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03/05/2022 | FRANCE | N°20LY02797

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 03 mai 2022, 20LY02797


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner le centre hospitalier universitaire de Dijon à lui verser une somme de 350 000 euros ainsi qu'une pension mensuelle de 1 500 euros, à titre viager, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite de sa prise en charge dans cet établissement.

Par un jugement n° 2000180 du 25 juin 2020, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée

le 25 septembre 2020 et un mémoire enregistré le 31 mai 2021, Mme B..., représentée par l'A...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner le centre hospitalier universitaire de Dijon à lui verser une somme de 350 000 euros ainsi qu'une pension mensuelle de 1 500 euros, à titre viager, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite de sa prise en charge dans cet établissement.

Par un jugement n° 2000180 du 25 juin 2020, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 25 septembre 2020 et un mémoire enregistré le 31 mai 2021, Mme B..., représentée par l'AAPRI Thémis, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2000180 du 25 juin 2020 du tribunal administratif de Dijon ;

2°) à titre principal, d'ordonner avant dire droit une expertise ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner le centre hospitalier universitaire de Dijon à lui verser la somme de 500 000 euros, assortie des intérêts au taux légal, eux-mêmes capitalisés ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Dijon la somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier en ce que le tribunal administratif, faute d'avoir ordonné avant dire droit une mesure d'expertise médicale, laquelle était indispensable à l'établissement des faits de la cause, a méconnu son office ;

- elle a présenté des douleurs thoraciques et épigastriques invalidantes et persistantes à la suite de l'intervention qu'elle a subie au centre hospitalier universitaire de Dijon le 27 juin 2019 en vue de soigner une hernie hiatale ; il est nécessaire d'ordonner la réalisation d'une mesure d'expertise médicale afin de définir les fautes commises et d'évaluer les préjudices qu'elle subit ;

- à titre subsidiaire, le lien de causalité entre les souffrances dont elle est victime et l'intervention qu'elle a subie le 27 juin 2019 au centre hospitalier universitaire de Dijon est rapporté ; ce lien laisse supposer l'existence d'une faute ;

- dans l'attente du rapport de l'expert, son préjudice est évalué provisoirement à la somme de 500 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 mai 2021, le centre hospitalier universitaire de Dijon, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines qui n'a pas produit de mémoire.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 septembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pin, premier conseiller,

- et les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., alors âgée de 61 ans, qui souffrait d'une hernie hiatale, a été opérée par voie coelioscopique au centre hospitalier universitaire de Dijon le 27 juin 2019. Les suites de cette intervention ont été marquées par des douleurs thoraciques et épigastriques ainsi que des difficultés respiratoires. Le 13 septembre 2019, Mme B... a sollicité auprès du centre hospitalier universitaire de Dijon l'indemnisation des préjudices liés, selon elle, à des fautes qui auraient commises dans sa prise en charge au sein de cet établissement. A la suite du rejet de cette réclamation préalable par une décision expresse du 29 novembre 2019, Mme B... a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner le centre hospitalier universitaire de Dijon à lui verser une somme totale de 350 000 euros, en sus d'une rente mensuelle de 1 500 euros, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis. Par un jugement du 25 juin 2020, dont Mme B... relève appel, le tribunal administratif de Dijon rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il appartient au juge administratif, dans l'exercice de ses pouvoirs généraux de direction de la procédure, d'ordonner toutes les mesures d'instruction qu'il estime nécessaires à la solution des litiges qui lui sont soumis.

3. Si le juge administratif a toujours la possibilité d'ordonner les mesures d'instruction qui lui paraissent s'imposer, il n'en a pas, sauf texte contraire, l'obligation. Il résulte de l'examen des mémoires de première instance que Mme B..., qui s'était bornée à faire état de souffrances physiques et psychologiques ainsi que d'un préjudice esthétique survenus dans les suite de l'intervention qu'elle avait subie le 27 juin 2019 au centre hospitalier universitaire de Dijon, s'était abstenue de préciser la nature de cette intervention et n'avait apporté aucun commencement de preuve quant à l'existence d'une faute et la réalité du préjudice allégué. Dans ces conditions, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que le tribunal administratif de Dijon aurait été tenu, avant de se prononcer sur sa demande, d'ordonner une mesure d'instruction, qu'elle n'avait d'ailleurs pas sollicitée.

Sur les conclusions aux fins d'expertise :

4. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. L'expert peut se voir confier une mission de médiation. Il peut également prendre l'initiative, avec l'accord des parties, d'une telle médiation. Si une médiation est engagée, il en informe la juridiction. Sous réserve des exceptions prévues par l'article L. 213-2, l'expert remet son rapport d'expertise sans pouvoir faire état, sauf accord des parties, des constatations et déclarations ayant eu lieu durant la médiation ". Il appartient au demandeur qui engage une action en responsabilité à l'encontre de l'administration d'apporter tous éléments de nature à établir devant le juge l'existence d'une faute et la réalité du préjudice subi. Il incombe alors, en principe, au juge de statuer au vu des pièces du dossier, le cas échéant après avoir demandé aux parties les éléments complémentaires qu'il juge nécessaires à son appréciation. Il ne lui revient d'ordonner une expertise que lorsqu'il n'est pas en mesure de se prononcer au vu des pièces et éléments qu'il a recueillis et que l'expertise présente ainsi un caractère utile.

5. Mme B... fait valoir, pour la première fois en appel, qu'elle a présenté des troubles respiratoires, des douleurs thoraciques ainsi qu'une douleur épigastrique persistante et invalidante dans les suites de l'intervention sur une hernie hiatale qu'elle a subie le 27 juin 2019 au centre hospitalier universitaire de Dijon et consistant en la confection d'une valve tubérositaire avec libération de la grande courbure et la résection d'un repli péritonéal. Il résulte des indications d'un certificat médical produit en appel que cette douleur épigastrique s'avère " assez suspecte ", Mme B... relevant en outre l'aggravation de ses souffrances depuis l'intervention en cause. Toutefois, en l'état de l'instruction, la cour n'est pas en mesure de se prononcer sur l'origine et la cause des douleurs dont fait état Mme B..., ni sur l'existence de fautes invoquées par la requérante ni sur leur imputabilité au centre hospitalier universitaire de Dijon ayant pris en charge la patiente, ni encore sur l'éventualité de la survenue d'un accident médical non fautif, ni enfin sur l'étendue des éventuels préjudices qui ont pu en résulter. Par suite, l'expertise sollicitée en appel est utile et ne présente aucun caractère frustratoire, ni dilatoire. Il y a lieu d'attraire à l'expertise, outre la requérante, le tiers payeur, le centre hospitalier universitaire de Dijon ainsi que l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), susceptible d'être condamné à une indemnisation au titre de la solidarité nationale sur le fondement des dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique.

6. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu, avant qu'il soit statué sur les conclusions de Mme B... relatives à la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Dijon, d'ordonner une mission d'expertise aux fins précisées dans le dispositif du présent arrêt.

DECIDE :

Article 1er : Il sera, avant de statuer sur la requête de Mme B..., procédé par un expert, désigné par le président de la cour administrative d'appel, à une expertise avec mission pour l'expert :

1°) après s'être fait communiquer l'intégralité du dossier médical de Mme B..., notamment de tous documents relatifs au suivi, examens, consultations, et actes de soins en lien avec sa hernie hiatale, de convoquer et entendre les parties et tous sachants, de procéder à un examen de l'intéressée et de décrire son état de santé ;

2°) de décrire les conditions dans lesquelles l'intervention chirurgicale sur la hernie hiatale a été réalisée le 27 juin 2019 au centre hospitalier universitaire de Dijon en réunissant tous les éléments devant permettre de déterminer si la prise en charge (investigations, traitements, soins, surveillance, organisation du service) a été exempte de manquement, c'est-à-dire, concernant la prise en charge médicale proprement dite, si elle a été conforme aux règles de l'art et aux données acquises de la science à l'époque des faits en litige et, concernant l'organisation et le fonctionnement du service, s'ils ont été conformes aux bonnes pratiques et aux recommandations existantes ;

3°) de préciser s'il a été procédé de façon complète à l'information de Mme B..., c'est-à-dire si elle a été informée, avant l'acte de soins, de l'ensemble des risques fréquents et des risques graves, même rares, normalement prévisibles, qu'elle encourait en donnant son consentement à l'acte de soins en cause ;

4°) de déterminer l'origine du dommage subi par Mme B... en appréciant, le cas échéant, la part respective prise par les différents facteurs qui y auraient concouru et en recherchant, à cet égard, quelle incidence sur la survenance du dommage ont pu avoir la présence d'autres pathologies, et l'état antérieur de l'intéressée ;

5°) dans le cas où le dommage serait directement imputable à un accident médical survenu sans manquement aux règles de l'art et aux données acquises de la science, d'évaluer le taux du risque opératoire qui s'est, le cas échéant, réalisé en l'espèce, c'est-à-dire la probabilité que le dommage en cause avait de survenir en raison de l'acte de soins en cause, eu égard aux séries statistiques disponibles et aux caractéristiques particulières de l'état de santé préopératoire de Mme B... ; de quantifier également la probabilité qu'avait Mme B..., avant l'opération ou l'acte de soins litigieux, d'être atteinte à court terme et à moyen terme (préciser le délai), du fait de l'évolution spontanée de son état antérieur, c'est-à-dire en l'absence de tout geste médical, du même handicap que celui dont elle a été effectivement atteinte à l'issue de la prise en charge litigieuse ; l'expert précisera les références des données médicales sur lesquelles il se fonde, en retranscrivant au besoin les passages de la littérature scientifique qui lui paraîtraient pertinents ;

6°) de préciser, dans le cas où un manquement aurait été commis au cours de la prise en charge médicale, s'il n'a entraîné pour Mme B... qu'une perte de chance d'échapper au dommage constaté ;

a) dans le cas d'un manquement à l'obligation d'information, de préciser si Mme B... a subi une perte de chance, exprimée en pourcentage, de se soustraire au risque en refusant les actes de soins pratiqués si elle en avait connu tous les dangers ou si, compte tenu des douleurs dont elle souffrait, de leur évolution probable et aussi des risques d'échec ou de complications à court ou à plus long terme susceptibles d'être provoquées par ces interventions, Mme B... aurait en toute probabilité accepté de subir ces interventions si elle avait correctement été informée des risques encourus ;

b) dans le second cas, de quantifier la probabilité avec laquelle Mme B... aurait subi les mêmes dommages si la prise en charge avait été exempte de manquement, et la probabilité qu'elle encourait de subir, du fait des manquements commis en l'espèce, les dommages dont elle est atteinte, au regard des statistiques relatives aux patients placés dans des situations analogues, c'est-à-dire subissant les mêmes manquements dans leur prise en charge ; l'expert précisera les références des données médicales sur lesquelles il se fonde, en retranscrivant au besoin les passages de la littérature scientifique qui lui paraîtraient pertinents ;

7°) de décrire la nature et l'étendue des préjudices résultant de la prise en charge hospitalière de Mme B..., en les distinguant de son état antérieur et des conséquences prévisibles de sa prise en charge médicale si celle-ci s'était déroulée normalement ; à cet égard, d'apporter les éléments suivants :

a) dire si l'état de santé de Mme B... est consolidé ou s'il est susceptible d'amélioration ou de dégradation ; proposer, si possible, une date de consolidation de l'état de l'intéressée ;

b) s'agissant des préjudices patrimoniaux :

- préjudices patrimoniaux temporaires (avant consolidation) : dépenses de santé et frais divers, assistance d'une tierce personne dont la nature et le volume horaire seront précisés, pertes de gains professionnels ;

- préjudices patrimoniaux permanents (après consolidation) : dépenses de santé et frais divers, assistance d'une tierce personne dont la nature et le volume seront précisés, frais de logement et de véhicule adaptés, perte de gains professionnels futurs, incidence professionnelle ;

c) s'agissant des préjudices extra patrimoniaux :

- préjudices extra patrimoniaux temporaires (avant consolidation) : déficit fonctionnel temporaire, souffrances endurées, préjudice esthétique temporaire ;

- préjudices extra patrimoniaux permanents (après consolidation) : déficit fonctionnel permanent, préjudice sexuel, préjudice d'agrément, préjudice esthétique permanent ;

8°) de donner à la cour tout autre élément d'information qu'il estimera utile.

Article 2 : Les opérations d'expertise auront lieu contradictoirement entre Mme B..., le centre hospitalier universitaire de Dijon, l'ONIAM et la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines.

Article 3 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Préalablement à toute opération, l'expert prêtera serment dans les formes prévues à l'article R. 621-3 du code de justice administrative. L'expert déposera son rapport au greffe de la cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par le président de la cour dans sa décision le désignant.

Article 4 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.

Article 5 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., au centre hospitalier universitaire de Dijon, à la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 7 avril 2022, à laquelle siégeaient :

M. Gayrard, président,

Mme Conesa-Terrade, première conseillère,

M. Pin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 mai 2022.

Le rapporteur,

F.-X. Pin

Le président,

J.-P. GayrardLa greffière,

F. Abdillah

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

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N° 20LY02797


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

54-04-02-02-01 Procédure. - Instruction. - Moyens d'investigation. - Expertise. - Recours à l'expertise.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. GAYRARD
Rapporteur ?: M. François-Xavier PIN
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : AARPI THEMIS

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Date de la décision : 03/05/2022
Date de l'import : 17/05/2022

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 20LY02797
Numéro NOR : CETATEXT000045766876 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-05-03;20ly02797 ?
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