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29/09/2020 | FRANCE | N°20LY00327

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 2ème chambre, 29 septembre 2020, 20LY00327


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 10 septembre 2018 par laquelle le préfet du Rhône a rejeté sa demande de regroupement familial présentée au profit de son épouse et de deux de ses enfants.

Par un jugement n° 1807897 du 23 octobre 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 22 janvier 2020, M. A..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce

jugement ;

2°) à titre principal d'annuler la décision du 10 septembre 2018 ou, à titre subsidiaire, ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 10 septembre 2018 par laquelle le préfet du Rhône a rejeté sa demande de regroupement familial présentée au profit de son épouse et de deux de ses enfants.

Par un jugement n° 1807897 du 23 octobre 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 22 janvier 2020, M. A..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) à titre principal d'annuler la décision du 10 septembre 2018 ou, à titre subsidiaire, d'annuler cette décision en tant que le préfet du Rhône a refusé le regroupement familial partiel au profit de ses deux enfants ;

3°) d'enjoindre au préfet du Rhône, à titre principal, de lui accorder dans un délai d'un mois le bénéfice du regroupement familial ou, à titre subsidiaire, de lui accorder dans le même délai le bénéfice du regroupement familial partiel au profit de ses deux enfants ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat, à payer à son conseil, la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à charge pour ce dernier de renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat à sa mission d'aide juridictionnelle.

M. A... soutient que :

Sur la régularité du jugement :

- le jugement a omis de répondre au moyen tiré de ce que le refus de regroupement familial était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation et à l'atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de M. A... au regard de ses enfants ;

Sur le refus d'accorder le bénéfice du regroupement familial au profit de son épouse et de ses deux enfants :

- le préfet n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation pour refuser de lui accorder le bénéfice du regroupement familial ;

- en refusant de lui accorder le bénéfice du regroupement familial alors qu'il remplissait les conditions pour bénéficier du regroupement familial de son épouse et de ses deux enfants lors du dépôt de sa demande de regroupement familial et qu'il pourra de nouveau les remplir à la date d'arrivée en France de sa famille puisqu'il a fait une demande pour bénéficier d'un logement plus grand, le préfet a méconnu les articles L. 411-5 et R. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le refus de regroupement familial méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entaché d'erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- il méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

Sur le refus d'accorder le bénéfice du regroupement familial partiel au profit de ses deux enfants :

- la décision méconnaît les articles L. 411-5 et R. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en tant qu'elle refuse le regroupement familial à deux des membres de la famille, à savoir ses deux enfants ;

- le refus de regroupement familial partiel méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Le préfet du Rhône, auquel la requête a été régulièrement communiquée, n'a produit aucune observation.

En application de l'article R. 611-7 du code justice administrative, les parties ont été informées par courrier du 20 mai 2020 que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions dirigées contre la décision du 10 septembre 2018 en tant qu'elle refuse d'accorder le bénéfice du regroupement familial partiel au profit des seuls deux enfants de M. A..., ces conclusions étant dirigées contre une décision inexistante faute pour M. A... d'avoir préalablement demandé à l'administration de bénéficier du regroupement familial partiel.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 janvier 2020.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre l'administration et le public ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme I..., premier conseiller,

- et les observations de Me E..., représentant M. A... ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant togolais né en 1970, titulaire d'une carte de résident depuis 2009, a sollicité le 29 mai 2017 le bénéfice du regroupement familial au profit de son épouse et de deux de ses enfants nés en 2000 et 2002. Par décision du 10 septembre 2018, le préfet du Rhône a rejeté sa demande. M. A... relève appel du jugement du 23 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision. En appel, il conclut, à titre principal, à l'annulation de cette décision et, à titre subsidiaire, son annulation " en tant qu'elle refuse le regroupement familial pour ses deux enfants ".

Sur la régularité du jugement :

2. Le tribunal a omis de répondre au moyen tiré de ce que le refus de regroupement familial serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation. Il suit de là que M. A... est fondé à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier et à en demander, pour ce motif, l'annulation.

3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Lyon.

Sur la légalité de la décision portant refus de regroupement familial :

4. En premier lieu, pour refuser d'accorder à M. A... le bénéfice du regroupement familial au profit de son épouse et de deux de ses enfants, le préfet du Rhône, qui a visé les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives au regroupement familial, a indiqué que l'intéressé ne remplissait pas les conditions pour en obtenir le bénéfice dès lors que son logement n'était pas adapté en taille et en composition pour accueillir une famille composée de deux adultes et trois enfants. Cette décision, qui n'avait pas à exposer les motifs pour lesquels le préfet a estimé que son refus ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit de M. A... au respect de sa vie privée et familiale, est suffisamment motivée en droit et en fait.

5. En deuxième lieu, la circonstance que le préfet n'a pas mentionné que la mère de l'enfant que M. A... a eu en France en 2005 était soudainement décédée en cours d'instruction de la demande de regroupement familial et le fait qu'il n'a pas exposé les motifs qui l'ont conduit à estimer que sa décision ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit de M. A... au respect de sa vie privée et familiale ne sont pas, à eux seuls, de nature à démontrer que le préfet n'aurait pas procédé à un examen réel et sérieux de situation avant de prendre la décision litigieuse.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial, par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans, et les enfants du couple mineurs de dix-huit ans. " Aux termes de l'article L. 411-5 du même code : " Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : (...) 2° Le demandeur ne dispose pas ou ne disposera pas à la date d'arrivée de sa famille en France d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant dans la même région géographique (...) ". Aux termes de l'article R. 411-5 du même code : " Pour l'application du 2° de l'article L. 411-5, est considéré comme normal un logement qui : 1° Présente une superficie habitable totale au moins égale à : (...) en zones A bis et A : 22 m² pour un ménage sans enfant ou deux personnes, augmentée de 10 m² par personne jusqu'à huit personnes (...) ".

7. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., qui a demandé le bénéfice du regroupement familial au profit de son épouse et leurs deux enfants et qui est père d'un enfant français né d'une autre union, disposait à la date de la décision attaquée d'un logement d'une superficie de 48 m², alors que l'article R. 411-5 précité impose, pour une famille de cinq personnes, une superficie de 52 m². En vertu des dispositions précitées, le préfet prend en compte les caractéristiques du logement de l'étranger qui demande à bénéficier du regroupement familial à la date à laquelle il prend sa décision ou, si ces caractéristiques doivent évoluer, à la date à laquelle les membres de sa famille bénéficiant du regroupement familial arriveront en France. Ces conditions sont appréciées par l'autorité administrative à la date à laquelle elle statue. Dans ces conditions, M. A... ne peut utilement faire valoir que son logement présentait une taille suffisante lorsqu'il a présenté sa demande dans la mesure où son fils français résidait alors principalement chez son ex-compagne. Il n'est pas non plus fondé à soutenir que le préfet aurait dû prendre en compte le fait qu'à la suite du décès de son ex-compagne, il a dû accueillir son fils français chez lui et qu'il a alors demandé à bénéficier d'un logement plus vaste. Dans ces conditions, le préfet, qui n'était pas tenu de lui accorder un délai supplémentaire pour trouver un nouveau logement, a pu, sans entacher sa décision d'erreur de droit ou d'erreur d'appréciation au regard des dispositions des articles L. 411-5 et R. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, refuser de lui accorder le bénéfice du regroupement familial au motif que la superficie de son logement était insuffisante.

8. En quatrième lieu, lorsqu'il se prononce sur une demande de regroupement familial, le préfet dispose d'un pouvoir d'appréciation et n'est pas tenu de rejeter la demande même dans le cas où l'étranger demandeur du regroupement ne justifierait pas remplir l'une des conditions requises tenant aux ressources, au logement ou à la présence anticipée d'un membre de la famille sur le territoire français, notamment dans le cas où il est porté une atteinte excessive au droit de mener une vie familiale normale tel qu'il est protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

9. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

10. Si M. A... a épousé au Togo, le 14 janvier 2017, la mère des deux enfants pour lesquels il a demandé le bénéfice du regroupement familial, il est constant qu'il a vécu séparé de celle-ci depuis 2002, date à laquelle il déclare être arrivé en France. Il a par la suite entretenu une relation avec une ressortissante française avec laquelle il a eu un fils en 2005 et dont il s'est séparé en 2013. Ses séjours annuels au Togo depuis 2013 et les contacts téléphoniques qu'il dit avoir maintenus avec ses deux enfants et leur mère, devenue son épouse, ne permettent pas d'établir l'intensité de sa vie privée et familiale, alors que son mariage date de moins de deux ans à la date de la décision contestée et qu'aucune pièce du dossier ne permet de déterminer la date à partir de laquelle M. A... et son épouse ont repris leur relation avant de se marier. La décision intervenue le 10 septembre 2018 refusant le regroupement familial au profit de son épouse et de leurs deux enfants ne résidant plus avec lui depuis 16 ans n'a pas d'autre conséquence que de faire perdurer une situation existant depuis de nombreuses années. Si la fille ainée du requérant est devenue majeure en 2018 et ne pourra plus bénéficier du regroupement familial, elle est en mesure de créer sa propre cellule familiale sans l'assistance d'un membre de sa famille. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que la présence de l'épouse de M. A... et de ses deux enfants ainés soit indispensable aux côtés du troisième et dernier enfant de M. A..., qui demeure avec lui depuis le décès de sa mère. Dans ces conditions, la décision contestée ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de M. A..., de son épouse, de leurs enfants et du fils de M. A... au respect de leur vie privée et familiale garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes raisons, cette décision n'est pas davantage entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle et familiale des intéressés.

11. En cinquième lieu, aux termes du 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

12. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 10, la décision du préfet ne méconnaît pas l'intérêt supérieur des enfants du requérant, garanti par les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Sur les conclusions subsidiaires :

13. Il ressort de la décision du 10 septembre 2018 que celle-ci refuse d'accorder le bénéfice du regroupement familial au profit de l'épouse et des deux enfants de M. A..., mais ne porte pas refus d'accorder le bénéfice du regroupement familial partiel au profit de seuls deux des enfants de M. A.... Ainsi, les conclusions subsidiaires de la requête dirigées contre cette décision inexistante sont irrecevables.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du 10 septembre 2018 du préfet du Rhône refusant d'accorder le bénéfice du regroupement familial au profit de son épouse et de leurs deux enfants ou l'annulation d'une décision portant refus de regroupement familial partiel. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles qu'il présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1807897 du 23 octobre 2019 du tribunal administratif de Lyon est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Lyon et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... A... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet du Rhône.

Délibéré après l'audience du 7 septembre 2020, à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président,

Mme D..., présidente-assesseure,

Mme I..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 29 septembre 2020.

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N° 20LY00327

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20LY00327
Date de la décision : 29/09/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. PRUVOST
Rapporteur ?: Mme Agathe DUGUIT-LARCHER
Rapporteur public ?: Mme CONESA-TERRADE
Avocat(s) : FRERY

Origine de la décision
Date de l'import : 18/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-09-29;20ly00327 ?
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