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24/06/2021 | FRANCE | N°19LY03073

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre, 24 juin 2021, 19LY03073


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Le préfet de la Drôme a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la charte d'amitié conclue le 5 octobre 2014 entre les communes de Bourg-lès-Valence et de Chouchi.

Par un jugement n° 1805732 du 6 juin 2019, le tribunal administratif de Grenoble a déclaré cette charte nulle et non avenue.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 2 août 2019, la commune de Bourg-lès-Valence, représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugemen

t susmentionné du 6 juin 2019 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) de mettre à la charge de l'E...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Le préfet de la Drôme a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la charte d'amitié conclue le 5 octobre 2014 entre les communes de Bourg-lès-Valence et de Chouchi.

Par un jugement n° 1805732 du 6 juin 2019, le tribunal administratif de Grenoble a déclaré cette charte nulle et non avenue.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 2 août 2019, la commune de Bourg-lès-Valence, représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement susmentionné du 6 juin 2019 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce qu'il est insuffisamment motivé en n'ayant pas répondu à son argumentation selon laquelle la charte litigieuse ne constitue pas un acte pris par le maire au nom de la commune sur le fondement des compétences communales mais relève du droit à la liberté d'expression des élus locaux ;

- le déféré préfectoral est irrecevable dès lors qu'il a été exercé au-delà du délai de recours prévu par l'article L. 2131-3 du code général des collectivités territoriales, qui est applicable dès lors que la charte d'amitié ne relève pas des actes énumérés à l'article L. 2131-2 du même code ;

- le déféré préfectoral est également irrecevable dès lors que la charte d'amitié ne constitue pas un acte faisant grief susceptible de faire l'objet d'un tel déféré, n'étant pas un acte soumis à l'obligation de transmission au sens de l'article L. 2131-2 du code général des collectivités territoriales, ni un acte adopté au nom de la commune au sens de l'article L. 2131-3 du même code, ni une convention au sens de l'article L. 1115-1 de ce code, en l'absence d'action concrètement envisagée et d'engagement financier, mais un acte de droit commun n'ayant fait l'objet d'aucune délibération, dépourvu de tout caractère contraignant, constituant une simple déclaration d'intention et de principe du maire découlant de sa liberté d'expression ;

- la charte d'amitié n'est pas contraire aux dispositions de l'article 52 de la constitution dès lors qu'elle ne constitue pas une reconnaissance de l'indépendance du Haut-Karabakh ou un soutien à celle-ci, ni une prise de position du maire au nom de la France, et qu'elle est neutre concernant la question du statut international du territoire du Haut-Karabakh, mais une déclaration d'intention ayant pour objet de manifester son soutien aux populations et de favoriser les échanges et les recours d'expérience entre les populations des deux communes dans plusieurs domaines ;

- elle relève du droit à la liberté d'expression des élus locaux et sa censure porte une atteinte excessive à cette liberté du maire et est contraire à l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire enregistré le 2 octobre 2019, le préfet de la Drôme conclut au rejet de la requête de la commune de Bourg-lès-Valence.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la commune ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 7 novembre 2019, le ministre de l'intérieur déclare qu'il revient au préfet de la Drôme de défendre à titre principal les intérêts de l'Etat en matière de déféré préfectoral dans la présente instance et qu'il n'envisage pas, à ce stade, de présenter des observations en son nom.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B... ;

- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public ;

- les observations de Me C..., représentant la commune de Bourg-lès-Valence;

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Bourg-lès-Valence relève appel du jugement n° 1805732 du 6 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a déclaré nulle et non avenue la " charte d'amitié " conclue le 5 octobre 2014 entre son maire et celui de la commune de Chouchi, présentée à cette occasion comme située sur le territoire de la République autoproclamée du Haut-Karabakh.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".

3. Le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments présentés par la commune de Bourg-lès-Valence, a répondu au point 2 de son jugement au moyen tiré de ce que le contenu de la charte relève de la liberté d'expression des élus.

Sur le bien-fondé du jugement :

4. Par la conclusion de la charte d'amitié litigieuse, les communes signataires ont entendu exprimer leur volonté commune de créer des liens d'amitié entre elles, de contribuer au développement de leurs relations pour mettre en place des programmes communs, en particulier dans les secteurs de l'éducation, de la culture, du sport, du commerce et de la gouvernance locale, ainsi qu'une coopération durable pour favoriser les échanges et le partage d'expérience et de pratiques professionnelles. Une telle charte dont les objectifs affichés peuvent se rattacher aux actions internationales annuelles ou pluriannuelles de coopération, d'aide au développement ou à caractère humanitaire que les communes peuvent, sous certaines conditions, mettre en oeuvre sur le fondement de l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales, ne peut par elle-même être regardée comme un acte inexistant, réputé nul et non avenu.

5. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif a retenu une telle inexistence et déclaré nulle et non avenue la charte d'amitié contestée.

6. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet d'évolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par le préfet de la Drôme devant le tribunal administratif.

7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2131-3 du code général des collectivités territoriales : " Les actes pris au nom de la commune autres que ceux mentionnés à l'article L. 2131-2 (qui dresse la liste des actes adoptés par le maire ou le conseil municipal, obligatoirement transmis au représentant de l'Etat pour l'exercice du contrôle de légalité, parmi lesquels figurent les délibérations du conseil municipal ou les décisions prises par délégation du conseil municipal en application de l'article L. 2122-22 à l'exception de certaines délibérations) sont exécutoires de plein droit dès qu'il a été procédé à leur publication ou affichage ou à leur notification aux intéressés. Le représentant de l'Etat peut en demander communication à tout moment. Il ne peut les déférer au tribunal administratif, dans un délai de deux mois à compter de leur communication, que si sa demande a été présentée dans le délai de deux mois à compter de la date à laquelle les actes sont devenus exécutoires. ". Aux termes de l'article L. 2131-6 du même code : " Le représentant de l'Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission. Sur demande du maire, le représentant de l'Etat dans le département l'informe de son intention de ne pas déférer au tribunal administratif un acte des autorités communales qui lui a été transmis en application des articles L. 2131-1 à L. 2131-5. Lorsque le représentant de l'Etat dans le département défère un acte au tribunal administratif, il en informe sans délai l'autorité communale et lui communique toutes précisions sur les illégalités invoquées à l'encontre de l'acte concerné. (...) ".

8. D'une part, la charte litigieuse constitue un acte pris au nom de la commune au sens des dispositions précitées de l'article L. 2131-3 du code général des collectivités territoriales. Elle n'est pas devenue exécutoire en l'absence de publication ou d'affichage. Il ressort des pièces du dossier que cette charte a été transmise le 13 août 2018 par la commune au préfet, qui l'a déférée au tribunal administratif de Grenoble le 6 septembre 2018. Par suite, les conclusions tendant à l'annulation de cette charte ne sont pas tardives.

9. D'autre part, il résulte des dispositions de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales que le représentant de l'Etat dans le département peut déférer au juge administratif tous actes des collectivités territoriales qu'il estime contraires à la légalité, y compris ceux présentant un caractère préparatoire, comme une déclaration d'intention ou un voeu.

10. La charte conclue entre les communes de Chouchi et de Bourg-lès-Valence, qui a pour effet d'engager cette dernière et ne saurait dès lors être assimilée à une simple prise de position individuelle du maire dans le cadre revendiqué de sa liberté expression, constitue, ainsi qu'il a été dit au point 8, un acte pris au nom de la commune au sens des dispositions précitées de l'article L. 2131-3 du code général des collectivités territoriales. Par suite, et eu égard à ce qui est rappelé au point 9, la commune de Bourg-Lès-Valence, qui soutient que la charte en litige ne constitue pas un acte faisant grief, n'est pas fondée à soutenir que le déféré du préfet de la Drôme était irrecevable.

11. En second lieu, comme il a été dit au point 4, la charte litigieuse peut s'inscrire dans le cadre d'une action internationale de coopération au sens des dispositions précitées l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales, lequel n'exige pas que cette action prenne la forme d'une convention. Toutefois, si une telle déclaration d'intentions et de programme peut être la manifestation d'une action internationale de coopération, au sens de ces dispositions du code général des collectivités territoriales, la charte en litige qui insiste surtout sur l'appartenance revendiquée de la commune de Chouchi à la République d'Artsakh (Haut-Karabagh), entité autonome autoproclamée non reconnue par la France en tant qu'Etat indépendant, manifeste principalement une prise de position publique sur l'existence en tant qu'entité étatique indépendante du Haut-Karabagh, position qui contredit directement les positions diplomatiques de la France. En signant la charte litigieuse, le maire de la commune de Bourg-lès-Valence a dès lors méconnu les engagements internationaux de la France et par suite les dispositions de l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales.

12. Il résulte de ce qui précède que la " charte d'amitié " déférée par le préfet de la Drôme doit être annulée.

13. Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par la commune de Bourg-Lès-Valence, qui est la partie perdante dans le présent litige au sens de ces dispositions, doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1805732 du 6 juin 2019 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.

Article 2 : La " charte d'amitié " conclue le 5 octobre 2014 entre les communes de Bourg-lès-Valence et de Chouchi est annulée.

Article 3 : Les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative présentées par la commune de Bourg-lès-Valence sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Bourg-lès-Valence et au préfet de la Drôme.

Copie en sera adressée à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et au ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Délibéré après l'audience du 3 juin 2021, à laquelle siégeaient :

M. d'Hervé, président de chambre,

Mme Michel, présidente-assesseure,

M. B..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 juin 2021.

2

N° 19LY03073


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Actes législatifs et administratifs - Différentes catégories d'actes - Actes inexistants.

Actes législatifs et administratifs - Validité des actes administratifs - violation directe de la règle de droit - Constitution et principes de valeur constitutionnelle.

Collectivités territoriales - Dispositions générales - Contrôle de la légalité des actes des autorités locales - Déféré préfectoral.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. d'HERVE
Rapporteur ?: M. Christophe RIVIERE
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : CABINET PHILIPPE PETIT et ASSOCIES

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre
Date de la décision : 24/06/2021
Date de l'import : 06/07/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 19LY03073
Numéro NOR : CETATEXT000043713892 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-06-24;19ly03073 ?
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