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10/12/2020 | FRANCE | N°19LY00172

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 10 décembre 2020, 19LY00172


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... et Mme D... F...-E... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'Etat à leur verser, en qualité d'administrateurs légaux de leur fils C..., la somme de 49 300 euros à parfaire, en réparation de l'illégalité fautive de la décision du directeur académique de la Drôme de limiter à 6 heures par semaine l'intervention d'une auxiliaire de vie scolaire auprès de leur fils.

Par un jugement n° 1603843 du 31 décembre 2018, le tribunal administratif de Grenoble a rejet

é leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 14 ja...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... et Mme D... F...-E... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'Etat à leur verser, en qualité d'administrateurs légaux de leur fils C..., la somme de 49 300 euros à parfaire, en réparation de l'illégalité fautive de la décision du directeur académique de la Drôme de limiter à 6 heures par semaine l'intervention d'une auxiliaire de vie scolaire auprès de leur fils.

Par un jugement n° 1603843 du 31 décembre 2018, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 14 janvier 2019, M. et Mme E..., représentés par la SELARL EBC Avocats, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 31 décembre 2018 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) de condamner l'Etat à leur verser, en qualité d'administrateurs légaux de leur fils C..., une somme de 49 300 euros, somme à parfaire, en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité fautive de la décision du directeur académique de la Drôme de limiter à 6 heures puis à 10 heures par semaine l'intervention d'une auxiliaire de vie scolaire auprès de leur fils ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- il est établi que la quotité hebdomadaire de 12 heures définie par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées n'a pas été respectée par les services de l'académie de Grenoble qui ont réduit cette quotité à 6 heures puis à 10 heures sans la moindre justification ni motivation ;

- les services académiques ont commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

- le comportement fautif de l'administration a fragilisé l'équilibre économique de la famille ; ils ont subi des troubles dans leur condition d'existence estimés à 5 000 euros ; ils ont subi un préjudice moral ainsi que leur fils évalué à 15 000 euros.

Par un mémoire, enregistré le 16 juin 2020, le ministre de l'éducation nationale conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées a attribué une auxiliaire de vie scolaire pour douze heures en fonction des effectifs d'auxiliaire de vie scolaire disponibles ; les services de l'éducation nationale ont donc recruté une auxiliaire de vie scolaire qui a pris ses fonctions le 27 avril 2015 ; cette auxiliaire de vie scolaire a été mise à disposition de C... ;

- les services de l'éducation nationale ont procédé au remplacement de l'auxiliaire de vie scolaire après sa démission dès que possible et C... a bénéficié d'une nouvelle auxiliaire de vie dont la durée hebdomadaire de service a été portée à dix heures ; la décision de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées a été exécutée en ce qu'elle prévoyait douze heures en fonction des effectifs d'auxiliaires de vie scolaire disponibles ;

- les requérants n'établissent pas le lien de causalité entre les préjudices allégués et la décision attaquée ; la perte d'emploi et les difficultés financières sont antérieures à leur demande d'une aide individualisée ; ils n'établissent pas que la décision aurait causé des troubles dans leurs conditions d'existence à hauteur de 5 000 euros ; ils ne peuvent soutenir qu'ils subissent un préjudice moral à hauteur de 15 000 euros.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'éducation ;

- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- et les conclusions de Mme Cottier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le jeune C... E..., né le 8 avril 2011, est atteint d'un retard psychomoteur. Par une décision du 10 février 2015, la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées de la Drôme, dépendant de la maison départementale des personnes handicapées de la Drôme, a attribué une auxiliaire de vie scolaire à raison de 12 heures par semaine du 1er septembre 2014 au 7 juillet 2016 afin de favoriser la scolarisation de C.... Une accompagnante des élèves en situation de handicap a été recrutée et a assisté C... à raison de 6 heures par semaine à compter du 28 avril 2015, date à laquelle l'enfant a été scolarisé, et jusqu'à sa démission, le 28 septembre 2015. Par une lettre du 13 octobre 2015, la coordinatrice " auxiliaire de vie scolaire " de la direction des services départementaux de l'éducation nationale de la Drôme a indiqué que l'enfant serait assisté pendant une durée de dix heures par semaine. Estimant avoir subi des préjudices du fait de la réduction de l'aide effective apportée à leur fils C... pendant le temps scolaire, M. et Mme E... ont formé, le 5 juillet 2016, une réclamation préalable indemnitaire qui a été rejetée implicitement par le directeur des services départementaux de l'éducation nationale de la Drôme. M. et Mme E... relèvent appel du jugement du 31 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à les indemniser des préjudices subis du fait de l'illégalité de la décision du directeur académique de la Drôme de limiter à 6 heures puis à 10 heures par semaine l'intervention d'une auxiliaire de vie scolaire auprès de leur fils.

Sur la responsabilité de l'Etat en raison de l'illégalité de la décision de réduire la quotité hebdomadaire d'heures d'assistance par une auxiliaire de vie scolaire :

2. Aux termes de l'article L. 1111 du code de l'éducation : " L'éducation est la première priorité nationale. Le service public de l'éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants. Il contribue à l'égalité des chances et à lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative. Il reconnaît que tous les enfants partagent la capacité d'apprendre et de progresser. Il veille à l'inclusion scolaire de tous les enfants, sans aucune distinction. Il veille également à la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements d'enseignement (...) Le droit à l'éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle, d'exercer sa citoyenneté. "

3. Aux termes de l'article L. 1121 du même code : " Pour satisfaire aux obligations qui lui incombent en application des articles L. 111-1 et L. 111-2, le service public de l'éducation assure une formation scolaire, professionnelle ou supérieure aux enfants, aux adolescents et aux adultes présentant un handicap ou un trouble de la santé invalidant. Dans ses domaines de compétence, l'Etat met en place les moyens financiers et humains nécessaires à la scolarisation en milieu ordinaire des enfants, adolescents ou adultes handicapés "

4. Aux termes de l'article L. 3511 du même code : " Les enfants et adolescents présentant un handicap ou un trouble de santé invalidant sont scolarisés dans les écoles maternelles et élémentaires (...), si nécessaire au sein de dispositifs adaptés, lorsque ce mode de scolarisation répond aux besoins des élèves. Les parents sont étroitement associés à la décision d'orientation et peuvent se faire aider par une personne de leur choix. La décision est prise par la commission mentionnée à l'article L. 146-9 du code de l'action sociale et des familles, en accord avec les parents ou le représentant légal.(...). Dans tous les cas et lorsque leurs besoins le justifient, les élèves bénéficient des aides et accompagnements complémentaires nécessaires. (...) "

5. Aux termes de l'article L. 351-3 du code de l'éducation, dans sa version alors en vigueur : " Lorsque la commission mentionnée à l'article L. 146-9 du code de l'action sociale et des familles constate que la scolarisation d'un enfant dans une classe de l'enseignement public ou d'un établissement mentionné à l'article L. 442-1 du présent code requiert une aide individuelle dont elle détermine la quotité horaire, cette aide peut notamment être apportée par un accompagnant des élèves en situation de handicap recruté conformément aux modalités définies à l'article L. 917-1. "

6. Aux termes de l'article D. 351-16-4 du même code : " L'aide individuelle a pour objet de répondre aux besoins d'élèves qui requièrent une attention soutenue et continue, sans que la personne qui apporte l'aide puisse concomitamment apporter son aide à un autre élève handicapé. Elle est accordée lorsque l'aide mutualisée ne permet pas de répondre aux besoins d'accompagnement de l'élève handicapé. Lorsqu'elle accorde une aide individuelle, dont elle détermine la quotité horaire, la commission susmentionnée définit les activités principales de l'accompagnant. "

7. Il résulte des articles L. 111-1, L. 112-1, L. 351-1 et L. 351-2 du code de l'éducation, d'une part, que, le droit à l'éducation étant garanti à chacun quelles que soient les différences de situation, et, d'autre part, que l'obligation scolaire s'appliquant à tous, les difficultés particulières que rencontrent les enfants handicapés ne sauraient avoir pour effet ni de les priver de ce droit, ni de faire obstacle au respect de cette obligation. Ainsi, il incombe à l'Etat, au titre de sa mission d'organisation générale du service public de l'éducation, de prendre l'ensemble des mesures et de mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour que ce droit et cette obligation aient, pour les enfants handicapés, un caractère effectif.

8. Les requérants font valoir que la quotité hebdomadaire de 12 heures telle que définie par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées de la Drôme n'a pas été respectée par les services de l'académie de Grenoble et que cette quotité horaire a été réduite arbitrairement à 6 heures puis à 10 heures sans la moindre justification ou motivation.

9. Aux termes de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre le public et l'administration, " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) - refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir ". Aux termes de l'article 3 de la loi du 11 juillet 1979, " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. "

10. Il est constant qu'une accompagnante des élèves en situation de handicap a été recrutée et a assisté C... à raison de 6 heures par semaine à compter du 28 avril 2015, date à laquelle l'enfant a été scolarisé le mardi et le jeudi matin, et jusqu'à sa démission le 28 septembre 2015. Les requérants indiquent que le directeur des services départementaux de l'éducation nationale de la Drôme leur a précisé téléphoniquement que leur enfant ne bénéficiait d'une assistance qu'à raison de 6 heures par semaine pour des raisons budgétaires. Par lettre du 13 octobre 2015, la coordonnatrice " auxiliaire de vie scolaire " de la direction des services départementaux de l'éducation nationale de la Drôme a indiqué que l'enfant serait assisté par une auxiliaire de vie scolaire pendant une durée de dix heures par semaine. Ce courrier précise également que " les contrats des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) sont de 20 heures par semaine et nous contraignent à les répartir en modérant légèrement le taux horaire pour une plus grande équité des prises en charge et pour ne pas léser d'élève. Il nous est donc imposé de n'offrir qu'une couverture à hauteur de 10 heures pour votre fils C... ".

11. La décision par laquelle le directeur des services départementaux de l'éducation nationale de la Drôme a réduit la quotité d'heures d'assistance nécessaire à la scolarisation du jeune C... doit être regardée comme refusant un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui en remplissent les conditions légales pour l'obtenir au sens des dispositions de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public. Elle est ainsi au nombre des décisions qui, en application de cet article, doivent être motivées.

12. La décision du directeur des services départementaux de l'éducation nationale de la Drôme accordant au jeune C... une assistance à raison de 6 heures par semaine, au lieu des 12 heures fixées par la décision de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, n'a pas fait l'objet d'une motivation écrite. Par ailleurs, la lettre du 15 octobre 2015 informant M. et Mme E... que leur fils bénéficierait d'une assistance hebdomadaire de dix heures ne comporte aucune motivation en droit. Par suite, M .et Mme E... sont fondés à soutenir que ces décisions sont entachées d'un défaut de motivation au regard des dispositions précitées de l'article 3 de la loi du 11 juillet 1979.

13. Toute illégalité est constitutive d'une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'administration. Saisi d'une demande indemnitaire, il appartient au juge administratif d'accorder réparation des préjudices de toute nature, directs et certains, qui résultent de cette illégalité. Le caractère direct du lien de causalité entre l'illégalité commise et le préjudice allégué ne peut cependant être retenu dans le cas où la décision est seulement entachée d'une irrégularité formelle ou procédurale, et que le juge considère, au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties devant lui, que la décision aurait pu être légalement prise par l'administration dans le cadre d'une procédure régulière, sauf préjudice spécifique lié à cette irrégularité formelle ou procédurale.

14. Il résulte de l'instruction que si, par une décision du 10 février 2015, la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées a accordé une assistance par une auxiliaire de vie scolaire (AVS) individuelle, à raison de douze heures par semaine, pour favoriser la scolarisation de C..., cette même décision précisait également qu'il appartenait à l'autorité académique d'y donner suite " en fonction des effectifs d'AVS disponibles ". Il n'est pas contesté que la décision du directeur des services départementaux de l'éducation nationale de la Drôme de réduire à six puis à dix le nombre hebdomadaire d'heures d'assistance dont a bénéficié le jeune C... résulte des effectifs d'auxiliaires de vie scolaire disponibles. Par suite, M. et Mme E... ne peuvent soutenir que la décision du directeur des services départementaux de l'éducation nationale de la Drôme de réduire la quotité hebdomadaire d'heures d'assistance méconnaît la décision de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées qui avait attribué cette aide individuelle pour douze heures par semaine en la conditionnant aux effectifs d'auxiliaires de vie scolaire disponibles.

15. En conséquence, les préjudices allégués ne peuvent être regardés comme la conséquence du seul vice, tiré du défaut de motivation, dont les décisions de réduction de la quotité hebdomadaire d'heures d'assistance par une auxiliaire de vie scolaire à six puis dix heures sont entachées.

16. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, doivent être rejetées les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE:

Article 1er : La requête de M.et Mme E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E..., à Mme D... F...-E..., au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et au ministre des solidarités et de la santé.

Délibéré après l'audience du 12 novembre 2020, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Gayrard, président assesseur,

Mme A..., premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 décembre 2020.

2

N° 19LY00172


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY00172
Date de la décision : 10/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-04 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Responsabilité et illégalité.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: Mme Rozenn CARAËS
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : SELARL ENARD-BAZIRE-COLLIOU

Origine de la décision
Date de l'import : 25/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-12-10;19ly00172 ?
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