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15/04/2021 | FRANCE | N°20LY02161

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 7ème chambre, 15 avril 2021, 20LY02161


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 22 juillet 2020 par lequel le préfet de l'Ain lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a désigné l'Albanie, État dont il a la nationalité, comme pays de destination et lui a prescrit une interdiction de retour sur le territoire de six mois.

Par jugement n° 2004995 du 27 juillet 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal a fait droit à sa demande.

Procédure devant la cour



Par requête enregistrée le 4 août 2020, le préfet de l'Ain demande à la cour :

1°) d'an...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 22 juillet 2020 par lequel le préfet de l'Ain lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a désigné l'Albanie, État dont il a la nationalité, comme pays de destination et lui a prescrit une interdiction de retour sur le territoire de six mois.

Par jugement n° 2004995 du 27 juillet 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal a fait droit à sa demande.

Procédure devant la cour

Par requête enregistrée le 4 août 2020, le préfet de l'Ain demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 2004995 du 27 juillet 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de rejeter la demande de M. B... devant le tribunal.

Il soutient que c'est à tort que, pour annuler l'arrêté litigieux, le tribunal s'est fondé sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 311-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui n'a d'effet utile que dirigé contre les éloignements fondés sur le I-2° de l'article L. 511-1 du code applicable aux jeunes majeurs étrangers dépourvus de titre mais entrés régulièrement sur le territoire, non pas à ceux qui, comme M. B..., sont entrés irrégulièrement et relèvent du I-1° du même article et que les autres moyens soulevés en première instance par M. B... n'étaient pas fondés.

Par mémoire enregistré le 7 décembre 2020, présenté pour M. B..., il conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'État le paiement à son conseil, sous réserve qu'il renonce à l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que le moyen soulevé par le préfet de l'Ain n'est pas fondé.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 30 septembre 2020 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Lyon (section administrative d'appel).

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (CE) n° 562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 ;

- le règlement (UE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de M. Seillet, président, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Le préfet de l'Ain relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a annulé, sur la demande M. B..., ressortissant albanais né le 15 juillet 2002, ses décisions du 22 juillet 2020 portant obligation de quitter le territoire français, refus de délai de départ volontaire et interdiction de retour d'une durée de six mois.

2. Selon les termes de l'article L. 311-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sous réserve des engagements internationaux de la France et hors le cas des ressortissants des États mentionnés à l'article L. 121-1 de ce code, tout étranger âgé de plus de dix-huit ans qui souhaite séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois doit être titulaire d'un document de séjour. Le I de l'article L. 511-1 du même code dispose que : " L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un État membre de l'Union européenne (...), lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; / 2° Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée sur le territoire sans être titulaire d'un premier titre de séjour régulièrement délivré ; (...) ". Et, selon les dispositions de l'article L. 511-4 du même code : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : / 1° L'étranger mineur de dix-huit ans (...) ".

3. S'il résulte de la combinaison des dispositions précitées avec celles des articles R. 311-1 et R. 311-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'un étranger résidant habituellement en France avant sa majorité doit, pour se conformer à l'obligation de possession d'un titre de séjour qui pèse sur lui à compter du jour où il devient majeur, solliciter un tel titre dans les deux mois qui suivent son dix-huitième anniversaire et qu'il ne peut, dès lors, faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sur le fondement du 2° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que s'il s'est abstenu de solliciter un titre pendant cette période, ces dispositions ne font pas obstacle, en revanche, à ce qu'un étranger entré irrégulièrement sur le territoire français lorsqu'il était mineur et qui s'y trouve à la date de son dix-huitième anniversaire sans bénéficier de titre de séjour fasse l'objet, dès cette date, d'une telle obligation sur le fondement du 1° du I de l'article L. 511-1.

4. Et il ressort des pièces du dossier et, en particulier, de la lecture de la décision en litige, qu'en l'espèce le préfet de l'Ain, pour obliger M. B... à quitter le territoire français, s'est fondé sur les dispositions précitées du 1° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au motif qu'il ne pouvait justifier être entré régulièrement sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité. Dès lors c'est à tort que, pour annuler l'obligation de quitter le territoire français en litige et, par voie de conséquence, les décisions portant refus de délai de départ volontaire et interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de six mois, le premier juge s'est fondé sur le motif tiré de ce que, dès lors que le délai de deux mois dont disposait à compter de sa majorité M. B... pour demander un titre de séjour en application des dispositions de l'article R. 311-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'était pas expiré lorsque le préfet de l'Ain avait pris la décision contestée du 22 juillet 2020, ledit préfet avait illégalement pris la mesure d'éloignement contestée.

5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. B....

Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

6. Selon les termes de l'article 6 du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016, les ressortissants des pays tiers doivent, pour pouvoir régulièrement franchir les frontières de l'Union européenne, pouvoir justifier, outre la possession d'un visa en cours de validité, de l'objet et des conditions de leur séjour et de moyens de subsistance suffisants, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans leur pays d'origine ou un pays de transit. L'appréciation des moyens de subsistance se fait en fonction de la durée et de l'objet du séjour et par référence aux prix moyens en matière d'hébergement et de nourriture dans l'État membre ou les États membres concernés, pour un logement à prix modéré, multipliés par le nombre de jours de séjour. L'appréciation des moyens de subsistance suffisants peut se fonder sur la possession d'argent liquide, de chèques de voyage et de cartes de crédit par le ressortissant de pays tiers. Les déclarations de prise en charge, lorsqu'elles sont prévues par le droit national, et les lettres de garantie telles que définies par le droit national, dans le cas des ressortissants de pays tiers logés chez l'habitant, peuvent aussi constituer une preuve de moyens de subsistance suffisants. Selon le règlement (CE) n° 562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes, le montant de référence des moyens de subsistance suffisants pour la durée du séjour envisagé par un étranger, ou pour son transit par la France s'il se dirige vers un État tiers, correspond en France au montant du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) calculé journellement à partir du taux fixé au 1er janvier de l'année en cours.

7. Aux termes de l'article L. 211-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour entrer en France, tout étranger doit être muni : 1° Des documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur ; 2° Sous réserve des conventions internationales, du justificatif d'hébergement prévu à l'article L. 211-3, s'il est requis, et des autres documents prévus par décret en Conseil d'État relatifs, d'une part, à l'objet et aux conditions de son séjour et, d'autre part, s'il y a lieu, à ses moyens d'existence, à la prise en charge par un opérateur d'assurance agréé des dépenses médicales et hospitalières, y compris d'aide sociale, résultant de soins qu'il pourrait engager en France, ainsi qu'aux garanties de son rapatriement (...) ". Aux termes de l'article L. 211-3 du même code : " Tout étranger qui déclare vouloir séjourner en France pour une durée n'excédant pas trois mois dans le cadre d'une visite familiale ou privée doit présenter un justificatif d'hébergement. Ce justificatif prend la forme d'une attestation d'accueil signée par la personne qui se propose d'assurer le logement de l'étranger, ou son représentant légal, et validée par l'autorité administrative. Cette attestation d'accueil constitue le document prévu par la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 pour justifier les conditions de séjour dans le cas d'une visite familiale ou privée. "

8. Il résulte des dispositions de l'article 6 du règlement (UE) n° 2016/399 du 9 mars 2016 et de l'article L. 211-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicables aux mineurs sous réserve des dispositions de l'article L. 212-2 applicables aux enfants mineurs de dix-huit ans venant rejoindre leur père ou leur mère régulièrement autorisé à résider en France, que, si les ressortissants albanais détenant, comme c'est le cas de M. B..., un passeport biométrique en cours de validité sont dispensés de visa pour les séjours de moins de trois mois au sein de l'espace Schengen, ils doivent cependant remplir les conditions rappelées ci-dessus.

9. Il ne ressort pas des pièces du dossier, et n'est au demeurant pas allégué, que M. B..., lors de son entrée sur le territoire français, à la date qu'il déclare du 18 avril 2019, alors même qu'il détenait un passeport biométrique le dispensant de visa pour un séjour de moins de trois mois, disposait des justificatifs mentionnés au point 6, ni, par suite, qu'il puisse justifier être alors entré régulièrement sur le territoire français où il s'est maintenu ensuite. Dans ces conditions, et alors qu'il n'était pas, à la date de la décision en litige, titulaire d'un titre de séjour en cours de validité, le préfet était fondé à lui opposer son entrée irrégulière en France pour prendre la décision litigieuse l'obligeant à quitter le territoire français sur le fondement du 1° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

10. En deuxième lieu, la décision portant obligation de quitter le territoire français en litige comporte la mention des considérations de droit et de fait qui la fondent et, dès lors, le moyen tiré d'une insuffisante motivation doit être écarté comme manquant en fait.

11. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de l'Ain se serait abstenu d'examiner la situation particulière de M. B....

12. En dernier lieu, M. B..., célibataire et sans charge de famille, ne peut se prévaloir que de la présence d'une soeur et d'un cousin en France tandis qu'il a vécu la majeure partie de son existence en Albanie où il a conservé ses attaches familiales. Dans ces conditions, l'obligation de quitter le territoire français ne porte pas une atteinte excessive à son droit de mener une vie privée et familiale normale protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur la légalité du refus d'accorder un délai de départ volontaire :

13. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " II. - L'étranger auquel il est fait obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de l'obligation de quitter le territoire français (...) / Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour (...) "

14. Il résulte de ce qui a été dit que, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour, M. B... entre dans le champ d'application du a) du 3 du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui permet au préfet, pour ce seul motif, de refuser un délai de départ volontaire à un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement.

Sur la légalité de l'interdiction de retour :

15. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé (...) / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour (...). La durée de l'interdiction de retour (...) [est décidée] par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".

16. Il appartient au préfet, en vertu des dispositions précitées du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'assortir une obligation de quitter le territoire français sans délai d'une interdiction de retour sur le territoire français sauf dans l'hypothèse où des circonstances humanitaires justifieraient qu'il soit dérogé au principe. M. B... s'est vu refuser tout délai de départ volontaire pour exécuter l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre. Les circonstances dont il fait état ne peuvent être regardées comme des circonstances humanitaires qui auraient pu justifier que l'autorité administrative ne prononçât pas d'interdiction de retour sur le territoire français. S'agissant de la durée de cette interdiction, dans les circonstances de l'espèce, le préfet n'a pas commis d'erreur d'appréciation ni méconnu les dispositions précitées en fixant à six mois la durée de l'interdiction de retour en France faite à l'intimé.

17. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Ain est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a annulé les décisions en litige du 22 juillet 2020. Par voie de conséquence, les conclusions de M. B... tendant au bénéfice des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2004995 du 27 juillet 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon est annulé.

Article 2 : Les conclusions de M. B... sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B....

Copie en sera adressée au préfet de l'Ain.

Délibéré après l'audience du 25 mars 2021 à laquelle siégeaient :

M. Seillet, président ;

Mme Djebiri, premier conseiller ;

Mme Burnichon, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 avril 2021.

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N° 20LY02161


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 20LY02161
Date de la décision : 15/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. SEILLET
Rapporteur ?: M. Philippe SEILLET
Rapporteur public ?: M. CHASSAGNE
Avocat(s) : RAHMANI

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-04-15;20ly02161 ?
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