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18/05/2021 | FRANCE | N°19LY03696

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre, 18 mai 2021, 19LY03696


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner le service départemental-métropolitain d'incendie et de secours (SDMIS) du Rhône à lui verser les indemnités horaires pour travaux supplémentaires rémunérant les 470 heures de service qu'il soutient avoir accomplies au-delà du seuil annuel de 1 607 heures en 2012, subsidiairement, une indemnité représentative de ces compléments de rémunération ainsi qu'une somme de 900 euros en indemnisation de ses préjudices personnels et des troub

les dans ses conditions d'existence.

Par un jugement n° 1705416 du 29 juille...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner le service départemental-métropolitain d'incendie et de secours (SDMIS) du Rhône à lui verser les indemnités horaires pour travaux supplémentaires rémunérant les 470 heures de service qu'il soutient avoir accomplies au-delà du seuil annuel de 1 607 heures en 2012, subsidiairement, une indemnité représentative de ces compléments de rémunération ainsi qu'une somme de 900 euros en indemnisation de ses préjudices personnels et des troubles dans ses conditions d'existence.

Par un jugement n° 1705416 du 29 juillet 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 30 septembre 2019 et un mémoire enregistré le 3 décembre 2020, M. A..., représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de condamner le service départemental-métropolitain d'incendie et de secours (SDMIS) du Rhône à lui verser les indemnités horaires pour travaux supplémentaires rémunérant les heures de service qu'il soutient avoir accomplies au-delà du seuil annuel de 1 607 heures en 2012, ainsi qu'une indemnité représentative de ces compléments de rémunération ainsi qu'une somme de 900 euros en indemnisation de ses préjudices personnels et des troubles dans ses conditions d'existence, avec intérêts au taux légal et capitalisation ;

3°) d'enjoindre au SDMIS, en application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de procéder à la liquidation des heures supplémentaires dues, en tenant compte, pour chaque agent, de leur quotité de travail pour ceux des agents qui étaient à temps partiel, de la neutralisation des congés de maladie et congés spéciaux, de la date à laquelle, en fonction des éléments précédents, l'agent est réputé avoir accompli ses obligations annuelles règlementaires de service, et au-delà de laquelle ont été accomplies les heures supplémentaires, des conditions réelles dans lesquelles les heures supplémentaires ont été accomplies, selon les informations portées dans les cartons individuels, afin d'appliquer les majorations pour travail de nuit, les dimanches et jours fériés ;

4°) subsidiairement de condamner le service départemental-métropolitain d'incendie et de secours (SDMIS) du Rhône à lui verser une indemnité représentative des indemnités horaires pour travaux supplémentaires rémunérant les 470 heures supplémentaires effectuées en 2012, ainsi qu'une somme de 900 euros en indemnisation de ses préjudices personnels et des troubles dans ses conditions d'existence, avec intérêts au taux légal et capitalisation ;

5°) de mettre à la charge du SDMIS du Rhône une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le SDMIS ne pouvait instaurer un régime d'équivalence, la totalité du temps de présence des sapeurs-pompiers devant être qualifiée de travail effectif ;

- le tribunal administratif a omis de prendre en compte la délibération du 11 janvier 2002, applicable pour la période antérieure au 25 juin 2012, compte tenu de l'annulation de la délibération du 26 juin 2009 ;

- la délibération du 25 juin 2012 méconnaît la durée hebdomadaire du travail fixée par l'article 2 du décret du 25 août 2000, de 44 heures par semaine sur 12 semaines ainsi que celle de 48 heures par semestre glissant ;

- elle ne peut être appliquée car elle ne saurait avoir d'effet rétroactif ;

- le seuil de 2 256 heures ne peut être retenu pour tous les agents comme seuil de déclenchement compte tenu des congés divers et des agents à temps partiel ;

- aucune durée d'équivalence n'est prévue pour les agents à temps partiel ;

- ce seuil doit être proratisé en fonction des congés de maladie, des congés exceptionnels ou du temps partiel des agents ;

- les heures effectuées au-delà de 1 607 heures doivent être payées en heures supplémentaires ;

- les délibérations du 11 janvier 2002, 26 juin 2009 et 25 juin 2012 doivent toutes être écartées ;

- les régimes de travail sous forme de gardes de 24 heures suivies de repos de 48 ou 72 heures ne respectent pas les limites règlementaires en matière de durée hebdomadaire du travail, et ne peuvent donc pas servir de référence pour estimer ses obligations de service ;

- la période de référence, pour le calcul de la durée hebdomadaire du travail est la période de 7 jours ;

- les mesures compensatoires exigées par l'article 16 de la directive de 2003 ne sont pas respectées ;

- le régime de travail mis en place par le SDMIS méconnaît le principe de non-discrimination proclamé par l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il méconnaît les stipulations de l'article 23 de la directive n° 2003/88/CE ;

- s'agissant des sapeurs-pompiers professionnels logés, le cycle de travail est annuel ; M. A... a accompli 470 heures au-delà de ses obligations annuelles en 2012 ;

- le montant de ces IHTS est estimé à la somme de 9 077 euros au titre de 2012 ;

- la méconnaissance de la moyenne hebdomadaire de 48 heures de travail, des règles de repos compensateur pour travail de nuit et de repos compensateur en cas de cycles dérogatoires de temps de travail lui ont causé un préjudice extrapatrimonial de 1 800 euros ;

- subsidiairement, il y aura lieu de l'indemniser du préjudice résultant de l'absence de rémunération des heures supplémentaires et des préjudices personnels résultant de la violation des seuils communautaires.

L'appelant demande que la cour pose une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne sur le point de savoir si un SDIS peut d'emblée fixer la durée du travail au maximum de ce qu'autorise la directive, heures supplémentaires comprises, et s'il peut faire usage de la dérogation prévue à l'article 17 alors que l'organisation mise en place comporte des obligations de services correspondant déjà aux maxima autorisés.

Il demande à la cour de fixer les modalités d'exécution de l'arrêt à intervenir, et de dire que les heures indemnisables sont celles accomplies dans la période succédant à l'accomplissement des obligations de service annuelles règlementaires.

Par deux mémoires enregistrés le 28 septembre et le 18 décembre 2020, le SDMIS du Rhône, représenté par Me D..., conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de M. A... la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

Sur les moyens d'appel :

- les dispositions de la directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003 ne font pas obstacle à l'instauration d'un régime d'horaire d'équivalence et la totalité du temps de présence ne peut pas être assimilée à du temps de travail, de sorte que le SDMIS pouvait mettre en place un régime d'équivalence ;

- dans la mesure où la délibération du 25 juin 2012 faisait référence à un plafond annuel, le tribunal administratif pouvait en faire application pour l'année 2012 ;

- l'annulation de la délibération par le conseil d'Etat ne met nullement en cause le régime de travail prévu par la délibération ;

- le conseil d'Etat n'a censuré que l'absence de plafond pour les semestres glissants, et pas le seuil de 2 256 heures ;

Sur les moyens de première instance :

- le temps de travail n'est pas de 1 607 heures, en application du décret du 25 août 2000, mais résulte de l'article 3 du décret n° 2001-1382 du 31 décembre 2001, et des délibérations prises en application de l'article 5 de ce décret ;

- la limite prévue par l'article 3

- du décret du 25 août 2000 n'est pas applicable ;

- le principe du temps d'équivalence n'a pas à être remis en cause ;

- il n'a effectué aucune heure supplémentaire ;

- le régime d'horaires d'équivalence est légal et conventionnel ;

- en toute hypothèse, l'occupation illégale d'un logement à titre gratuit devrait être déduite du droit à indemnisation ;

- le SDMIS n'a commis aucune faute.

Une ordonnance du 11 janvier 2021 a prononcé la clôture de l'instruction à la date de son émission en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003 ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 2000-815 du 25 août 2000 ;

- le décret n° 2001-623 du 12 juillet 2001 ;

- le décret n° 2001-1382 du 31 décembre 2001 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Paix, présidente,

- les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., avocat de M. A... et de Me Rey, avocat du SDMIS du Rhône ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., sapeur-pompier professionnel, alors logé en casernement, a demandé la condamnation du SDMIS à lui verser les indemnités horaires pour travaux supplémentaires rémunérant les heures supplémentaires de service qu'il soutient avoir accomplies en 2012 au-delà du seuil annuel de 1 607 heures ou, subsidiairement, du seuil de 44 heures hebdomadaires par cycle de référence. Il demandait, à titre subsidiaire, le versement d'une indemnité représentative des indemnités horaires pour travaux supplémentaires correspondant à ces heures supplémentaires et, en toute hypothèse, une indemnité réparant ses préjudices personnels et les troubles dans ses conditions d'existence provoqués par l'illégalité de la durée du travail à laquelle il a été assujetti. Il relève appel du jugement du tribunal administratif de Lyon qui a rejeté sa demande. M. A... a exercé ses fonctions à 80 % sur l'ensemble de l'année 2012.

Sur le paiement d'heures supplémentaires :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 1er du décret du 25 août 2000 relatif à l'aménagement de la réduction de temps de travail dans la fonction publique de l'Etat, rendu applicable aux agents des collectivités territoriales par l'article 1er du décret du 12 juillet 2001 pris pour l'application de l'article 7-1 de la loi du 26 janvier 1984 et relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique territoriale : " (...) Le décompte du temps de travail est réalisé sur la base d'une durée annuelle de travail effectif de 1 607 heures maximum, sans préjudice des heures supplémentaires susceptibles d'être effectuées ". Aux termes de l'article 2 du même décret : " La durée du travail effectif s'entend comme le temps pendant lequel les agents sont à la disposition de leur employeur et doivent se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ". Aux termes de l'article 1er du décret du 31 décembre 2001 relatif au temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels, dans sa rédaction applicable au présent litige : " La durée de travail effectif des sapeurs-pompiers professionnels est définie conformément à l'article 1er du décret du 25 août 2000 susvisé auquel renvoie le décret du 12 juillet 2001 susvisé (...) ". Aux termes de l'article 2 du même décret : " La durée de travail effectif journalier définie à l'article 1er ne peut pas dépasser 12 heures consécutives (...) ". Aux termes de l'article 3 du même décret : " Compte tenu des missions des services d'incendie et de secours et des nécessités de service, un temps de présence supérieur à l'amplitude journalière prévue à l'article 2 peut être fixé à 24 heures consécutives par le conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours après avis du comité technique paritaire (...) ". Enfin, aux termes de l'article 4 du même décret : " Lorsqu'il est fait application de l'article 3 ci-dessus, une délibération du conseil d'administration après avis du comité technique paritaire fixe un temps d'équivalence au décompte annuel du temps de travail. / La durée équivalente ne peut être inférieure à 2 280 heures ni excéder 2 520 heures. / A compter du 1er janvier 2005, elle ne peut être inférieure à 2 160 heures ni excéder 2 400 heures ".

En ce qui concerne la possibilité d'instaurer un régime d'équivalence et la délibération du 25 juin 2012 :

3. Les stipulations de la directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003 qui, aux termes de son article 1er, " fixe des prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière d'aménagement du temps de travail ", ne font pas obstacle à ce que, dans le respect des durées maximales de travail qu'elles prévoient, les Etats membres fixent, pour certaines professions, des régimes d'horaire d'équivalence en vue de déterminer les modalités selon lesquelles seront rémunérés le temps de travail des travailleurs concernés ainsi que, le cas échéant, les heures supplémentaires qu'ils auront effectuées.

4. Toutefois, il résulte des textes cités au point 2 que le régime du temps d'équivalence prévu par l'article 4 du décret du 31 décembre 2001 a pour objet d'introduire, en vue notamment de l'appréciation des droits à rémunération des sapeurs-pompiers professionnels, une durée équivalente à la durée annuelle de leur temps de travail. Cette durée annuelle fixée à 1 607 heures maximum, correspond à la quotité de travail qu'un sapeur-pompier professionnel doit accomplir pour être regardé comme travaillant à temps plein. Dès lors, ni la durée annuelle de ce temps de travail ni, par voie de conséquence, la durée équivalente à cette durée ne sont applicables aux sapeurs-pompiers professionnels travaillant à temps partiel. Par suite, M. A... est fondé à soutenir que le régime dérogatoire, instauré par les différentes délibérations du SDMIS du Rhône ne saurait conduire à faire application, en ce qui le concerne d'un régime d'équivalence.

5. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a appliqué ce régime d'équivalence à l'intéressé, et considéré que le seuil au-delà duquel devaient être rémunérées les heures supplémentaires effectuées par M. A... s'établissait à 2 256 heures, décomptées au prorata de son temps partiel.

6. Il y a lieu de statuer par la voie de l'effet dévolutif de l'appel sur les conclusions de la requête de M. A... devant le tribunal administratif de Lyon et sur ses conclusions devant la cour.

S'agissant de la légalité de la délibération du 25 juin 2012 :

7. En premier lieu, et contrairement à ce que soutient l'appelant, la délibération du 25 juin 2012 déterminant un plafond maximal d'heures de travail, son application immédiate pour l'année 2012 n'entraîne par elle-même aucune rétroactivité. De plus, si M. A... est fondé à soutenir que le seuil déterminé par la délibération doit être fixé en fonction de la situation de chaque agent, les congés éventuellement obtenus n'ont pas d'incidence sur sa position d'activité. Si le Conseil d'Etat, dans une décision n° 430871 du 29 juillet 2020, a annulé la délibération litigeuse en tant qu'elle ne garantit pas que le temps de travail, pour tout semestre glissant, n'excède pas 1 128 heures, cette seule circonstance n'est pas de nature à ouvrir droit à l'intéressé au paiement d'heures supplémentaires.

8. En deuxième lieu, lorsque le régime du temps de travail d'agents, tel que celui des sapeurs-pompiers professionnels, est déterminé en fonction d'une période de référence en application des articles 16, 17 et 19 de la directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003, la durée hebdomadaire maximale de travail de 48 heures prévue par l'article 6 de cette directive ne s'apprécie pas pour chacune des périodes de sept jours comprises dans cette période de référence mais uniquement, en moyenne, sur l'ensemble de celle-ci. Il ressort des termes de la délibération contestée qu'elle a entendu user, pour les sapeurs-pompiers logés en casernement, de la faculté offerte par l'article 19 de la directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003 de fixer une période de référence dérogatoire à la durée hebdomadaire du travail prévue par son article 6. Par suite, le requérant ne peut utilement soutenir que l'organisation du travail que cette délibération a prévue conduirait, notamment par l'effet de l'organisation des périodes de garde, à dépasser la limite de 48 heures sur toute période de 7 jours, et que, par voie de conséquence, il conviendrait de se référer au régime des gardes de 12 heures ou au régime de droit commun issu du décret du 25 août 2000.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 du décret du 25 août 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'Etat et dans la magistrature : " I.- L'organisation du travail doit respecter les garanties minimales ci-après définies./ La durée hebdomadaire du travail effectif, heures supplémentaires comprises, ne peut excéder ni quarante-huit heures au cours d'une même semaine, ni quarante-quatre heures en moyenne sur une période quelconque de douze semaines consécutives et le repos hebdomadaire, comprenant en principe le dimanche, ne peut être inférieur à trente-cinq heures. / La durée quotidienne du travail ne peut excéder dix heures. (...) / II.- Il ne peut être dérogé aux règles énoncées au I que dans les cas et conditions ci-après : / a) Lorsque l'objet même du service public en cause l'exige en permanence, notamment pour la protection des personnes et des biens, par décret en Conseil d'Etat, pris après avis du comité d'hygiène et de sécurité le cas échéant, du comité technique ministériel et du Conseil supérieur de la fonction publique, qui détermine les contreparties accordées aux catégories d'agents concernés ; / (...) ". Aux termes de l'article 3 du décret du 12 juillet 2001 pris pour l'application de l'article 7-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 et relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique territoriale : " Le décret en Conseil d'Etat prévu pour l'application du a du II de l'article 3 du décret du 25 août 2000 susvisé est pris après avis du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale. " Si les dispositions du décret du 31 décembre 2001 relatif au temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels citées au point 2, ont dérogé, selon la procédure susmentionnée, à la durée quotidienne maximale de travail, il n'en va pas de même vis-à-vis de la règle limitant la durée hebdomadaire du travail effectif des fonctionnaires territoriaux, heures supplémentaires comprises, à quarante-quatre heures en moyenne sur une période quelconque de douze semaines consécutives.

10. Toutefois l'appelant n'établit pas que la délibération du 25 juin 2012, qui prévoit un temps de repos de 72 heures après chaque garde de 24 heures, par ses modalités, méconnaîtrait le plafond prévu par l'article 3 du décret du 25 août 2000 de 44 heures par semaines sur 12 semaines consécutives. Il n'établit pas davantage qu'eu égard aux gardes supplémentaires, il aurait été porté atteinte à ces dispositions dans sa situation.

11. En quatrième lieu, si pour le calcul de la durée de travail pour l'application des seuils prévus par la directive, la présence au cours d'une garde est, au sens des dispositions du décret attaqué, assimilable à du travail effectif, dès lors que les intéressés doivent se tenir en permanence prêts à intervenir, ces mêmes dispositions n'empêchent en revanche pas, pour l'établissement de la rémunération des sapeurs-pompiers pendant ces gardes, de fixer des équivalences en matière de durée du travail, afin de tenir compte des périodes d'inaction que comportent ces périodes de garde, dans la mesure où la directive susvisée de 2003, qui fixe des prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière d'aménagement du temps de travail, n'a pas vocation à s'appliquer aux questions de rémunération. Par suite, eu égard à la moindre intensité du travail effectué pendant les gardes de 24 heures par rapport aux gardes de 12 heures, M. A... n'est pas fondé à soutenir que l'application d'un régime d'équivalence, dans le cas de gardes de 24 heures, pour la détermination de la rémunération des sapeurs-pompiers professionnels, méconnaîtrait les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole à cette convention. Ce moyen doit, par suite, être écarté.

S'agissant de l'application à la situation de l'appelant :

12. M. A... soutient avoir effectué 1 744 heures titre de l'année 2012, soit 470 heures de service supplémentaires au titre de l'année 2012, en se référant aux obligations qui étaient les siennes, compte tenu de son temps partiel. Ce nombre d'heures n'est pas contesté par le SDMIS du Rhône, qui se borne à revendiquer l'application du principe d'équivalence résultant des délibérations prises par l'organisme, alors même qu'il résulte des pièces du dossier que le contrat de l'intéressé prévoyait 1 215 heures. Par suite, il y a lieu d'accorder à M. A... l'indemnisation des 470 heures supplémentaires demandées, et de le renvoyer devant le SDMIS du Rhône, pour qu'il soit procédé à la liquidation de cette somme, laquelle ne peut, contrairement à ce qui est soutenu, faire l'objet d'une réfaction en raison de l'avantage constitué par la jouissance du logement attribué à l'agent. Le décompte sera fait par application de l'article 7 du décret du 14 janvier 2002, en distinguant les gardes de 24 heures et les heures supplémentaires effectuées hors gardes.

Sur l'indemnisation des préjudices personnels et des troubles dans les conditions d'existence résultant du dépassement des seuils règlementaires :

13. En premier lieu, d'une part aux termes de l'article 6 de la directive susvisée du 4 novembre 2003, laquelle a repris sur ce point les dispositions de la directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993 qui devait être transposée dans le droit interne des Etats au plus tard le 23 novembre 1996 : " Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que, en fonction des impératifs de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs : / (...) b) la durée moyenne de travail pour chaque période de sept jours n'excède pas quarante-huit heures, y compris les heures supplémentaires ". Aux termes de l'article 16 de cette directive : " Les États membres peuvent prévoir : (...) b) pour l'application de l'article 6 (durée maximale hebdomadaire de travail), une période de référence ne dépassant pas quatre mois. / Les périodes de congé annuel payé, accordé conformément à l'article 7, et les périodes de congé de maladie ne sont pas prises en compte ou sont neutres pour le calcul de la moyenne (...) ". Aux termes du paragraphe 3 de l'article 17 de cette directive : " Conformément au paragraphe 2 du présent article, il peut être dérogé aux articles 3, 4, 5, 8 et 16 :/ (...) / c) pour les activités caractérisées par la nécessité d'assurer la continuité du service ou de la production, notamment lorsqu'il s'agit : / (...) / iii) des services (...) de sapeurs-pompiers ou de protection civile ". Aux termes enfin de l'article 19 de la même directive : " La faculté de déroger à l'article 16, point b), prévue à l'article 17, paragraphe 3 (...) ne peut avoir pour effet l'établissement d'une période de référence dépassant six mois ".

14. D'autre part, en vertu de l'article 2 de cette directive, le temps de travail est défini comme " toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l'employeur et dans l'exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou pratiques nationales ". Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de l'arrêt du 21 février 2018 (C-518-15), Ville de Nivelles c/ Rudy Matzak, que le temps de garde qu'un travailleur passe à domicile avec l'obligation de répondre aux appels de son employeur dans un délai de 8 minutes, laquelle restreint très significativement la possibilité d'avoir d'autres activités, doit être considéré comme " temps de travail ". Il en va donc ainsi des périodes d'astreintes que comportent les gardes assurées par les sapeurs-pompiers au cours desquelles ceux-ci doivent, même s'ils sont à leur domicile, se tenir en permanence prêts à intervenir.

15. Si les dispositions de la directive n° 2003/88/CE citées au point 17 n'empêchent pas, pour l'établissement de la rémunération des sapeurs-pompiers pendant leurs gardes, de fixer des équivalences en matière de durée du travail, afin de tenir compte des périodes d'inaction, le dépassement de la durée maximale de travail qu'elles prévoient porte atteinte à la sécurité et à la santé des intéressés en ce qu'il les prive du repos auquel ils ont droit et leur cause, de ce seul fait, un préjudice, indépendamment de leurs conditions de rémunération ou d'hébergement.

16. Par sa décision n° 430871 du 29 juillet 2020, le Conseil d'Etat a annulé la délibération du conseil d'administration du SDMIS du Rhône du 25 juin 2012 en tant qu'elle ne garantit pas que le temps de travail, pour tout semestre glissant, n'excède pas 1 128 heures. Par suite, M. A... peut prétendre à indemnisation des troubles dans les conditions d'existence au-delà de cette limite, sans tenir compte des avantages que lui a procurés son logement de fonction.

17. Toutefois, M. A..., qui se borne à soutenir avoir effectué 1 744 heures au titre de l'année 2012, n'établit pas avoir effectué des heures au-delà des bornes ainsi fixées par la directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003, bornes qui, compte tenu de son temps partiel en 2012 s'établissent à 1 805 heures annuelles ou 902,5 heures par semestre au titre de 2012. Dans ces conditions, il n'établit pas avoir subi un préjudice dans ses conditions d'existence du fait de l'exercice de ses conditions de travail au cours de ces années.

18. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la directive du 4 novembre 2003 : " Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que : / a) le temps de travail normal des travailleurs de nuit ne dépasse pas huit heures en moyenne par période de vingt-quatre heures (...) ". L'article 17 précité de la même directive prévoit cependant la possibilité de déroger à cette disposition, pour les sapeurs-pompiers ou de protection civile à condition selon le 2 de cet article " que des périodes équivalentes de repos compensateur soient accordées aux travailleurs concernés ou que, dans des cas exceptionnels dans lesquels l'octroi de telles périodes équivalentes de repos compensateurs n'est pas possible pour des raisons objectives, une protection appropriée soit accordée aux travailleurs concernés ". Si le fait de déroger, ainsi que le prévoit le décret du 31 décembre 2001 relatif au temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels, à la durée maximale journalière de travail effectif de douze heures peut conduire les sapeurs-pompiers professionnels à travailler de nuit, il résulte des dispositions des articles 2 et 3 de ce décret que, d'une part, lorsque la durée du travail effectif s'inscrit dans un cycle de travail journalier supérieur à douze heures, le temps de travail effectif ne peut dépasser une durée de huit heures, à l'exception des temps passés en interventions, et que, d'autre part, toute période de travail effectif d'une durée supérieure à douze heures est suivie obligatoirement d'une interruption de service d'une durée au moins égale. M. A... n'est, par suite, fondé à soutenir ni que le décret attaqué serait incompatible avec les dispositions de la directive relatives au travail de nuit, ni que la délibération du 25 juin 2012, en tant qu'elle renvoie aux garanties règlementaires prévues par la règlementation européenne et nationale, méconnaitrait ces dispositions.

19. En troisième lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment que M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait subi des préjudices du fait de l'illégalité des délibérations du 11 janvier 2002 et 25 juin 2012.

20. En quatrième lieu, M. A... n'établit pas que, du fait de la mise en place des délibérations successives par le SDMIS, il se serait vu imposer, contre sa volonté, des gardes sous le régime de 24 heures, alors qu'auparavant il était soumis au régime des gardes de 12 heures. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que, par ces délibérations, il serait porté atteinte au principe de non régression prévu par l'article 23 de la directive n° 2003/88/CE doit être écarté.

21. Dans ces conditions, et compte tenu de ce qui précède, il n'y a pas lieu de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne, les questions de savoir d'une part si un SDIS peut organiser le temps de travail des sapeurs-pompiers suivant un régime prévoyant des obligations de service égales au maximum de ce que la directive prévoit, et d'autre part si un SDIS, qui a fixé les obligations de service au maximum de ce qui est prévu par la directive, peut faire usage de la dérogation prévue à l'article 17.

22. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. A... est seulement fondé à demander le paiement de 470 heures supplémentaires au titre de l'année 2012, et à être renvoyé devant le SDMIS pour le paiement des sommes dues.

Sur les intérêts et la capitalisation :

23. En premier lieu, lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1153 du code civil, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article 1231-6 du même code, courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine. En l'espèce, il résulte de l'instruction que la réclamation indemnitaire préalable de M. A... a été reçue par le SMDIS du Rhône le 8 octobre 2015. Par suite, le requérant est en droit de prétendre aux intérêts légaux, sur les sommes dues au titre de l'année 2012 visées au point 12 à compter de cette date.

24. En second lieu, aux termes de l'article 1154 du code civil, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article 1343-2 du même code : " Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ". Pour l'application de ces dispositions, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Cette demande ne peut toutefois prendre effet que lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière. Le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande. Ainsi, et en l'espèce, M. A... est en droit de prétendre à la capitalisation des intérêts sur les sommes visées au point 12 à compter du 13 septembre 2018, date à laquelle elle a été demandée, puis à chaque nouvelle échéance annuelle intervenue depuis lors.

Sur les frais d'instance :

25. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par le SDMIS. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du SDMIS du Rhône la somme de 500 euros à verser à M. A..., au titre des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1705416 du 29 juillet 2019 du tribunal administratif de Lyon est annulé.

Article 2 : Le SDMIS du Rhône versera à M. A... une somme correspondant à la rémunération de 470 heures supplémentaires effectuées en 2012.

Article 3 : M. A... est renvoyé devant le SDMIS du Rhône pour la liquidation de la somme mentionnée à l'article 2 ci-dessus conformément aux motifs exposés au point 12.

Article 4 : Les sommes mentionnées à l'article 2 porteront intérêts et seront capitalisées conformément à ce qui est indiqué aux points 23 et 24 du présent arrêt.

Article 5 : Le SDMIS du Rhône versera à M. A... la somme de 500 euros au titre des frais d'instance.

Article 6 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.

Article 7 : Les conclusions présentées par le SDMIS du Rhône sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au SDMIS du Rhône.

Délibéré après l'audience du 16 mars 2021, à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Paix, présidente de chambre,

M. Gilles Fédi, président-assesseur,

M. Pierre Thierry, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 mai 2021.

No 19LY036962


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-08-02 Fonctionnaires et agents publics. Rémunération. Traitement.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : Mme PAIX
Rapporteur ?: Mme Evelyne PAIX
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : ARNOULD

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre
Date de la décision : 18/05/2021
Date de l'import : 25/05/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 19LY03696
Numéro NOR : CETATEXT000043522182 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-05-18;19ly03696 ?
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