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05/02/2019 | FRANCE | N°17MA01201

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 05 février 2019, 17MA01201


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'État à lui verser une somme de 186 763,21 euros en réparation des préjudices résultant des fautes commises dans le traitement de son dossier.

Par un jugement n° 1405249 du 23 janvier 2017, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 22 mars 2017 et le 14 janvier 2019, Mme B..., représentée par Me A..., demande à la C

our :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 23 janvier 2017 ;

...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'État à lui verser une somme de 186 763,21 euros en réparation des préjudices résultant des fautes commises dans le traitement de son dossier.

Par un jugement n° 1405249 du 23 janvier 2017, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 22 mars 2017 et le 14 janvier 2019, Mme B..., représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 23 janvier 2017 ;

2°) de condamner l'État à lui verser une somme de 168 688 euros en réparation des préjudices résultant des fautes commises dans le traitement de son dossier ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

* le maintien fautif de son plein traitement entre le 31 août 2010 et le 30 juin 2011 est la cause d'un préjudice financier évalué à 14 882,40 euros ;

* elle n'a pas reçu l'information prévue par le V de l'article 44 de la loi du 9 novembre 2010 portant sur le changement des règles de départ anticipé à la retraite ;

* cette seconde faute l'a privée d'une chance de bénéficier du régime de départ anticipé à la retraite précédemment en vigueur et est à l'origine d'un préjudice moral, ces deux chefs de préjudices devant être indemnisés à hauteur respectivement de 148 805,60 euros et de 5 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 janvier 2019, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 7 janvier 2019, la clôture de l'instruction a été reportée au 15 janvier 2019 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

* le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

* la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

* la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

* la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 ;

* le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;

* le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

* le rapport de M. d'Izarn de Villefort,

* les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,

* et les observations de Me C..., substituant Me A..., représentant Mme B....

Une note en délibéré, présentée par Me A... pour Mme B..., a été enregistrée le 22 janvier 2019.

Considérant ce qui suit :

1. Alors placée en disponibilité d'office pour raison de santé, Mme B..., professeur des écoles, a été destinataire d'un titre de perception émis par le recteur de l'académie d'Aix-Marseille le 12 septembre 2011 d'un montant de 19 961,71 euros portant sur un trop perçu de traitements. Après avoir repris son activité au mois de mai 2012, elle a été admise à la retraite à compter du 1er septembre 2013. Elle relève appel du jugement du 23 janvier 2017 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'État à lui verser la somme de 186 763,21 euros en réparation des préjudices résultant des fautes commises dans le traitement de son dossier.

2. Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) 3° A des congés de longue maladie d'une durée maximale de trois ans dans les cas où il est constaté que la maladie met l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions, rend nécessaire un traitement et des soins prolongés et qu'elle présente un caractère invalidant et de gravité confirmée. Le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement pendant un an ; le traitement est réduit de moitié pendant les deux années qui suivent (...) ". Aux termes de l'article 27 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires, dans sa rédaction applicable au litige résultant de l'article 5 du décret n° 2000-610 du 28 juin 2000 : " (...) Lorsqu'un fonctionnaire a obtenu pendant une période de douze mois consécutifs des congés de maladie d'une durée totale de douze mois, il ne peut, à l'expiration de sa dernière période de congé, reprendre son service sans l'avis favorable du comité médical : en cas d'avis défavorable il est soit mis en disponibilité, soit reclassé dans un autre emploi, soit, s'il est reconnu définitivement inapte à l'exercice de tout emploi, admis à la retraite après avis de la commission de réforme. Le paiement du demi-traitement est maintenu, le cas échéant, jusqu'à la date de la décision d'admission à la retraite (...) ".

3. Il résulte de l'instruction que Mme B..., en arrêt de maladie depuis le 25 mai 2009 puis à compter du 31 août 2009, a demandé l'attribution d'un congé de longue maladie le 23 octobre suivant. Le 1er février 2010, le comité médical départemental a rendu un avis défavorable à cette demande et a estimé que l'intéressée devait être placée en congé de maladie ordinaire à compter du 25 mai 2009. Saisi par Mme B..., le comité médical supérieur a confirmé cet avis le 14 septembre 2010. A la suite de l'avis émis en ce sens le 28 mars 2011 par le comité médical départemental, l'inspecteur d'académie des Bouches-du-Rhône a, par arrêtés du 31 mai 2011, placé Mme B..., en disponibilité d'office du 31 août 2010 au 30 juin 2011.

4. Il résulte des dispositions de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 que, dès lors qu'elle avait obtenu pendant une période de douze mois consécutifs à compter du 31 août 2009 des congés de maladie d'une durée totale de douze mois et que, ainsi que l'avaient estimé le comité médical départemental et le comité médical supérieur, elle ne remplissait pas les conditions permettant son placement en congé de longue maladie, Mme B... n'avait plus droit à la perception de son plein traitement depuis le 31 août 2010. En continuant à lui verser son plein traitement jusqu'au mois de juin 2011 avant de lui réclamer le trop-perçu correspondant de 19 961,71 euros le 12 septembre 2011, l'administration a commis une faute de nature à engager sa responsabilité pour réparer les préjudices subis par Mme B... qui en résultent directement.

5. Mme B... soutient que la faute commise par l'administration est la cause du préjudice financier consécutif à la vente à perte d'un appartement dont l'acquisition, le 10 novembre 2010, avait été financée au moyen de deux crédits immobiliers accordés au vu des revenus qu'elle percevait alors avec son époux. Si elle justifie avoir mis en vente ce bien en 2014 et qu'elle produit copie partielle d'un compromis de vente non daté mais faisant référence à un bail d'habitation du bien conclu en 2016, elle ne démontre pas que la vente a été régularisée ultérieurement. Par ailleurs, elle ne pouvait ignorer au moment de l'acquisition de ce bien que le maintien de son plein traitement ne pouvait que revêtir un caractère provisoire dès lors que, par son avis du 14 septembre 2010, le comité médical supérieur avait confirmé l'avis du comité médical départemental préconisant le rejet de sa demande de congé de longue maladie qu'elle avait nécessairement formulée en raison de ses avantages financiers excédant ceux découlant d'un congé de maladie ordinaire. En outre, il ne résulte pas de l'instruction que les difficultés financières qu'elle aurait rencontrées et qui ont impliqué la renégociation en 2015 des prêts immobiliers précités et la mise en vente à partir de 2014 de l'appartement acquis en 2010 seraient directement en relation avec le remboursement de la somme de 19 961,71 euros au titre du trop-perçu de traitements, la requérante ayant d'ailleurs bénéficié en décembre 2011 et en janvier 2012 d'indemnités journalières. Dans ces conditions, l'État ne peut être déclaré responsable du préjudice financier allégué.

6. Les modifications apportées à la rédaction de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite résultant du I de l'article 44 de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites ont mis fin, à compter de l'entrée en vigueur de celles-ci, à la possibilité pour les fonctionnaires et les militaires parents d'au moins trois enfants et ayant accompli au minimum quinze années de services effectifs et interrompu leur activité au moins deux mois pour chaque enfant, de partir à la retraite de façon anticipée. Aux termes néanmoins de cet article 44 : " (...) III. Par dérogation à l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite, le fonctionnaire civil et le militaire ayant accompli quinze années de services civils ou militaires effectifs avant le 1er janvier 2012 et parent à cette date de trois enfants vivants, ou décédés par faits de guerre, conserve la possibilité de liquider sa pension par anticipation à condition d'avoir, pour chaque enfant, interrompu ou réduit son activité dans des conditions fixées par un décret en Conseil d'État (...) IV. Pour l'application du VI de l'article 5, dans sa rédaction issue de la présente loi, et des II et III de l'article 66 de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 précitée aux fonctionnaires civils et militaires mentionnés au III du présent article qui présentent une demande de pension, l'année prise en compte est celle au cours de laquelle ils atteignent l'âge prévu au dernier alinéa du I de l'article 5 de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 précitée ou, le cas échéant, l'âge prévu au I de l'article 22 de la présente loi. Si cet âge est atteint après 2019, le coefficient de minoration applicable est celui prévu au I de l'article L. 14 du code des pensions civiles et militaires de retraite.

Lorsque la durée de services et bonifications correspondant à cette année n'est pas fixée, la durée exigée est celle correspondant à la dernière génération pour laquelle elle a été fixée. / Le premier alinéa du présent IV n'est pas applicable : / 1° Aux demandes présentées avant le 1er janvier 2011, sous réserve d'une radiation des cadres prenant effet au plus tard le 1er juillet 2011 (...) V. Les services administratifs compétents informent, avant le 15 décembre 2010, les fonctionnaires civils et les militaires ayant accompli quinze années de services effectifs et parents de trois enfants vivants ou décédés pour faits de guerre du changement des règles de départ anticipé à la retraite. ". Il résulte de ces dispositions que les fonctionnaires civils et les militaires ayant accompli avant le 1er janvier 2012 quinze années de services effectifs et parents de trois enfants vivants ou décédés pour faits de guerre ont conservé la possibilité de liquider leur pension par anticipation selon les règles générationnelles prévues pour la durée d'assurance et le coefficient de minoration par la loi n° 2003-775 du 21 août 2003, sauf si elles présentaient une demande de pension avant le 31 décembre 2010 pour une radiation des cadres au plus tard le 1er juillet 2011, auquel cas les règles applicables sur ces deux points étaient celles en vigueur l'année au cours de laquelle les conditions nécessaires pour un départ anticipé étaient réunies.

7. Il est constant que Mme B... avait, à la date du 15 décembre 2010, accompli quinze années de services effectifs et était mère de trois enfants vivants. En se bornant à faire valoir qu'une information portant sur le changement des règles de départ anticipé à la retraite a été affichée dans les écoles du département des Bouches-du-Rhône et diffusée sur un site internet d'information destiné aux enseignants, l'administration n'établit pas que les services administratifs compétents de l'État ont apporté personnellement et avant le 15 décembre 2010 cette information à la requérante, ainsi que l'impliquaient les dispositions du V de l'article 44 de la loi du 9 novembre 2010.

8. Il résulte de l'instruction que Mme B..., dont l'époux avait demandé pour la première fois des informations sur un départ anticipé à la retraite en juillet 2011, a été admise à sa demande à la retraite à compter du 1er septembre 2013, le montant de sa pension ayant été fixé après application d'une décote. Il ressort notamment du décompte de ses services et bonifications qui lui a été communiqué par l'administration le 19 décembre 2012, que, à la date du 14 juin 2000, l'intéressée, née le 4 mai 1962, justifiait d'une durée de services de quinze années et avait élevé trois enfants. Ainsi, elle aurait pu prétendre à la liquidation de sa pension par anticipation sans décote sur le fondement des dispositions de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite dans leur rédaction antérieure à la loi du 9 novembre 2010 puis sur celui du III de l'article 44 de cette loi, si elle avait déposé sa demande avant le 31 décembre 2010 pour une radiation des cadres au plus tard le 1er juillet 2011. Eu égard à son état de santé et dans la mesure où elle ne pouvait ignorer que le maintien de son plein traitement, dont elle bénéficiait entre la date de publication de la loi du 9 novembre 2010 et le 15 décembre 2010, ne pouvait que revêtir un caractère provisoire, la méconnaissance par les services administratifs compétents de l'obligation d'information mise à leur charge par les dispositions du V de l'article 44 de la loi du 9 novembre 2010 l'a privée, dans les circonstances de l'espèce, d'une chance sérieuse de bénéficier de la liquidation de sa pension par anticipation sans décote.

9. Il résulte de l'instruction que le traitement versé à Mme B... tant en décembre 2010 qu'à la date de son admission à la retraite était fixé par référence à l'indice 567. Le décompte cité au point 8 indique que le taux de pension a été fixé à 39,307 % de son traitement après application d'un coefficient de décote de 0,75000 et que le montant mensuel de la pension s'élève à 1032 euros auxquels s'ajoute la majoration pour enfants de 103 euros. La requérante, dont les calculs n'ont pas été contestés en défense, demande réparation du préjudice subi à compter du 1er septembre 2013 résultant de la faute commise par l'administration et consistant en la différence entre le montant de pension perçue et celui de la pension qu'elle aurait perçue si elle avait demandé son départ à la retraite avant le 31 décembre 2010. Compte tenu de la date de naissance et de l'espérance de vie de l'intéressée, de la durée de service qui aurait été prise en considération pour un départ à la retraite demandé avant le 31 décembre 2010 et des conditions légales qui auraient été appliquées à sa demande, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi du 1er septembre 2013 à la date du présent arrêt et du préjudice futur en fixant l'indemnité due à ce titre à la somme globale de 145 000 euros.

10. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme B... et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 23 janvier 2017 est annulé.

Article 2 : L'État est condamné à verser à Mme B... la somme de 145 000 euros.

Article 3 : L'État versera à Mme B... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B...et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Délibéré après l'audience du 22 janvier 2019, où siégeaient :

* M. Gonzales, président,

* M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,

* M. Jorda, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 5 février 2019.

N° 17MA01201 5


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17MA01201
Date de la décision : 05/02/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. Contentieux de la fonction publique. Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. GONZALES
Rapporteur ?: M. Philippe D'IZARN DE VILLEFORT
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : SCP AMIEL-SUSINI

Origine de la décision
Date de l'import : 19/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2019-02-05;17ma01201 ?
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