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14/10/2021 | FRANCE | N°19LY04266

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 14 octobre 2021, 19LY04266


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'Etat à lui verser une somme de 283 000 euros en réparation de ses préjudices et de mettre à sa charge une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1900748 du 24 septembre 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête sommaire et un mémoire ampliatif, enregistrés les 22 novembre et 11 décemb

re 2019, Mme A... B..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'Etat à lui verser une somme de 283 000 euros en réparation de ses préjudices et de mettre à sa charge une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1900748 du 24 septembre 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête sommaire et un mémoire ampliatif, enregistrés les 22 novembre et 11 décembre 2019, Mme A... B..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1900748 du 24 septembre 2019 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 283 000 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif a dénaturé les pièces du dossier en excluant la carence fautive de l'Etat ;

- le tribunal en a fait de même en niant l'existence d'un lien de causalité entre les manquements invoqués et son dommage.

Par un mémoire, enregistré le 3 novembre 2020, le ministre de la santé conclut au rejet de la requête :

Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par un courrier du 25 février 2020, les parties ont été informées, conformément aux dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de fonder son arrêt sur un moyen d'ordre public tiré de ce que le tribunal administratif de Lyon, en ne mettant pas en cause la mutuelle générale de l'éducation nationale et le ministre de l'éducation nationale, a entaché son jugement d'irrégularité.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité sociale ;

- l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Gayrard, président assesseur,

- et les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... B..., née le 22 décembre 1972, déclare avoir contracté la maladie de Lyme courant 2010 mais le diagnostic n'aurait été posé qu'en 2015 à un stade chronique. Après avoir vainement adressé une réclamation auprès du ministre chargé de la santé le 27 septembre 2018, Mme B... a saisi le tribunal administratif de Lyon de conclusions indemnitaires tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 283 000 euros pour carence fautive dans la prise en charge des personnes atteintes de la maladie de Lyme. Par jugement du 24 septembre 2019, dont Mme B... relève appel, le tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande.

Sur la régularité du jugement :

2. D'une part, l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ouvre aux caisses de sécurité sociale qui ont servi des prestations à la victime d'un dommage corporel un recours subrogatoire contre le responsable de ce dommage. Le huitième alinéa de cet article prévoit notamment : " L'intéressé ou ses ayants droit doivent indiquer, en tout état de la procédure, la qualité d'assuré social de la victime de l'accident ainsi que les caisses de sécurité sociale auxquelles celle-ci est ou était affiliée pour les divers risques. Ils doivent appeler ces caisses en déclaration de jugement commun ou réciproquement. (...) ". En application de ces dispositions, il incombe au juge administratif, saisi d'un recours indemnitaire de la victime contre une personne publique regardée comme responsable du dommage, de mettre en cause les caisses auxquelles la victime est ou était affiliée. Le défaut de mise en cause de la caisse entache la procédure d'irrégularité.

3. D'autre part, aux termes de l'article 3 de l'ordonnance du 7 janvier 1959 relative aux actions en réparation civile de l'Etat et de certaines autres personnes publiques, les agents de l'Etat ou d'une personne publique mentionnée à l'article 7 de cette ordonnance ou leurs ayants droit qui demandent en justice la réparation d'un préjudice qu'ils imputent à un tiers " doivent appeler en déclaration de jugement commun la personne publique intéressée et indiquer la qualité qui leur ouvre droit aux prestations de celle-ci ". Cette obligation, dont la méconnaissance est sanctionnée par la possibilité reconnue à toute personne intéressée de demander pendant deux ans l'annulation du jugement, a pour objet de permettre la mise en cause, à laquelle le juge administratif doit procéder d'office, des personnes publiques susceptibles d'avoir versé ou de devoir verser des prestations à la victime ou à ses ayants droit.

4. Le tribunal administratif de Lyon, saisi de la demande de Mme B... dirigée contre l'Etat et tendant à sa condamnation à réparer les préjudices notamment corporels résultant selon elle des modalités de lutte contre la maladie de Lyme, a omis de mettre en cause d'office la mutuelle générale de l'éducation nationale, à laquelle la requérante est affilée, aux fins de l'exercice éventuel par celle-ci de l'action instituée à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale. En outre, Mme B... avait produit, à l'appui de sa demande, une décision de mise à la retraite pour invalidité de laquelle il résultait qu'elle était secrétaire administrative de l'éducation nationale et avait donc la qualité de fonctionnaire de l'Etat. En ne communiquant pas sa demande au ministre de l'éducation nationale et au ministre chargé des pensions, le tribunal administratif a entaché son jugement d'irrégularité. Ce dernier doit, par suite, être annulé.

5. La procédure ayant été communiquée à la mutuelle générale de l'éducation nationale, au ministre de l'éducation nationale et au ministre chargé des pensions, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Lyon.

Sur la responsabilité :

6. En premier lieu, Mme B... soutient que, pendant onze ans, la prise en charge des patients atteints de borréliose de Lyme n'a été définie par les autorités chargées de la police sanitaire que sur une conférence de consensus, n'ayant aucun caractère normatif, largement inspirée de recommandations discutables de l'IDSA américaine et ne proposant pas une solution adaptée pour la prise en charge des cas en stade avancé de la maladie comme le sien et que les actuelles recommandations en la matière issues d'un protocole national de diagnostic et de soins rendu public en juin 2018 ne propose pas davantage une prise en charge satisfaisante.

7. Toutefois, il résulte de l'instruction que si la conférence de consensus du 13 décembre 2006, sous l'égide de la société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF), c'est-à-dire d'une société savante, n'a pas valeur réglementaire, elle a donné lieu à l'édiction de lignes directrices nationales diffusées par le ministère de la santé. La requérante n'apporte aucun élément pour établir que ces recommandations n'étaient pas valides selon l'état des données acquises de la science médicale lorsqu'elles ont été édictées, alors que la SPILF, saisie par la direction générale de la santé en 2016, a d'ailleurs estimé, après revue de la littérature médicale, qu'une révision de la conférence de consensus de 2006 ne s'avérait pas nécessaire. Il résulte également de l'instruction que, contrairement à ce que soutient la requérante, les autorités de l'Etat chargées de la police sanitaire ne sont pas restées inactives : la direction générale de la santé a ainsi saisi en décembre 2008, juillet 2012, octobre 2012 et mars 2015 le haut conseil de la santé publique qui a émis deux avis les 28 mars 2014 et 19 février 2016 comprenant notamment des recommandations de prise en charge des patients atteints de la maladie de Lyme. Cette dernière a fait ensuite l'objet d'un plan national de prévention et de lutte contre les maladies transmissibles par les tiques rendu public en septembre 2016, dont font parties les recommandations de la haute autorité en santé de juin 2018 " borréliose et autres maladies vectorielles à tiques ". Enfin, la SPILF a également actualisé les recommandations en la matière en 2019. La requérante n'apporte aucun commencement de preuve sur une insuffisance des modalités actuelles de diagnostic, fondées sur une double sérologie, ou de traitement, essentiellement de type antibiotique selon des durées faisant consensus sur un plan international. Au demeurant, il résulte de l'instruction que l'existence même d'une forme chronique de la maladie de Lyme ou d'un syndrome persistant polymorphe après une possible piqûre de tique ainsi que la stratégie diagnostique et le recours à une antibiothérapie prolongée continuent, en l'état des données acquises de la science, à donner lieu à des avis divergents. Dans ce contexte, les recommandations de bonnes pratiques élaborées par la Haute Autorité de santé sur la base de l'article L. 161-37 du code de la sécurité sociale n'ont pour objet que de guider les professionnels de santé dans la définition et la mise en œuvre des stratégies de soins à visée préventive, diagnostique ou thérapeutique les plus appropriées en l'état des données de la science, lesquels restent de leur seule responsabilité.

8. En second lieu, la requérante reproche aux autorités sanitaires de ne pas avoir priorisé la lutte contre la maladie de Lyme ainsi que la recherche médicale, notamment quant à des modes alternatifs à l'antibiothérapie qu'elle supporte mal, en faisant valoir une insuffisance de financement mis en exergue par un rapport d'information du Sénat du 10 avril 2019. Toutefois, même à considérer que l'effort financier déployé pour la recherche scientifique sur le traitement de la maladie de Lyme serait insuffisant au regard de l'enjeu de santé publique, une telle circonstance ne saurait être regardée comme présentant un quelconque lien de causalité direct et certain avec son préjudice lié à la maladie de Lyme.

9. Il découle de tout ce qui précède que Mme B... n'apporte pas la preuve d'une carence fautive de la part des autorités chargées de la police sanitaire qui serait en lien suffisamment direct et certain avec son préjudice. Par suite, sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à réparer ce préjudice ne peut qu'être rejetée.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme B... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon est annulé.

Article 2 : La demande de Mme B... et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B..., au ministre des solidarités et de la santé, au ministre de l'éducation nationale, au ministre chargé des pensions, à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme et à la mutuelle générale de l'éducation nationale du Puy-de-Dôme.

Délibéré après l'audience du 23 septembre 2021, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Gayrard, président assesseur,

Mme Conesa-Terrade, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 octobre 2021.

N° 19LY04266 5


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-03 Responsabilité de la puissance publique. - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. - Agissements administratifs susceptibles d'engager la responsabilité de la puissance publique.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Jean-Philippe GAYRARD
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : BENAGES

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Date de la décision : 14/10/2021
Date de l'import : 26/10/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 19LY04266
Numéro NOR : CETATEXT000044228139 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-10-14;19ly04266 ?
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