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01/06/2021 | FRANCE | N°20LY02048

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 01 juin 2021, 20LY02048


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... E... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'Etat à lui verser la somme de 657 593 euros, outre les intérêts de droits à compter du 18 avril 2019, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1905816 du 29 mai 2020, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 28 juillet 2020, M. F... E..., re

présenté par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1905816 du 29 mai ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... E... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'Etat à lui verser la somme de 657 593 euros, outre les intérêts de droits à compter du 18 avril 2019, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1905816 du 29 mai 2020, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 28 juillet 2020, M. F... E..., représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1905816 du 29 mai 2020 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 657 593 euros, outre les intérêts de droits à compter du 18 avril 2019 ;

3°) de condamner l'État à lui verser la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de Justice Administrative.

Il soutient que :

- la responsabilité de l'administration découle de l'illégalité de la décision de refus de nomination et du comportement fautif dans l'instruction de sa demande ;

- il a subi un préjudice découlant de la perte de gains professionnels pour un montant de 538 449 euros, d'une perte de pension de retraite évaluée à 93 984 euros et d'un préjudice moral estimé à 25 000 euros.

Par un mémoire, enregistré le 22 mars 2021, le ministre de la justice conclut au rejet de la requête :

Il fait valoir que :

- la décision portant refus de nomination n'existe pas du fait du retrait de la demande ou n'est pas entaché d'illégalités comme il l'a démontré dans l'affaire n° 20LY02047

- il n'y a aucun préjudice lié à la durée estimée excessive du traitement de sa demande, lequel était complexe compte tenu de nombreuses demandes provenant de la même étude et du contexte pénal alors que la durée d'instruction habituelle est de neuf mois environ.

Una clôture d'instruction a été prononcée le 23 mars 2021.

Un mémoire, enregistré le 6 avril 2021, présenté par M. E..., n'a pas été communiqué en application de l'article R. 613-3 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le décret n° 73-609 du 5 juillet 1973 relatif à la formation professionnelle dans le notariat et aux conditions d'accès aux fonctions de notaire ;

- le décret n° 93-82 du 15 janvier 1993 portant application de l'article 1er ter de l'ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945 et relatif aux notaires salariés ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Gayrard, président assesseur ;

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique ;

- et les observations de Me A..., substituant Me C..., représentant M. E....

Une note en délibéré, présentée par M. E..., a été enregistrée le 21 mai 2021.

Considérant ce qui suit :

1. M. F... E... était associé de la société civile professionnelle (SCP) E..., Picot, D..., Favre-Delsol et Preciozo, constituant une étude de notaires sis 62 rue de Bonnel à Lyon sous l'enseigne " office notarial de l'Europe ". Le 9 mars 2018, M. E... a cédé ses parts à ses associés et, le 16 mars suivant, il a demandé concomitamment au garde des Sceaux son retrait d'associé de la SCP précitée et sa nomination en tant que salarié de la SCP Bonnefond et Venditti. Le 6 septembre 2018, les services du ministère de la Justice ont demandé à l'intéressé de réitérer sa demande de nomination en tant que salarié, ce qu'il a effectué le jour même. M. E... soutient que du silence gardé sur cette demande, et malgré plusieurs relances de sa part, est née une décision implicite de rejet le 6 novembre 2018. Après avoir exercé une réclamation préalable le 18 avril 2019, M. E... a saisi le tribunal administratif de Lyon de conclusions indemnitaires tendant à la condamnation de l'Etat à verser la somme de 657 593 euros assortie des intérêts de droit à compter de sa demande préalable. Par jugement du 29 mai 2020, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa requête. Par la présente requête, M. E... demande à la cour d'annuler ce jugement et de condamner l'Etat à lui verser la somme précitée assortie des intérêts.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. En premier lieu, M. E... soutient que l'administration a eu un comportement fautif au vu du délai excessif de l'instruction de sa demande de nomination en tant que notaire salarié. D'abord, si le requérant fait valoir qu'il a déposé son dossier de demande dès le 16 mars 2018, il a néanmoins accepté de réitérer celle-ci, séparément de sa demande concomitante de retrait d'associé de la SCP E..., Picot, D..., Favre-Delsol et Preciozo, le 18 septembre 2018. Il ressort des pièces du dossier que, par courriel du 18 octobre 2018, le service instructeur de la demande de M. E... lui a demandé de produire un avenant au traité de cession de ses parts sociales à ses anciens associés, lequel a été communiqué le jour même. Dès lors, une décision implicite de rejet de la demande de nomination en qualité de notaire salarié présentée par M. E... est née le 18 décembre 2018, et non le 6 novembre précédent comme il le soutient. M. E... a contesté cette décision par une requête enregistrée au tribunal administratif de Lyon le 18 avril 2019. Ensuite, comme il l'indique lui-même, le portail Internet du ministère dédié aux professions juridiques règlementées indiquait que : " Il sera possible qu'une attente de 6 à 12 mois doive être observée pour obtenir une décision définitive, notamment en cas de demande incomplète, complexe ou liée. ". Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'administration aurait commis une faute dans le délai d'instruction de son dossier.

3. En deuxième lieu, si M. E... soutient qu'il a subi un traitement discriminatoire par rapport à un autre associé de la SCP E..., Picot, D..., Favre-Delsol et Preciozo, Me D..., les deux anciens associés n'étaient pas dans la même situation juridique, notamment au regard de la condition d'honorabilité devant être respectée par un professionnel sollicitant d'être nommé notaire salarié. M. E... ne peut utilement invoquer des actions de la part de ses anciens associés pour dissocier leur dossier respectif à son détriment pour établir une faute de l'administration.

4. En troisième lieu, M. E... invoque l'illégalité fautive de la décision implicite de refus opposée à sa demande de nomination par le ministre de la Justice, qui lui a également fait part, par courrier du 14 mai 2019, de son intention de refuser sa nomination et l'a invité à présenter ses observations.

5. D'une part, aux termes de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. / Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. (...) ". Si M. E... soutient qu'il a vainement fait une demande de communication des motifs de la décision implicite de rejet opposée par le ministre de la justice, il n'en justifie pas. Le moyen ne peut, dès lors, qu'être écarté.

6. D'autre part, aux termes de l'article 1er du décret du 15 janvier 1993 portant application de l'article 1er ter de l'ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945 et relatif aux notaires salariés : " Les notaires salariés sont soumis aux dispositions législatives et réglementaires relatives à l'exercice des fonctions de notaire par des personnes physiques, à la déontologie et à la discipline notariale (...) ". Aux termes de l'article 3 du décret du 5 juillet 1973 ci-dessus visé relatif à la formation professionnelle dans le notariat et aux conditions d'accès aux fonctions de notaire : " Nul ne peut être notaire s'il ne remplit les conditions suivantes : (...) / 2° N'avoir pas été l'auteur de faits contraires à l'honneur et à la probité ; 3° N'avoir pas été l'auteur d'agissements de même nature ayant donné lieu à mise à la retraite d'office ou à une sanction disciplinaire ou administrative de destitution, radiation, révocation, retrait d'agrément ou d'autorisation (...) ". Par son courrier du 14 mai 2019 et par ses écritures produites tant devant le juge de première instance qu'en cause d'appel, le ministre de la Justice justifie sa décision de refus pour manquement de M. E... à l'obligation d'honorabilité, au vu notamment des avis défavorables des 19 novembre et 20 décembre 2018 de la procureure générale près la cour d'appel de Lyon, en raison de la mise en examen de l'intéressé le 29 mars 2010 pour des chefs de faux en écriture publique et de complicité d'escroquerie en bande organisée dans une affaire mettant en cause la société de conseil en défiscalisation Apollonia, pour laquelle il a été placé sous contrôle judiciaire. Il découle des 2° et 3° de l'article 3 du décret du 5 juillet 1973 que, contrairement à ce que soutient le requérant, les faits contraires à l'honneur et à la probité ne se limitent pas à ceux ayant donné lieu à sanctions disciplinaire ou pénale. Les principes de présomption d'innocence ou de secret d'instruction n'interdisent pas à l'autorité administrative de se fonder sur des éléments issus d'une procédure pénale en cours pourvu que la matérialité des faits soit suffisamment établie. M. E... conteste les griefs qui lui sont reprochés tenant à ne pas avoir été présent lors de la signature d'actes authentiques aussi bien dans les hôtels qu'à l'étude et à ne pas avoir conseillé des clients dans plusieurs dossiers dans lesquels ils auraient engagé des sommes importantes. Toutefois, le fait d'avoir fait signer des procurations authentiques dans des hôtels à Paris ou à Lyon ainsi qu'au domicile, dans le cadre de l'affaire précitée, est suffisamment établi par les témoignages de clients et est contraire aux dispositions à caractère déontologique issues de l'article 12 du règlement national du conseil supérieur du notariat. Il ne conteste pas sérieusement ne pas avoir conseillé des clients dans plusieurs dossiers dans lesquels ces derniers engageaient des sommes importantes en faisant seulement valoir l'ancienneté des faits. Enfin, il ne nie pas les autres faits reprochés par le ministre de la Justice tenant à son absence attestée par de nombreux clients lors de signatures d'actes authentiques aussi bien à l'hôtel qu'en étude et la signature d'actes authentiques en présence de représentants de la société Apollonia, non parties aux contrats, à laquelle il communiquait les rendez-vous pris. De tels faits sont de nature à caractériser des manquements graves à la probité et l'honorabilité de la profession de notaire comme l'a justement retenu le garde des sceaux.

7. Enfin, aux termes de l'article 11 du décret du 15 janvier 1993 dans sa version applicable à compter du 1er août 2016 : " Le bureau du Conseil supérieur du notariat communique au garde des sceaux, ministre de la justice, dans les vingt jours suivant sa demande, toute information dont il dispose permettant d'apprécier les capacités professionnelles du candidat, son honorabilité et la conformité du contrat de travail avec les règles professionnelles. ". Le requérant fait valoir, pour la première fois en appel, que le ministre de la Justice n'a pas préalablement obtenu l'avis du conseil supérieur du notariat en méconnaissance des dispositions précitées mais a demandé l'avis du parquet général, comme le prévoyait le même article dans sa version antérieure au 1er août 2016.

8. Lorsqu'une personne sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité, pour un vice de procédure, de la décision défavorable, il appartient au juge de plein contentieux, saisi de moyens en ce sens, de déterminer, en premier lieu, la nature de cette irrégularité procédurale puis, en second lieu, de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, si, compte tenu de la nature et de la gravité de cette irrégularité procédurale, la même décision aurait pu être légalement prise dans le cadre d'une procédure régulière.

9. S'il n'est pas établi que le ministre de la Justice aurait saisi le conseil supérieur du notariat aux fins que ce dernier lui communique toute information dont il dispose concernant notamment l'honorabilité du candidat, aucun texte, ni principe, ne lui interdisait de demander l'avis de la procureure de la République près la cour d'appel de Lyon, selon les modalités antérieures au 1er août 2016, dans le cadre de l'instruction de la demande de nomination en qualité de notaire salarié. Par suite, eu égard à la nature et à la gravité de l'irrégularité procédurale en cause, et compte tenu du caractère médiatique de l'affaire, évoqué au point 6, qui ne pouvait qu'être connue du conseil supérieur du notariat, il n'apparait pas que le ministre de la justice n'aurait pas légalement pris la même décision dans le cadre d'une procédure régulière. Par suite, les préjudices dont M. E... se prévaut ne peuvent être regardés comme les conséquences du vice de procédure indiqué au au point 7.

10. Il découle de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Sur les frais du litige :

11. Il n'y a pas lieu de condamner l'Etat, qui n'est pas la partie perdante à la présente instance, au versement à M. E... d'une somme au titre de ses frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... E... et au ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 12 mai 2021, à laquelle siégeaient :

M. Gayrard, président de la formation de jugement,

Mme B..., première conseillère,

M. Pin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition par le greffe le 1er juin 2021.

N° 20LY02048 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20LY02048
Date de la décision : 01/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Responsabilité et illégalité - Illégalité n'engageant pas la responsabilité de la puissance publique.

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service de la justice.


Composition du Tribunal
Président : M. GAYRARD
Rapporteur ?: M. Jean-Philippe GAYRARD
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : CARNOT AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-06-01;20ly02048 ?
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