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15/07/2021 | FRANCE | N°21LY01027

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre, 15 juillet 2021, 21LY01027


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 18 septembre 2020 par lesquelles la préfète de la Corrèze lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2007390 du 29 décembre 2020, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant l

a cour

Par une requête et un mémoire enregistrés les 1er avril et 17 juin 2021, Mme B..., ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 18 septembre 2020 par lesquelles la préfète de la Corrèze lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2007390 du 29 décembre 2020, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire enregistrés les 1er avril et 17 juin 2021, Mme B..., représentée par Me C..., avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 2007390 du 29 décembre 2020 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions susmentionnées ;

3°) d'enjoindre au préfet du Rhône de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de quinze jours et de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros, au profit de son conseil, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- l'obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation particulière ;

- elle a été prévue de la garantie prévue à l'article R. 316-1 du code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- cette décision a été prise en méconnaissance de son droit d'être entendue ;

- dès lors qu'elle avait fait état de ses problèmes de santé, le préfet aurait dû saisir le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ;

- les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile ont été méconnues ;

- cette décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision refusant un délai de départ volontaire est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- l'interdiction de retour sur le territoire français est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- cette décision est entachée d'erreur de droit et d'appréciation dès lors qu'elle justifie de circonstances humanitaires ;

- la décision fixant le pays de renvoi est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle encourt des risques pour sa vie en cas de retour au Nigéria.

Par un mémoire enregistré le 3 juin 2021, la préfète de la Corrèze conclut au rejet de la requête.

Elle soutient qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.

Par une décision du 3 mars 2021, Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dèche, présidente assesseure ;

- les observations de Me D..., représentant Mme B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante nigériane, née le 8 juillet 1989, est entrée en France le 21 septembre 2010, selon ses déclarations. Elle a présenté une demande d'asile dont le rejet par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a été confirmé par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), le 8 janvier 2013. Le 26 mars 2019, la Cour nationale du droit d'asile a confirmé le rejet de sa demande de réexamen de sa demande d'asile. Le 17 septembre 2020, elle a fait l'objet d'une audition par les services de gendarmerie, dans le cadre d'un contrôle du droit au séjour et de circulation en France et le 18 septembre 2020, la préfète de la Corrèze lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Mme B... relève appel du jugement du 29 décembre 2020 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions du 18 septembre 2020.

2. Aux termes de l'article R. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le service de police ou de gendarmerie qui dispose d'éléments permettant de considérer qu'un étranger, victime d'une des infractions constitutives de la traite des êtres humains ou du proxénétisme prévues et réprimées par les articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal, est susceptible de porter plainte contre les auteurs de cette infraction ou de témoigner dans une procédure pénale contre une personne poursuivie pour une infraction identique, l'informe : 1° De la possibilité d'admission au séjour et du droit à l'exercice d'une activité professionnelle qui lui sont ouverts par l'article L. 316-1 ; / 2° Des mesures d'accueil, d'hébergement et de protection prévues à la section 2 du présent chapitre ; / 3° Des droits mentionnés à l'article 53-1 du code de procédure pénale, notamment de la possibilité d'obtenir une aide juridique pour faire valoir ses droits. / Le service de police ou de gendarmerie informe également l'étranger qu'il peut bénéficier d'un délai de réflexion de trente jours, dans les conditions prévues à l'article R. 316-2 du présent code, pour choisir de bénéficier ou non de la possibilité d'admission au séjour mentionnée au deuxième alinéa. / Ces informations sont données dans une langue que l'étranger comprend et dans des conditions de confidentialité permettant de le mettre en confiance et d'assurer sa protection. ". Aux termes de l'article R. 316-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pendant le délai de réflexion, aucune mesure d'éloignement ne peut être prise à l'encontre de l'étranger en application de l'article L. 511-1, ni exécutée. ".

3. Les dispositions précitées de l'article R. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile chargent les services de police d'une mission d'information, à titre conservatoire et préalablement à toute qualification pénale, des victimes potentielles de faits de traite d'êtres humains. Ainsi, lorsque ces services ont des motifs raisonnables de considérer que l'étranger pourrait être reconnu victime de tels faits, il leur appartient d'informer ce dernier de ses droits en application de ces dispositions. En l'absence d'une telle information, l'étranger est fondé à se prévaloir du délai de réflexion pendant lequel aucune mesure d'éloignement ne peut être prise ni exécutée, notamment dans l'hypothèse où il a effectivement porté plainte par la suite.

4. Il ressort des mentions du procès-verbal d'audition de Mme B... par les services de la gendarmerie nationale en date du 17 septembre 2020 qu'elle a précisé qu'elle avait un passeport en arrivant en France, " mais que la personne qui m'a fait venir en France, m'a pris mon passeport pour être sûr que je travaille pour lui en tant que prostituée ". Si Mme B... n'a pas indiqué lors de son audition qu'elle a déposé plainte en 2016 contre le proxénète qui l'a contrainte à se livrer à la prostitution, les éléments qu'elle a expressément précisés, dans les termes précédemment évoqués permettaient raisonnablement de considérer qu'elle était victime de faits de proxénétisme. Dans ces conditions, il appartenait aux services de police, dès lors qu'ils disposaient d'éléments permettant raisonnablement de considérer que l'intéressée était victime de faits de proxénétisme au sens des dispositions précitées du 2° de l'article 225-5 du code pénal, de l'informer de façon suffisamment précise des droits qu'elle tenait des dispositions de l'article R. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ce qui n'a pas été fait en l'espèce. La méconnaissance de cette obligation a privé Mme B... de l'ouverture du délai de réflexion prévue à l'article R. 316-2 précité ainsi que de l'information selon laquelle elle était susceptible de bénéficier d'une éventuelle admission au séjour et du droit d'exercer une activité professionnelle en application de l'article L. 316-1 du même code. Par suite, Mme B... ayant été privée d'une garantie, la décision du 18 septembre 2020 par laquelle la préfète de la Corrèze l'a obligée à quitter le territoire français sans délai ainsi que, par voie de conséquence, les décisions du même jour fixant le pays de renvoi et prononçant une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an, doivent être annulées.

5. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

6. L'annulation prononcée par le présent arrêt, qui concerne l'obligation de quitter le territoire français implique, conformément aux dispositions de l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la préfète de la Corrèze réexamine la situation de Mme B... et la mette en possession d'une autorisation provisoire de séjour. Dès lors, il y a lieu d'enjoindre à la préfète de procéder à ce réexamen et de prendre, en application de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, une nouvelle décision dans un délai qu'il y a lieu de fixer à deux mois suivant la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

7. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me C..., avocat de la requérante, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à cet avocat de la somme de 1 000 euros.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon du 29 décembre 2020 et les décisions de la préfète de la Corrèze du 18 septembre 2020 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint à la préfète de la Corrèze de procéder au réexamen de la situation de Mme B... et de prendre une nouvelle décision dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.

Article 3 : L'Etat versera à Me C... une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à la préfète de la Corrèze et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Tulle en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative.

Délibéré après l'audience du 24 juin 2021 à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme Dèche, présidente assesseure,

Mme E..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 juillet 2021.

2

N° 21LY01027


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY01027
Date de la décision : 15/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. BOURRACHOT
Rapporteur ?: Mme Pascale DECHE
Rapporteur public ?: M. VALLECCHIA
Avocat(s) : SCP COUDERC - ZOUINE

Origine de la décision
Date de l'import : 04/08/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-07-15;21ly01027 ?
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