des Hautes-Alpes qui n'ont pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple requête (...) prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction ". En vertu de l'article L. 555-1 du même code, le président de la cour administrative d'appel est compétent pour statuer sur les appels formés contre les décisions rendues par le juge des référés.

2. MmeA..., agissant tant pour son compte que pour le compte de son fils mineur, G...né le 5 avril 2008, atteint de trisomie 21, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille de prescrire une expertise médicale aux fins notamment de déterminer si l'ensemble des examens et diagnostics prénataux permettant de déceler une maladie ou une anomalie de l'enfant ont été réalisés par les différents praticiens qui sont intervenus dans le suivi de sa grossesse à l'hôpital de la Conception à Marseille et au centre hospitalier d'Avignon. Par l'ordonnance attaquée du 13 décembre 2018, le juge des référés a refusé de faire droit à sa demande, en estimant que la mesure d'expertise sollicitée ne présentait pas d'utilité au sens des dispositions de l'article R. 532-1 du code de justice administrative au motif, d'une part, que l'action en responsabilité que Mme A...aurait pu introduire était, en application de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique, prescrite à la date d'introduction de sa demande en référé et, d'autre part, que l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles ne lui permettait pas, en tout état de cause, de demander l'indemnisation des préjudices subis par son enfant.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

3. Ainsi qu'il vient d'être indiqué, le juge des référés a explicitement indiqué les deux motifs pour lesquels il estimait que la mesure d'expertise sollicitée ne présentait pas le caractère d'utilité requis par l'article R. 532-1 du code de justice administrative. S'agissant de l'action que Mme A...pourrait introduire pour obtenir l'indemnisation de son préjudice personnel, il s'est fondé sur la circonstance que cette action était désormais prescrite. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que l'ordonnance dont elle relève appel serait insuffisamment motivée et, par suite, irrégulière.

Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :

4. Aux termes de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique : " Les actions tendant à mettre en cause la responsabilité des professionnels de santé ou des établissements de santé publics ou privés à l'occasion d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins (...) se prescrivent par dix ans à compter de la consolidation du dommage ". L'article 2241 du code civil dispose que : " La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion ", l'article 2242 du même code précisant que : " L'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance " et l'article 2243 que : " L'interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l'instance, ou si sa demande est définitivement rejetée ". Enfin, aux termes de l'article 38 du décret du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Lorsqu'une action en justice ou un recours doit être intenté avant l'expiration d'un délai devant les juridictions de première instance(...), l'action ou le recours est réputé avoir été intenté dans le délai si la demande d'aide juridictionnelle s'y rapportant est adressée au bureau d'aide juridictionnelle avant l'expiration dudit délai et si la demande en justice ou le recours est introduit dans un nouveau délai de même durée à compter : (...) c) De la date à laquelle le demandeur à l'aide juridictionnelle ne peut plus contester la décision (...) de rejet de sa demande en application du premier alinéa de l'article 56 et de l'article 160 ou, en cas de recours de ce demandeur, de la date à laquelle la décision relative à ce recours lui a été notifiée ".

5. Une demande d'aide juridictionnelle formée en vue de saisir une juridiction a le caractère d'une demande en justice au sens de l'article 2241 du code civil ayant pour effet d'interrompre le délai de prescription du droit revendiqué par le demandeur (cf. CE, 14.03.2018, n° 415956).

6. En l'espèce, il résulte de l'instruction que Mme A...a introduit le 4 avril 2018, soit la veille du dixième anniversaire de son fils, une demande d'aide juridictionnelle aux fins d'introduire un référé lié à une action en responsabilité médicale dirigée contre l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille et le centre hospitalier d'Avignon. A supposer même que le délai de prescription de dix ans fixé par l'article L. 1142-28 du code de la santé publique ait couru à compter de la date de naissance de son fils, cette demande a, ainsi qu'il a été dit précédemment, eu pour effet d'interrompre ce délai. Si, ainsi que le soutiennent les défendeurs, cette demande a finalement été rejetée par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 31 août 2018, il n'appartient pas au juge des référés, en l'absence de jurisprudence établie sur les effets du rejet d'une demande d'aide juridictionnelle sur le cours de la prescription et alors, au demeurant que Mme A...a introduit son action en référé dès le 14 mai 2018 sans attendre la décision du bureau d'aide juridictionnelle, de relever que l'action en responsabilité que Mme A...serait susceptible d'engager en raison de la trisomie 21 dont son fils est atteint était nécessairement déjà prescrite.

7. Il résulte de ce qui précède que Mme A...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille s'est ainsi fondé sur la prescription de son action pour rejeter sa demande. Il appartient néanmoins à la présidente de la cour administrative d'appel, saisi par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les parties tant devant le juge des référés du tribunal administratif de Marseille que devant elle.

8. En premier lieu, aux termes de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles : " Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance. / La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l'atténuer./ Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale ".

9. Il résulte de ces dispositions que, lorsque comme c'est le cas en l'espèce, les faits reprochés à un établissement public de santé n'ont pu ni provoquer, ni aggraver le handicap dont est atteint un enfant à sa naissance, la responsabilité de cet établissement public de santé ne peut, en tout état de cause, être recherchée ni pour indemniser le préjudice personnel que l'enfant subit du fait de ce handicap, ni pour inclure dans le préjudice indemnisable de ses parents les charges particulières en découlant. Seul peut, le cas échéant, être indemnisé le préjudice subi personnellement par les parents pour avoir été privés de la possibilité de recourir, dans les conditions prévues à l'article L. 2213-1 du code de la santé publique, à une interruption volontaire de grossesse justifiée par une affection de l'enfant à naître d'une particulière gravité et reconnue comme incurable, à la condition que la non détection du handicap lors de la grossesse procède d'une faute caractérisée.

10. Il résulte de ce qui précède que Mme A...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande en tant qu'elle était présentée pour le compte de son fils mineur, G..., mais elle est fondée à soutenir que c'est à tort que le juge des référés a rejeté sa demande qu'en tant qu'elle était présentée pour son propre compte.

11. Il résulte de l'instruction que, si le suivi de la grossesse de Mme A...a été effectué, au moins pour partie, par le service de gynécologie-obstétrique de l'hôpital de la Conception qui relève de l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille, le centre hospitalier d'Avignon n'est intervenu que pour effectuer un examen sérologique portant sur la toxoplasmose et la rubéole, en tout état de cause, étranger à la question du dépistage de la trisomie 21 dont était atteint l'enfant à naître. Par suite, le centre hospitalier d'Avignon est fondé à demander à ce que la mesure d'expertise ordonnée ne lui soit pas étendue.

12. Enfin, les débours que les caisses de sécurité sociale ont pu engager en raison du handicap dont est atteint Ryad Amrouche n'étant pas susceptibles d'être indemnisés, en application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, pour les mêmes motifs que ceux indiqués au point 9, il y a également lieu de ne pas étendre la mesure d'expertise à la caisse déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants Provence-Alpes et à la caisse d'assurance maladie des Hautes-Alpes.

13. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'ordonner la mission d'expertise demandée, dans les limites définies ci-dessous et de réformer, en conséquence, l'ordonnance du 13 décembre 2018.

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille la somme de 1 000 euros à verser à MmeA..., au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

Article 1er : M. B...C..., demeurant au..., est désigné avec pour mission de :

- se faire communiquer tous documents relatifs au suivi médical de la grossesse de Mme E...A...par le service de gynécologie-obstétrique de l'hôpital de la Conception ainsi que, dans la mesure possible, ceux émanant des autres praticiens et centres que l'intéressée a consultés durant sa grossesse, étant précisé que ces praticiens et centres de droit privé n'étant pas parties à la présente procédure, aucune mesure coercitive ne pourra être prise à leur encontre pour obtenir cette communication ; convoquer et entendre les parties et tous sachants ;

- donner son avis sur les examens, et notamment les échographies, pratiqués en vue du dépistage de la trisomie 21 par le service de gynécologie-obstétrique de l'hôpital de la Conception ; donner en particulier son avis sur la pertinence de la non prescription par ce service, compte tenu des résultats des examens dont il disposait, d'une amniocentèse, au regard des données acquises de la science ;

- préciser l'information que Mme A...a reçu, de la part du service de gynécologie-obstétrique de l'hôpital de la Conception, sur le dépistage de la trisomie 21.

Article 2 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues aux articles R. 621-1 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il ne pourra recourir à un sapiteur sans l'autorisation préalable du président de la cour administrative d'appel.

Article 3 : L'expertise aura lieu en présence de Mme A...et de l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille.

Article 4 : Préalablement à toute opération, l'expert prêtera serment dans les formes prévues à l'article R. 621-3 du code de justice administrative.

Article 5 : L'expert avertira les parties conformément aux dispositions de l'article R. 621-7 du code de justice administrative.

Article 6 : L'expert déposera son rapport au greffe en deux exemplaires dans un délai de quatre mois à compter de la notification de la présente ordonnance. Des copies seront notifiées par l'expert aux parties intéressées. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique. L'expert justifiera auprès de la cour de la date de réception de son rapport par les parties.

Article 7 : Les frais et honoraires de l'expertise seront mis à la charge de la ou des parties désignées dans l'ordonnance par laquelle le président de la cour liquidera et taxera ces frais et honoraires.

Article 8 : L'ordonnance n° 1803758 du 13 décembre 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Marseille est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente ordonnance.

Article 9 : L'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille versera à une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 10 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A...est rejeté.

Article 11 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme E...A..., à l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille, au centre hospitalier d'Avignon, à la caisse déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants Provence-Alpes, à la caisse d'assurance maladie des Hautes-Alpes et à M. B...C..., expert.

Fait à Marseille, le 20 février 2019

N° 19MA000522

LH


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Numéro d'arrêt : 19MA00052
Date de la décision : 20/02/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Avocat(s) : LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 26/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2019-02-20;19ma00052 ?
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