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20/05/2022 | FRANCE | N°20LY02591

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 20 mai 2022, 20LY02591


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... E..., Mme C... D... et Mme F... E... ont demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser diverses sommes, assorties des intérêts au taux légal à compter du 14 août 2019 et de leur capitalisation.

Par un jugement n° 1906721 du 7 juillet 2020, le tribunal administratif de Lyon a condamné l'ONIAM à leur verser la somme de 2 000 euros, en qualité d'a

yants droit d'Arthur E..., celle de 840 euros au titre de leur préjudice personne...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... E..., Mme C... D... et Mme F... E... ont demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser diverses sommes, assorties des intérêts au taux légal à compter du 14 août 2019 et de leur capitalisation.

Par un jugement n° 1906721 du 7 juillet 2020, le tribunal administratif de Lyon a condamné l'ONIAM à leur verser la somme de 2 000 euros, en qualité d'ayants droit d'Arthur E..., celle de 840 euros au titre de leur préjudice personnel et les sommes de 1 296,55, 750 et 750 euros respectivement à Mme C... D..., à M. A... E... et à Mme F... E....

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 4 septembre 2020, M. A... E..., Mme C... D... et Mme F... E..., représentés par Me Mahzoum, demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 1906721 du 7 juillet 2020 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de condamner l'ONIAM à leur verser la somme de 10 630 euros en leur qualité d'ayants droit d'Arthur E..., celle de 14 036,98 euros au titre de frais divers, celle de 30 000 euros au titre du préjudice d'affection de Mme C... D... et M. A... E... et celle de 15 000 euros au même titre s'agissant de Mme F... E..., ces sommes devant être assorties des intérêts à compter du 14 août 2019 avec capitalisation des intérêts à compter du 14 août 2020 ;

3°) de déclarer l'arrêt commun à la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines ;

4°) de mettre à la charge de l'ONIAM le versement à Mme C... D... et Mme F... E... de la somme de 2 500 euros chacune sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Ils soutiennent que :

* l'infection nosocomiale contractée par M. B... E... est directement à l'origine du décès ;

* ils ont droit à l'intégralité des sommes demandées, soit à titre d'ayants droit de la victime, soit à titre personnel.

Par un mémoire, enregistré le 3 novembre 2020, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me Welsch, conclut au rejet de la requête et de la demande des consorts E....

Il fait valoir que les conséquences subies, notamment l'état neurologique irréversible, ne sont pas imputables à l'infection nosocomiale mais aux lourds antécédents cardiaques de la victime et à son premier arrêt cardio-respiratoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

* le code de la santé publique ;

* le code de la justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

* le rapport de M. Gayrard, président assesseur,

* et les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

Considérant ce qui suit :

1. M. B... E... est né le 4 octobre 1988 avec un syndrome de Schone traité à sa naissance, notamment par la pose d'une prothèse valvulaire aortique. Le 8 avril 2015, il a fait un arrêt cardio-respiratoire alors qu'il était passager dans une voiture ; transféré à l'hôpital cardio-vasculaire et pneumologique Louis Pradel, appartenant aux hospices civils de Lyon (HCL), il y décéda le 13 mai suivant. Mme C... D..., M. A... E... et Mme F... E..., respectivement mère, père et sœur de M. B... E..., ont saisi le 25 juillet 2018 la commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI) de Rhône-Alpes qui a diligenté une expertise dont le rapport a été déposé le 10 mai 2019. Selon avis du 17 juin 2019, la CRCI a écarté toute faute de la part des HCL et a estimé que les conditions n'étaient pas remplies pour engager la responsabilité de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) pour infection nosocomiale, accident médical non fautif ou affection iatrogène. Après avoir vainement adressé le 14 août 2019 une réclamation préalable à l'ONIAM, les consorts E... ont saisi le tribunal administratif de Lyon d'une demande dirigée contre l'office tendant à ce qu'il leur verse diverses sommes en leur qualité d'ayants droit de la victime et au titre de leurs préjudices personnels. Par jugement du 7 juillet 2020, le tribunal administratif de Lyon a condamné l'ONIAM à verser une somme de 2 000 euros aux consorts E... en leur qualité d'ayants droit d'Arthur E..., celle de 840 euros pour des frais de médecin conseil, une somme de 1 296,55 euros à Mme C... D... au titre de frais d'obsèques et de son préjudice d'affection, et une somme de 750 euros chacun à M. A... E... et à Mme F... E... pour leur préjudice d'affection. Par requête enregistrée le 4 septembre 2020, les consorts E... demandent une réformation du jugement quant au taux de perte de chance retenu par les premiers juges et quant aux montants de certains préjudices. L'ONIAM conclut au rejet de la requête mais également au rejet des demandes initiales des consorts E....

Sur la responsabilité :

2. Aux termes de l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique : " Sans préjudice des dispositions du septième alinéa de l'article L. 1142-17, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale : / 1° Les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales (...) ". Dans le cas où une infection nosocomiale a compromis les chances d'un patient d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de cette infection et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté mais la perte de chance d'éviter la survenue de ce dommage ; la réparation qui incombe à l'ONIAM, au titre des dispositions précitées de l'article L. 1142-1-1, doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

3. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise présenté devant la CRCI de Rhône-Alpes, que les lourds antécédents cardiaques de M. B... E... ont favorisé la survenue d'un trouble du rythme cardiaque ayant entraîné l'arrêt cardio-respiratoire survenu le 8 avril 2015, en lien avec une insuffisance aortique due à une désinsertion partielle de la prothèse valvulaire avec abcès de l'anneau. Le 29 avril 2015 a été diagnostiquée une endocardite sur la prothèse valvulaire par colonisation à base de staphylocoque doré contracté au décours de la prise en charge hospitalière et qui revêt donc un caractère nosocomial. Si les consorts E... soutiennent que l'infection nosocomiale est directement à l'origine du décès de leur fils ou frère, les experts missionnés par la CRCI indiquent seulement que : " malgré le traitement antibiotique bien conduit, cette endocardite sur prothèse valvulaire avec abcès de l'anneau ne pouvait évoluer que vers le décès en l'absence de prise en charge chirurgicale. [Celle-ci] n'a pu être réalisée en raison d'une contre-indication formelle qu'était le coma anoxique avec les lésions cérébrales ischémiques et hémorragiques ". Ainsi, le décès survenu à l'occasion d'un arrêt cardiaque le 13 mai 2015 a pour cause principale la désinsertion partielle, puis sans doute complète, de la prothèse valvulaire, déjà à l'origine du premier arrêt cardio-respiratoire du 8 avril précédent, compliquée par des végétations, un abcès détergé du trigone et l'endocardite infectieuse à base de staphylocoque doré précitée qui n'a pu être efficacement traitée par cure chirurgicale en raison de l'état de coma anoxique de la victime rendant notamment impossible le recours à une circulation extra corporelle. Néanmoins, même en l'absence de la complication liée à l'endocardite, les experts indiquent que la survie de patients en état végétatif chronique post anoxique est très hasardeuse avec un taux de survie à un an inférieur à 10 %. Si l'ONIAM fait valoir que les seuls antécédents cardiaques et le coma anoxique ayant suivi l'arrêt cardio-respiratoire survenu le 8 avril 2015 expliquent le décès de M. B... E..., il découle de ce qui précède que l'endocardite à base de staphylocoque doré a toutefois contribué au décès de la victime et ainsi emporté une perte de chance d'éviter ce dernier. En fixant le taux de perte de chance à 5 %, le tribunal administratif n'a commis aucune erreur d'appréciation. Il s'ensuit que l'ONIAM doit être déclaré, au titre de la solidarité nationale, responsable des conséquences dommageables découlant de l'infection nosocomiale indiquée au point précédent, au titre de la perte de chance pour M. B... E... d'éviter son décès. Les conclusions incidentes de l'ONIAM tendant à ce que sa responsabilité ne soit pas engagée au titre de la solidarité nationale doivent être rejetées. Enfin, l'ONIAM n'intervenant qu'au titre de la solidarité nationale les conclusions des consorts E... tendant à ce que l'arrêt soit déclaré commun à la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines doivent être rejetées par adoption des motifs retenus par les premiers juges.

Sur les préjudices :

En ce qui concerne les préjudices subis par la victime :

4. D'une part, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise produit devant la CRCI de Rhône-Alpes, que les souffrances endurées par la victime, évaluées à 4 sur 7, ont été indemnisées par le tribunal administratif de Lyon à hauteur de 2 000 euros. Dans les circonstances de l'espèce et en l'absence d'argumentation de l'ONIAM tendant à la minoration de ce montant, il y a lieu de retenir ce dernier.

5. D'autre part, s'agissant du déficit fonctionnel temporaire, les requérants ne sont pas fondés à en demander l'indemnisation dès lors qu'avant l'inoculation de staphylocoque doré, M. E... subissait un tel déficit fonctionnel temporaire total du seul fait du coma végétatif chronique dans lequel l'avait placé l'arrêt cardio-respiratoire survenu le 8 avril 2015. Il s'ensuit que la demande des consorts E... tendant au versement d'une indemnité de 630 euros à ce titre doit être rejetée.

En ce qui concerne les préjudices des requérants :

6. En premier lieu, il n'est pas contesté que les consorts E... ont eu recours à un médecin conseil pour les assister lors de l'expertise devant la CRCI et ont versé des honoraires d'un montant de 840 euros. Les consorts E... ont droit au versement intégral de cette somme.

7. En deuxième lieu, les frais d'obsèques sont justifiés pour un montant de 10 930,98 euros, soit après application du taux de perte de chance, une somme de 546,55 euros doit être versée à Mme C... D....

8. En dernier lieu, en retenant un préjudice d'affection de 15 000 euros pour le père, la mère et la sœur de la victime, le tribunal administratif n'a pas procédé à une évaluation insuffisante dès lors que M. B... E... était majeur et cohabitait avec sa sœur Angélique. Il s'ensuit, qu'après application du taux de perte de chance, chacun a droit à la somme de 750 euros.

9. Il découle de tout ce qui précède que les consorts E... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon leur a accordé la somme de 2 000 euros en leur qualité d'ayants droit d'Arthur E..., de 840 euros au titre d'honoraires de médecin-conseil, de 750 euros chacun en réparation de leur préjudice d'affection et enfin de 546,55 euros pour Mme C... D... au titre des frais qu'elle a exposés pour les obsèques de son fils. Il s'ensuit que leur requête tendant à la majoration de ces condamnations doit être rejetée.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

10. Il y a lieu d'adopter les motifs retenus par les premiers juges en ce qui concerne les intérêts. Toutefois, si à la date du jugement attaqué il n'était pas encore dû un an d'intérêts, plus d'une année s'est écoulée depuis le 14 août 2019, date de réception de la demande de capitalisation des consorts E.... Dès lors, cette capitalisation doit prendre effet au 14 août 2020, au cas où le jugement attaqué n'aurait pas été exécuté à cette date, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les frais du litige :

11. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'ONIAM le versement d'une somme aux consorts E... au titre de frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Les intérêts dus par l'ONIAM aux consorts E... en application de l'article 2 du jugement du 7 juillet 2020 du tribunal administratif de Lyon sont capitalisés au 14 août 2020, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, pour produire eux même intérêts, au cas où ce jugement n'aurait pas encore été exécuté à chacune de ces dates.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête des consorts E... est rejeté.

Article 3 : Les conclusions incidentes de l'ONIAM sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E..., à Mme C... D..., à Mme F... E..., à la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 28 avril 2022, à laquelle siégeaient :

* M. Pourny, président de chambre,

* M. Gayrard, président assesseur,

* M. Pin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 mai 2022.

Le rapporteur,

J-P GayrardLe président,

F. Pourny

La greffière,

F. Abdillah

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

N° 20LY02591 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20LY02591
Date de la décision : 20/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Jean-Philippe GAYRARD
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : MAHZOUM

Origine de la décision
Date de l'import : 31/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-05-20;20ly02591 ?
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