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05/11/2020 | FRANCE | N°18LY02610

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 7ème chambre, 05 novembre 2020, 18LY02610


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 2 novembre 2016 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, après avoir retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par la Société Nouvelle Sofrapain, née le 5 août 2016, et annulé la décision implicite, née le 15 février 2016, par laquelle l'inspectrice du travail de la 38ème section du Rhône avait rejeté la demande de cette société

d'autorisation de procéder au licenciement pour motif économique de ce salarié, a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 2 novembre 2016 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, après avoir retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par la Société Nouvelle Sofrapain, née le 5 août 2016, et annulé la décision implicite, née le 15 février 2016, par laquelle l'inspectrice du travail de la 38ème section du Rhône avait rejeté la demande de cette société d'autorisation de procéder au licenciement pour motif économique de ce salarié, a autorisé son licenciement pour ce motif.

Par un jugement n° 1609404 du 15 juin 2018, le tribunal administratif de Lyon a annulé la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 2 novembre 2016.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 12 juillet 2018, et des mémoires enregistrés les 3 et 20 mai 2019 et le 1er octobre 2020 (non communiqué) présentés pour la Société Nouvelle Sofrapain, il est demandé à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1609404 du 15 juin 2018 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de rejeter la demande de M. A... devant le tribunal ;

3°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que, dès lors que la production et la commercialisation de produits surgelés de boulangerie et viennoiserie, d'une part, et de pâtisserie, d'autre part, devaient être regardées comme relevant du même secteur d'activité, le ministre du travail ne pouvait se borner, pour apprécier la réalité du motif économique, à prendre en considération la seule situation des entreprises intervenant en boulangerie et en viennoiserie au sein du groupe auquel appartient la Société Nouvelle Sofrapain, alors que le secteur d'activité pertinent était celui de la boulangerie-viennoiserie, distinct de celui de la pâtisserie-traiteur, et au demeurant que l'intégration de cette dernière activité n'aurait pas conduit à une appréciation différente des menaces pesant sur la compétitivité du secteur ;

- la réalité des menaces pesant sur la compétitivité du secteur d'activité du groupe Nutrixo était démontrée par la baisse des parts de marché et le développement de la concurrence et nécessitait une réorganisation impliquant la fermeture du site de Vaulx-en-Velin et le transfert sur un autre site de sa ligne de production ;

- elle a satisfait à son obligation de reclassement en proposant plusieurs offres personnalisées de postes correspondant à sa qualification.

Par mémoires enregistrés les 5 mars et 17 mai 2019 et le 4 juin 2020, présentés pour M. A..., il conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la Société Nouvelle Sofrapain au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Par mémoire enregistré le 26 avril 2019, le ministre du travail s'associe aux concluions et moyens de la requête.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Seillet, président assesseur ;

- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;

- et les observations de Me D... substituant Me C... pour la Société Nouvelle Sofrapain, ainsi que celles de Me E... pour M. A... ;

Considérant ce qui suit :

1. La Société Nouvelle Sofrapain (SNS) qui a pour activité la fabrication de produits surgelés de boulangerie, pains précuits et viennoiseries, et qui exploitait un établissement à Vaulx-en-Velin, a demandé l'autorisation de licencier pour motif économique M. A... qui exerçait les fonctions de conducteur de ligne et était investi du mandat de délégué syndical d'établissement. Par une décision implicite née le 15 février 2016 du silence gardé sur cette demande du 11 décembre 2015, l'inspectrice du travail de la 38ème section du Rhône a refusé l'autorisation de procéder à ce licenciement. Saisi par la SNS d'un recours hiérarchique dirigé contre la décision de l'inspectrice du travail, le ministre chargé du travail, par une décision du 2 novembre 2016, après avoir retiré sa décision implicite de rejet de ce recours hiérarchique, a, d'une part, annulé la décision implicite de l'inspectrice du travail et, d'autre part, autorisé le licenciement de ce salarié. M. A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler pour excès de pouvoir cette décision du ministre. La SNS relève appel du jugement par lequel ce tribunal a annulé la décision du ministre du travail, qui s'associe à ses conclusions d'appel.

Sur le motif d'annulation retenu par les premiers juges :

2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière. Si la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise peut constituer un tel motif, c'est à la condition que soit établie une menace pour la compétitivité de l'entreprise, laquelle s'apprécie, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, au niveau du secteur d'activité dont relève l'entreprise en cause au sein du groupe.

3. La SNS, détenue à 100 % par la société La Financière d'Ivry, a été acquise en 2009 par le groupe Nutrixo lui-même détenu par un actionnaire unique, le groupement coopératif agricole et agroalimentaire Vivescia, et cette société exploitait deux établissements, dont celui situé à Vaulx-en-Velin, dédié à la production industrielle de viennoiserie prête à cuire surgelée. Après une première réorganisation mise en place en 2014 en conséquence de difficultés économiques, une nouvelle réorganisation a été décidée en 2015 visant, selon l'entreprise, à sauvegarder la compétitivité d'un secteur d'activité du groupe défini comme étant celui de la " boulangerie - viennoiserie " et impliquant, en particulier, la fermeture du site de Vaulx-en-Velin et la suppression de soixante-quatorze postes, avec un transfert de la production vers d'autres sites du groupe en France en sous-activité. Après l'homologation par l'administration du travail, le 24 juillet 2015, du plan de sauvegarde de l'emploi la société a, par une lettre du 11 décembre 2015, présenté une demande d'autorisation de licenciement pour motif économique concernant notamment M. A..., en invoquant le motif tiré de la nécessité de sauvegarder la compétitivité du secteur d'activité de la boulangerie - viennoiserie.

4. Il ressort des pièces du dossier et, en particulier, du rapport " examen des comptes annuels 2014 " rédigé en août 2015 par la société d'expertise-comptable Progexa désignée par le comité central d'entreprise, qu'au sein du groupe Nutrixo treize sites, en France comme à l'étranger, sont consacrés exclusivement à la production de pain ou de viennoiserie, voire les deux pour trois d'entre eux, au titre de l'activité " boulangerie-viennoiserie ", lesquels, à raison des spécificités techniques de production de ces produits, confectionnés sur des lignes uniques dans un seul atelier et comportant des capacités de production très élevées, ne confectionnent pas de produits de pâtisserie, à l'exception du site de Landevant. Il en ressort également, et n'est pas sérieusement contesté par l'intimé par la production d'éléments de nature à contredire les affirmations de la société requérante sur ce point, que la clientèle des produits du secteur d'activité du groupe Nutrixo défini par la SNS comme celui de la " boulangerie-viennoiserie ", contrairement à celle du secteur défini comme celui de la " pâtisserie-traiteur ", se caractérise par un mode de distribution des produits principalement en grande et moyenne surfaces, alors que cette clientèle se situe pour l'essentiel en Europe, le chiffre d'affaires du premier secteur, tel que présenté en particulier dans une note économique relative au projet de réorganisation des sites de Trappes et de Vaulx-en-Velin en 2015, se répartissant entre 29 % en France et 71 % à l'étranger, dont près de 70 % en Europe, en particulier au Royaume-Uni, en Allemagne, en Suisse et en Italie. Dès lors, eu égard, d'une part, à la nature des produits de boulangerie et viennoiserie, qui ne peuvent être fabriqués en utilisant les mêmes procédés et matériels de fabrication que ceux de pâtisserie et traiteur et, d'autre part, aux caractéristiques de la clientèle et du marché de boulangerie-viennoiserie, marqués par une internationalisation à la différence de la clientèle essentiellement nationale du secteur de la pâtisserie, c'est à bon droit que l'autorité administrative a pris en considération, pour apprécier la réalité des menaces pesant sur leur compétitivité, la situation économique des seules sociétés du groupe Nutrixo oeuvrant dans le même secteur d'activité que la SNS, défini comme étant celui de la " boulangerie-viennoiserie " sans avoir à apprécier la situation économique des sociétés du groupe oeuvrant dans d'autres secteurs d'activités tels que celui de pâtisserie-traiteur, en dépit des circonstances que des produits du secteur de la " boulangerie-viennoiserie " étaient commercialisés par la société Délifrance, filiale comme SNS de la société La Financière d'Ivry au sein du groupe Nutrixo, ou que figure la mention d'un secteur " boulangerie-viennoiserie-pâtisserie " dans les documents de communication du groupe, dans son organigramme juridique ou sur les formulaires utilisés par les salariés du groupe pour la gestion de leur compte épargne-temps. C'est, dès lors, à tort que les premiers juges se sont fondés, pour annuler la décision ministérielle en litige, sur le motif tiré de ce que le ministre du travail ne pouvait se borner, pour apprécier la réalité du motif économique, à prendre en considération la seule situation des entreprises intervenant en boulangerie et en viennoiserie au sein du groupe auquel appartient la Société Nouvelle Sofrapain.

5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... tant en première instance qu'en appel.

Sur les moyens à examiner au titre de l'effet dévolutif :

6. En premier lieu, il ressort de la lecture de la décision en litige que celle-ci, qui comporte le visa des dispositions applicables du code du travail, au titre des considérations de droit énoncées en tête de ladite décision, mentionne que " la société retient le secteur d'activité de la " boulangerie-viennoiserie " et justifie le rattachement à ce secteur par la nature des produits, des réseaux de distribution, des sites de production, de la clientèle, un périmètre géographique de vente et des techniques de fabrication distinctes " et que " compte tenu des éléments produits par l'employeur et des spécificités associées à l'activité considérée, l'analyse du motif économique doit être réalisée sur le fondement du secteur " boulangerie-viennoiserie ", conformément à la demande d'autorisation de licenciement ". Elle comporte ainsi une mention de nature à établir que l'administration a recherché, comme il lui appartenait de le faire, si le licenciement en cause était motivé par une menace pour la compétitivité de l'entreprise, appréciée au niveau du secteur d'activité dont relevait l'entreprise en cause au sein du groupe. Dès lors, et alors qu'elle comporte les considérations de droit et de fait qui la fondent, la décision en litige est suffisamment motivée sur ce point.

7. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier qu'alors qu'était constatée une évolution en hausse constante, depuis 2012 et jusqu'en 2015, des volumes du marché de la viennoiserie surgelée et du pain surgelé dans le périmètre de l'union européenne, les volumes du secteur d'activité " boulangerie-viennoiserie " du groupe Nutrixo ont connu ensuite une baisse constante, ainsi que l'indiquait en particulier le rapport du cabinet d'expert Progexa, " examen des comptes annuels 2014 " rédigé en septembre 2015, citant, pour les parts de marché du pain surgelé, les chiffres de 4,7 % en 2012, 4,4 % en 2013, 3,6 % en 2014 et 3,3 % en 2015 et, s'agissant des parts de marché de la viennoiserie surgelée, les chiffres de 11,9 % en 2012, 11,5 % en 2013, 10,9 % en 2014 et 2015. Dès lors, le ministre du travail a pu estimer que la réalité des menaces sur la compétitivité de ce secteur d'activité était établie, compte tenu d'une perte de marché en volume de 16 %, résultant notamment de la perte de clients en Europe sur le marché du pain surgelé au profit de la concurrence, alors même que, comme s'en prévaut l'intimé, le résultat opérationnel du groupe était en hausse ou que l'activité boulangerie-viennoiserie-pâtisserie du groupe Vivescia Industries aurait connu une progression constatée au 30 juin 2016, soit postérieurement à la date de la décision en litige.

8. En dernier lieu, la décision de fermeture du site de Vaulx-en-Velin de la SNS dans le cadre de la réorganisation de cette entreprise motivée par une menace sur la compétitivité du secteur d'activité dont elle relève au sein du groupe Nutrixo constitue une option de gestion qu'il n'appartient pas à l'autorité administrative ni, par suite, au juge administratif, d'apprécier.

9. Il résulte de ce qui précède que la SNS est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a annulé la décision du ministre du travail du 2 novembre 2016.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SNS, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais liés au litige exposés par M. A.... Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... une somme au titre des frais exposés par la SNS.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1609404 du 15 juin 2018 du tribunal administratif de Lyon est annulé.

Article 2 : Les conclusions de M. A... et le surplus des conclusions de la requête de la SNS sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la Société Nouvelle Sofrapain, à M. B... A... et au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 8 octobre 2020, à laquelle siégeaient :

M. Arbarétaz, président de chambre ;

M. Seillet, président-assesseur ;

Mme Djebiri, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 5 novembre2020.

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N° 18LY02610


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 18LY02610
Date de la décision : 05/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07 Travail et emploi. Licenciements.


Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: M. Philippe SEILLET
Rapporteur public ?: M. CHASSAGNE
Avocat(s) : BARADEL

Origine de la décision
Date de l'import : 20/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-11-05;18ly02610 ?
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