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28/09/2021 | FRANCE | N°20LY03317

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 1ère chambre, 28 septembre 2021, 20LY03317


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté en date du 22 mai 2020 par lequel le préfet du Rhône a refusé de renouveler son attestation de demande d'asile, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois.

Par un jugement n° 2003401 du 22 juin 2020, la magistrate désignée par la présidente du tribunal adminis

tratif de Lyon a renvoyé en formation collégiale les conclusions dirigées contre le ref...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté en date du 22 mai 2020 par lequel le préfet du Rhône a refusé de renouveler son attestation de demande d'asile, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois.

Par un jugement n° 2003401 du 22 juin 2020, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a renvoyé en formation collégiale les conclusions dirigées contre le refus de renouvellement de la demande d'asile et rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 14 novembre 2020, M. A... B..., représenté par Me Barioz, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 22 juin 2020 ;

2°) d'annuler cet arrêté du 22 mai 2020 en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français, le prive de délai de départ volontaire, fixe le pays de destination et prononce une interdiction de retour sur le territoire français ;

3°) d'enjoindre au préfet du Rhône de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " ou, à titre subsidiaire une autorisation provisoire de séjour dans l'attente du réexamen de sa demande de titre de séjour, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale sur les droits de l'enfant ;

- la décision le privant de délai de départ volontaire est entachée d'une erreur d'appréciation, dès lors qu'il ne s'est jamais soustrait à l'exécution de précédentes mesures d'éloignement ;

- la décision le privant de délai de départ volontaire méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le préfet ne pouvait décider de le priver de délai de départ volontaire, dès lors que l'organisation de son départ était impossible, en raison du contexte de crise sanitaire ;

- la décision fixant le pays de renvoi méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision d'interdiction de retour sur le territoire français est entachée d'une erreur d'appréciation.

La requête a été communiquée au préfet du Rhône, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Par décision du 20 janvier 2021, le bureau d'aide juridictionnelle a rejeté la demande d'aide juridictionnelle de M. B....

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

La présidente de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Besse, président-assesseur ;

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., né en 1990, est entré en France en 2013. Il a présenté une demande d'asile, qui a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 19 septembre 2014 puis une demande de réexamen de sa demande d'asile rejetée le 9 juin 2017. Par décision du 21 juin 2018, le préfet du Rhône l'a obligé à quitter le territoire français. Par un nouvel arrêté en date du 22 mai 2020, le préfet du Rhône a refusé de renouveler son attestation de demande d'asile, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois. M. B... relève appel du jugement du 22 juin 2020 par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon, après avoir renvoyé en formation collégiale les conclusions dirigées contre le refus de renouvellement de la demande d'asile, a rejeté le surplus de sa demande dirigée contre cet arrêté.

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

3. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., qui s'est maintenu sur le territoire français après le rejet de ses demandes d'asile et en dépit d'une mesure d'éloignement prise à son encontre le 21 juin 2018, fait valoir qu'il est père de deux enfants nés en France en 2017 et 2019, d'une relation avec une ressortissante arménienne avec laquelle il vivrait en concubinage depuis 2015. Toutefois, il ne produit aucun élément permettant d'établir l'ancienneté et les conditions de sa relation avec cette dernière, laquelle ne séjournait en France, à la date de la décision en litige, que sous couvert d'un récépissé de demande de titre de séjour. Par ailleurs, et alors que l'intéressé s'est prévalu de plusieurs nationalités différentes, il ne ressort pas des pièces du dossier que la cellule familiale avec sa concubine et ses enfants ne pourrait se reconstituer dans un autre pays. Dans ces conditions, et compte tenu des conditions de séjour en France de l'intéressé, qui ne démontre aucune intégration particulière, la décision obligeant M. B... à quitter le territoire français ne porte pas à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

4. En deuxième lieu, et ainsi qu'il a été dit ci-dessus, il ne ressort pas des pièces du dossier que la cellule familiale ne pourrait se reconstituer dans un autre pays que la France, notamment en Arménie, pays dont l'intéressé avait revendiqué la nationalité. Par suite, en obligeant M. B... à quitter le territoire français, le préfet du Rhône n'a pas méconnu l'intérêt supérieur de ses enfants, garanti par les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale sur les droits de l'enfant.

5. Enfin, la décision portant obligation de quitter le territoire français ne fixant pas le pays de destination, qui fait l'objet d'une mesure distincte, le M. B... ne peut utilement invoquer, à l'appui des conclusions dirigées contre cette décision, la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur la décision privant M. B... de délai de départ volontaire :

6. En premier lieu, aux termes du II de l'article L. 511-1 alors en vigueur du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) / Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : / 1° Si le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; / (...) / 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / (...) / f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au deuxième alinéa de l'article L. 611-3, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 513-4, L. 513-5, L. 552-4, L. 561-1, L. 561-2 et L. 742-2 ; / (...) ".

7. Pour refuser d'accorder à M. B... un délai de départ volontaire, le préfet du Rhône s'est fondé sur le fait que son comportement constituait une menace pour l'ordre public, et qu'il ne présentait pas de garanties de représentation suffisantes. Dans ces conditions, M. B... ne peut utilement soutenir qu'il ne s'est pas soustrait à une précédente mesure d'éloignement, le préfet du Rhône ne s'étant pas fondé sur un tel motif pour prendre sa décision. M. B... ne contestant pas le motif tiré de ce qu'il ne présentait pas de garanties de représentations suffisantes, qui pouvait légalement fonder cette décision, le moyen tiré de ce que le préfet du Rhône a commis une erreur d'appréciation dans l'application des dispositions citées au point précédent doit être écarté.

8. En, deuxième lieu, compte tenu de ce qui a été dit au point 3, et en l'absence d'autres éléments, le moyen selon lequel la décision privant M. B... de délai de départ volontaire méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

9. Enfin, si le requérant soutient qu'en raison de l'épidémie de covid-19, il n'y avait, à la date de la décision litigieuse, aucune perspective pour lui de rejoindre le pays dont il a la nationalité, une telle circonstance est seulement susceptible de modifier, le cas échéant, les conditions de l'exécution de la décision attaquée, mais demeure sans incidence sur sa légalité.

Sur la décision fixant le pays de destination :

10. M. B... réitère en appel, sans l'assortir d'éléments nouveaux, son moyen selon lequel la décision fixant le pays de destination méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il y a lieu de l'écarter par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.

Sur l'interdiction de retour sur le territoire français :

11. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour./(...) / La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. ".

12. Pour fonder sa décision faisant interdiction à M. B... de retourner sur le territoire français pendant vingt-quatre mois, le préfet du Rhône s'est fondé sur le comportement délictueux de l'intéressé, et sur la menace à l'ordre public que sa présence représenterait. Il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a été interpelé à trois reprises pour conduite sans permis, et que lors d'une de ces interpellations, en 2018, il portait sur lui, sans autorisation, un couteau à cran d'arrêt, arme de catégorie D. Le préfet du Rhône fait également état de faits répétés de vol, entre 2013 et 2015. Toutefois, compte tenu de l'ancienneté de ces derniers faits, qui n'ont au demeurant donné lieu à aucune condamnation ainsi que le fait valoir M. B... en invoquant la présomption d'innocence, et de la nature des faits les plus récents, d'une part, de la présence en France des deux enfants de l'intéressé, nés en 2017 et 2019, dont la mère résidait régulièrement en France à la date de la décision, d'autre part, le préfet du Rhône, en interdisant à M. B... de retourner sur le territoire français pendant une durée de vingt-quatre mois, a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation. Par suite, cette décision doit être annulée.

13. Il résulte de ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande en ce qu'elle tendait à l'annulation de la décision du 22 mai 2020 lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de vingt-quatre mois.

Sur l'injonction :

14. Le présent arrêt, qui annule seulement la décision faisant interdiction à M. B... de retourner sur le territoire français pendant une durée de vingt-quatre mois, n'implique pas que le préfet du Rhône délivre à l'intéressé un titre de séjour ou une autorisation provisoire de séjour. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction de la requête doivent être rejetées.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 800 euros à verser à M. B... au titre des frais non compris dans les dépens qu'il a exposés.

DÉCIDE :

Article 1er : La décision du 22 mai 2020 du préfet du Rhône faisant interdiction à M. B... de retourner sur le territoire français pendant une durée de vingt-quatre mois est annulée.

Article 2 : Le jugement du 22 juin 2020 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon est annulé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. B... la somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la requête sont rejetées pour le surplus.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Rhône.

Délibéré après l'audience du 7 septembre 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Danièle Déal, présidente de chambre,

M. Thierry Besse, président-assesseur,

M. François Bodin-Hullin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 septembre 2021.

6

N° 20LY03317


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20LY03317
Date de la décision : 28/09/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. - Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : Mme DEAL
Rapporteur ?: M. Thierry BESSE
Rapporteur public ?: M. LAVAL
Avocat(s) : BARIOZ

Origine de la décision
Date de l'import : 12/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-09-28;20ly03317 ?
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