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25/11/2021 | FRANCE | N°20LY01104

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 25 novembre 2021, 20LY01104


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme F... B... épouse C... et M. E... C..., agissant en leurs noms personnels et en leur qualité de représentants légaux de leur fille A... C... et d'ayants-droit de leur fille D... C..., ont demandé au tribunal administratif de Lyon :

1°) de condamner le centre hospitalier d'Ardèche Nord à verser, à raison du décès de la jeune D..., la somme de 15 300 euros au titre des préjudices subis par D... C..., la somme de 29 500 euros à chacun de ses parents au titre de leurs préjudices d'affection et d'a

ccompagnement, la somme de 15 000 euros au titre du préjudice d'affection d'Eva C....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme F... B... épouse C... et M. E... C..., agissant en leurs noms personnels et en leur qualité de représentants légaux de leur fille A... C... et d'ayants-droit de leur fille D... C..., ont demandé au tribunal administratif de Lyon :

1°) de condamner le centre hospitalier d'Ardèche Nord à verser, à raison du décès de la jeune D..., la somme de 15 300 euros au titre des préjudices subis par D... C..., la somme de 29 500 euros à chacun de ses parents au titre de leurs préjudices d'affection et d'accompagnement, la somme de 15 000 euros au titre du préjudice d'affection d'Eva C..., 2 088 euros au titre du préjudice économique de M. C... et la somme de 1 616 euros au titre des frais d'obsèques ;

2°) de condamner le centre hospitalier d'Ardèche Nord à verser concernant le dommage subi par Mme F... C... en tant que victime directe une somme totale de 21 000 euros en réparation de ses préjudices, une somme de 5 000 euros au titre du préjudice subi par M. E... C... et une somme de 2 500 euros au titre du préjudice subi par la jeune A... C... ;

3°) d'assortir les condamnations indemnitaires prononcées des intérêts au taux légal à compter du 30 avril 2019, date du recours préalable, avec anatocisme annuel à compter du 30 avril 2020 ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Ardèche Nord la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1905742 du 21 janvier 2020, le tribunal administratif de Lyon a condamné le centre hospitalier d'Ardèche Nord à verser une somme de 3 100 euros à Mme F... B... épouse C..., à verser une somme de 250 euros à M. E... C..., décidé que ces sommes porteraient intérêts au taux légal à compter du 30 avril 2019, condamné le centre hospitalier d'Ardèche Nord à verser à M et Mme C... une somme de 1 400 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus de leurs conclusions.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 19 mars 2020, Mme F... B... épouse C... et M. E... C... agissant en leurs noms personnels, en qualité d'ayants droit de leur fille D... et de représentants légaux de leur fille A... C..., représentés par Me Georges Maury et Me Antoine Maury, demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement du 21 janvier 2020 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Ardèche Nord le versement d'une somme de 121 504 euros, portant intérêts au taux légal à compter du 30 avril 2019, avec anatocisme annuel à partir du 30 avril 2020, en réparation des préjudices subis à raison de fautes commises à l'occasion de la prise en charge de Mme B... dans cet établissement lors de son accouchement ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- les fautes commises par le centre hospitalier d'Ardèche Nord lors de la prise en charge et de l'accouchement de Mme B... épouse C... ont causé le décès de leur fille D... ;

- ils sont en conséquence fondés à demander réparation des préjudices subis à raison de ce décès et de la rupture utérine intervenue au cours de l'accouchement.

Par un mémoire en défense et en appel incident, enregistré le 16 avril 2021, le centre hospitalier d'Ardèche Nord conclut :

1°) à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Lyon du 21 janvier 2020 ;

2°) au rejet des demandes de M. et Mme C... au titre des préjudices liés à la rupture utérine ;

3°) au rejet de la requête.

Le centre hospitalier soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif de Lyon a considéré qu'il avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité en administrant à Mme C... de l'ocytocine en cours de travail ;

- rien n'établit que cette molécule aurait été à l'origine de la rupture utérine qui constitue un risque rare ;

- le défaut d'information n'a entrainé aucune perte de chance de se soustraire au risque exceptionnel de rupture utérine, en l'absence d'alternative à l'accouchement par voie basse ; dans ces conditions, seul le préjudice moral d'impréparation peut donner lieu à réparation ;

- l'usage d'ocytocine n'était pas fautif ;

- aucun élément ne permettait de prévoir le risque de dystocie des épaules ; l'absence du gynécologue en salle de travail n'est donc pas fautive ; le gynécologue de garde est arrivé en salle de travail dans un délai habituel ;

- compte tenu de l'urgence à extraire l'enfant en présence d'une dystocie des épaules, c'est conformément aux recommandations de la profession que les manœuvres ont été accomplies par la sage-femme, sans attendre l'arrivée de l'obstétricien ;

- la durée d'expulsion est exclusivement imputable à la dystocie des épaules, évènement imprévisible en l'absence de facteur de risque ; aucune responsabilité ne peut lui être imputée en raison de l'absence d'appel à l'obstétricien ;

Subsidiairement, en défense, le centre hospitalier expose que :

- en l'absence de lien entre la prise en charge de l'accouchement et le décès de l'enfant, ses préjudices propres ne peuvent donner lieu à réparation, les demandes présentées en qualité d'ayants-droit doivent, en conséquence, être rejetées ;

- en l'absence de lien entre les manquements retenus et l'asphyxie fœtale, le tribunal administratif de Lyon a considéré que seuls les préjudices subis par Mme C..., en tant que victime directe, et par son époux et sa fille, en tant que victimes indirectes par rapport aux dommages subis par Mme C... résultant de la rupture utérine, pouvaient donner lieu à réparation ;

- le décès de D... n'étant pas imputable à un manquement, l'indemnisation du préjudice d'affection et d'accompagnement, des frais d'obsèques et du préjudice économique de M. C... doit être rejetée ;

- s'agissant des préjudices propres à Mme C... liés à la rupture utérine, l'indemnité allouée par le tribunal au titre du préjudice d'impréparation est conforme à la jurisprudence ; s'agissant du déficit fonctionnel temporaire, la faute retenue par le tribunal dans l'administration de l'ocytocine n'a engendré qu'une perte de chance de 50 %, en sorte que l'indemnité allouée par le jugement n'est pas insuffisante ; compte tenu de la perte de chance retenue, l'indemnité de 1 350 euros allouée au titre des souffrances endurées évaluées à 2,5 sur 7, résultant de la rupture utérine n'est pas insuffisante ;

- l'indemnité de 500 euros allouée au titre du préjudice esthétique temporaire évalué à 1 sur une échelle de 7 compte tenu de la perte de chance est suffisante ;

- les difficultés invoquées dans les relations familiales ne constituent pas un préjudice d'agrément indemnisable, en l'absence de lien entre la rupture utérine, qui n'a pas eu de conséquence dommageable à cet égard, et le préjudice d'agrément ;

- la rupture utérine prise en charge dès le lendemain de l'accouchement suivie d'une bonne cicatrisation n'a pas empêché Mme C... de mener à bien une nouvelle grossesse en 2018 ; l'indemnité allouée au titre du préjudice d'accompagnement était suffisante compte tenu du taux de perte de chance ; aucun préjudice d'accompagnement de leur fille A..., à la date des faits n'est établi compte tenu de son jeune âge.

La procédure a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône, représentant la caisse primaire d'assurance maladie de l'Ardèche, qui n'a pas produit d'observations dans la présente instance.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Conesa-Terrade, première conseillère,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Maury, représentant Mme F... B... épouse C... et M. E... C... ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme F... B... épouse C... et M. E... C... relèvent appel du jugement du 21 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Lyon a limité à une somme de 3 350 euros assortie des intérêts au taux légal et de l'anatocisme, l'indemnisation des préjudices subis par Mme C... à raison de la rupture utérine dont elle a été victime lors de son accouchement au centre hospitalier d'Ardèche Nord le 27 juillet 2017, en retenant seulement que l'administration d'ocytocine au cours de cet accouchement lui avait fait perdre 50 % de chance d'éviter une rupture utérine, et rejeté leurs demandes d'indemnisation des préjudices résultant du décès de l'enfant D... C... dans les suites de cet accouchement.

2. Par un appel incident, le centre hospitalier d'Ardèche Nord conclut à l'annulation du jugement du 21 janvier 2020 et au rejet des demandes de M. et Mme C... au titre des préjudices liés à la rupture utérine.

Sur la responsabilité pour fautes du centre hospitalier d'Ardèche Nord :

En ce qui concerne les fautes :

3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".

4. Aux termes de l'article L. 1111-2 du même code : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. / Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. / (...) / En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen. / (...) ". En application de ces dispositions, qui prévoient un droit d'information sur les " risques fréquents ou graves normalement prévisibles ", doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence. Il suit de là que la circonstance qu'un risque de décès ou d'invalidité répertorié dans la littérature médicale ne se réalise qu'exceptionnellement ne dispense pas les médecins de le porter à la connaissance du patient. En cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque.

5. La circonstance que l'accouchement par voie basse constitue un événement naturel et non un acte médical ne dispense pas les médecins de l'obligation de porter, le cas échéant, à la connaissance de la femme enceinte les risques qu'il est susceptible de présenter eu égard notamment à son état de santé, à celui du fœtus ou à ses antécédents médicaux, et les moyens de les prévenir. En particulier, en présence d'une pathologie de la mère ou de l'enfant à naître ou d'antécédents médicaux entraînant un risque connu en cas d'accouchement par voie basse, l'intéressée doit être informée de ce risque ainsi que de la possibilité de procéder à une césarienne et des risques inhérents à une telle intervention.

6. En premier lieu, il résulte de l'instruction et plus particulièrement du rapport d'expertise que le premier accouchement de Mme C... s'est fait par césarienne et que si, à l'occasion de sa deuxième grossesse, la décision d'accouchement par voie basse a été envisagée avec l'équipe médicale, aucune information spécifique sur le risque de rupture utérine en cas d'accouchement par voie basse sur utérus cicatriciel ne lui a été préalablement délivrée. Le rapport d'expertise indique qu'en pareil cas, l'accouchement par voie basse comporte un risque connu de rupture utérine, évalué à 0,2 à 0,8 %, et qu'un tel accident, s'il survient, peut avoir de très graves conséquences tant pour la mère avec un taux de 15 % de morbidité sévère, que pour l'enfant, avec un taux de 3 à 6 % de mortalité, si une césarienne réalisée en urgence ne permet pas son extraction dans les plus brefs délais. Il n'est pas contesté que le risque de rupture utérine est moindre en cas d'accouchement par césarienne. Mme C... aurait donc dû être informée du risque, dans son cas, de rupture utérine associé à un accouchement par voie basse et des conséquences possibles sur l'enfant en cas de réalisation d'un tel risque. Il est constant que le centre hospitalier d'Ardèche Nord, qui supporte la charge de la preuve, n'établit pas avoir dispensé à Mme C... une information sur le risque général de rupture utérine, connu et suffisamment important, consécutif à une précédente césarienne en cas d'accouchement par voie basse, alors même qu'une césarienne était envisageable. Dans ces conditions, les requérants sont fondés à rechercher la responsabilité pour faute du centre hospitalier d'Ardèche Nord en raison d'un défaut d'information préalable à l'origine d'une perte de chance d'éviter le dommage correspondant à la survenue de la rupture utérine.

7. En deuxième lieu, en ce qui concerne l'administration d'ocytocine, il résulte de l'instruction et plus particulièrement du rapport d'expertise, d'une part, que l'administration d'ocytocine ne doit pas être systématique et " n'a pas d'indication en cas d'évolution satisfaisante du travail avec dynamique utérine normale ", d'autre part que si son utilisation n'est pas contre-indiquée en cas d'utérus cicatriciel, elle augmente environ par deux le risque de rupture utérine. Les experts précisent que son utilisation " n'avait pas d'indication dans le cas présent ". Toutefois, rapporté au risque de rupture utérine en cas de tentative par voie basse sur utérus cicatriciel de 0,2 à 0,8 %, cette multiplication par deux demeure limitée et ne permet pas de considérer que l'injection d'ocytocine aurait causé de manière directe et certaine la rupture utérine. Dans ces conditions, en dépit de la majoration connue du risque de rupture utérine et bien qu'il ne résulte pas de l'instruction que son utilisation aurait été nécessaire ou préconisée dans le cas de Mme C..., les requérants ne sont pas fondés à rechercher la responsabilité pour faute du centre hospitalier d'Ardèche Nord concernant l'administration d'ocytocine et le centre hospitalier d'Ardèche Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a retenu que l'administration de ce médicament avait fait perdre à Mme C... 50 % de ses chances d'éviter la rupture utérine dont elle a été victime.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 4151-3 du code de la santé publique : " (...) en cas d'accouchement dystocique, la sage-femme doit faire appel à un médecin. ". Il résulte de ces dispositions que lorsque survient une dystocie pendant un accouchement se déroulant sous la surveillance d'une sage-femme, celle-ci a l'obligation d'appeler un médecin. L'absence d'un médecin dans de telles circonstances est constitutive d'un défaut dans l'organisation et le fonctionnement du service engageant la responsabilité du service public hospitalier, à moins qu'il ne soit justifié d'une circonstance d'extrême urgence ayant fait obstacle à ce que la sage-femme appelle le médecin ou que le médecin appelé ait été, pour des motifs légitimes, placé dans l'impossibilité de se rendre au chevet de la parturiente.

9. En l'espèce, il résulte de l'instruction que Mme B... épouse C..., âgée de 23 ans, enceinte de son second enfant, a été admise aux urgences du centre hospitalier d'Ardèche Nord, à quarante et une semaines et quatre jours d'aménorrhée, le 27 juillet 2017 à 2h 15 du matin, alors qu'elle était en proie à des contractions. Il résulte du rapport d'expertise que les contractions utérines n'ont pas été enregistrées après 20h05 et que de 20h52 à 21h00 quelques décélérations variables modérées du rythme cardiaque fœtal ont été enregistrées. Placée en salle de travail sous la surveillance d'une sage-femme, à 21 heures, alors que les efforts expulsifs débutaient, Mme C... a été prise d'importants vomissements dès les premières minutes et a ressenti une douleur basse. Selon le rapport d'expertise entre 21h00 et 21h24 soit peu après le dégagement de la tête fœtale, le rythme cardiaque fœtal est difficilement différencié du rythme cardiaque maternel qui lui est superposé. Il ressort du rapport d'expertise et notamment des notes manuscrites des sages-femmes que lorsqu'à 21h10 commencent réellement les efforts expulsifs, après quinze minutes de poussée, il est pratiqué une épisiotomie. L'expulsion de la tête fœtale, effective à 21h20, avec " circulaire lâche ", accompagnée d'écoulement sanglants sortant des narines et de trois caillots de petite taille, a été entravée par la survenue d'une dystocie sévère des épaules amenant la sage-femme à pratiquer une manœuvre de Mac Roberts avec hyperflexion, puis trois tentatives de manœuvre de Jacquemier, avant de pouvoir extraire l'enfant, D..., pesant 3 400 grammes, née à 21h24 en état de mort apparente. La sage-femme a appelé le pédiatre à 21h26, le gynécologue-obstétricien de garde à 21h27 et l'anesthésiste à 21h35. Les experts indiquent à ce titre que la présence du gynécologue obstétricien de garde lors de l'accouchement n'était pas indispensable dès lors qu'il n'y avait pas de facteur de risque prévisible de dystocie des épaules. Ils estiment que sa venue suite à l'appel de la sage-femme a été effectuée " dans des délais habituels ". Les experts indiquent que, dès lors que la tête était expulsée, et qu'il existait par conséquent un risque d'asphyxie, la sage-femme n'a pas commis de faute en n'attendant pas le gynécologue-obstétricien pour procéder aux manœuvres.

10. Le rapport d'expertise indique que, après la délivrance, l'enfant est placée sur la table de réanimation, la sage-femme pratique une aspiration et une ventilation, l'enfant ayant inhalé du sang, la désobstruction des voies aériennes ramène du sang en quantité abondante, il n'y a pas eu de ventilation spontanée. A l'arrivée du médecin gynécologue de garde, après massages cardiaques externes renouvelés à plusieurs reprises pour bradycardie et trouble de saturation O2, le gynécologue-obstétricien et la sage-femme discutent de " l'origine du problème " et envisagent notamment et en premier lieu que celui-ci a été causé par une rupture utérine. Une nouvelle bradycardie nécessite un nouveau massage externe, à quinze minutes de vie, D... est intubée. Le rapport d'expertise rapporte qu'il n'y a alors pas de données de surveillance des constantes de l'enfant disponibles. A 2h35 de vie, une anoxo-ischémie survenue avant la naissance est diagnostiquée. Le rapport d'expertise indique que " Les dommages neurologiques sont donc liés aux évènements prénatals. ". Il ressort du rapport d'expertise que le lendemain, en réunion de service, trois causes sont envisagées par l'équipe médicale : la survenue d'une rupture utérine, d'une embolie pulmonaire ou amniotique ou d'un hématome rétro-placentaire, complications graves de la grossesse qui nécessitent de pratiquer en urgence une césarienne. Le rapport d'expertise conclut que " D... naît en état de mort apparente le 27 juillet 2017 à 21h24 au terme de 41 semaines d'aménorrhée et quatre jours, et après un travail marqué par une probable rupture utérine et une dystocie des épaules " qui ont nécessité trois tentatives de manœuvres de Jacquemier. Un cordon circulaire lâche ".

11. Enfin, les experts précisent que l'origine de l'asphyxie " peut théoriquement être liée à la rupture utérine et à la dystocie des épaules. Cependant, plusieurs arguments plaident pour attribuer cet état de façon exclusive ou très majoritaire à la dystocie des épaules ". Selon le rapport d'expertise la rupture utérine est survenue au moment des efforts expulsifs, compte tenu des douleurs abdominales et à l'épaule droite ressenties par la parturiente dès le début du travail, qui sont présentes dans 50 % à 70 % des cas de rupture utérine, et s'est complétée au moment des manœuvres de Jacquemier. Toutefois, pour justifier l'absence de diagnostic de la rupture utérine, l'expert estime qu'en l'absence d'anomalie du rythme cardio-fœtal, les signes étaient pauvres. Le délai particulièrement long entre l'expulsion de la tête et du corps de l'enfant (4 minutes) est tout à fait compatible avec son état asphyxique. Si en application des dispositions précitées de l'article L. 4151-3 du code de la santé publique, l'absence d'appel du gynécologue-obstétricien dès la constatation de la dystocie des épaules constitue une faute, l'abstention fautive de la sage-femme à appeler le gynécologue dès le constat de la nécessité de procéder à la première manœuvre d'extraction, et alors qu'il n'est pas contesté que les manœuvres d'extraction ont été effectuées correctement par la sage-femme, il ne résulte pas de l'instruction que l'enfant aurait pu être délivrée plus rapidement. Dans ces conditions, cette abstention fautive n'est pas à l'origine d'un dommage dont M. et Mme C... sont susceptibles d'obtenir réparation et n'est notamment pas en lien avec le décès de l'enfant.

Sur le taux de perte de chance :

12. Si Mme C... aurait dû être informée du risque de rupture utérine auquel elle s'exposait en choisissant d'accoucher par voie basse, il résulte du rapport d'expertise que la décision de procéder à un accouchement par voie basse était en accord avec les recommandations professionnelles, que le risque de rupture utérine est inférieur à 1 % lors d'un accouchement par voie basse sur utérus cicatriciel et que la seule alternative possible est l'accouchement par césarienne qui comporte également des risques. Dès lors, il sera fait une juste appréciation de la perte de chance, liée au seul défaut d'information préalable, de se soustraire au risque de rupture utérine qui s'est réalisé en la fixant à 10 %.

13. Compte tenu de la perte de chance de 10 % de renoncer à l'accouchement par voie basse résultant du défaut d'information préalable, alors qu'un accouchement par césarienne aurait permis d'éviter également la dystocie des épaules et, par suite, le décès de l'enfant, la perte de chance pour l'enfant d'échapper à l'asphyxie anténatale qui s'est réalisée peut être évaluée à 10 %.

Sur les préjudices :

En ce qui concerne les préjudices liés à la rupture utérine :

S'agissant des préjudices de Mme C... :

14. En premier lieu, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral d'impréparation de Mme C..., qui n'a pu anticiper la survenue de la complication constituée par la rupture utérine en raison du défaut d'information concernant ce risque, en lui accordant une somme de 1 000 euros.

15. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, et plus particulièrement du rapport d'expertise que Mme C... a subi, en raison de sa rupture utérine, un déficit fonctionnel temporaire total du 27 juillet au 1er août 2017 puis un déficit fonctionnel partiel à 75 % du 2 août au 8 septembre 2017. Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en lui accordant, après application du taux de perte de chance de 10 %, une somme de 50 euros.

16. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que les experts ont évalué les souffrances endurées par Mme C... à 2,5 sur une échelle allant de 1 à 7. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en lui accordant, après application du taux de perte de chance de 10 % une somme de 300 euros.

17. En quatrième lieu, le préjudice esthétique temporaire subi par Mme C... en raison de la rupture utérine a été évalué à 1 sur 7 par les experts. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en lui accordant, après application du taux de perte de chance, une somme de 100 euros.

18. En dernier lieu, en se bornant à invoquer d'une manière générale une baisse de sa qualité de vie, principalement dans ses rapports familiaux et une altération des agréments qu'elle tirait de ses rapports familiaux et amicaux, Mme C... n'établit pas subir un préjudice d'agrément, en lien avec les fautes retenues par le présent jugement, justifiant l'octroi d'une indemnisation.

S'agissant des préjudices des victimes indirectes :

19. Compte tenu des circonstances de l'espèce, il y a lieu d'accorder à M. C..., époux de Mme C..., une somme de 100 euros au titre de son préjudice moral, après application du taux de perte de chance. En revanche, il n'y a pas lieu d'accorder une somme au même titre pour la jeune A... âgée de seulement deux ans au moment des faits.

En ce qui concerne les préjudices liés aux souffrances et au décès de l'enfant :

S'agissant des préjudices subis par l'enfant :

20. Le droit à la réparation d'un dommage, quelle que soit sa nature, s'ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause. Si la victime du dommage décède sans que ses droits aient été définitivement fixés, c'est-à-dire, en cas de litige, avant qu'une décision juridictionnelle définitive ait fixé le montant de l'indemnisation, son droit, entré dans son patrimoine avant son décès, est transmis à ses héritiers.

21. Si le collège expertal n'a pas quantifié le déficit fonctionnel temporaire total et les souffrances endurées par l'enfant de sa naissance le 27 juillet 2017 à son décès le 7 août 2017, il peut être fait une appréciation globale de ces préjudices en les évaluant à un montant de 15 000 euros avant application du taux de perte de chance. Dès lors, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier d'Ardèche Nord le versement d'une somme de 1 500 euros à M. et Mme C... représentants la succession de la victime.

S'agissant des préjudices des victimes indirectes :

22. S'il ne résulte pas de l'instruction que les parents de l'enfant et sa sœur aient subi des bouleversements dans leurs conditions de vie ouvrant droit à indemnisation au titre du préjudice d'accompagnement, compte tenu de la brève durée de vie de la victime, M. et Mme C... et leur fille A... sont fondés à demander réparation d'un préjudice d'affection qui peut être évalué, avant application du taux de perte de chance, à 15 000 euros pour chacun des parents de l'enfant et à 5 000 euros pour la jeune A... C.... Dès lors, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier d'Ardèche Nord le versement d'une somme de 1 500 euros chacun à M. et Mme C... outre une somme de 500 euros au titre du préjudice subi par leur fille A....

23. Il résulte de l'instruction et notamment de la facture des pompes funèbres produites que les frais d'obsèques se sont élevés exactement à la somme de 1 616 euros. Par suite, et compte tenu du taux de perte de chance retenu, il y a lieu de condamner le centre hospitalier d'Ardèche Nord à verser à M. et Mme C... la somme de 161,60 euros.

24. Il résulte de tout ce qui précède que si le centre hospitalier d'Ardèche Nord n'est pas fondé à se plaindre d'avoir été condamné à indemniser M. et Mme C... à raison des préjudices qu'ils ont subis, M. et Mme C... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a limité les indemnités qui leur ont été accordées au titre des préjudices qu'ils ont subis et de ceux subis par leurs filles à un montant total de 3 350 euros, ce montant devant être porté à 6 711,60 euros.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

25. Lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1231-7 du code civil courent à compter de la réception de la demande préalable à l'administration ou, à défaut, de l'enregistrement de la requête introductive d'instance.

26. Les requérants ont droit, ainsi qu'ils le demandent, aux intérêts au taux légal sur les indemnités mises à la charge du centre hospitalier d'Ardèche Nord à compter du 30 avril 2019, date de réception de leur demande indemnitaire préalable.

27. La capitalisation des intérêts a été demandée le 23 juillet 2019. A la date du présent arrêt, il est dû plus d'une année d'intérêts. Dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, les requérants ont droit à la capitalisation des intérêts, chaque année, à compter du 23 juillet 2020.

Sur les frais liés au litige :

28. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier d'Ardèche Nord le versement à M. et Mme C... d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le montant de la somme que le centre hospitalier d'Ardèche Nord a été condamné à verser à Mme F... B... épouse C... par le jugement du tribunal administratif de Lyon, au titre de ses préjudices personnels, est porté à 2 950 euros.

Article 2 : Le montant de la somme que le centre hospitalier d'Ardèche Nord a été condamné à verser à M. E... C... par le jugement du tribunal administratif de Lyon, au titre de ses préjudices personnels, est porté à 1 600 euros.

Article 3 : Le centre hospitalier d'Ardèche Nord est condamné à verser à M. et Mme C... une somme de 1 500 euros au titre des préjudices subis par leur fille D..., une somme de 161,60 euros au titre des frais d'obsèques de l'enfant et une somme de 500 euros au titre du préjudice subi par leur fille A....

Article 4 : Les sommes mentionnées aux articles précédents porteront intérêts au taux légal à compter du 30 avril 2019 avec capitalisation des intérêts à compter du 23 juillet 2020.

Article 5 : Le jugement du tribunal administratif de Lyon est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 6 : Le centre hospitalier d'Ardèche Nord versera une somme de 1 500 euros à M. et Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... B... épouse C..., à M. E... C..., à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Ardèche, à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône et au centre hospitalier d'Ardèche Nord.

Délibéré après l'audience du 21 octobre 2021, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Gayrard, président-assesseur,

Mme Conesa-Terrade, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 novembre 2021.

3

N° 20LY01104


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20LY01104
Date de la décision : 25/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: Mme Emmanuelle CONESA-TERRADE
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : GEORGES MAURY - ANTOINE MAURY

Origine de la décision
Date de l'import : 07/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-11-25;20ly01104 ?
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