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03/06/2021 | FRANCE | N°20LY02914

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 7ème chambre, 03 juin 2021, 20LY02914


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. E... B..., ressortissant portugais, a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 31 juillet 2020 par lequel le préfet de l'Ain a prescrit sa remise aux autorités suisses et l'a interdit de circuler sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par jugement n° 2005615 du 18 septembre 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal a fait droit à sa demande.

Procédure devant la cour

Par requête, enregistrée le 6 octobre 2020, le préfet de l'Ain d

emande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 2005615 du 18 septembre 2020 du tribunal admini...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. E... B..., ressortissant portugais, a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 31 juillet 2020 par lequel le préfet de l'Ain a prescrit sa remise aux autorités suisses et l'a interdit de circuler sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par jugement n° 2005615 du 18 septembre 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal a fait droit à sa demande.

Procédure devant la cour

Par requête, enregistrée le 6 octobre 2020, le préfet de l'Ain demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 2005615 du 18 septembre 2020 du tribunal administratif de Lyon du 18 septembre 2020 ;

2°) de rejeter la demande de M. A... B... devant le tribunal.

Il soutient que :

- le jugement, rendu à juge unique alors que le litige relevait de la formation collégiale en application des articles L. 3, L. 8 du code de justice administrative et L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est entaché d'irrégularité ; il est en outre insuffisamment motivé sur le refus de substitution de base légale ;

- la décision d'éloignement peut valablement être fondée sur l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors même qu'elle se référait à tort à l'article L. 531-1 inapplicable aux ressortissants de l'Union européenne, ce qui n'a pas pour effet de priver l'intéressé d'une garantie ;

- sur le terrain de l'effet dévolutif, les autres moyens invoqués par M. A... B... en première instance, tirés de l'incompétence du signataire de l'arrêté, de l'insuffisance de motivation, de l'atteinte disproportionnée portée à son droit à la vie privée et familiale, ne sont pas de nature à justifier le maintien de l'annulation prononcée par le tribunal.

La requête a été communiquée à M. A... B... qui n'a pas produit d'observations.

Vu l'ordonnance n° 20LY02913 du 20 novembre 2020 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Seillet, président ;

- et les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Le préfet de l'Ain relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a annulé, sur la demande de M. A... B..., ressortissant portugais alors détenu au centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse, l'arrêté du 31 juillet 2020 par lequel ledit préfet a décidé sa remise aux autorités suisses et lui a interdit de circuler sur le territoire français pour une durée d'un an.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, les dispositions alors codifiées au III de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable en cas de décision de placement en rétention ou d'assignation à résidence, prévoient que l'étranger peut demander au président du tribunal administratif ou au magistrat délégué par lui l'annulation de cette décision dans les quarante-huit heures suivant sa notification, ainsi que l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français, de la décision refusant un délai de départ volontaire, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant, lorsque ces décisions sont notifiées avec la décision de placement en rétention ou d'assignation. L'article R. 776-1 du code de justice administrative énumère les décisions susceptibles d'être contestées selon les dispositions de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En vertu de cet article, cette liste comprend les décisions portant obligation de quitter le territoire français ainsi que les décisions relatives au séjour notifiées avec les précédentes, celles relatives au délai de départ volontaire, les interdictions de retour sur le territoire français, les décisions fixant le pays de renvoi, les décisions d'assignation à résidence, ainsi que les autres mesures d'éloignement prévues au livre V du code, y compris la décision par laquelle l'étranger non ressortissant de l'Union européenne est remis aux autorités compétentes de l'État membre qui l'a admis à séjourner sur son territoire, à l'exception des arrêtés d'expulsion, lorsqu'elles sont présentées en cas de placement en rétention administrative, en cas de détention ou dans le cadre d'une requête dirigée contre la décision d'assignation à résidence prise au titre de cette mesure.

3. Il ressort des dispositions du III de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le législateur a entendu organiser une procédure spéciale afin que le juge administratif statue rapidement sur la légalité des mesures relatives à l'éloignement des étrangers, hors la décision refusant le séjour et les mesures d'expulsion, lorsque ces derniers sont placés en rétention, en détention ou assignés à résidence. Cette procédure est applicable quelle que soit la mesure d'éloignement, autre qu'un arrêté d'expulsion, en cas de placement en rétention, en détention ou d'assignation à résidence. Ainsi, dans le cas où un étranger est placé en détention à la date de sa remise aux autorités compétentes de l'État membre qui l'a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire en application de l'article L. 531-1, il appartient au président du tribunal administratif ou au magistrat qu'il délègue de statuer, selon les dispositions du III de l'article L. 512-1, sur les conclusions dirigées contre la décision aux fins de réadmission, notifiée à l'intéressé alors qu'il se trouvait en détention. En revanche, en l'absence de décision de détention, de placement en rétention ou d'assignation à résidence, cette procédure n'est pas applicable en cas de contestation d'une décision de remise aux autorités compétentes de l'État membre qui a admis un étranger à entrer ou à séjourner sur son territoire en application de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

4. Il ressort des pièces du dossier de première instance qu'ainsi qu'il a été dit au point 1, M. A... B... a contesté devant le tribunal administratif de Lyon l'arrêté du 31 juillet 2020 par lequel le préfet de l'Ain a décidé sa remise aux autorités suisses et lui a interdit de circuler sur le territoire français pour une durée d'un an et que la décision de remise à ces autorités a été prise sur le fondement des dispositions alors codifiées à l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mais également que M. A... B... se trouvait placé en détention à la date de cette décision. Il en résulte que, contrairement à ce que soutient le préfet de l'Ain, la demande de ce dernier relevait de la procédure spéciale des dispositions alors codifiées à l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que le jugement, rendu par le magistrat que le président du tribunal administratif de Lyon avait délégué pour statuer sur les demandes relevant de cette procédure, n'était pas irrégulier.

5. En second lieu, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon qui, pour rejeter la demande de substitution de base légale présentée par le préfet de l'Ain, s'est fondé sur le motif tiré de ce que M. A... B... ne pouvait être regardé comme ayant disposé des garanties dont est assortie l'application de l'article L. 511-3-1, a ainsi suffisamment motivé le jugement attaqué sur ce point.

Sur la légalité des décisions en litige :

6. Aux termes des dispositions alors codifiées à l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Par dérogation aux articles L. 213-2 et L. 213-3, L. 511-1 à L. 511-3, L. 512-1, L. 512-3, L. 512-4, L. 513-1 et L. 531-3, l'étranger non ressortissant d'un État membre de l'Union européenne qui a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 211-1 et L. 311-1 peut être remis aux autorités compétentes de l'État membre qui l'a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire, ou dont il provient directement, en application des dispositions des conventions internationales conclues à cet effet avec les États membres de l'Union européenne, en vigueur au 13 janvier 2009. (...) / Cette décision peut être exécutée d'office par l'administration après que l'étranger a été mis en mesure de présenter des observations et d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix. / II. - L'autorité administrative peut, par décision motivée, assortir la décision de remise prise en application du premier alinéa du I à l'encontre d'un étranger titulaire d'un titre de séjour dans un autre État membre de l'Union européenne d'une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée maximale de trois ans. (...) / Le prononcé et la durée de l'interdiction de circulation sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. "

7. Aux termes des dispositions alors codifiées à l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger un ressortissant d'un État membre de l'Union européenne, d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse, ou un membre de sa famille à quitter le territoire français lorsqu'elle constate : / (...) 3° Ou que son comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société. (...) / L'étranger dispose, pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, d'un délai qui, sauf urgence, ne peut être inférieur à trente jours à compter de sa notification. A titre exceptionnel, l'autorité administrative peut accorder un délai de départ volontaire supérieur à trente jours. /(...) ". Le premier alinéa de l'article L. 511-3-2 du même code prévoit que : " L'autorité administrative peut, par décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français prononcée en application des 2° et 3° de l'article L. 511-3-1 d'une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée maximale de trois ans ".

8. Il résulte de ces dispositions combinées que les champs d'application des mesures prévues, d'une part, par les articles L. 511-3-1 et L. 511-3-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui concernent les ressortissants d'États membres de l'Union européenne, et, d'autre part, par l'article L. 531-1 de ce code, qui concernent les ressortissants d'Etat tiers, sont exclusifs l'un de l'autre.

9. D'une part, il ressort des pièces du dossier que M. A... B..., de nationalité portugaise, est un ressortissant d'un État membre de l'Union européenne au sens et pour l'application des dispositions des articles L. 511-3-1 et L. 511-3-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors, en prenant à son encontre une décision de remise aux autorités suisses et une interdiction de circulation sur le territoire français sur le fondement du I et du II de l'article L. 531-1 de ce code, qui concernent les ressortissants d'État tiers, le préfet de l'Ain a méconnu le champ d'application de la loi.

10. D'autre part, si le juge de l'excès de pouvoir, lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée, c'est à la condition qu'une fois assise sur la disposition légalement applicable, la décision en litige ne s'en trouve pas modifiée, notamment quant à son objet et à ses effets.

11. Les dispositions précitées de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au visa duquel le préfet de l'Ain a pris l'arrêté litigieux du 31 juillet 2020, permettent de remettre le ressortissant d'un État non membre de l'Union européenne, ou de la Confédération suisse, à destination de l'État de l'Union qui a admis ce ressortissant au séjour (ou de la Suisse, si elle a délivré le titre de séjour valant autorisation de circuler), tandis que l'article L. 511-3-1 du même code, que le préfet demande de substituer comme fondement de son arrêté, permet d'obliger à quitter le territoire français le ressortissant d'un État de l'Union européenne (ou de la Confédération suisse) sans destination fixée, celui-ci demeurant libre de séjourner ailleurs qu'en France en vertu du principe de libre circulation prévalant dans les limites du territoire de l'Union et des États qui lui sont associés. Par suite, la substitution demandée par le préfet de l'Ain aurait nécessairement pour effet de modifier, non pas la base légale de l'arrêté de remise litigieux, mais l'objet même de l'arrêté et ses effets, en substituant à la décision de remise de M. A... B... aux autorités suisses prise initialement une décision l'obligeant à quitter le territoire français sans destination déterminée. Dans ces conditions, la substitution de base légale sollicitée par le préfet ne saurait être effectuée.

12. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Ain n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a annulé, à la demande de M. A... B..., l'arrêté du 31 juillet 2020.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet de l'Ain est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. E... B.... Copie en sera adressée au préfet de l'Ain.

Délibéré après l'audience du 12 mai 2021 à laquelle siégeaient :

M. Seillet, président ;

Mme C..., première conseillère ;

Mme D..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 juin 201.

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N° 20LY02914


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 20LY02914
Date de la décision : 03/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03-02 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière. Légalité interne.


Composition du Tribunal
Président : M. SEILLET
Rapporteur ?: M. Philippe SEILLET
Rapporteur public ?: M. CHASSAGNE

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-06-03;20ly02914 ?
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