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25/08/2020 | FRANCE | N°20LY01012

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 7ème chambre, 25 août 2020, 20LY01012


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 21 janvier 2020 par lequel le préfet du Rhône a ordonné sa remise aux autorités autrichiennes.

Par jugement n° 2000584 lu le 11 février 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a :

- annulé l'arrêté du préfet du Rhône du 21 janvier 2020 ;

- enjoint au préfet d'enregistrer la demande d'asile de M. A... dans le délai de quinze jours à compter de la notifica

tion du jugement.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 11 mars 2020, et un mém...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 21 janvier 2020 par lequel le préfet du Rhône a ordonné sa remise aux autorités autrichiennes.

Par jugement n° 2000584 lu le 11 février 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a :

- annulé l'arrêté du préfet du Rhône du 21 janvier 2020 ;

- enjoint au préfet d'enregistrer la demande d'asile de M. A... dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 11 mars 2020, et un mémoire enregistré le 16 avril 2020, le préfet du Rhône demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 2000584 du 11 février 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) de rejeter la demande de M. A... devant le tribunal administratif.

Il soutient que c'est à tort que le premier juge a considéré que la décision de transfert était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application de l'article 17 du règlement et qu'elle méconnaissait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et que la perspective d'éloigner M. A... vers l'Autriche demeure raisonnable en dépit de la situation sanitaire.

Par mémoire, enregistré le 31 mars 2020, présenté pour M. A..., il conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet du Rhône de lui délivrer un dossier de demande d'asile dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt, et de mettre à la charge de l'État le paiement à son conseil, sous réserve qu'il renonce à l'aide juridictionnelle, d'une somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que les moyens soulevés par le préfet du Rhône ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 juin 2020 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Lyon (section administrative d'appel).

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié par le règlement (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de M. Seillet, président assesseur, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant afghan né le 20 juin 1992 à Maidan Wardak (Afghanistan), après avoir déposé, le 27 octobre 2015, en Autriche, une demande d'asile, est entré sur le territoire français, le 10 octobre 2019, selon ses déclarations, afin de solliciter l'asile. La consultation du fichier européen " Eurodac " a fait alors apparaître que M. A... avait été identifié en Autriche et en Allemagne. Les autorités autrichiennes, saisies le 30 octobre 2019, sur le fondement de l'article 18 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, d'une demande de reprise en charge, ont donné leur accord explicite par une décision du 31 octobre 2019. Par un arrêté du 21 janvier 2020 le préfet du Rhône a ordonné la remise de M. A... aux autorités autrichiennes pour l'examen de sa demande d'asile. Le préfet du Rhône relève appel du jugement du 11 février 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté.

2. Aux termes de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".

3. La faculté laissée à chaque État membre, par le 1 de l'article 17 du règlement n° 604/2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

4. M. A... fait valoir que les autorités autrichiennes ont rejeté sa demande d'asile et émis à son encontre une décision d'obligation de quitter le territoire et qu'en cas de transfert vers l'Autriche, il sera reconduit en Afghanistan où il encourt des risques pour sa vie, notamment eu égard à la violence extrême qui sévit dans ce pays alors qu'il n'existe pas en Autriche d'équivalent de la protection subsidiaire dont il pourrait bénéficier en France. Il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que M. A... aurait épuisé les voies de recours contre les décisions le concernant en Autriche. Par ailleurs, à supposer même que la demande d'asile de M. A... aurait été définitivement rejetée par les autorité autrichiennes, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier qu'une décision d'éloignement, devenue définitive, aurait été prise à son encontre par les autorités autrichiennes, ni qu'il ne serait pas en mesure de faire valoir devant ces mêmes autorités, responsables de l'examen de sa demande d'asile et qui ont accepté sa reprise en charge, tout élément nouveau relatif à l'évolution de sa situation personnelle et à la situation de conflit qui prévaut en Afghanistan. M. A... ne peut utilement se prévaloir de la circonstance, à la supposer établie, qu'il ne pourrait bénéficier en Autriche d'un statut équivalent à celui qui lui serait reconnu au titre de la protection subsidiaire dès lors que le règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 est " fondé sur l'application intégrale et globale de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés " dont ne relève pas la protection subsidiaire. Par suite, c'est à tort que, pour annuler la décision de transfert en litige et, par voie de conséquence, l'arrêté du même jour portant assignation à résidence, le premier juge s'est fondé sur le motif tiré de ce que, en ne faisant pas application des dispositions du 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013, le préfet du Rhône a commis une erreur manifeste d'appréciation.

5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A....

6. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment : a) des objectifs du présent règlement (...) b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel (...) ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et en tout état de cause en temps utile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend.

7. Il ressort des pièces du dossier que M. A... s'est vu remettre, le 29 octobre 2019, et à l'occasion de l'entretien individuel, soit en temps utile pour faire valoir ses observations, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à 1'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées, en langue Pachto, que l'intéressé a déclaré comprendre. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que la décision ordonnant sa remise aux autorités autrichiennes méconnaît l'article 4 du règlement n° 604/2013 et les garanties du droit d'asile.

8. Ainsi qu'il a été dit au point 7 ci-dessus, M. A... a bénéficié d'un entretien le 29 octobre 2019 avec un agent du service compétent de la préfecture de police de Paris, qui est un agent qualifié au sens du 5 de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. L'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 n'exige pas que le résumé de l'entretien individuel mentionne l'identité et la qualité de l'agent qui l'a mené.

9. En deuxième lieu, à la différence de l'obligation d'information instituée par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui prévoit un document d'information sur les droits et obligations des demandeurs d'asile, dont la remise doit intervenir au début de la procédure d'examen des demandes d'asile pour permettre aux intéressés de présenter utilement leur demande aux autorités compétentes, l'obligation d'information prévue par les dispositions de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013, qui sont substantiellement identiques à celles prévues par l'article 18 du règlement (CE) n° 2725/2000 auxquelles elles se sont substituées, a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des États membres relevant du régime européen d'asile commun. Le droit d'information des demandeurs d'asile contribue, au même titre que le droit de communication, le droit de rectification et le droit d'effacement de ces données, à cette protection. Par suite, les requérants ne peuvent utilement faire valoir, pour contester les décisions litigieuses, qu'ils n'auraient pas reçu les informations concernant l'application du règlement " Eurodac ". En conséquence, le moyen tiré de ce que M. A... n'a pas reçu ces informations avant le relevé de ses empreintes est inopérant.

10. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre État peut faire l'objet d'un transfert vers l'État responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative (...) ".

11. En application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre État membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.

12. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre État membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.

13. La décision de transfert en litige vise le règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et notamment son article 18. Elle indique que la consultation du fichier " Eurodac " a révélé que M. A... avait demandé l'asile en Autriche et que les autorités de ce pays, saisies le 30 octobre 2019 sur le fondement de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ont donné leur accord explicite à sa reprise en charge le 31 octobre 2019. Ces énonciations ont mis l'intéressé à même de comprendre les motifs de la décision pour lui permettre d'exercer utilement un recours. Dès lors, la décision litigieuse est suffisamment motivée au regard des exigences qu'imposent les dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

14. En dernier lieu, si M. A... soutient que la décision litigieuse ne lui a pas été notifiée conformément à l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013, les conditions de notification d'une décision sont sans incidence sur sa légalité. Les conditions d'exécution de la mesure de transfert, à raison de la situation sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19, demeurent également sans incidence sur la légalité de cette décision, qui s'apprécie à la date de son édiction.

15. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Rhône est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision en litige et lui a enjoint d'enregistrer la demande d'asile de M. A.... Doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions de M. A... aux fins d'injonction et celles de son conseil tendant au bénéfice des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2000584 du 11 février 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble est annulé.

Article 2 : Les conclusions de M. A... sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... A....

Copie en sera adressée au préfet du Rhône et au procureur de la République près le tribunal de grande instance d'Albertville.

Délibéré après l'audience du 6 juillet 2020, à laquelle siégeaient :

M. Arbarétaz, président de chambre,

M. Seillet, président assesseur,

Mme Rémy-Néris, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 25 août 2020.

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N° 20LY01012


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: M. Philippe SEILLET
Rapporteur public ?: M. CHASSAGNE
Avocat(s) : HUARD

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 7ème chambre
Date de la décision : 25/08/2020
Date de l'import : 05/09/2020

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 20LY01012
Numéro NOR : CETATEXT000042283301 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-08-25;20ly01012 ?
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