Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A...a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 27 mars 2015 par laquelle le président du conseil départemental des Bouches-du-Rhône lui a retiré son agrément d'assistante maternelle et de condamner le département à lui payer une somme de 25 000 euros en réparation des préjudices subis.
Par un jugement n° 1503931 du 14 mars 2017, le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 12 mai 2017 et le 27 avril 2018, Mme A..., représentée par Me F..., demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 14 mars 2017 ;
2°) d'annuler la décision du 27 mars 2015 portant retrait de son agrément d'assistante maternelle ;
3°) de condamner le département des Bouches-du-Rhône à lui payer la somme de 25 000 euros, ainsi que les intérêts au taux légal ;
4°) d'enjoindre au président du conseil départemental de rétablir son agrément à la date à laquelle il a été retiré ;
5°) de mettre à la charge du département des Bouches-du-Rhône la somme de 3 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal administratif ne pouvait faire droit à la substitution de motifs demandée par l'administration, dès lors qu'une telle substitution aurait dû entraîner une saisine de la commission consultative paritaire départementale ;
- les griefs mentionnés dans la décision de retrait sont infondés ;
- elle n'a pas laissé l'enfant sans surveillance à son domicile ;
- elle n'a commis aucune faute en laissant l'enfant sous la surveillance d'un tiers, alors qu'elle ignorait qu'elle devait le garder ce jour-là ;
- si le manquement à l'obligation de surveillance personnelle d'un enfant présente un caractère isolé, il n'est pas susceptible de justifier le retrait d'un agrément ;
- elle a subi un préjudice matériel qui doit être indemnisé par la somme de 20 000 euros et un préjudice moral qui doit être réparé par la somme de 5 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mai 2018, le département des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête et demande que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme A... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- le tribunal administratif pouvait faire droit à sa demande de substitution de motif, dès lors que la matérialité des faits du nouveau motif est établie ;
- le jeune enfant était régulièrement laissé seul au domicile de Mme A... ;
- la décision de retrait, qui peut être fondée sur des suspicions confortées par des éléments portés à la connaissance de ses services, n'est entachée d'aucune erreur d'appréciation ;
- les motifs mentionnés dans la décision sont fondés ;
- la requérante ne peut prétendre à une indemnisation à compter du 6 janvier 2015 ;
- le préjudice matériel de Mme A... est incertain ;
- la somme demandée de 20 000 euros est injustifiée ;
- il conviendrait en outre de déduire du montant du préjudice les allocations chômage qu'elle aurait dû percevoir ainsi que l'indemnité d'entretien et le remboursement de la nourriture.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duran-Gottschalk, rapporteure,
- les conclusions de M. Revert, rapporteur public,
- et les observations de Me F..., représentant Mme A..., et de Me B..., substituant Me E..., représentant le département des Bouches-du-Rhône.
Une note en délibéré présentée pour Mme A...a été enregistrée le 26 novembre 2018.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... a obtenu le 19 janvier 2009 du conseil départemental des Bouches-du-Rhône un agrément en qualité d'assistante maternelle pour accueillir un enfant à son domicile, agrément étendu à l'accueil de trois enfants par décision du 2 mars 2010, et renouvelé par décision du 29 novembre 2013. Après une altercation le 5 janvier 2015 entre Mme A... et le parent d'un enfant qui lui avait été confié, le président du conseil départemental des Bouches-du-Rhône a suspendu pour quatre mois l'agrément de la requérante par décision du 6 janvier 2015 puis a procédé à son retrait par décision du 27 mars 2015. Mme A... relève appel du jugement du 14 mars 2017 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande d'annulation de la décision de retrait de son agrément et de condamnation du département des Bouches-du-Rhône à lui payer la somme de 25 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation de la décision du 27 mars 2015 :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 421-2 du code de l'action sociale et des familles : " L'assistant familial est la personne qui, moyennant rémunération, accueille habituellement et de façon permanente des mineurs et des jeunes majeurs de moins de vingt et un ans à son domicile. Son activité s'insère dans un dispositif de protection de l'enfance, un dispositif médico-social ou un service d'accueil familial thérapeutique. Il exerce sa profession comme salarié de personnes morales de droit public ou de personnes morales de droit privé dans les conditions prévues par les dispositions du présent titre ainsi que par celles du chapitre III du présent livre, après avoir été agréé à cet effet ". L'alinéa 5 de l'article L. 421-3 du même code prévoit que l'agrément est accordé à la profession des assistants maternels " si les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des mineurs et majeurs de moins de vingt et un ans accueillis, en tenant compte des aptitudes éducatives de la personne. Les modalités d'octroi ainsi que la durée de l'agrément sont définies par décret. (...) ". Le 1° de l'article R. 421-3 précise que pour obtenir l'agrément d'assistant maternel ou d'assistant familial, le candidat doit : " Présenter les garanties nécessaires pour accueillir des mineurs dans des conditions propres à assurer leur développement physique, intellectuel et affectif ". L'alinéa 3 de l'article L. 421-6 ajoute que " Si les conditions de l'agrément cessent d'être remplies, le président du conseil général peut, après avis d'une commission consultative paritaire départementale, modifier le contenu de l'agrément ou procéder à son retrait. En cas d'urgence, le président du conseil général peut suspendre l'agrément. Tant que l'agrément reste suspendu, aucun enfant ne peut être confié ".
3. En vertu des dispositions précitées, il incombe au président du conseil général de s'assurer que les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des enfants accueillis et de procéder au retrait de l'agrément si ces conditions ne sont plus remplies. A cette fin, dans l'hypothèse où il est informé de suspicions de comportements susceptibles de compromettre la santé, la sécurité ou l'épanouissement d'un enfant de la part du bénéficiaire de l'agrément ou de son entourage, il lui appartient de tenir compte de tous les éléments portés à la connaissance des services compétents du département ou recueillis par eux et de déterminer si ces éléments sont suffisamment établis et graves pour lui permettre raisonnablement de penser que l'enfant est victime des comportements en cause ou risque de l'être.
4. D'autre part, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'autre partie de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas l'autre partie d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
5. Pour rejeter la demande d'annulation de la décision du 27 mars 2015, le tribunal administratif a fait droit à la substitution de motifs formulée par le département des Bouches-du-Rhône, qui faisait valoir que Mme A... avait laissé le jeune D...seul à son domicile, le temps de mener d'autres enfants à l'école. Il ressort des pièces du dossier que la commission consultative paritaire départementale, laquelle doit être consultée pour avis préalablement à la décision de retrait de l'agrément, a été saisie d'un grief différent, tiré de ce que l'intéressée aurait confié l'enfant à un tiers. Dans ces conditions, Mme A... est fondée à soutenir que la substitution de motifs l'a privée d'une garantie procédurale. La demande de substitution de motifs formulée par le département des Bouches-du-Rhône doit dès lors être rejetée.
6. Si la décision de retrait de l'agrément de Mme A... mentionne que cette dernière manque à ses obligations de réserve, notamment à l'égard de son employeur, qu'elle ne reconnaît pas ses erreurs, qu'elle ne se remet pas en question, qu'elle renvoie ses dysfonctionnements à son employeur, qu'elle n'a pas su protéger l'enfant, blessé lors de l'altercation avec le parent et qu'elle ne se consacre pas intégralement aux enfants pendant les temps d'accueil en recevant des relations personnelles à son domicile, ces griefs sont généraux, imprécis ou insuffisamment établis. La décision de retrait mentionne également que les conflits violents avec deux employeurs interrogent quant aux capacités de communication de Mme A.... Il résulte toutefois de l'instruction qu'à la suite d'une altercation entre cette dernière et un parent en 2010, le conseil départemental des Bouches-du-Rhône a mené une enquête qui a conclu au maintien de l'agrément. Enfin, le conseil départemental s'est fondé pour procéder au retrait de l'agrément sur la circonstance que Mme A... avait laissé le 5 janvier 2005 un enfant à un tiers à son domicile afin de mener d'autres enfants à l'école. Si ce grief apparaît suffisamment établi, il ne résulte pas de l'instruction qu'il n'aurait pas un caractère isolé et il ne révèle pas à lui seul une inaptitude à l'exercice de la fonction d'assistante maternelle, alors que Mme A...démontre, en produisant une fiche transmise par les parents de l'enfant, que les horaires de garde ne lui avaient pas été communiqués pour le mois de janvier. Dans ces conditions, le département des Bouches-du-Rhône a entaché la décision litigieuse de retrait d'agrément d'assistante maternelle de Mme A... d'une erreur d'appréciation.
En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :
7. Mme A... demande réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de l'illégalité de la décision de retrait de son agrément. La réalité de la perte de revenus alléguée n'est toutefois démontrée par aucune pièce du dossier. Si Mme A... soutient en outre qu'elle n'a pas perçu l'indemnité de fin de contrat, du fait de l'application de l'article 18 de la convention collective nationale des assistants maternels du particulier employeur du 1er juillet 2004 qui exclut une telle indemnité en cas de retrait d'agrément, ce même article prévoit qu'une telle indemnité n'est pas due non plus en cas de suspension de l'agrément, décision prise à son encontre le 6 janvier 2015 qu'elle n'a pas contestée. En revanche, le préjudice moral subi par Mme A..., dont la réalité est démontrée notamment par des certificats médicaux versés au dossier, justifie qu'une somme de 3 000 euros lui soit versée par le département.
Sur les intérêts :
8. La somme de 3 000 euros portera intérêts au taux légal à compter du 2 juin 2015, date de réception par le département de la demande indemnitaire de Mme A....
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. L'annulation de la décision du 27 mars 2015 par laquelle le président du conseil départemental des Bouches-du-Rhône a retiré à Mme A... son agrément d'assistante maternelle implique que l'intéressée soit rétablie dans la situation dans laquelle elle se trouvait avant l'intervention de cette décision. Ainsi, il y a lieu d'enjoindre au président du conseil départemental des Bouches-du-Rhône de prononcer l'agrément de Mme A... en qualité d'assistante maternelle, avec effet au 27 mars 2015, en l'absence de modification de la situation de fait ou de droit à la date du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de Mme A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au département des Bouches-du-Rhône, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département des Bouches-du-Rhône au profit de Mme A... une somme de 2 000 euros au titre des mêmes dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 14 mars 2017 du tribunal administratif de Marseille et la décision du 27 mars 2015 du président du conseil départemental des Bouches-du-Rhône sont annulés.
Article 2 : Le département des Bouches-du-Rhône est condamné à payer la somme de 3 000 euros à Mme A..., ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 2 juin 2015.
Article 3 : Il est enjoint au président du conseil départemental des Bouches-du-Rhône de prononcer l'agrément de Mme A... en qualité d'assistante maternelle, avec effet au 27 mars 2015, en l'absence de modification de la situation de fait ou de droit à la date du présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions du département des Bouches-du-Rhône présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 5 : Le département des Bouches-du-Rhône versera une somme de 2 000 euros à Mme A... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A...et au département des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 19 novembre 2018, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- M. Marcovici, président assesseur,
- Mme Duran-Gottschalk, première conseillère.
Lu en audience publique, le 3 décembre 2018.
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N° 17MA02009