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08/10/2020 | FRANCE | N°18LY02752

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre, 08 octobre 2020, 18LY02752


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. H... A... E... a demandé au tribunal administratif de Lyon de lui donner acte du désistement de ses conclusions tendant à la condamnation de la commune du Chambon-Feugerolles à lui verser 50 000 euros en réparation du préjudice financier né du refus de l'affilier au régime général des agents territoriaux de la caisse nationale d'assurance vieillesse, de condamner la commune du Chambon-Feugerolles à lui verser la somme de 5 000 euros, outre intérêts de droit, en réparation du préjudice moral et des

troubles dans les conditions d'existence nés du refus persistant de l'affilie...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. H... A... E... a demandé au tribunal administratif de Lyon de lui donner acte du désistement de ses conclusions tendant à la condamnation de la commune du Chambon-Feugerolles à lui verser 50 000 euros en réparation du préjudice financier né du refus de l'affilier au régime général des agents territoriaux de la caisse nationale d'assurance vieillesse, de condamner la commune du Chambon-Feugerolles à lui verser la somme de 5 000 euros, outre intérêts de droit, en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence nés du refus persistant de l'affilier au régime général d'assurance vieillesse des agents territoriaux, ou subsidiairement d'enjoindre au maire du Chambon-Feugerolles de régulariser sa situation auprès de la caisse de retraite en acquittant l'équivalent des cotisations que la commune aurait dû verser au cours de la période en litige.

Par un jugement n° 1509642 du 2 mai 2018, le tribunal administratif de Lyon après avoir donné acte du désistement de l'intéressé de ses conclusions en réparation de son préjudice financier, a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 21 juillet 2018 et des mémoires, enregistrés le 28 mars 2019 et le 30 septembre 2019, M. A... E..., représenté par Me J..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 2 mai 2018 ;

2°) de condamner la commune du Chambon-Feugerolles à lui verser une indemnisation de 10 000 euros en réparation de son préjudice ;

3°) de mettre à la charge de la commune du Chambon-Feugerolles les sommes de 600 et 2 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif de Lyon a considéré que la mention d'horaires de travail dans le contrat constituait une condition nécessaire à l'existence d'un " lien de dépendance hiérarchique " alors que ce lien de subordination est précisé à l'article 7 du contrat ;

- les juges de première instance ont entaché leur jugement d'une erreur de fait en considérant que la commune était propriétaire de la licence relative au débit de boissons ;

- la qualification juridique du contrat ne dépend pas de son objet mais de l'intention des parties et des conditions juridiques, et de son exécution ;

- c'est à tort que le tribunal administratif de Lyon a pu affirmer qu'il faisait son affaire du fonctionnement des installations ;

- c'est à tort qu'il a déduit de l'absence de rémunération en espèce, qu'il n'avait pas de rémunération ;

- il subit un préjudice moral qui doit être évalué à 10 000 euros ;

- sa demande d'indemnisation n'est pas prescrite.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 14 décembre 2018, 8 août 2019 et 24 octobre 2019 (non communiqué), la commune du Chambon-Feugerolles, représentée par la SCP BLT Droit Public agissant par Me D..., conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de M. A... E... la somme de 3 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens ;

Elle soutient que :

- les moyens ne sont pas fondés ;

- les conclusions indemnitaires sont irrecevables en tant qu'elle dépassent 5 000 euros ;

- la somme demandée est prescrite en application de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 ;

- la demande d'indemnisation n'est pas justifiée dans son principe.

Par ordonnance du 18 novembre 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 3 janvier 2020.

M. A... E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une ordonnance du président de la cour administrative d'appel de Lyon du 3 juillet 2018.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 68-1250du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pierre Thierry, premier conseiller,

- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public,

- et les observations de Me J... représentant M. A... E..., et de Me C..., représentant la commune du Chambon-Feugerolles.

Considérant ce qui suit :

1. Par un contrat du 20 décembre 1996, la commune du Chambon-Feugerolles a confié à M. A... E..., à compter du 15 janvier 1997, diverses fonctions de gardiennage et d'entretien du stade et du parc municipal de la Pouratte. En contrepartie, la commune l'a, d'une part, autorisé à occuper, pour nécessité absolue de service, un logement, sans acquitter ni loyer ni dépenses de chauffage et d'éclairage. Par la même convention, elle lui a, d'autre part, confié la libre gérance d'un espace de buvette au sein des installations du stade. Parallèlement, M. A... E... a été nommé agent non titulaire de la ville pour des fonctions d'agent d'entretien à temps non complet (12/35èmes) pour la période du 1er octobre au 31 décembre 2002. Il a par la suite été recruté pour les mêmes fonctions à compter du 1er janvier 2005 pour une quotité de 17/35èmes. M. A... E... a cessé l'exploitation de la buvette le 1er octobre 2006, et a démissionné de ses fonctions de gardien, libérant l'appartement, le 1er janvier 2009. Par un jugement du 8 avril 2015, le tribunal administratif de Lyon a annulé la décision du 26 juillet 2012 du maire de la commune du Chambon-Feugerolles refusant d'acquitter auprès de l'institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'Etat et des collectivités publiques (IRCANTEC) le versement des cotisations d'assurance vieillesse et a enjoint à la commune de s'acquitter de ces cotisations pour les périodes du 15 janvier 1997 au 30 septembre 2002 et du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2004. Ce jugement a toutefois été annulé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 12 juillet 2016, en raison de l'incompétence de la juridiction administrative. M. A... E... relève appel du jugement du tribunal administratif de Lyon du 2 mai 2018 qui a rejeté sa demande de condamnation de la commune du Chambon-Feugerolles à lui verser la somme de 5 000 euros, en réparation du préjudice moral né du refus de l'affilier au régime général d'assurance vieillesse des agents territoriaux pour la période du 15 janvier 1997 au 31 décembre 2004.

Sur la qualification de la relation contractuelle de M. A... E... et de la commune pour la période en litige :

Sans qu'il soit besoin d'examiner l'ensemble des moyens soulevés par M. A... E... ;

2. Les conclusions M. A... E... tendant à la condamnation de la commune du Chambon-Feugerolles en raison du refus de celle-ci de régulariser sa situation au titre du régime général de retraite des agents territoriaux pour la période en cause, nécessitent d'examiner si la convention conclue le 20 décembre 1996 a fait naître une relation contractuelle de travail impliquant une rémunération susceptible de constituer l'assiette de cotisations de retraite.

3. Il résulte de l'instruction que le contrat du 20 décembre 1996 fixe à M. A... E... des obligations quotidiennes telles que " la fermeture et l'ouverture de l'ensemble des portes, portails du Parc et du Stade, chaque jour, ainsi que la surveillance des vestiaires ", " l'entretien journalier des douches, vestiaires et W.C. du Parc (lavage, désinfection, etc ... ) ", " le nettoyage journalier, le vidage des corbeilles à papier du Parc et Stade, - le ramassage quotidien des papiers, bouteilles ou détritus divers dans le Parc et le Stade " où qui doivent être accomplies pour des horaires définis telles que " -la mise en place des filets de football, le samedi matin ; - et leur dépose le dimanche, en fin d'après-midi, ou avant et après les matchs en semaine ; - le traçage et le retraçage du terrain, afin que celui-ci soit opérationnel le samedi et le dimanche, y compris en cas d'intempérie ou de détérioration du tracé de jeu après un match, - la mise en place des poteaux de corner dans les mêmes conditions que ci-dessus. ". Il résulte par ailleurs des termes du même contrat qu'en cas de congés M. A... E... s'est engagé à " proposer à la Municipalité une personne susceptible d'assurer son remplacement momentané ". Enfin, le contrat stipule à son article 7 que " Monsieur A... E... est placé sous l'autorité du responsable du service des espaces verts à qui il devra rendre compte de son travail ". Il résulte de ces stipulations que si M. A... E... disposait, pour l'exécution de ces diverses obligations, d'une latitude certaine dans l'organisation de son emploi du temps, les termes du contrat ne lui permettaient ni de s'affranchir de celles-ci ni d'en modifier le nombre ou l'étendue et qu'il était placé sous l'autorité hiérarchique d'un chef de service de la commune. Il se trouvait ainsi dans une situation de lien de subordination vis-à-vis de la commune caractérisant l'existence d'un contrat de travail et lui conférant la qualité d'agent contractuel de droit public.

4. La commune du Chambon-Feugerolles fait valoir que ces diverses obligations liées au gardiennage et à l'entretien du parc et des installations du stade ne mobilisaient M. A... E... que sur une faible quotité de travail, et que la clause de l'article 7 ne trouvait pas à s'appliquer. Ces affirmations ne sont toutefois établies par aucune des pièces du dossier, alors que la commune a, par ailleurs, recruté M. A... E... comme agent d'entretien à temps non complet pour assumer ces mêmes fonctions du 1er octobre au 31 décembre 2002 puis, encore à mi-temps, après la période litigieuse, sans qu'il soit pour autant soutenu que les obligations en la matière se soient trouvées augmentées ou modifiées. A supposer même que M. A... E... n'ait pas reçu d'instructions de la part du chef de service des espaces verts, les termes de la convention le plaçaient sous son autorité hiérarchique. Il ne résulte, par ailleurs, ni des termes du contrat, ni de l'instruction, que la convention avait pour vocation essentielle de conférer à M. A... E... la gestion libre de la buvette. Cette activité de libre gestion, qui fait partie de l'équilibre de la convention conclue entre les parties n'était pas incompatible avec la qualité d'agent public de M. A... E... dès lors qu'elle ne faisait pas obstacle à ce qu'il accomplisse ses missions d'agent public à temps non complet et qu'elle était autorisée par la commune.

5. Dans ces circonstances, M. A... E... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 2 mai 2018, le tribunal administratif de Lyon a refusé de lui reconnaître la qualité d'agent contractuel de droit public pour la période en litige.

Sur la responsabilité de la commune du Chambon-Feugerolles :

Sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir soulevée par la commune du Chambon-Feugerolles ;

6. La relation contractuelle de travail entre M. A... E... et la commune du Chambon-Feugerolles impliquait une rémunération constituant l'assiette de cotisations de retraite à la charge la commune. M. A... E... est fondé à soutenir qu'en refusant de procéder à son affiliation au régime général d'assurance vieillesse des agents salariés de droit public pour la période en litige, la commune du Chambon-Feugerolles a commis une illégalité fautive, dont le constat relève de la compétence des juridictions administratives, de nature à engager sa responsabilité.

7. Aux termes du premier alinéa de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ". Contrairement à ce que soutient la commune du Chambon-Feugerolles, le préjudice dont se prévaut M. A... E... ne se rattache pas à chaque année au titre de laquelle les cotisations en cause sont dues mais à l'année au cours de laquelle ce préjudice est connu dans toute son étendue, c'est-à-dire celle au cours de laquelle l'intéressé cesse son activité et fait valoir ses droits à la retraite. Il ne résulte pas de l'instruction, ni n'est soutenu, qu'à la date de sa demande d'indemnisation, M. A... E... avait fait valoir ses droits à la retraite. Le moyen de la commune du Chambon-Feugerolles tiré de ce que sa créance était prescrite en application des dispositions précitées doit, par suite, être écarté.

8. Dans les circonstances de l'espèce, M. A... E... est fondé à soutenir que le refus persistant de la commune du Chambon-Feugerolles de l'affilier pour la période en litige au régime général d'assurance vieillesse des agents salariés de droit public est de nature à faire naître un préjudice moral. Il sera fait une juste appréciation de la réparation de ce préjudice en fixant son montant à 1 000 euros.

Sur les conclusions relatives aux frais non compris dans les dépens :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative faisant obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A... E..., qui n'est pas la partie perdante, une somme à ce titre, les conclusions de la commune du Chambon-Feugerolles en ce sens doivent être rejetées.

10. Aux termes de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 susvisée, " Les auxiliaires de justice rémunérés selon un tarif peuvent renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat et poursuivre contre la partie condamnée aux dépens et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle le recouvrement des émoluments auxquels ils peuvent prétendre. / Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou qui perd son procès, et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à payer à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, partielle ou totale, une somme qu'il détermine et qui ne saurait être inférieure à la part contributive de l'Etat, au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. / Si l'avocat du bénéficiaire de l'aide recouvre cette somme, il renonce à percevoir la part contributive de l'Etat. S'il n'en recouvre qu'une partie, la fraction recouvrée vient en déduction de la part contributive de l'Etat. / Si, à l'issue du délai de douze mois à compter du jour où la décision est passée en force de chose jugée, l'avocat n'a pas demandé le versement de tout ou partie de la part contributive de l'Etat, il est réputé avoir renoncé à celle-ci. (...) ". M. A... E... ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocat, Me J... peut se prévaloir de ces dispositions. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me J... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de la commune du Chambon-Feugerolles le versement à Me J... de la somme de 2 000 euros.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1509642 du tribunal administratif de Lyon du 2 mai 2018 est annulé.

Article 2 : La commune du Chambon-Feugerolles est condamnée au versement d'une somme de 1 000 euros à M. A... E... en réparation de son préjudice.

Article 3 : La commune du Chambon-Feugerolles versera à Me J..., avocat de M. A... E..., la somme de 2 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Les conclusions de la commune du Chambon-Feugerolles relatives aux frais non compris dans les dépens sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. H... A... E..., à la commune du Chambon-Feugerolles et à Me J..., avocat de M. A... E....

Délibéré après l'audience du 15 septembre 2020 à laquelle siégeaient :

Mme G... B..., présidente de chambre,

M. Pierre Thierry, premier conseiller.

Mme F... I..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 8 octobre 2020.

No 18LY027522


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18LY02752
Date de la décision : 08/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

60-01-04-01 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Responsabilité et illégalité. Illégalité engageant la responsabilité de la puissance publique.


Composition du Tribunal
Président : Mme PAIX
Rapporteur ?: M. Pierre THIERRY
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : SCP BLT DROIT PUBLIC

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-10-08;18ly02752 ?
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