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20/12/2018 | FRANCE | N°17MA00111

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre - formation à 3, 20 décembre 2018, 17MA00111


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E...a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner les sociétés groupe Pizzorno Environnement et Axa France IARD à lui verser la somme de 194 937,59 euros en réparation des préjudices subis suite à une chute survenue le 2 avril 2010 dans une déchetterie à Cuers.

Par un jugement n° 1402338 du 9 décembre 2016, le tribunal administratif de Toulon a rejeté les conclusions dirigées contre la société Axa comme présentées devant une juridiction incompétente pour en connaître,

et rejeté comme infondées les conclusions de M. E...dirigées contre le groupe Pizzorno...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E...a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner les sociétés groupe Pizzorno Environnement et Axa France IARD à lui verser la somme de 194 937,59 euros en réparation des préjudices subis suite à une chute survenue le 2 avril 2010 dans une déchetterie à Cuers.

Par un jugement n° 1402338 du 9 décembre 2016, le tribunal administratif de Toulon a rejeté les conclusions dirigées contre la société Axa comme présentées devant une juridiction incompétente pour en connaître, et rejeté comme infondées les conclusions de M. E...dirigées contre le groupe Pizzorno Environnement.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 11 janvier 2017 et le 22 juin 2018, M. E..., représenté par MeF..., demande à la cour :

1°) d'annuler les articles 1er, 2 et 4 du jugement du 9 décembre 2016 du tribunal administratif de Toulon ;

2°) de condamner solidairement le Groupe Pizzorno Environnement et la société Axa à lui verser la somme de 194 937,59 euros, assortie des intérêts à compter du 19 novembre 2013 ;

3°) de mettre à leur charge la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le lien de causalité entre l'ouvrage et le dommage est établi ;

- la responsabilité du groupe Pizzorno Environnement est engagée du fait du défaut d'entretien normal et d'un vice de conception de l'ouvrage ;

- l'absence d'un préposé le jour de l'accident est constitutive d'une faute dans l'organisation du service ;

- le groupe Pizzorno Environnement a méconnu les obligations contractuelles résultant du marché le liant à la commune de Cuers ;

- il n'a commis aucune faute de nature à l'exonérer de sa responsabilité ;

- les préjudices invoqués sont établis.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 7 juin 2017 et le 29 août 2018, le Groupe Pizzorno Environnement, représenté par la SELARL Parme avocats, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête présentée par M.E... ;

2°) de mettre à la charge de M. E...la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par M. E...ne sont pas fondés.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 4 septembre 2017 et le 23 août 2018, la société Axa, représentée par MeB..., demande à la cour :

1°) à titre principal, de rejeter la requête présentée par M.E... ;

2°) à titre subsidiaire, de réduire le montant de l'indemnité demandée par M.E... ;

3°) de mettre à la charge de toute partie perdante la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par M. E...ne sont pas fondés ;

- les collectivités appelées en cause ont confié la gestion du service public de traitement des ordures ménagères à la société Pizzorno Environnement.

La communauté de communes Méditerranée - porte des Maures, représentée par Me A... a présenté des observations, enregistrées le 25 mai 2018, par lesquelles elle demande à la cour :

1°) de rejeter la requête présentée par M.E... ;

2°) de mettre à la charge de la société Axa la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie du Var, qui a indiqué par un courrier du 1er mars 2017, enregistré le 19 mai 2017, ne pas présenter d'observations.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrégularité du jugement attaqué par lequel le tribunal administratif a directement rejeté les conclusions de M. E...contre la société Axa comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître sans avoir préalablement saisi le Tribunal des conflits.

Un mémoire a été enregistré pour M. E...en réponse à cette mesure d'information, le 30 octobre 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi du 24 mai 1872 relative au Tribunal des conflits ;

- le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

- le code de justice administrative.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Merenne,

- les conclusions de M. Argoud, rapporteur public,

- et les observations de MeD..., représentant M. E... et de MeA..., représentant la communauté de communes Méditerranée - porte des Maures.

Considérant ce qui suit :

1. M. E...a été victime d'une chute survenue le 2 avril 2010 dans une déchetterie exploitée par la société groupe Pizzorno Environnement en vertu d'un marché public conclu avec la commune de Cuers le 23 décembre 2009. Il fait appel du jugement du 9 décembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté comme présentées devant une juridiction incompétente pour en connaître ses conclusions indemnitaires dirigées contre la société Axa, assureur du groupe Pizzorno Environnement, et rejeté comme infondées ses conclusions indemnitaires dirigées contre le groupe Pizzorno Environnement.

Sur la responsabilité du groupe Pizzorno Environnement :

2. Selon la version donnée par M. E...des circonstances de l'accident, qui n'a pas eu lieu en présence d'un témoin, celui-ci, après avoir placé la remorque de son véhicule sur le quai de déchargement au ras de la benne destinée aux déchets végétaux, aurait heurté la butée en béton située en bordure de quai en vidant le contenu de sa remorque avant de chuter du fait de son déséquilibre dans la benne située en contrebas.

3. La présence de cette butée, destinée à sécuriser le recul des véhicules et caractéristique de l'aménagement des quais de déchetterie, n'est pas constitutive d'un défaut d'entretien normal de l'ouvrage. La circonstance que sa hauteur ait été de quinze centimètres et qu'elle n'ait pas été peinte en couleurs vives, alors qu'elle a été ultérieurement rehaussée à vingt centimètres et revêtue d'une peinture blanche et rouge, n'est pas non plus constitutive d'un défaut d'entretien. Cette butée était parfaitement visible par les usagers et n'avait pas à être particulièrement signalée.

4. Si M. E...met en cause l'absence de garde-corps délimitant les bennes, comme c'est le cas dans d'autres déchetteries mieux aménagées, l'espace de déchargement, d'une largeur supérieure à celles des véhicules usuels, ne comporte pas de garde-corps du fait de sa fonction et ne protège donc pas les usagers du risque de chute à l'occasion du déchargement du contenu d'un véhicule. L'accident n'est donc pas imputable à l'absence de tels garde-corps. Il en va de même s'agissant de l'absence d'une barrière amovible, qui aurait nécessairement été levée au moment du déchargement.

5. M E... peut utilement invoquer les dispositions du " règlement du quai/déchetterie " annexées au cahier des clauses techniques particulières du marché public relatif à la collecte des ordures ménagères et à la gestion de la déchetterie passé par la commune de Cuers, qui ont un caractère réglementaire. Il ne résulte pas de l'instruction que les missions d'accueil, de conseil, d'information et de surveillance des usagers dont est chargé le gardien du site soient à l'origine de l'accident. Contrairement à ce que soutient M.E..., la configuration de la déchetterie n'appelait pas une mise en garde particulière adressée par le gardien à chaque nouvel usager à propos des risques de chute dans la benne destinée aux déchets verts.

6. M.E..., après avoir placé la remorque de son véhicule au ras de la benne vide située en contrebas, ne pouvait, après avoir commencé le déchargement de son contenu, ignorer le risque de chute inhérent à la configuration des lieux. L'absence sur le site d'une signalétique particulière rappelant ce risque n'est donc pas non plus à l'origine de l'accident.

7. Enfin, et ainsi que l'a jugé le tribunal administratif, M. E...ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance par le groupe Pizzorno Environnement des autres obligations contractuelles invoquées résultant du marché conclu le 23 décembre 2009 avec la commune de Cuers, dès lors qu'il est tiers à ce contrat et que ces clauses n'ont pas un caractère réglementaire.

8. Il suit de là que l'accident dont a été victime M. E...n'est pas imputable à un défaut d'entretien normal de l'ouvrage. M. E... n'est en conséquence pas fondé à soutenir que le tribunal administratif de Toulon aurait à tort rejeté sa demande par le jugement attaqué.

Sur les conclusions dirigées contre la société Axa :

9. L'article 32 du décret du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles prévoit que : " Lorsqu'une juridiction de l'ordre judiciaire ou de l'ordre administratif a, par une décision qui n'est plus susceptible de recours, décliné la compétence de l'ordre de juridiction auquel elle appartient au motif que le litige ne ressortit pas à cet ordre, toute juridiction de l'autre ordre, saisie du même litige, si elle estime que le litige ressortit à l'ordre de juridiction primitivement saisi, doit, par une décision motivée qui n'est susceptible d'aucun recours même en cassation, renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur la question de compétence ainsi soulevée et surseoir à toute procédure jusqu'à la décision du tribunal. "

10. Il ressort des pièces figurant au dossier de première instance que le juge des référés du tribunal de grande instance de Toulon, par une ordonnance du 31 janvier 2012 devenue définitive, a décliné la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour connaître des demandes de M. E... dirigées contre le groupe Pizzorno Environnement et la société Axa, son assureur, tendant à la désignation d'un expert et à la condamnation de ces derniers au versement d'une provision.

11. Le tribunal administratif de Toulon, par l'article 1er du jugement attaqué, a rejeté les conclusions indemnitaires de M. E...dirigées contre la société Axa comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.

12. En procédant de la sorte, alors qu'il lui incombait en application de l'article 32 du décret du 27 février 2015 cité au point 9 de saisir le Tribunal des conflits et de surseoir à statuer sur ces conclusions, le tribunal administratif de Toulon a méconnu son office et commis une irrégularité qui doit être relevée d'office.

13. Il y a lieu par suite d'annuler l'article 1er du jugement attaqué et d'évoquer le litige afin de statuer immédiatement sur ces conclusions.

14. Si l'action ouverte à la victime d'un dommage ou à l'assureur de celle-ci subrogé dans ses droits contre l'assureur de l'auteur responsable du sinistre tend à la réparation du préjudice subi par la victime, elle se distingue de l'action en responsabilité contre l'auteur du dommage en ce qu'elle poursuit l'exécution de l'obligation de réparer qui pèse sur l'assureur en vertu du contrat d'assurance. Il s'ensuit qu'il n'appartient qu'aux juridictions de l'ordre judiciaire de connaître des actions tendant au paiement des sommes dues par un assureur au titre de ses obligations de droit privé, alors même que l'appréciation de la responsabilité de son assuré dans la réalisation du fait dommageable relèverait de la juridiction administrative.

15. Ainsi qu'il a été dit au point 10, le tribunal de grande instance de Toulon a décliné la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour connaître du litige opposant M. E...à la société Axa.

16. Il convient en conséquence de renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur la question de compétence ainsi soulevée et de surseoir à statuer sur cette partie du litige jusqu'à la décision de ce tribunal.

Sur les frais liés au litige :

17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. E...le versement de la somme de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés par le groupe Pizzorno Environnement. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font en revanche obstacle à ce que soit mise à la charge de ce dernier, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. E...demande au même titre.

18. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la communauté de communes Méditerranée - porte des Maures sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : L'article 1er du jugement du 9 décembre 2016 du tribunal administratif de Toulon est annulé.

Article 2 : Les conclusions de M. E...dirigées contre le groupe Pizzorno Environnement sont rejetées.

Article 3 : M. E... versera au groupe Pizzorno Environnement la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la communauté de communes Méditerranée - porte des Maures sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Les conclusions de M. E...dirigées contre la société Axa sont renvoyées au Tribunal des conflits.

Article 6 : Il est sursis à statuer sur les conclusions de M. E...mentionnées à l'article précédent jusqu'à ce que le Tribunal des conflits ait tranché la question de savoir quel est l'ordre de juridiction compétent pour statuer sur celles-ci.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M.C... E..., à la caisse primaire d'assurance maladie du Var, à la société Groupe Pizzorno Environnement, à la société Axa France IARD, à la commune de Cuers et à la communauté de communes Méditerranée - porte des Maures.

Copie en sera adressée pour information à l'expert judiciaire.

Délibéré après l'audience du 6 décembre 2018, où siégeaient :

- M. Vanhullebus, président de chambre,

- Mme Jorda-Lecroq, présidente-assesseure,

- M. Merenne, premier conseiller.

Lu en audience publique le 20 décembre 2018.

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N° 17MA00111


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17MA00111
Date de la décision : 20/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

PROCÉDURE - POUVOIRS ET DEVOIRS DU JUGE - QUESTIONS GÉNÉRALES - DEVOIRS DU JUGE - ABSENCE DE SAISINE PAR LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRIBUNAL DES CONFLITS EN APPLICATION DE LA PROCÉDURE DE PRÉVENTION DES CONFLITS NÉGATIFS - CONSÉQUENCE - IRRÉGULARITÉ DU JUGEMENT - MOYEN D'ORDRE PUBLIC - EXISTENCE.

54-07-01-07 Tribunal administratif ayant directement rejeté comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître des conclusions ayant précédemment été rejetées pour le même motif par une juridiction judiciaire. L'irrégularité commise par le tribunal administratif à ne pas avoir saisi le Tribunal des conflits en application de la procédure de prévention des conflits négatifs prévue à l'article 32 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015 constitue un moyen d'ordre public que le juge d'appel doit relever d'office. Annulation du jugement en tant qu'il a rejeté ces conclusions et renvoi de cette partie de l'affaire au Tribunal des conflits.

PROCÉDURE - TRIBUNAL DES CONFLITS - SAISINE SUR RENVOI D'UNE JURIDICTION - PRÉVENTION DES CONFLITS NÉGATIFS - ABSENCE DE SAISINE PAR LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRIBUNAL DES CONFLITS EN APPLICATION DE LA PROCÉDURE DE PRÉVENTION DES CONFLITS NÉGATIFS - CONSÉQUENCE - IRRÉGULARITÉ DU JUGEMENT - MOYEN D'ORDRE PUBLIC - EXISTENCE.

54-09-04-02 Tribunal administratif ayant directement rejeté comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître des conclusions ayant précédemment été rejetées pour le même motif par une juridiction judiciaire. L'irrégularité commise par le tribunal administratif à ne pas avoir saisi le Tribunal des conflits en application de la procédure de prévention des conflits négatifs prévue à l'article 32 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015 constitue un moyen d'ordre public que le juge d'appel doit relever d'office. Annulation du jugement en tant qu'il a rejeté ces conclusions et renvoi de cette partie de l'affaire au Tribunal des conflits.


Composition du Tribunal
Président : M. VANHULLEBUS
Rapporteur ?: M. Sylvain MERENNE
Rapporteur public ?: M. ARGOUD
Avocat(s) : SELARL PARME AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 15/01/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2018-12-20;17ma00111 ?
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