La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/10/2020 | FRANCE | N°19LY01760

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre, 15 octobre 2020, 19LY01760


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... E... a demandé dans le dernier état de ses écritures le 20 mars 2019 au tribunal administratif de Grenoble :

1°) d'annuler la décision en date du 1er février 2019 par laquelle le préfet de l'Isère a refusé son admission au séjour ;

2°) d'annuler la décision du même jour portant obligation de quitter le territoire français ;

3°) d'ordonner au préfet de l'Isère, en application des articles L. 313-11 7° ou L. 313-14° du code de l'entrée et du séjour des étrangers de

lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois suivant la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... E... a demandé dans le dernier état de ses écritures le 20 mars 2019 au tribunal administratif de Grenoble :

1°) d'annuler la décision en date du 1er février 2019 par laquelle le préfet de l'Isère a refusé son admission au séjour ;

2°) d'annuler la décision du même jour portant obligation de quitter le territoire français ;

3°) d'ordonner au préfet de l'Isère, en application des articles L. 313-11 7° ou L. 313-14° du code de l'entrée et du séjour des étrangers de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois suivant la notification de la décision à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard, conformément aux dispositions de l'article L 911-3 du code de justice administrative et dans l'attente de lui délivrer un récépissé de demande de titre de séjour ; à défaut, d'enjoindre au préfet de l'Isère, en application de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la décision à intervenir et de le mettre en possession d'une autorisation provisoire de séjour dans l'attente de ce réexamen, et ce sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 200 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et au titre de l'article L 761-1, dont distraction au profit de son conseil, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondante à la contribution de l'Etat.

Par un jugement n° 1901515 du 11 avril 2019, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 9 mai 2019 et un mémoire enregistré le 24 juin 2020, M. A... E..., représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble en date du 11 avril 2019 ;

2°) d'annuler la décision du 1er février 2019 portant obligation de quitter le territoire français ;

3°) d'ordonner au préfet de l'Isère, en application des articles L. 313-11 7° ou L. 313-14° du code de l'entrée et du séjour des étrangers de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois suivant la notification de la décision à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard, conformément aux dispositions de l'article L. 911-3 du code de justice administrative et dans l'attente de lui délivrer un récépissé de demande de titre de séjour ; à défaut, d'enjoindre au préfet de l'Isère, en application de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la décision à intervenir et de le mettre en possession d'une autorisation provisoire de séjour dans l'attente de ce réexamen, et ce sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) d'accorder l'aide juridictionnelle provisoire ;

5°) de condamner l'Etat " à lui verser la somme de 1 200 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et au titre de l'article L 761-1, dont distraction au profit de son conseil, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondante à la contribution de l'Etat.

Il soutient que :

- l'arrêté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation et d'un défaut d'examen de sa situation ;

- cet arrêté méconnaît son droit d'être entendu notamment reconnu par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; il n'a pas été mis à même de présenter des observations alors qu'il disposait d'informations pertinentes pouvant faire obstacle à l'édiction d'une telle décision à savoir le fait qu'il est le concubin d'une ressortissante congolaise, laquelle a bénéficié d'une décision du 9 octobre 2018 de la Cour nationale du droit d'asile lui reconnaissant le statut de réfugiée et qu'il est le père d'une enfant née sur le territoire français de cette relation qui s'est également vue reconnaître la qualité de réfugiée par l'office français de protection des réfugiés et apatrides ;

- compte tenu de ses liens avec sa concubine et leur enfant, cet arrêté méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ; il méconnaît également les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 et du L.313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il a tenté à plusieurs reprises de déposer un titre de séjour en qualité de parent d'enfant réfugié mais que son dossier n'a pas été enregistré par la préfecture et a vu un rendez-vous avec les services préfectoraux annulé compte tenu de la crise sanitaire.

Par décision du 19 juin 2019, le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale a été accordé à M. E....

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de M. Bourrachot, président, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A... E..., ressortissant de la République Démocratique du Congo né le 11 novembre 1993, est entré irrégulièrement en France en août 2016 afin d'y présenter une demande d'asile et a été placé en procédure dite Dublin. L'arrêté de transfert pris à son encontre n'ayant pu être exécuté, la France est devenue l'Etat responsable de sa demande d'asile le 2 mai 2017. Il a été placé en procédure normale. Sa demande d'asile a fait l'objet d'un rejet par l'office français de protection des réfugiés et apatrides puis par la cour nationale du droit d'asile par deux décisions des 28 novembre 2017 et 27 juin 2018. Par un arrêté du 1er février 2019, après avoir constaté le rejet de la demande d'asile opposé à M. E..., le préfet de l'Isère l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours sur le fondement des dispositions du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a fixé le pays de destination. Par jugement du 11 avril 2019, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande à fin d'annulation de cet arrêté préfectoral. M. E... fait appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire.

2. Le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure pour violation de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne est inopérant, dès lors que ces stipulations s'adressent non pas aux États membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union.

3. Toutefois, il résulte également de la jurisprudence de la Cour de Justice que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.

4. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que postérieurement à sa demande d'asile, M. E... a déclaré le 13 décembre 2018 en qualité de père la naissance de l'enfant B... née le 11 décembre 2018. Il est constant que la mère de l'enfant Mme F..., ressortissante congolaise s'est vu reconnaître le statut de réfugiée par décision du 9 octobre 2018 de la cour nationale du droit d'asile et ce jusqu'en 2028. Il est également constant que l'enfant B... s'est vu également reconnaître cette qualité comme en atteste le courrier produit en appel de l'office français de protection des réfugiés et apatrides en date du 24 avril 2019. D'une part, il n'est pas établi que le requérant ait été informé qu'il était susceptible de faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire dans l'hypothèse où sa demande d'asile serait rejetée. D'autre part, le préfet ne conteste pas les circonstances alléguées par le requérant qui l'ont empêché de se prévaloir spontanément de la naissance de sa fille et de son concubinage avant que ne soit prise la décision d'éloignement. Dans les conditions très particulières de l'espèce, M. E... doit être regardé comme ayant été privé du droit d'être entendu avant cette décision portant obligation de quitter le territoire. Dans les circonstances de l'espèce, ce vice de procédure l'a tout à la fois privé d'une garantie et a eu une influence sur le sens de la décision.

5. Par voie de conséquence, cette illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire entraîne l'illégalité des décisions fixant le délai de départ et le pays de destination.

.

6. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. E... est fondé à soutenir c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande en annulation de l'arrêté préfectoral du 1er février 2019. Par suite, ledit jugement et les décisions portant obligation de quitter le territoire dans un délai de 30 jours et fixant le pays de destination du préfet de l'Isère doivent être annulés.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. (...) ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. (...) ".

8. Aux termes de l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si l'obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 513-4, L. 551-1, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2 et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas. / Si la décision de ne pas accorder de délai de départ volontaire ou la décision d'assignation à résidence est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 551-1, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2 (...) ".

9. Il résulte de ce qui précède que, eu égard au motif d'annulation retenu par le présent arrêt, il y a seulement lieu de prescrire au préfet de l'Isère de délivrer, dans le délai de quinze jours, à M. E... une autorisation provisoire de séjour et de se prononcer sur sa situation dans le délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à Me C..., avocate de M. E..., au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que cette dernière renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1901515 du 11 avril 2019 du magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble et les décisions préfectorales du 1er février 2019 du préfet de l'Isère portant obligation de quitter le territoire dans le délai de 30 jours et fixant le pays de destination sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Rhône de délivrer, dans le délai de quinze jours, à M. E... une autorisation provisoire de séjour et de se prononcer sur sa situation dans le délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me C..., avocate de M. E..., une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me C... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Article 4 : Le surplus des conclusions est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E..., à Me C... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de l'Isère et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Grenoble.

Délibéré après l'audience du 24 septembre 2020, à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

M. Besse, président assesseur,

Mme D..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 15 octobre 2020.

2

N° 19LY01760


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY01760
Date de la décision : 15/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. BOURRACHOT
Rapporteur ?: M. François BOURRACHOT
Rapporteur public ?: M. VALLECCHIA
Avocat(s) : SCHURMANN

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-10-15;19ly01760 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award