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04/06/2013 | FRANCE | N°10MA00145

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre-formation à 3, 04 juin 2013, 10MA00145


Vu, enregistrée le 13 janvier 2010, sur ordonnance de renvoi en date du 8 janvier 2010 du président de la cour administrative d'appel de Bordeaux, la requête présentée pour la société Système U Centrale Régionale Sud, dont le siège social est route de Jacou, Parc Hermès à Vendargues (34747), par la SCP Bouzidi - Ph. Bouhanna, avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; la société Système U Centrale Régionale Sud demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0304366, en date du 14 octobre 2009, par lequel le tribunal administratif de Montpellier a partie

llement rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à lui ...

Vu, enregistrée le 13 janvier 2010, sur ordonnance de renvoi en date du 8 janvier 2010 du président de la cour administrative d'appel de Bordeaux, la requête présentée pour la société Système U Centrale Régionale Sud, dont le siège social est route de Jacou, Parc Hermès à Vendargues (34747), par la SCP Bouzidi - Ph. Bouhanna, avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; la société Système U Centrale Régionale Sud demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0304366, en date du 14 octobre 2009, par lequel le tribunal administratif de Montpellier a partiellement rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à lui payer la somme de 1 646 680,28 euros augmentée des intérêts au taux légal et à la capitalisation desdits intérêts, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi, entre le 1er septembre 1993 et le 31 décembre 2002, du fait de l'application, durant cette période, des dispositions de l'article 271 A du code général des impôts ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser, à titre de réparation, la somme de 1 646 680,28 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2002, intérêts eux-mêmes capitalisés en application de l'article 1154 du code civil, à compter du 23 septembre 2003 ;

3°) de condamner également l'Etat à lui payer la somme de 450 000 euros en réparation du préjudice résultant, pour elle, de la perte de profit escompté, ayant été privée de la possibilité de tirer profit des sommes indûment retenues par l'Etat ;

4°) de condamner l'Etat, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à lui verser la somme de 10 000 euros ;

.....................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution du 4 octobre 1958 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la sixième directive 77/388/CEE du Conseil des communautés européennes du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le livre des procédures fiscales ;

Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

Vu la loi n° 93-859 du 22 juin 1993 ;

Vu le décret n° 2002-179 du 13 février 2002 relatif au remboursement par anticipation des créances sur le Trésor nées de la suppression de la règle du décalage d'un mois en matière de taxe sur la valeur ajoutée ;

Vu l'arrêté du 15 avril 1994 fixant les modalités de paiement des intérêts des créances résultant de la suppression du décalage d'un mois ;

Vu les arrêtés des 17 août 1995 et 15 mars 1996 fixant le taux d'intérêt applicable à compter des 1er janvier 1994 et 1er janvier 1995 aux créances résultant de la suppression du décalage d'un mois ;

Vu l'arrêt du 18 décembre 2007 de la Cour de justice des communautés européennes rendu dans l'affaire C-368/06 SA Cedilac ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 14 mai 2013,

- le rapport de M. Louis, président rapporteur ;

- et les conclusions de M. Guidal, rapporteur public ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la société Système U Centrale Régionale Sud a adressé au ministre chargé de l'économie une demande tendant au versement de la différence entre les intérêts, calculés selon les taux effectifs du marché et ceux qui lui ont été effectivement versés à la suite de la mise en oeuvre des modalités de la suppression, prévue à l'article 271 A du code général des impôts, de la règle dite du " décalage d'un mois " en matière de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée et résultant, d'une part, du mécanisme de remboursement différé de la créance, d'autre part, de la rémunération insuffisante de cette créance provenant des taux de 4,5 %, 1 % et 0,1 % successivement fixés par arrêtés du ministre chargé du budget pour les intérêts échus en 1993 puis à compter du 1er janvier 1994 et du 1er janvier 1995, soit une somme de 1 646 680,28 euros, pour les années 1993 à 2002 ; que la société requérante relève régulièrement appel du jugement en date du 14 octobre 2009, par lequel le tribunal administratif de Montpellier, après avoir écarté les prétentions de la société Système U- Centrale Régionale Sud relatives aux intérêts afférents aux années 1993 à 1997, en leur opposant la prescription quadriennale de la loi du 31 décembre 1968 a, s'agissant des conclusions relatives aux années 1998 à 2002, d'une part, écarté les moyens tirés de la contrariété du dispositif réglementaire avec les articles 17 et 18 de la sixième directive, ainsi que de son incompatibilité tant avec l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qu'avec la combinaison dudit article avec l'article 14 de ladite convention européenne et, d'autre part, jugé que l'Etat avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité du fait de l'insuffisante rémunération de sa créance ; qu'il a condamné l'Etat à verser à la société requérante une indemnité d'un montant correspondant à la différence entre la rémunération calculée sur la moitié du taux des obligations assimilables du Trésor, soit respectivement 2,35 % pour l'année 1999, 2,70 % pour l'année 2000, 2,50 % pour l'année 2001 et 2,40 % pour l'année 2002 et celle, calculée sur le fondement du taux d'intérêt de 0,1 %, qui leur avait été allouée au titre des intérêts échus entre 1999 et 2002 d'autre part ;

Sur l'exception de prescription quadriennale opposée par le ministre :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 susvisée : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) " ; que l'article 2 de la même loi dispose que : " La prescription est interrompue par : Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance (...) Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance (...) Toute communication écrite d'une administration intéressée, même si cette communication n'a pas été faite directement au créancier qui s'en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance (...) Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d' un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée " ; qu'aux termes de l'article 3 de cette loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, (...) ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement " ; qu'enfin, aux termes de l'article 7 de la même loi : " L'administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond (...) " ;

3. Considérant, en premier lieu, que la société Système U Centrale Régionale Sud dont le préjudice était entièrement déterminable dès la publication des arrêtés fixant les taux d'intérêts servis, sans qu'il soit nécessaire pour elle d'attendre le remboursement anticipé de la créance, le décret du 13 février 2002 n'ayant en rien modifié les modalités de rémunération de la créance, ne saurait à bon droit soutenir qu'elle n'a eu connaissance de la possibilité d'agir contre l'Etat français à raison de la non-conformité alléguée au droit communautaire des dispositions de l'article 271 A du code général des impôts, issues de l'article 2 de la loi de finances rectificative du 22 juin 1993, qu'à compter de la publication du décret du 13 février 2002 ; qu'elle doit être regardée comme ayant eu la possibilité de contester les modalités de la rémunération de sa créance dès la publication des arrêtés du ministre chargé du budget des 15 avril 1994, 17 août 1995 et 15 mars 1996 fixant respectivement les taux de 4,5 %, 1 % et 0,1 % pour les intérêts échus en 1993, et à compter des 1er janvier 1994 et 1er janvier 1995 ;

4. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte des termes mêmes des dispositions de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat que le délai de prescription quadriennale commence à courir à compter du premier jour de chacune des années suivant celles au cours desquelles les droits ont été acquis ; que, par suite, il y a lieu de prendre en compte, pour l'application de ces dispositions, l'année au cours de laquelle sont nés les droits au paiement de la créance correspondant à la différence entre les intérêts versés au taux fixé par les arrêtés des 15 avril 1994, 17 août 1995 et 15 mars 1996 et les intérêts auxquels la société requérante estimait avoir droit ; que, par suite, la société Système U Centrale Régionale Sud dont le droit à rémunération de la créance née du décalage d'un mois est distinct de la créance née du décalage elle-même, n'est pas fondée à soutenir que la créance relative aux intérêts n'est devenue certaine, liquide et exigible qu'à la date à laquelle la créance non cessible et non négociable sur le Trésor née de la suppression du décalage d'un mois est elle-même devenue liquide et exigible en conséquence du décret du 13 février 2002 décidant son remboursement par anticipation ; qu'elle n'est pas davantage fondée à soutenir que l'exception de prescription quadriennale devait être décomptée en retenant l'année au cours de laquelle est intervenu l'arrêté portant fixation des intérêts et non celle au cours de laquelle les intérêts courus devaient être regardés comme acquis ;

5. Considérant, en troisième lieu, que les délais de prescription n'ont pu, en application des dispositions de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 précitées, être interrompus par des recours formés par d'autres contribuables placés dans des situations comparables dès lors qu'ils se rapportaient nécessairement à des créances distinctes ; que, contrairement à ce qui est soutenu, la prescription n'a pas davantage été interrompue, en application de l'article 2 de la loi du 31 juillet 1968, par les versements des intérêts, ceux versés étant identiques aux intérêts prévus par les dispositions de l'article 271 A et au taux fixé par les arrêtés précités, et non à celui, plus élevé, auquel la société estimait avoir droit ;

6. Considérant, en dernier lieu, que le délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis, institué à peine de prescription par les dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1968, ne présente pas un caractère exagérément court et ne saurait, dès lors, être regardé comme ayant eu pour effet de priver la société Système U Centrale Régionale Sud de la possibilité de saisir un tribunal du litige l'opposant à l'Etat en méconnaissance du droit à un recours effectif garanti par les stipulations de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni comme limitant de façon très restrictive l'exercice d'un droit à réparation né de la non-conformité avec le droit communautaire ; que la circonstance que la société Système U Centrale Régionale Sud n'était pas alors en droit de contester par voie d'exception la constitutionnalité de la loi du 31 décembre 1968 au regard des articles 2 et 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne saurait par elle-même avoir pour effet d'écarter les règles de prescription qui en sont issues ;

7. Considérant que dans le dernier état de ses écritures, la société Système U Centrale Régionale Sud invoque le nouveau moyen tiré de ce que la différence de régime juridique entre les dettes de l'Etat, qui bénéficient de la prescription quadriennale, et celles des contribuables, qui sollicitent le versement d'un complément d'intérêt, est contraire au principe d'égalité des armes ; qu'au surplus, selon la requérante, les dispositions de l'article 1er du premier protocole additionnel de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme s'opposeraient également, selon un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme en date du 25 juin 2009, à la conventionalité d'une différence aussi marquée que celle qui existe entre, d'une part, le délai de prescription trentenaire dont bénéficiait, pour ses créances ordinaires, l'Etat, avant la loi 2008-561 du 17 juin 2008, et, d'autre part, la prescription quadriennale opposable aux contribuables ; qu'en l'espèce, et tout d'abord, ainsi que le relève, à juste titre, le ministre, la créance en litige ne revêtant pas un caractère contractuel, la prescription quadriennale opposable à la société requérante doit être comparée, non pas avec la prescription trentenaire, mais avec la prescription décennale applicable, dès avant la loi du 17 juin 2008, aux actions en responsabilité civile extra-contractuelle exercées par l'Etat ; qu'il convient, par conséquent, de comparer la prescription quadriennale non pas avec la prescription trentenaire prévue par l'ancien article 2262 du code civil, mais avec la prescription décennale de l'article 2270-1 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, selon laquelle " les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation ", applicable aux actions en responsabilité civile extra-contractuelle exercées par l'Etat ; qu'ensuite, la créance dont s'agit en l'espèce, ne trouve pas son origine dans une faute que l'Etat aurait commise dans le cadre de son action privée, mais dans le rôle de conduite des finances qu'exercent le Parlement et le Gouvernement ; que, dans ce cadre, et compte tenu de l'intérêt général de nature à justifier un privilège au profit de la puissance publique, alors que la nature particulière de la situation de l'Etat et de la responsabilité qu'il est susceptible d'encourir peut permettre l'application d'un régime de prescription différent, l'écart de quatre à dix ans n'apparaît pas substantiel au point de conduire à considérer que l'application de la prescription quadriennale serait incompatible avec les dispositions de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'Homme ; qu'enfin, la société Système U Centrale Régionale Sud ni ne démontre en quoi la seule circonstance que l'Etat dispose d'une durée de dix années pour recouvrer une éventuelle créance aurait, en l'espèce, porté atteinte à la substance de son droit de propriété, ni en quoi, ainsi qu'il a été dit plus haut, elle aurait été empêchée, dans le délai de quatre années qui lui était ouvert par la loi du 31 décembre 1968, de faire valoir sa créance ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la demande de la société Système U Centrale Régionale Sud tendant à la réparation du préjudice financier subi au titre des années 1993 à 2002 en raison de l'insuffisante rémunération de sa créance était prescrite pour les années 1993 à 1997 ;

Sur les conclusions relatives aux années 1998 à 2002 :

9. Considérant que, selon l'article 17, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil des communautés européennes du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, applicable au présent litige, le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible et que, selon l'article 18, paragraphe 2, de la même directive, la déduction est opérée par imputation sur le montant de la taxe due pour une période de déclaration du montant de la taxe pour laquelle le droit à déduction a pris naissance au cours de la même période ; que l'article 28, paragraphe 3, sous d), a toutefois prévu que les Etats membres pourraient, pendant une période transitoire, continuer à appliquer des dispositions dérogeant au principe de la déduction immédiate prévue par l'article 18, paragraphe 2 ; qu'en vertu de l'article 18, paragraphe 4, quand le montant des déductions autorisées dépasse celui de la taxe due pour une période de déclaration, l'Etat peut décider soit de faire reporter l'excédent sur la période suivante, soit de procéder au remboursement selon des modalités qu'il fixe, sauf excédent insignifiant dont le report ou le remboursement peut, de ce fait, être refusé ;

10. Considérant que, par l'article 2 de la loi de finances rectificative pour 1993 du 22 juin 1993, la France a mis fin à la règle dite du " décalage d'un mois " qu'elle appliquait en vertu de la dérogation prévue par l'article 28 précité de la directive, et selon laquelle la déduction de la taxe ayant grevé les biens ne constituant pas des immobilisations et les services ne pouvait être opérée qu'au titre du mois suivant celui au cours duquel la taxe était devenue exigible ; que, par le même texte, la France a institué, pour les redevables ayant commencé leur activité avant le 1er juillet 1993, un régime transitoire, selon lequel une partie de la taxe déductible constituait une créance sur le Trésor remboursable sur une période initialement fixée à vingt ans, la totalité des créances ayant été finalement remboursée de façon anticipée en 2002 ;

11. Considérant, en premier lieu, que, par un arrêt du 18 décembre 2007, rendu dans l'affaire C-368/06, dans le cadre de la procédure de question préjudicielle, la Cour de justice des communautés européennes a dit pour droit que les articles 17 et 18 de la directive du 17 mai 1977 précitée ne s'opposaient pas au régime transitoire institué par la France à l'occasion de la suppression de la règle du décalage d'un mois, autorisée par l'article 28, paragraphe 3, sous d), de la même directive, pour autant qu'il soit vérifié par le juge national que, dans son application au cas d'espèce, le régime transitoire réduit les effets de la disposition nationale dérogatoire antérieure ; que, dès lors qu'il y a ainsi lieu d'évaluer l'effet de l'ensemble du régime transitoire sur la seule disposition nationale antérieure qui dérogeait au principe de l'affectation immédiate de la taxe déductible sur la taxe collectée, la société Système U Centrale Régionale Sud ne saurait utilement soutenir qu'en méconnaissance des articles 17 et 18 paragraphe 4 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, la loi du 22 juin 1993 n'aurait pas eu pour effet de réduire les effets de la disposition dérogatoire dont disposait la France, en se prévalant de la seule circonstance que compte tenu du mécanisme même de détermination de la créance sur le Trésor prenant en compte le mois moyen, la créance détenue par l'assujetti se trouverait augmentée ;

12. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou tout autre situation " ; que les dispositions des 1 à 5 de l'article 271 A du code général des impôts, issues du II de l'article 2 de la loi du 22 juin 1993, n'ont conduit à reporter le remboursement que d'une somme représentant un mois moyen d'excédent de taxe et non de la totalité des excédents qui ont pu être constatés, somme calculée sur une période allant du 1er août 1992 au 31 juillet 1993 et, ainsi, pour les onze douzièmes, antérieure à l'entrée en vigueur de la nouvelle rédaction du 3 du I de l'article 271 du code général des impôts, issue du I de l'article 2 de la loi du 22 juin 1993 et supprimant le "décalage d'un mois" ; que, s'agissant des assujettis relevant du régime réel normal d'imposition, l'article 8 du décret du 14 septembre 1993 a prévu le remboursement immédiat de la totalité des créances n'excédant pas 150 000 F et, à concurrence de 25 %, le remboursement immédiat des créances d'un montant supérieur, avec un minimum de 150 000 F ; que ce texte, dès lors, d'une part, qu'il a garanti aux titulaires d'une créance excédant 150 000 F un remboursement d'un montant au moins égal à cette somme et, d'autre part, qu'il était applicable à l'ensemble des entreprises assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée et leur a permis d'obtenir le remboursement intégral desdites créances, n'a créé aucune discrimination avec les titulaires de créances d'un montant inférieur et n'a pas eu pour effet de créer une différence de traitement injustifiée entre redevables de la taxe sur la valeur ajoutée selon la taille des entreprises concernées ; qu'en outre, la circonstance que les assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée concernés par le dispositif de remboursement progressif des créances nées de la suppression du "décalage d'un mois" avaient la qualité de créancier de l'Etat n'imposait pas de leur réserver un traitement identique aux autres créanciers de l'Etat, notamment les porteurs d'obligations assimilables du Trésor, qui ne se trouvaient pas dans la même situation ; que les différences de rémunération afférentes aux titres de ces deux catégories de créanciers présentaient ainsi une justification objective ; qu'il suit de là que, si les créances de taxe sur la valeur ajoutée nées de l'instauration d'un régime de déduction immédiate supérieures à un certain montant ont fait l'objet d'un remboursement différé et ont donné lieu à un niveau de rémunération inférieur à celui des taux d'intérêts du marché ou à ceux auxquels peuvent prétendre d'autres catégories de créanciers de l'Etat, la distinction ainsi introduite par le législateur et qui est pertinente au regard des buts poursuivis, n'a pas abouti à des effets disproportionnés au regard des buts poursuivis et ne pouvait être regardée comme une discrimination prohibée par les stipulations combinées des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel à cette convention ;

13. Considérant, toutefois, en dernier lieu, que les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relatives au respect de la propriété privée, dès lors qu'elles ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général, ne faisaient pas obstacle, en elles-mêmes, à la mise en oeuvre d'un dispositif transitoire, destiné à répartir, sur plusieurs années, la charge de remboursement de la créance née de la suppression de la règle du décalage d'un mois, ni même à ce que la créance sur le Trésor public mentionnée par le II de l'article 2 de la loi du 22 juin 1993 fût rémunérée à un taux inférieur à celui applicable aux autres créances sur l'Etat, et, en tout état de cause, a fortiori à celui pratiqué sur le marché pour le financement à court terme des entreprises, compte tenu de l'intérêt qui s'attachait à la conciliation de l'instauration d'un régime de droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée se rapprochant des règles de droit commun prévues par la sixième directive avec la nécessité de limiter l'impact budgétaire d'une telle mesure ;

14. Considérant toutefois, que si le ministre chargé du budget pouvait ne pas prendre en compte, pour déterminer les taux d'intérêts servis, ceux pratiqués sur le marché obligataire, il ne pouvait, sans porter une atteinte excessive au droit des redevables de la taxe sur la valeur ajoutée au respect de leurs biens, fixer un taux de rémunération de cette créance aboutissant à une dépréciation de celle-ci en termes réels ; qu'il suit de là qu'en fixant, par l'arrêté du 15 mars 1996, un taux de 0,1 % pour les intérêts échus à compter du 1er janvier 1995, correspondant à un niveau de rémunération quasi-nul, et en maintenant ce taux pour les intérêts dus au titre des années 2000 à 2002, alors même que la part non encore remboursée des créances sur le Trésor revêtait un caractère résiduel, l'Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ; que la société Système U Centrale Régionale Sud est, par suite, fondée à demander réparation du préjudice qu'elle a subi à ce titre ;

15. Considérant que c'est par une exacte appréciation du préjudice subi par la société Système U Centrale Régionale Sud que les premiers juges ont, d'une part, relevé que la rémunération à laquelle la société pouvait prétendre devait être déterminée en tenant compte de l'origine de la créance et de la nécessité de concilier une rémunération effective de cette créance avec les contraintes d'intérêt général de limitation de l'impact budgétaire de la mesure, et ont, pour déterminer le montant du préjudice subi, estimé celui-ci à hauteur de la différence entre, d'une part, la somme déterminée par l'application à leur créance de TVA d'un taux d'intérêt équivalent à la moitié du taux applicable aux obligations assimilables du Trésor, soit, respectivement, 2,30 % pour l'année 1998, 2,35% pour l'année 1999, 2,70 % pour l'année 2000, 2,50% pour l'année 2001 et 2,40 % pour l'année 2002 et celle, calculée à partir du taux de 0,1 % qui lui avait été allouée au titre des intérêts échus au cours des années 1999 à 2002 ; que c'est également à juste titre que les premiers juges ont décidé que la société requérante avait droit aux intérêts au taux légal sur la somme susmentionnée à compter du 31 décembre 2002 et que, conformément aux dispositions précitées de l'article 1154 du code civil, il y avait lieu de faire droit à la date du 31 décembre 2003 et à chaque échéance annuelle à compter de cette même date, à sa demande tendant à la capitalisation des intérêts ;

Sur les conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice né de l'indisponibilité des fonds :

16. Considérant que la société Système U Centrale Régionale Sud présente des conclusions tendant à obtenir réparation d'un " préjudice induit ", résultant de l'indisponibilité des sommes indument retenues par l'Etat ; que si le ministre fait valoir en défense, comme devant les premiers juges, que de telles conclusions, relatives à un chef d'indemnité différent de celui en vue duquel les sociétés requérantes l'ont saisi afin d'obtenir réparation, sont irrecevables, faute d'avoir été précédées d'une demande susceptible de lier le contentieux, elles ne constituent qu'un développement et un complément de la demande initiale ; qu'elles sont donc recevables ;

17. Considérant, toutefois, qu'en se bornant à affirmer qu'elle aurait eu la possibilité de faire fructifier les fonds dont s'agit au-delà des intérêts perçus en application du présent arrêt, la société requérante n'établit pas l'existence d'un préjudice distinct, indemnisable à ce titre ;

18. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société Système U Centrale Régionale Sud n'est pas fondée à réclamer une indemnisation supérieure à celle qui lui a été allouée par le jugement entrepris du tribunal administratif de Montpellier ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

19. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. " ;

20. Considérant qu'en vertu des dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la Cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement, par l'autre partie, des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par la société Système U Centrale Régionale Sud doivent, dès lors, être rejetées ;

21. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce de condamner la société Système U Centrale Régionale Sud à verser à l'Etat la somme de 2 000 euros qu'il demande en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Système U Centrale Régionale Sud est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Système U Centrale Régionale Sud et au ministre de l'économie et des finances.

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N° 10MA00145


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4ème chambre-formation à 3
Numéro d'arrêt : 10MA00145
Date de la décision : 04/06/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Fondement de la responsabilité - Responsabilité sans faute - Responsabilité fondée sur l'égalité devant les charges publiques - Responsabilité du fait de l'intervention de décisions administratives légales.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Évaluation du préjudice.


Composition du Tribunal
Président : M. LOUIS
Rapporteur ?: M. Jean-Jacques LOUIS
Rapporteur public ?: M. GUIDAL
Avocat(s) : SCP BOUZIDI - BOUHANNA

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2013-06-04;10ma00145 ?
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