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06/10/2020 | FRANCE | N°19LY03951

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre, 06 octobre 2020, 19LY03951


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. G... D... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les décisions du préfet de l'Isère du 1er février 2019 portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, désignation du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 1903906 du 26 septembre 2019, le tribunal administratif de Grenoble a annulé les décisions du préfet de l'Isère du 1er février

2019, a enjoint au préfet de l'Isère de délivrer à M. D... une autorisation provisoi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. G... D... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les décisions du préfet de l'Isère du 1er février 2019 portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, désignation du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 1903906 du 26 septembre 2019, le tribunal administratif de Grenoble a annulé les décisions du préfet de l'Isère du 1er février 2019, a enjoint au préfet de l'Isère de délivrer à M. D... une autorisation provisoire de séjour puis un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " et a mis à la charge de l'Etat une somme de 800 euros à verser au conseil de M. D..., en application du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 25 octobre 2019 et un mémoire enregistré le 17 juillet 2020, le préfet de l'Isère demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 26 septembre 2019 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) de rejeter les demandes présentées par M. D....

Il soutient que :

- sa requête n'est pas dépourvue d'objet ;

- sa requête est recevable ;

- le refus de titre de séjour litigieux ne méconnaît pas l'article L. 313-11 6° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, M. D... ne démontrant pas avoir effectivement contribué à l'éducation et à l'entretien de son enfant de nationalité française ;

- le refus de titre de séjour litigieux ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

- subsidiairement, le motif tiré de ce que la présence de l'intéressé sur le territoire français constitue une menace pour l'ordre public pourra être substitué au motif censuré par les premiers juges ;

- la présence de l'intéressé sur le territoire français constituant une menace pour l'ordre public, l'obligation de quitter le territoire français et l'interdiction de retour sur le territoire français prononcées à son encontre sont justifiées.

Par deux mémoires en défense enregistrés le 5 janvier 2020 et le 4 mars 2020, M. D..., représenté par Me E..., avocat, conclut, à titre principal, à ce qu'il n'y ait plus lieu à statuer sur la requête du préfet de l'Isère et, à titre subsidiaire, au rejet de cette requête, et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat le paiement à son avocat d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il expose que :

- la requête du préfet de l'Isère est désormais dépourvue d'objet, celui-ci lui ayant délivré un récépissé de demande de titre de séjour, puis un titre de séjour qui ont eu pour effet d'abroger les décisions en litige ;

- subsidiairement, les moyens soulevés par le préfet de l'Isère, notamment la substitution de motif sollicitée, ne sont pas fondés.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 décembre 2019.

Un mémoire, enregistré le 7 septembre 2020, a été présenté pour M. D... et n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code civil ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative ;

La présidente de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme B... F..., première conseillère ;

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant tunisien né le 29 janvier 1992, est entré en France le 11 février 2009. Le 17 février 2017, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en qualité de parent d'un enfant de nationalité française. Par des décisions du 1er février 2019, le préfet de l'Isère a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixaé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Le préfet de l'Isère relève appel du jugement du 26 septembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé ses décisions et lui a enjoint de délivrer à M. D... une autorisation provisoire de séjour puis un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".

Sur les conclusions à fin de non-lieu présentées par M. D... :

2. Si M. D... indique que le préfet de l'Isère lui a délivré, en 2020, un récépissé de demande de titre de séjour, puis un titre de séjour, la délivrance d'un tel titre aux seules fins d'exécution du jugement attaqué n'a pas pour effet de rendre sans objet l'appel du préfet contre ledit jugement. Par suite, les conclusions à fin de non-lieu présentées par M. D... ne peuvent qu'être rejetées.

Sur le bienfondé du jugement attaqué :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile , applicable aux ressortissants tunisiens en vertu de l'article 7 quater de l'accord franco-tunisien : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée (...) ".

4. Il est constant que M. D... a entretenu, à compter de l'année 2010, une relation avec une ressortissante française, de laquelle est né un enfant, également de nationalité française, le 9 janvier 2013. Si le couple s'est ensuite séparé, il ressort du jugement du juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Grenoble du 10 juin 2014 que M. D... a toujours conservé l'exercice de l'autorité parentale à l'égard de cet enfant, ainsi que le bénéfice d'un droit de visite. Par ailleurs, le préfet de l'Isère indique lui-même que la cellule familiale s'est depuis reconstituée, à compter, semble-t-il du mois de février 2017. Ainsi que l'ont estimé à juste titre les premiers juges, il ressort des pièces du dossier, en particulier des courriers établis à leurs deux noms et à l'adresse figurant sur l'extrait du ficher de traitement des antécédents judiciaires pour des faits datant de 2016, des attestations précises et concordantes établies notamment par sa compagne et des membres de sa famille, par des autorités médicales qui suivent leur enfant et par les directeurs de l'école et de la MJC où celui-ci est inscrit, que M. D... et sa compagne partageaient une communauté de vie et que l'intéressé participait ainsi à l'éducation et à l'entretien de leur enfant, depuis au moins deux ans à la date du refus de titre de séjour litigieux. La seule circonstance qu'une facture datée de février 2017 ait été établie à l'ancienne adresse de l'intéressé ne saurait suffire à remettre en cause la réalité de la communauté de vie entretenue à cette date. Par suite, le préfet de l'Isère n'est pas fondé à contester la contribution de M. D... , depuis au moins deux ans, à l'éducation et à l'entretien de son enfant, de nationalité française.

5. Cependant l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

6. Le préfet de l'Isère entend substituer au motif retenu dans son arrêté du 1er février 2019 celui tiré du risque de trouble à l'ordre public que constituerait la présence en France de M. D.... Il ressort des pièces du dossier que, par un jugement correctionnel du tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse du 14 novembre 2011, M. D... a été condamné à une peine d'emprisonnement de six mois pour détention et transport de produits stupéfiants et pénétration non autorisée dans un établissement pénitentiaire et remise irrégulière d'objet à un détenu. Nonobstant la gravité des faits alors relevée par le tribunal correctionnel, il est constant que ceux-ci, commis le 10 novembre 2011, n'ont pas été réitérés ultérieurement et étaient ainsi anciens de plus de sept ans à la date du refus de titre de séjour litigieux. Par ailleurs, si le préfet de l'Isère produit des extraits du fichier de traitement des antécédents judiciaires faisant état de la " conduite d'un véhicule malgré la suspension administrative ou judiciaire du permis de conduire " le 15 février 2013 et de " menace de délit contre les personnes faite sous condition " le 21 juin 2016, ces faits, qui n'ont donné lieu à aucune procédure judiciaire, sont expressément contestés par M. D..., sans que le préfet de l'Isère n'établisse davantage leur réalité. Ces faits ne sont, par suite, pas établis. Dans ces conditions, le préfet de l'Isère n'est pas fondé à soutenir que la présence de M. D... était, à la date des décisions litigieuses, constitutive d'une menace pour l'ordre public. Il n'y a dès lors pas lieu de procéder à la substitution de motif demandée.

7. Enfin, si le préfet de l'Isère soutient que sa décision n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de M. D... au respect de sa vie privée et familiale, cette circonstance est sans incidence sur le bienfondé du jugement attaqué.

8. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé ses décisions du 1er février 2019.

Sur les frais liés au litige :

9. M. D... ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocate, Me E..., peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me E... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à la mission d'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à cette dernière d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi relative à l'aide juridique.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet de l'Isère est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me E..., avocat de M. D..., une somme de 1 500 euros en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me E... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à la mission d'aide juridictionnelle.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... D..., à Me E... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 15 septembre 2020 à laquelle siégeaient :

Mme C... A..., présidente de chambre,

M. Pierre Thierry, premier conseiller,

Mme B... F..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 6 octobre 2020.

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N°19LY03951


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY03951
Date de la décision : 06/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme PAIX
Rapporteur ?: Mme Sophie CORVELLEC
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : SERGENT

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-10-06;19ly03951 ?
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