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16/12/2021 | FRANCE | N°21LY03059

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre, 16 décembre 2021, 21LY03059


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... a demandé au président du tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 5 juillet 2021 par lequel le préfet du Rhône a ordonné sa remise aux autorités bulgares, responsables de l'examen de sa demande d'asile, d'enjoindre au préfet de procéder à l'enregistrement de sa demande d'asile et de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 200 euros au titre des frais liés au litige.

Par un jugement n° 2104529 du 22 juillet 2021, le magistrat désigné pa

r le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes.

Procédur...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... a demandé au président du tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 5 juillet 2021 par lequel le préfet du Rhône a ordonné sa remise aux autorités bulgares, responsables de l'examen de sa demande d'asile, d'enjoindre au préfet de procéder à l'enregistrement de sa demande d'asile et de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 200 euros au titre des frais liés au litige.

Par un jugement n° 2104529 du 22 juillet 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 14 septembre 2021, M. A..., représenté par Me Huard, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 5 juillet 2021 du préfet du Rhône ;

3°) d'enjoindre au préfet d'enregistrer sa demande d'asile ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a écarté le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 17, paragraphe 1, du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que des articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 33 de la convention de Genève, compte tenu des risques de mauvais traitements en cas de remise aux autorités bulgares, de l'impossibilité de bénéficier, en Bulgarie, de la protection subsidiaire qui pourrait lui être accordée en France, et de la situation prévalant en Afghanistan, pays vers lequel il risque d'être renvoyé ;

- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé ;

- la réalité de la réponse de la Bulgarie à la demande de reprise en charge n'est pas établie ;

- la personne ayant exercé les fonctions d'interprète ne présentait pas la qualification requise par les articles L. 572-1 et L. 141-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'interprétariat ayant été fait par téléphone sans nécessité caractérisée, sans l'accomplissement de diligences pour obtenir la présence physique d'un interprète, dont les coordonnées ne lui ont pas été communiquées et dont l'administration doit par ailleurs prouver qu'il est inscrit sur l'une des listes prévues au code ou dans un organisme d'interprétariat agréé ;

- la procédure est irrégulière faute d'informations préalables à la prise d'empreintes, en méconnaissance de l'article 29 du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;

- l'arrêté attaqué est intervenu en méconnaissance des articles 4 et 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, en l'absence d'entretien individuel et confidentiel, dont il ne lui a pas été remis copie, mené par une personne qualifiée, en l'absence d'informations données verbalement et à l'aide de brochures quant au déroulement de la procédure, et en l'absence de communication par la préfecture de l'intégralité de son dossier.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 octobre 2021, le préfet du Rhône conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 septembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Le Frapper, première conseillère ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant afghan né le 18 avril 1995, a déclaré être entré en France le 13 avril 2021, afin de demander une protection internationale. A l'issue de la procédure de détermination de l'Etat membre responsable de sa demande d'asile, le préfet du Rhône a ordonné sa remise aux autorités bulgares par un arrêté du 5 juillet 2021. M. A... demande à la cour d'annuler le jugement du 22 juillet 2021 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de l'arrêté du 5 juillet 2021 :

2. En premier lieu, M. A... reprend en appel les moyens soulevés en première instance tirés de l'insuffisance de motivation de l'arrêté attaqué et de la méconnaissance de l'article 29 du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013. Il y a lieu pour la cour d'écarter ces moyens par adoption des motifs pertinents retenus par les premiers juges.

3. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que le préfet du Rhône a communiqué en première instance l'intégralité du dossier de M. A..., qui ne peut ainsi, en tout état de cause, se prévaloir d'un vice de procédure à cet égard, tant au regard de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 que des dispositions désormais reprises à l'article L. 614-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, auxquelles renvoie l'article L. 572-5 du même code.

4. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A... s'est vu remettre les brochures " A " et " B " constituant la brochure commune prévue à l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Le moyen tiré du vice de procédure en l'absence d'information relative à la mise en œuvre de la procédure de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile doit ainsi être écarté.

5. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A... a bénéficié le 20 avril 2021 d'un entretien individuel, dont la confidentialité n'est pas sérieusement contestée et au cours duquel une information sur la mise en œuvre du règlement lui a été donnée verbalement. Le résumé de cet entretien comporte le tampon de la préfecture et mentionne qu'il a été conduit par un agent qualifié de la préfecture de l'Isère, qui est une personne qualifiée en vertu du droit national au sens de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, et dont aucune disposition n'impose la mention de son nom ou de sa qualité, M. A... ne faisant état d'aucun élément circonstancié de nature à laisser supposer que cet entretien ne se serait pas déroulé dans les conditions ainsi décrites. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que M. A... a bénéficié pour cet entretien de l'assistance d'un interprète en pachtou de la société ISM Interprétariat, agréée par l'administration et dont les coordonnées figurent sur le résumé de l'entretien, de même que le nom de l'interprète. La spécificité de cette langue, que l'intéressé a déclaré comprendre, suffit à justifier que l'assistance de l'interprète se soit faite par téléphone, conformément aux dispositions de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vigueur à la date de l'entretien, désormais reprises à l'article L. 141-3 du même code. Le requérant, qui a ainsi pu faire valoir utilement ses observations et qui a signé le résumé de son entretien individuel le jour même, soit en temps utile avant l'intervention de l'arrêté de transfert intervenu le 22 juin 2021, ne justifie pas avoir vainement sollicité une copie du résumé de l'entretien. Par suite, le requérant n'ayant été privé d'aucune garantie, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 et de l'absence de qualification de l'interprète doivent être écartés.

6. En cinquième lieu, les conditions du recours à un interprète à l'occasion de la notification de l'arrêté de transfert, si elles peuvent faire obstacle au déclenchement du délai de recours, sont par elles-mêmes sans incidence sur sa légalité. Par suite, M. A..., qui a valablement exercé un recours juridictionnel, ne peut utilement, pour demander l'annulation de la décision de transfert, soutenir qu'il ne serait pas justifié de la nécessité de recourir à un interprète par téléphone à l'occasion de la notification, le 22 juin 2021, de l'arrêté attaqué.

7. En sixième lieu, il ressort des pièces du dossier que le moyen tiré de l'inexistence de la réponse de la Bulgarie à la demande de reprise en charge adressée par les autorités françaises manque en fait.

8. En dernier lieu, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité (...) ". L'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, désormais repris aux articles L. 571-1 et 573-1, rappelle le droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat.

9. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

10. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

11. En l'espèce, il n'est pas démontré, par les seules affirmations du requérant, la production d'un article de presse et la référence à des vidéos, dont la seule librement accessible rapporte des faits qui auraient été commis par des civils, qu'il existerait de sérieuses raisons de croire en des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Bulgarie, entraînant un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ou de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il n'est pas davantage démontré que la nouvelle demande de protection de M. A... ne serait pas examinée sérieusement par les autorités bulgares après sa reprise en charge, notamment au regard des circonstances nouvelles caractérisées par l'évolution de la situation sécuritaire en Afghanistan. Par ailleurs, la circonstance qu'à la suite du réexamen de sa demande de protection, M. A... serait susceptible d'être éloigné à destination du pays dont il a la nationalité ne saurait caractériser la méconnaissance par la France des obligations résultant des articles 3 de la convention européenne des droits de l'homme, de l'article 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ou, en tout état de cause, de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés. Elle ne suffit pas davantage à caractériser une erreur manifeste d'appréciation dans le refus de faire usage de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 précité du règlement, alors que la France n'est pas le seul Etat susceptible d'accorder le bénéfice de la protection subsidiaire. Il résulte en effet de l'article 2 de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011, auquel renvoie le b) de l'article 2 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, qu'une demande de protection internationale au sens de ces dispositions, également applicables en Bulgarie, est une demande visant à obtenir le statut de réfugié ou bien le statut conféré par la protection subsidiaire.

12. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes. Ses conclusions à fin d'injonction doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse au conseil de M. A... la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Rhône.

Délibéré après l'audience du 25 novembre 2021, à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme Dèche, présidente assesseure,

Mme Le Frapper, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 décembre 2021.

2

N° 21LY03059


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-02-03


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. BOURRACHOT
Rapporteur ?: Mme Mathilde LE FRAPPER
Rapporteur public ?: M. VALLECCHIA
Avocat(s) : HUARD

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre
Date de la décision : 16/12/2021
Date de l'import : 28/12/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 21LY03059
Numéro NOR : CETATEXT000044553156 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-12-16;21ly03059 ?
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