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10/12/2020 | FRANCE | N°20LY01665

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 1ère chambre, 10 décembre 2020, 20LY01665


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B... A... épouse C... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 14 mars 2020 par lequel le préfet de l'Ain l'a obligée à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire et lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pendant un an.

Par ordonnance du 22 avril 2020, le président de la 9ème chambre du tribunal administratif de Lyon a transmis le jugement de l'affaire au tribunal administratif de Grenoble.

Par un jugement n° 2002484 du 17 juin 2020, le magistrat désigné par le président du tri...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B... A... épouse C... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 14 mars 2020 par lequel le préfet de l'Ain l'a obligée à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire et lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pendant un an.

Par ordonnance du 22 avril 2020, le président de la 9ème chambre du tribunal administratif de Lyon a transmis le jugement de l'affaire au tribunal administratif de Grenoble.

Par un jugement n° 2002484 du 17 juin 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté du 14 mars 2020 et enjoint au préfet de l'Ain d'examiner la situation de Mme A... épouse C....

Procédure devant la cour

I - Par une requête enregistrée le 24 juin 2020, sous le n° 20LY01665, le préfet de l'Ain demande à la cour qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 17 juin 2020, en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative.

Il soutient que le moyen retenu par les premiers juges n'est pas fondé.

Par un mémoire enregistré le 24 juillet 2020, Mme B... A... épouse C..., représentée par Me G..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- ainsi que l'ont jugé les premiers juges, l'obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale sur les droits de l'enfant ;

- la décision fixant le pays de destination méconnaît l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Mme A... épouse C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, par une décision du bureau d'aide juridictionnelle en date du 5 août 2020.

II - Par une requête enregistrée le 24 juin 2020, sous le n° 20LY01668, le préfet de l'Ain demande à la cour d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 17 juin 2020, et de rejeter la demande présentée par Mme A... épouse C... devant le tribunal administratif de Grenoble.

Il soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que l'arrêté obligeant Mme A... à quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- les autres moyens de la demande ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 24 juillet 2020, Mme B... A... épouse C..., représentée par Me G..., conclut :

- au rejet de la requête ;

- à titre subsidiaire à la suspension de l'obligation de quitter le territoire français jusqu'au prononcé de l'arrêt de la Cour nationale du droit d'asile en application de l'article L. 743-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- à ce qu'il soit enjoint au préfet de l'Ain de lui délivrer un titre de séjour dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions ;

- à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre des dispositions combinées des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- ainsi que l'ont jugé les premiers juges, l'obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale sur les droits de l'enfant ;

- la décision fixant le pays de destination méconnaît l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Mme A... épouse C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, par une décision du bureau d'aide juridictionnelle en date du 5 août 2020.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Besse, président-assesseur ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes susvisées du préfet de l'Ain tendent respectivement à l'annulation et au sursis à exécution du même jugement. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet du même arrêt.

Sur la requête n° 20LY01668 :

2. Mme A... épouse C..., ressortissante malgache née en 1977, est entrée en France le 10 août 2019 munie d'un passeport revêtu d'un visa de court séjour, et s'est maintenue sur le territoire national sans solliciter la délivrance d'un titre de séjour. Par arrêté du 14 mars 2020, le préfet de l'Ain l'a obligée à quitter le territoire français sans délai et assorti cette décision d'une interdiction de retourner sur le territoire français pendant une durée d'une année. Par jugement du 17 juin 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté et enjoint au préfet de l'Ain d'examiner la situation de l'intéressée au regard de son droit au séjour. Le préfet de l'Ain relève appel de ce jugement.

En ce qui concerne les conclusions aux fins d'annulation :

3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait (...) des tribunaux, des autorités administratives (...), l'intérêt supérieur des enfants doit être une considération primordiale. ".

4. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... est entrée récemment en France avec ses deux enfants. Si elle soutient avoir quitté son mari, avec lequel elle est en instance de divorce, suite à des violences conjugales, il ne ressort pas des pièces du dossier, alors qu'elle n'a entrepris aucune démarche auprès des autorités malgaches, qu'elle ne pourrait poursuivre sa vie privée dans son pays d'origine, où vivent les autres membres de sa famille, à l'exception d'un neveu chez lequel elle est hébergée en France. Il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que ses enfants, s'ils sont scolarisés en France, ne pourraient l'être à Madagascar. Dans ces conditions, et malgré la bonne intégration en France de l'intéressée, la décision l'obligeant à quitter le territoire français n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et n'a pas méconnu les stipulations citées au point précédent de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle ne méconnaît pas, non plus, les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Il en résulte que le préfet de l'Ain est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé pour ce motif la décision du 14 mars 2020 par laquelle il a obligé Mme A... à quitter le territoire français, ainsi que les décisions la privant de délai de départ volontaire et lui faisant interdiction de retourner sur le territoire français.

5. Il y a lieu, au titre de l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... épouse C....

6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la décision a été signée par M. D... de la Fouchardière, directeur de cabinet du préfet de l'Ain, titulaire d'une délégation de signature à cet effet par arrêté du 15 juin 2018, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de l'Ain. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit être écarté.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " II. _ L'étranger auquel il est fait obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de l'obligation de quitter le territoire français. (...) Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) b) Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; h) Si l'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français. "

8. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... s'est maintenue en France après l'expiration de son visa sans solliciter de titre de séjour. Dans ces conditions, et alors même qu'elle n'a pas explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français, suite à son interpellation, sa situation entrait dans le cas visé au b) du 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, permettant, sauf circonstance particulière, de présumer établi le risque de soustraction à la mesure d'éloignement. Par suite, et alors même que les enfants de l'intéressée sont scolarisés, le préfet de l'Ain n'a pas fait une inexacte application des dispositions du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire.

9. En troisième lieu, Mme A..., pour demander l'annulation de l'arrêté du 14 mars 2020, ne peut utilement contester les conditions d'embarquement qui lui ont été notifiées par les services de gendarmerie le 15 avril 2020.

10. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ". Aux termes de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitement inhumains ou dégradants. " Si Mme A... fait état des violences conjugales qu'elle a subies à Madagascar, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle ne pourrait être protégée par les autorités de ce pays et qu'elle y encourrait des risques de traitement prohibé par les dispositions et stipulations citées précédemment. Par suite le moyen tiré de l'illégalité pour ce motif de la décision fixant le pays de destination doit être écarté.

11. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Ain est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté du 14 mars 2020, et à demander, outre l'annulation de ce jugement, le rejet des conclusions de la demande de Mme A....

En ce qui concerne les conclusions aux fins d'injonction :

12. Le présent arrêt rejetant les conclusions aux fins d'annulation de l'arrêté du 14 mars 2020 du préfet de l'Ain, les conclusions aux fins d'injonction présentées par Mme A... doivent également être rejetées.

En ce qui concerne les conclusions tendant à la suspension de l'arrêté obligeant Mme A... à quitter le territoire français :

13. Aux termes de l'article L. 743-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans le cas où le droit de se maintenir sur le territoire a pris fin en application des 4° bis ou 7° de l'article L. 743-2, l'étranger peut demander au président du tribunal administratif ou au magistrat désigné statuant sur le recours formé en application de l'article L. 512-1 contre l'obligation de quitter le territoire français de suspendre l'exécution de la mesure d'éloignement jusqu'à l'expiration du délai de recours devant la Cour nationale du droit d'asile ou, si celle-ci est saisie, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la cour, soit, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de la notification de celle-ci. Le président du tribunal administratif ou le magistrat désigné à cette fin fait droit à la demande de l'étranger lorsque celui-ci présente des éléments sérieux de nature à justifier, au titre de sa demande d'asile, son maintien sur le territoire durant l'examen de son recours par la cour. "

14. Le droit au maintien sur le territoire français de Mme A... n'ayant pas pris fin suite à une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, la demande d'asile de l'intéressée ayant été présentée après l'obligation de quitter le territoire français litigieuse, les conclusions qu'elle présente au titre de l'article L. 743-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au demeurant nouvelles en appel, ne peuvent qu'être rejetées.

Sur la requête n° 20LY01665 :

15. Le présent arrêt statuant sur la requête du préfet de l'Ain tendant à l'annulation du jugement attaqué, ses conclusions tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement se trouvent privées d'objet.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas partie perdante, verse à l'intimée la somme qu'elle demande, au profit de son conseil, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 17 juin 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme A... épouse C... devant le tribunal administratif de Grenoble et ses conclusions en appel sont rejetées.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution de la requête n° 19LY01665.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme B... A... épouse C....

Copie en sera adressée au préfet de l'Ain.

Délibéré après l'audience du 9 novembre 2020 à laquelle siégeaient :

M. Daniel Josserand-Jaillet, président de chambre,

M. Thierry Besse, président-assesseur,

Mme F... E..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 décembre 2020.

N° 20LY01665, 20LY01668

fp

N° 20LY01665, 20LY01668


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. JOSSERAND-JAILLET
Rapporteur ?: M. Thierry BESSE
Rapporteur public ?: M. LAVAL
Avocat(s) : DJINDEREDJIAN

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre
Date de la décision : 10/12/2020
Date de l'import : 25/12/2020

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 20LY01665
Numéro NOR : CETATEXT000042670595 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-12-10;20ly01665 ?
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