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06/07/2021 | FRANCE | N°19LY02859

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 06 juillet 2021, 19LY02859


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. K... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la commune de Chamonix-Mont-Blanc à lui verser une indemnité d'un montant total de 57 204,65 euros majorée des intérêts de droit et de mettre les frais d'expertise à la charge de la commune de Chamonix-Mont-Blanc pour un montant de 8 324,52 euros.

Par un jugement n° 1603158 du 23 mai 2019, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande, a mis les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 8 324,52 euros

à la charge de M. A..., a prononcé un non-lieu à statuer sur les appels en garan...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. K... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la commune de Chamonix-Mont-Blanc à lui verser une indemnité d'un montant total de 57 204,65 euros majorée des intérêts de droit et de mettre les frais d'expertise à la charge de la commune de Chamonix-Mont-Blanc pour un montant de 8 324,52 euros.

Par un jugement n° 1603158 du 23 mai 2019, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande, a mis les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 8 324,52 euros à la charge de M. A..., a prononcé un non-lieu à statuer sur les appels en garantie de la commune de Chamonix-Mont-Blanc, de la société Guelpa et de la société Hydrétudes et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 15 juillet 2019, M. A..., représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 23 mai 2019 du tribunal administratif de Grenoble en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Chamonix-Mont-Blanc à l'indemniser des préjudices subis à la suite des travaux entrepris et a mis à sa charge les frais d'expertise ;

2°) de condamner la commune de Chamonix-Mont-Blanc à lui verser la somme globale de 69 845,90 euros en réparation des préjudices subis ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Chamonix-Mont-Blanc la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les entiers dépens.

Il soutient que :

- le tribunal administratif a, à tort, estimé que les travaux entrepris pour le compte de la commune ne présentaient pas de lien de causalité avec les désordres subis sur sa propriété en se bornant à faire état du long délai séparant les travaux de l'apparition des désordres et de la présence antérieure de fissures ; l'expert judiciaire a expliqué que les fissures nouvellement apparues étaient sans lien avec celles préexistantes et que les fissures se sont aggravées à partir de 2012 ;

- les travaux ont causé des désordres à son immeuble ; l'expert a conclu à un défaut de conception et d'exécution de la tranchée creusée très près et sous le niveau des fondations de sa maison ; l'expert reproche à la société de ne pas avoir suivi les préconisations du cahier des clauses techniques particulières et de n'avoir pas prévu une reconnaissance préalable des sols et des fondations ; le compactage du remblaiement de la tranchée a joué un rôle non négligeable dans la stabilité de la fondation ; il existe une décompression lente du sol provoquée par un défaut de butée du remblaiement des tranchées et une poussée des fondations contre la tranchée par non-respect des règles de distance ; ces dommages excèdent les sujétions normales qu'un riverain doit supporter ; les fissures portent atteinte à la solidité de l'immeuble ;

- l'expert a écarté l'absence de mise hors gel des fondations comme cause des désordres ; l'action du gel n'est pas avérée ; la vétusté de l'immeuble n'a pas non plus été relevée par l'expert comme ayant participé aux désordres constatés ;

- ses demandes n'ont pas porté sur les difficultés d'évacuation interne de ses eaux usées ; les travaux de reprise sont sans rapport avec le réseau d'évacuation des eaux usées ;

- il sollicite l'indemnisation du coût des travaux nécessaires au maintien de son mur dans son état antérieur pour un montant de 8 143,85 euros ; il a subi un préjudice financier dès lors qu'il a perdu des loyers et cette perte peut être estimée à 50 100 euros ; ses troubles de jouissance pendant deux mois de l'année seront indemnisés par l'allocation d'une indemnité de 2 400 euros ; il a subi un préjudice moral estimé à 5 000 euros ; les frais de conseil technique d'un montant de 4 202,05 euros seront indemnisés.

Par un mémoire, enregistré le 27 novembre 2019, la société Benedetti Guelpa, représentée par Me J..., conclut :

1°) au rejet de la requête et à sa mise hors de cause ;

2°) à titre subsidiaire, et par la voie de l'appel incident, à la condamnation de la société Hydrétudes sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle à la garantir en totalité de toute condamnation qui sera mise à sa charge et, à tout le moins, à hauteur de 70 % ;

3°) à titre infiniment subsidiaire, à la limitation de l'indemnisation à la réparation de la façade et au rejet des autres indemnités sollicitées ;

4°) à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. A..., ou qui mieux le devra, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, les dépens restant à la charge de M. A....

Elle soutient que :

- il ressort du constat d'huissier du 4 juillet 2003 que, préalablement aux travaux litigieux, de nombreuses fissures étaient déjà présentes sur les façades de la maison de M. A... ; par suite, le lien de causalité entre les travaux et les désordres affectant la propriété de M. A... n'est pas établi ;

- en première instance, elle a été appelée en garantie par la commune de Chamonix-Mont-Blanc ; la demande indemnitaire de M. A... est prescrite dès lors qu'elle intervient plus de quatre ans après l'apparition des premiers désordres en 2008 ; les premiers désordres sont apparus au plus tôt en 2003 lors de la réalisation des travaux et au plus tard en 2008 lors des problèmes sur les canalisations ; la prescription quadriennale a commencé à courir au plus tôt le 1er janvier 2004 et au plus tard le 1er janvier 2009 ; M. A... disposait d'un délai expirant au plus tard le 31 décembre 2012 pour former une demande indemnitaire ; or, sa requête en référé-instruction n'est intervenue que le 27 juin 2014 ;

- à supposer que l'appel en garantie de la commune soit jugé fondé, les travaux ont été effectués à la fin de l'année 2003 ; les investigations menées par l'expert se sont déroulées 12 ans après la fin des travaux confiés à la société Guelpa ; il ne peut être reproché à une société de ne pas avoir conservé les documents de chantier qui s'est déroulé 12 ans auparavant ; les griefs formulés par l'expert se limitent à l'absence de communication du dossier d'études d'exécution et ne sont pas suffisants pour engager une action en responsabilité ;

- la société Hydrétudes avait une mission complète de maîtrise d'oeuvre incluant le suivi du chantier ; elle a établi le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) annexé au marché des travaux confiés à la société Guelpa et a rédigé les comptes-rendus de réunion de chantier ; il lui incombait de s'assurer que les travaux étaient réalisés conformément aux prescriptions techniques contenues dans le cahier des clauses techniques particulières ; au vu des comptes-rendus de chantier, la société Hydrétudes n'a pas réalisé de contrôle sur la méthodologie adoptée pendant les travaux ; cette absence de contrôle est constitutive d'une faute ou d'une négligence au sens des articles 1240 et 1241 du code civil ; par suite, elle doit être garantie de toute condamnation prononcée à son encontre par la société Hydrétudes ou, à tout le moins, dans une proportion qui ne saurait être inférieure à 70 % ;

- les fissures constatées sur la façade n'ont aucune conséquence en termes de solidité de l'ouvrage et n'engendrent aucune gêne pour les occupants ; la demande de remboursement des loyers n'est étayée par aucun justificatif et n'a pas été soumise à l'appréciation de l'expert ;

- la nécessité de l'étude de M. G... n'est pas établie et la réalisation d'une telle étude résulte de la seule initiative de M. A... ;

- la réalité des désordres constatés sur la canalisation des eaux usées n'est pas établie ainsi que le lien de causalité avec les travaux et, par suite, les frais liés au débouchage de la canalisation des eaux usées ne peuvent être pris en compte.

Par des mémoires, enregistrés le 26 mars 2020 et le 28 juillet 2020, la SAS Hydrétudes, représentée par Me E..., conclut :

1°) au rejet de la requête et à ce qu'elle soit mise hors de cause ;

2°) à titre subsidiaire, et par la voie de l'appel incident, et si la cour retenait sa responsabilité, à ce que sa responsabilité soit limitée à 10 % des préjudices subis ;

3°) à ce qu'elle soit entièrement garantie de toute condamnation prononcée à son encontre par la société Benedetti Guelpa ou, à tout le moins, à hauteur de 90 % ;

4°) à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. A..., de la commune de Chamonix-Mont-Blanc ou de qui mieux le devra en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et à ce que les entiers dépens soient mis à la charge de M. A... ou de toute autre partie.

Elle soutient que :

- préalablement aux travaux, la société Guelpa a fait établir un procès-verbal de constat par un huissier de justice le 4 juillet 2003 selon lequel la maison d'habitation de M. A... présentait de nombreuses fissures ou microfissures ; les fissures ne sont pas consécutives aux travaux ; M. A... est défaillant dans la démonstration que des fissures seraient apparues au cours de l'année 2012 notamment sur le pignon Ouest de sa maison ; l'allégation relative à l'aggravation des fissures est contestable en l'absence de tout commencement de preuve de cette aggravation et du moment auquel elle se serait produite ; l'expert judiciaire n'a pas mis en exergue un lien entre les travaux en cause et l'apparition des fissures plusieurs années après ; les fissures n'entrainent aucune atteinte à la solidité de l'immeuble ;

- M. A... n'a formé des demandes qu'à l'encontre de la commune de Chamonix-Mont-Blanc ; si la cour venait à examiner les appels en garantie, il convient de relever que le rapport d'expertise stigmatise la responsabilité de la société Guelpa s'agissant du défaut d'exécution de la tranchée creusée très près de l'immeuble et sous le niveau de fondation de la maison de M. A... ; la société Guelpa a participé aux réunions d'expertise et n'a jamais remis à l'expert les plans d'exécution, les notes de calcul ou la méthodologie d'exécution dans le respect du cahier des clauses techniques particulières établi par ses soins ; la société Guelpa a failli à ses obligations et ce alors que l'expert relève que le compactage du remblaiement de la tranchée a joué un rôle non négligeable dans la stabilité de la fondation ; aucune faute ne peut lui être opposée dans l'exécution de sa mission ; la responsabilité de la société Benedetti Guelpa est pleine et entière et est exclusive ; par suite, l'appel en garantie de la commune de Chamonix-Mont-Blanc et l'action récursoire de la société Benedetti Guelpa devront être rejetés ;

- M. A... sollicite la somme de 1 458,75 euros pour le débouchage du réseau d'eaux usées ; l'expert a noté que les contrôles effectués n'ont pas mis en évidence d'anomalies importantes ; le lien de causalité entre ces désordres et les travaux n'est pas établi ;

- s'agissant de la perte de loyers, M. A... ne justifie pas de ce préjudice ; il ne justifie pas de la valeur locative de son bien ;

- s'agissant du préjudice financier lié aux troubles de jouissance et au préjudice moral ; aucune justification n'est apportée ;

- s'agissant des frais d'un conseil technique, ces frais ne sont pas justifiés au regard des faits de l'espèce.

Par un mémoire, enregistré le 6 mai 2020, la commune de Chamonix-Mont-Blanc, représentée par la SELARL CDMF-Avocats, Affaires publiques, conclut au rejet de la requête ; à titre subsidiaire et si la cour retenait sa responsabilité, à la condamnation in solidum de la société Guelpa et de la société Hydrétudes à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de M. A... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que le lien de causalité entre les travaux et les désordres invoqués par M. A... n'était pas établi ; les premiers juges n'étaient pas tenus de suivre l'expert sur une simple probabilité d'imputabilité des désordres allégués à un phénomène non constaté de décompression des remblais réalisés pendant les travaux qui ont eu lieu neuf ans auparavant ; le lien de causalité entre les travaux et l'aggravation des fissures à une date indéterminée n'est pas certain ; l'expert a également constaté que les fondations du mur n'étaient pas hors gel et se situaient à une profondeur insuffisante ;

- le requérant ne démontre pas en quoi les désordres constatés dépassent un certain degré de gravité notamment en raison de l'état antérieur et ce alors que l'expert a indiqué que les fissures n'entrainent aucune atteinte à la solidité de l'immeuble ; il ne s'agit donc que d'un préjudice esthétique ;

- si la cour retenait sa responsabilité, celle-ci devrait être atténuée en raison de l'absence fautive d'intervention de M. A... sur les fissures préexistantes ;

- les problématiques liées à l'évacuation des eaux usées relèvent des relations entre l'usager et le service public industriel et commercial de l'assainissement et, par suite, le juge administratif n'est pas compétent pour apprécier sa responsabilité pour les préjudices en lien avec l'évacuation des eaux usées ;

- l'action de M. A... est prescrite ; la date d'apparition de l'aggravation des fissures n'est pas établie ;

- le montant du préjudice indemnisable devra être minoré ; en application de la jurisprudence du Conseil d'Etat du 10 février 2014, n° 361280, la fragilité et la vétusté de l'immeuble doivent être pris en compte et, par suite, il ne peut être fait droit à la somme sollicitée de 8 143,85 euros au titre des frais de remise en état de la façade ; quant aux frais pour procéder au débouchage du réseau d'eaux usées, l'expert a relevé l'absence d'anomalies importantes du réseau d'eaux usées ; la perte de loyers n'est pas justifiée ; M. A... n'a pas subi de troubles de jouissance dès lors que la maison est parfaitement habitable ; le préjudice moral n'est pas établi ; M. A... ne pourra obtenir le remboursement des frais du conseil technique dès lors qu'il s'agit d'une démarche personnelle ;

- elle n'a pas à supporter les conséquences dommageables liées à un défaut de conception et d'exécution des travaux publics imputables à la société Hydrétudes et à la société Guelpa ; ces sociétés devront être condamnées à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique ;

- et les observations de Me F..., substituant Me B..., représentant la commune de Chamonix-Mont-Blanc, celles de Me E..., représentant la SAS Hydrétudes et celles de Me I..., substituant Me J..., représentant la société Benedetti-Guelpa.

Une note en délibéré, présentée pour la commune de Chamonix-Mont-Blanc, a été enregistrée le 22 juin 2021.

Une note en délibéré, présentée pour M. A..., a été enregistrée le 2 juillet 2021.

Considérant ce qui suit :

1. M. K... A... est propriétaire d'une maison individuelle à usage de résidence secondaire située 1 388 route des Gaillands à Chamonix-Mont-Blanc. En 2002, la commune de Chamonix-Mont-Blanc a engagé une procédure de passation d'un marché public de travaux d'assainissement en vue de la construction d'un réseau de collecte des eaux usées du secteur des Gaillands dans le but de le raccorder au collecteur principal de la station d'épuration située en rive gauche de l'Arve. Ces travaux réalisés à la fin de l'année 2003 ont été confiés, sous la maîtrise d'oeuvre de la société SAS Hydrétudes, à la société Guelpa, absorbée ultérieurement par la SAS Benedetti-Guelpa. Le 8 juin 2007, la commune de Chamonix-Mont-Blanc a prononcé la réception des travaux sans réserve avec effet rétroactif au 7 octobre 2003. Par courrier du 27 mai 2013, M. A... a informé la commune de Chamonix-Mont-Blanc de son inquiétude relative à l'apparition de fissures sur le mur de sa maison depuis 2012. Imputant les désordres affectant sa propriété aux travaux entrepris, M. A... a saisi, en 2013, son assureur de protection juridique qui a désigné le cabinet Texa Expertises en qualité d'expert. Insatisfait des conclusions du rapport du cabinet Texa Expertises, M. A... a sollicité M. G..., expert judiciaire près la cour d'appel de Chambéry, pour réaliser un diagnostic technique. Celui-ci a déposé son rapport le 27 janvier 2014. M. A... a également demandé au tribunal administratif de Grenoble la désignation d'un expert. Par une ordonnance du 8 janvier 2015, le président du tribunal administratif de Grenoble a désigné M. H... en qualité d'expert. Celui-ci a déposé son rapport d'expertise le 10 décembre 2015. M. A... relève appel du jugement du 23 mai 2019 en tant que le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande et a mis les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 8 324,52 euros, à sa charge.

Sur la recevabilité de la demande de M. A... devant le tribunal administratif :

2. M. A... a justifié de sa qualité de propriétaire de la maison d'habitation située au 1 388 route des Gaillands à Chamonix-Mont-Blanc en produisant l'acte de vente du 18 novembre 1993 et l'attestation de propriété. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la commune de Chamonix-Mont-Blanc devant le tribunal administratif ne peut qu'être écartée.

Sur l'exception de prescription quadriennale :

3. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. / Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public ".

4. Lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée au titre d'un dommage causé à un tiers par un ouvrage public, les droits de créance invoqués par ce tiers en vue d'obtenir l'indemnisation de ses préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens de ces dispositions, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés.

5. Il résulte de l'instruction, et notamment de la réponse au courrier du 27 mai 2013 adressé par le requérant au maire de la commune, que l'aggravation des fissures est apparue dans le courant de l'année 2012. Toutefois, l'origine des désordres affectant l'immeuble appartenant au requérant n'a pu être déterminée qu'à la suite du dépôt du diagnostic technique de M. G..., sollicité par M. A..., le 27 janvier 2014. Ainsi, l'action de M. A... tendant à l'indemnisation des préjudices causés par les travaux publics d'assainissement n'était pas prescrite lorsqu'il a saisi, le 2 juin 2016, le tribunal administratif de Grenoble. Par suite, l'exception de prescription opposée par la commune de Chamonix-Mont-Blanc doit être écartée.

Sur la responsabilité de la commune de Chamonix-Mont-Blanc :

6. Même en l'absence de faute, le maître d'ouvrage ainsi que, le cas échéant, le maître d'ouvrage délégué, et les constructeurs chargés des travaux sont responsables solidairement à l'égard des tiers des dommages causés à ceuxci par l'exécution d'un travail public. Ces personnes ne peuvent dégager leur responsabilité que si elles établissent que ces dommages sont imputables à un cas de force majeure ou à une faute de la victime, sans que puisse être utilement invoqué le fait d'un tiers. Il appartient au tiers, victime d'un dommage de travaux publics, de rapporter la preuve du lien de cause à effet entre, d'une part, les travaux publics et, d'autre part, le préjudice dont il se plaint. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel. Dans le cas d'un dommage causé à un immeuble, la fragilité ou la vulnérabilité de celui-ci ne peuvent être prises en compte pour atténuer la responsabilité du maître d'ouvrage ou des constructeurs, sauf lorsqu'elles sont elles-mêmes imputables à une faute de la victime. En dehors de cette hypothèse, de tels éléments ne peuvent être retenus que pour évaluer le montant du préjudice indemnisable.

7. Il résulte de ce qui vient d'être dit que la responsabilité sans faute de la commune de Chamonix-Mont-Blanc, maître d'ouvrage des travaux d'assainissement, est susceptible d'être engagée à l'égard de M. A..., tiers par rapport à ces travaux, dans la mesure toutefois où les désordres affectant l'immeuble lui appartenant sont la conséquence directe desdits travaux.

8. M. A..., qui doit être considéré comme ne se prévalant plus des désordres liés aux difficultés d'évacuation interne de ses eaux usées, fait valoir qu'à la suite des travaux publics d'assainissement engagés pour le compte de la commune de Chamonix-Mont-Blanc sa maison d'habitation a été affectée par l'aggravation des fissures préexistantes et par l'apparition de nouvelles fissures.

9. Il résulte de l'instruction qu'avant l'intervention des travaux litigieux, la société Guelpa a fait réaliser un procès-verbal de constat par un huissier de justice le 4 juillet 2003. Selon ce procès-verbal, la façade de la propriété située au numéro 1 388 donnant sur le site de la tranchée comporte une fissure verticale partant du sol jusqu'à la salle située au 1er étage, une fissuration au niveau de la dalle du 1er étage et de nombreuse micro-fissurations (raccord moellon).

10. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport de diagnostic géotechnique établi le 27 janvier 2014 à la demande de M. A... que M. G... a constaté, après avoir noté que " l'étude a été menée selon l'état de l'ouvrage porté à notre connaissance et/ou constaté in situ au moment de l'intervention " que " l'ouvrage est affecté par des fissures très ouvertes quasi exclusivement sur le pignon ouest, le long de la servitude de passage des eaux usées. L'analyse cinématique des fissures montre un affaissement vertical avec décrochements du pignon sous le niveau de l'étage ". Après avoir exclu le rôle causal du ruisseau longeant la façade nord, de la nature du sol constitué de limons sableux relativement homogènes et de compacité acceptable, M. G... a conclu que " la réalisation du réseau d'eaux usées a nécessité le creusement d'une tranchée importante à faible distance du pignon concerné. Les pentes entre la base des fondations du chalet et les pieds du terrassement en tranchée sont importantes et dépassent notablement les règles de l'art en la matière. En effet, (...) la pente limite acceptable dans ce cas de figure est de 3/2 (Horiz/Vert). Ici, ces pentes sont largement dépassées pour atteindre 2/3 au droit de l'angle sud du chalet. De ce qui précède, les désordres constatés en superstructure apparaissent étroitement liés à la réalisation d'un réseau profondément enterré à faible distance du pignon du chalet. L'exécution de la fouille a entraîné une décompression des terres à sa périphérie, entraînant un tassement localisé mais linéaire du pignon. Il s'agit d'un non-respect des règles de l'art entre fondation et pied de talus décalés de niveaux. La non mise hors gel des fondations peut être un aspect légèrement aggravant mais nécessairement non déclenchant dans ce cas de figure ".

11. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise diligentée par le tribunal administratif de Grenoble que, après avoir souligné que l'entreprise Guelpa n'a transmis aucun plan d'exécution, aucune note de calcul et aucune méthodologie d'exécution dans le respect du cahier des clauses techniques particulières, M. H..., qui s'est appuyé sur le constat d'huissier du 4 juillet 2003 et le rapport d'expertise de M. G..., a indiqué d'une part que " les fissures sont essentiellement localisées sur le pignon Ouest. Les façades Nord et Sud ne sont pas affectées par les désordres " et d'autre part que " nous concluons, en accord avec l'analyse de M. G..., à un défaut de conception et d'exécution de la tranchée creusée très près (règle du 3H/2V non respectée) et sous le niveau de fondation de la maison de M. A.... (...) De même, le compactage du remblaiement de la tranchée (sous-compactage constaté par M. G... provoquant une diminution de la butée contre la fondation) a joué un rôle non négligeable dans la stabilité de la fondation. (...) Il convient de rappeler l'historique du sinistre avec la fin des travaux le long de la maison de M. A... en octobre 2003 et l'évolution visible des fissures à partir de 2012. Ce qui va dans le sens d'une décompression lente du sol provoquée par un défaut de butée du remblaiement des tranchées et à une poussée des fondations contre la tranchée par non-respect de la règle du 3H/2V ".

12. De ces constatations, il résulte qu'il peut être tenu pour suffisamment établi que les travaux d'assainissement sont directement à l'origine de l'aggravation des fissures affectant l'immeuble appartenant à M. A..., ce dernier n'établissant pas l'apparition de nouvelles fissures.

13. La circonstance que l'aggravation des fissures préexistantes ne se soit révélée qu'au cours de l'année 2012 alors que les travaux avaient pris fin en 2003 ne fait pas obstacle à la reconnaissance du lien de causalité entre les désordres affectant l'immeuble et les travaux litigieux compte tenu de ce que l'expert, M. H..., a conclu à une lente décompression du sol provoquée par un défaut de butée du remblaiement des tranchées et à une poussée des fondations contre la tranchée par non-respect de la règle du 3H/2V.

14. L'aggravation des fissures affectant la propriété de M. A... présente un caractère accidentel. Par suite, les requérants ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial des préjudices subis.

15. En défense, la commune fait valoir que l'expert a également constaté que les fondations du mur n'étaient pas hors gel et se situaient à une profondeur insuffisante. Elle fait également valoir l'abstention fautive de M. A... qui n'est pas intervenu sur les fissures préexistantes.

16. Selon l'expertise de M. H..., le niveau de fondation de la maison, dont la construction date du début du XXème siècle, et le non-respect de sa mise hors gel ne sont pas la cause déterminante des désordres et selon l'étude de M. G..., cette absence de mise hors gel constitue un facteur " légèrement aggravant ". Toutefois, cette circonstance ainsi que celle tirée de l'absence de réalisation de travaux en vue de remédier aux fissures existantes ne sont pas, en l'absence de fragilité ou de vulnérabilité de l'immeuble résultant d'une faute de la victime, une cause exonératoire de responsabilité et ne peuvent être prises en compte qu'au stade de l'évaluation des préjudices. Par suite, la commune de Chamonix-Mont-Blanc doit être reconnue entièrement responsable des préjudices subis par M. A....

Sur l'évaluation des préjudices :

En ce qui concerne les travaux de reprise :

17. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise diligentée par le tribunal administratif que le rebouchage des fissures et la reprise de la façade sont estimés à 8 143,85 euros toutes taxes comprises. En raison du rôle légèrement aggravant de l'absence de mise hors gel des fondations de la maison de M. A..., il y a lieu de prendre en compte la vétusté et la fragilité du mur pour évaluer le montant du préjudice indemnisable au titre des travaux de remise en état et, en conséquence, de laisser à la charge de M. A... 10 % du coût des travaux. Par ailleurs, ainsi que le fait valoir en défense la commune de Chamonix-Mont-Blanc, les travaux préconisés par l'expert auront pour effet, indépendamment du fait de remédier aux désordres constatés, d'apporter une amélioration à l'état du mur. Il sera fait une juste appréciation de la plus-value apportée à l'ouvrage par la réalisation du rebouchage des fissures et la reprise de la façade en la fixant à 40 % du coût des travaux. Par suite, le préjudice subi par M. A... au titre des travaux de reprise doit être évalué à la somme de 4 071,92 euros.

En ce qui concerne la perte locative :

18. M. A... fait valoir qu'il a subi un préjudice financier dès lors qu'il a été dans l'incapacité de louer sa propriété du mois de mai 2013 au mois de juillet 2019 alors que cet immeuble avait une vocation de location saisonnière. Toutefois, il ne produit aucune pièce de nature à établir que l'immeuble était loué ou avait une telle vocation. Par suite, l'indemnisation de ce chef de préjudice ne peut être accueillie.

En ce qui concerne les frais de conseil technique :

19. Il résulte de l'instruction que M. A... a versé à M. G... les sommes de 3 372,31 euros pour la réalisation du rapport diagnostic et de 829,74 euros pour la réunion d'expertise sur site le 13 mars 2015, soit un total de 4 202,05 euros. Ces frais, utiles à la solution du litige, résultent des dommages subis par M. A.... Par suite, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Chamonix-Mont-Blanc la somme de 4 202,05 euros.

En ce qui concerne les troubles de jouissance :

20. M. A... fait valoir qu'il subit des troubles de jouissance. Toutefois, l'expert, M. H..., retient qu'il n'y a pas d'atteinte à la solidité de l'ouvrage. Par suite, M. A... n'établissant pas l'existence de troubles de jouissance du fait de l'impossibilité d'occuper son bien, l'indemnisation de ce chef de préjudice ne peut être accueillie.

En ce qui concerne le préjudice moral :

21. Il résulte de l'instruction que M. A... a subi des troubles dans ses conditions d'existence résultant des tracas causés par les diverses démarches entreprises et les procédures qu'il a engagées à la suite des travaux litigieux réalisés pour la commune. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en lui allouant la somme de 1 000 euros.

22. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Chamonix-Mont-Blanc à lui verser une indemnité en réparation des préjudices résultant des désordres subis sur sa propriété par les travaux litigieux. La commune de Chamonix-Mont-Blanc est condamnée à verser à M. A... une somme de 9 273,97 euros.

Sur les dépens :

23. Il y a lieu de mettre à la charge définitive de la commune de Chamonix-Mont-Blanc les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 8 324,52 euros.

Sur les appels en garantie :

24. La commune de Chamonix-Mont-Blanc demande à être garantie par la société Benedetti-Guelpa et de la société Hydrétudes de toute condamnation prononcée à son encontre. Elle fait valoir qu'elle n'a pas à supporter les conséquences dommageables liés à un défaut de conception et d'exécution des travaux publics imputables respectivement à la société Hydrétudes et à la société Guelpa.

25. La fin des rapports contractuels entre le maître d'ouvrage et l'entrepreneur, consécutive à la réception sans réserve d'un marché de travaux publics, fait obstacle à ce que, sauf clause contractuelle contraire, l'entrepreneur soit ultérieurement appelé en garantie par le maître d'ouvrage pour des dommages dont un tiers demande réparation à ce dernier, alors même que ces dommages n'étaient ni apparents ni connus à la date de la réception. Il n'en irait autrement - réserve étant faite par ailleurs de l'hypothèse où le dommage subi par le tiers trouverait directement son origine dans des désordres affectant l'ouvrage objet du marché et qui seraient de nature à entraîner la mise en jeu de la responsabilité des constructeurs envers le maître d'ouvrage sur le fondement des principes régissant la garantie décennale des constructeurs - que dans le cas où la réception n'aurait été acquise à l'entrepreneur qu'à la suite de manoeuvres frauduleuses ou dolosives de sa part.

26. Il est constant que les travaux d'assainissement réalisés, sous la maitrise d'oeuvre de la société Hydrétudes, par la société Guelpa ont fait l'objet, le 8 juin 2007, d'une réception sans réserve avec effet rétroactif au 7 octobre 2003. Cette réception a mis fin à la responsabilité contractuelle des constructeurs et la commune ne soutient pas que la réception aurait été acquise aux sociétés à la suite de manoeuvres frauduleuses ou dolosives de leur part. Dès lors, la commune de Chamonix-Mont-Blanc ne peut plus mettre en cause la responsabilité contractuelle de la société Benedetti-Guelpa.

27. De même, la réception de l'ouvrage met fin aux rapports contractuels entre le maître d'ouvrage et le maître d'oeuvre en ce qui concerne les prestations indissociables de la réalisation de l'ouvrage, au nombre desquelles figurent, notamment, les missions de conception de cet ouvrage. Ainsi qu'il a été dit, la réception sans réserve s'oppose donc aux demandes de la commune de Chamonix-Mont-Blanc sur le fondement des fautes de la maîtrise d'oeuvre dans la conception de l'ouvrage. Par suite, la commune de Chamonix-Mont-Blanc n'est pas davantage fondée à demander que la société Hydrétudes soit condamnée à la garantir au titre du défaut de conception de l'ouvrage public.

28. Compte tenu de ce qui précède, les appels en garantie de la société Hydrétudes contre la société Benedetti Guelpa et de la société Benedetti Guelpa contre la société Hydrétudes sont sans objet et doivent être rejetés en l'absence de condamnation prononcée contre elles.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

29. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A..., qui n'est pas la partie tenue aux dépens dans la présente instance, une quelconque somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

30. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Chamonix-Mont-Blanc le versement à M. A... d'une somme de 1 000 euros le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

31. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Benedetti Guelpa et de la société Hydrétudes ou toute autre partie la somme demandée par ces sociétés sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 23 mai 2019 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.

Article 2 : La commune de Chamonix-Mont-Blanc est condamnée à verser à M. A... une somme de 9 273,97 euros.

Article 3 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 8 324,52 euros, sont mis à la charge de la commune de Chamonix-Mont-Blanc.

Article 4 : La commune de Chamonix-Mont-Blanc versera à M. A... la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. K... A..., à la commune de Chamonix-Mont-Blanc, à la société Hydrétudes et à la société Benedetti Guelpa, venant aux droits de la société Guelpa.

Délibéré après l'audience du 10 juin 2021, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Gayrard, président assesseur,

Mme C..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 juillet 2021.

2

N° 19LY02859


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY02859
Date de la décision : 06/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-02-03 Travaux publics. Règles communes à l'ensemble des dommages de travaux publics. Lien de causalité.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: Mme Rozenn CARAËS
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : CDMF-AVOCATS AFFAIRES PUBLIQUES

Origine de la décision
Date de l'import : 20/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-07-06;19ly02859 ?
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