La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/05/2019 | FRANCE | N°17LY04322

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 2ème chambre - formation à 3, 07 mai 2019, 17LY04322


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A... E...a demandé au tribunal administratif de Dijon, d'une part, de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2003 à 2012, ainsi que des pénalités correspondantes et, d'autre part, de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre des années 2003 à 2012, ainsi que des pénalités correspondantes

Par un jugement n° 1501565-1501566 du 9 novembre 2017,

le tribunal administratif de Dijon a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour

Par ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A... E...a demandé au tribunal administratif de Dijon, d'une part, de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2003 à 2012, ainsi que des pénalités correspondantes et, d'autre part, de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre des années 2003 à 2012, ainsi que des pénalités correspondantes

Par un jugement n° 1501565-1501566 du 9 novembre 2017, le tribunal administratif de Dijon a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 22 décembre 2017 et le 1er juin 2018, Mme E..., représentée par Me D... -F..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 9 novembre 2017 ;

2°) de prononcer la décharge de ces impositions et pénalités correspondantes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Mme E... soutient que :

- les revenus litigieux ne peuvent être qualifiés d'occulte dans la mesure où elle a bien accompli ses obligations déclaratives en matière de bénéfices non commerciaux et était immatriculée au registre du commerce et des sociétés, ainsi que le prévoit la doctrine BOI-CF-PGR-10-70 n° 20 et 40 ; il s'agit seulement d'une insuffisance de déclaration ;

- une partie des revenus liés à la vente des objets en céramique litigieux ayant déjà été déclarée au titre des bénéfices non commerciaux, leur prise en compte par l'administration pour la détermination des bénéfices industriels et commerciaux conduit à une double imposition ;

- une activité de vente d'oeuvres d'art reçues en héritage ne peut constituer une activité à titre professionnel devant être déclarée auprès des centres de formalités des entreprises ou du greffe du tribunal de commerce ;

- le gain résultant de la vente d'un patrimoine privé acquis par voie successorale aurait dû faire l'objet de la taxe sur les objets et métaux précieux et ne pouvait être imposée en tant que bénéfices non commerciaux ;

- les revenus d'origine indéterminée ne peuvent être imposés en tant que bénéfices non commerciaux ;

- s'agissant de la taxe sur la valeur ajoutée, le simple exercice du droit de propriété par son titulaire ne constitue pas une activité économique ;

- la procédure est irrégulière faute d'envoi d'un avis d'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle à M. C..., co-titulaire des comptes examinés mais qui n'est pas rattaché à son foyer fiscal ;

- la substitution de base légale l'a privée d'une garantie en ce que la commission départementale des impôts directs et taxes sur le chiffre d'affaires aurait dû être saisie, dès lors qu'une partie des sommes a été déclarée.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 16 mai 2018 et le 7 janvier 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Le ministre de l'action et des comptes publics soutient que :

- le nombre et la fréquence des ventes, le circuit commercial mis en place, la longue période sur laquelle ces ventes ont généré une source de profit pour Mme E...et le montant des sommes retirées des transactions démontrent que l'activité de vente d'objets d'art en céramique revêtait un caractère professionnel ;

- Mme E...n'a jamais déclaré une activité de vente d'objets en céramique à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, seule une activité de ventes de bijoux ayant été déclarée ; elle n'a souscrit aucune déclaration fiscale concernant cette activité ; l'activité était donc exercée de façon occulte ;

- seules quelques rares factures concernant la vente d'objets en céramique ont été intégrées par erreur dans les recettes déclarées pour la vente de bijoux ;

- la procédure de taxation d'office a été régulièrement mise en oeuvre par l'administration et le litige n'avait pas à être soumis à la commission départementale des impôts directs et taxes sur le chiffre d'affaires ;

- l'administration n'avait pas à adresser d'avis d'examen contradictoire de situation fiscale personnelle au co-titulaire des comptes mixtes qu'elle entendait examiner ;

- la contribuable a commercialisé les oeuvres litigieuses sur le marché selon une stratégie et des méthodes commerciales étudiées, dans une intention spéculative et se livrait ainsi à une exploitation commerciale, dont les revenus devaient être imposés dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux ; subsidiairement, ils relèvent de la catégorie des bénéfices non commerciaux ;

- Mme E...a bien appréhendé les sommes en cause ;

- les sommes créditées sur un compte mixte sont réputées professionnelles sauf preuve du contraire, qui n'a pas été apportée par la requérante malgré les demandes en ce sens de l'administration.

Mme E...a produit un nouveau mémoire le 3 avril 2019.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B..., première conseillère,

- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public,

- et les observations de Me D..., représentant MmeE... ;

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre d'une vérification de la comptabilité de la SARL Création Anne E...et PatrickC..., dont Mme E...est associée, l'administration fiscale a considéré que Mme E...exerçait une activité occulte de vente d'oeuvre d'art et a engagé à son égard une procédure de vérification de la comptabilité de cette activité. Par deux propositions de rectification datées des 17 décembre 2013 et 21 février 2014, le service a notifié à Mme E...des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre des années 2003 à 2012, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de ces mêmes années ainsi que la majoration de 80 % en cas de découverte d'une activité occulte. Mme E...a saisi le tribunal administratif d'une demande tendant à la décharge de ces impositions et pénalités. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.

Sur l'impôt sur le revenu :

2. Aux termes de l'article 34 du code général des impôts : " Sont considérés comme bénéfices industriels et commerciaux, pour l'application de l'impôt sur le revenu, les bénéfices réalisés par les personnes physiques et provenant de l'exercice d'une profession commerciale, industrielle ou artisanale (...) ". L'accomplissement à titre professionnel d'actes réputés " de commerce " par la loi commerciale est une activité commerciale au sens de l'article 34 précité. Aux termes de l'article L. 110-1 du code de commerce : " La loi répute acte de commerce : 1° tout achat de biens meubles pour les revendre, soit en nature, soit après les avoir travaillés et mis en oeuvre. (...) ".

3. Aux termes de l'article 92 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales (...) et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus. 2. Ces bénéfices comprennent notamment : (...) les produits de droits d'auteurs perçus par les écrivains ou compositeurs et par leurs héritiers ou légataires ; les produits perçus par les inventeurs au titre soit de la concession de licences d'exploitation de leurs brevets, soit de la cession ou concession de marques de fabrique, procédés au formules de fabrication (...) ".

4. Si les bénéfices retirés par les artistes des arts graphiques et plastiques de la vente des oeuvres de leur art sont, en vertu des dispositions précitées, imposables à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices des professions non commerciales, les bénéfices réalisés par les héritiers de ces artistes et provenant de la vente d'oeuvres de leur auteur, pour lesquelles ils ont accompli les interventions que celui-ci aurait pu faire ou autoriser de son vivant, présentent soit le caractère de plus-values patrimoniales, lorsque les interventions des héritiers n'ont pas été faites en vue de disposer d'oeuvres destinées à la vente, soit le caractère de bénéfices des professions non commerciales, lorsque les héritiers se sont livrés à une exploitation de l'oeuvre conservant la même nature que l'activité à laquelle l'artiste aurait pu se livrer de son vivant, soit, enfin, de bénéfices industriels et commerciaux lorsque les interventions des héritiers ont été faites à des fins spéculatives ou selon des procédés commerciaux, c'est-à-dire notamment lorsque le nombre des tirages réalisés à partir du modèle original excède ce qui est usuellement admis dans le domaine des oeuvres d'art exécutées de la main de l'artiste.

5. Il résulte également des mêmes dispositions et de ce qui précède que lorsque les oeuvres d'art préexistaient à l'entrée dans le patrimoine des héritiers, qui les vendent ainsi sans réaliser une quelconque intervention, les bénéfices réalisés par ceux-ci, provenant de la vente de ces oeuvres, présentent nécessairement le caractère de plus-values patrimoniales, imposables notamment par l'application d'une taxe forfaitaire et libératoire créée par la loi du 19 juillet 1976 et reprise actuellement à l'article 150 VI du code général des impôts, sauf option pour le régime défini à l'article 150 UA du même code.

6. Il résulte de l'instruction qu'au décès de son père en 2002, Mme E... s'est trouvée en possession de centaines de céramiques réalisées par Jean Cocteau dans l'atelier de ses parents. Si l'administration fait valoir que ces oeuvres d'art n'ont pas été déclarées dans la succession, elle ne conteste pas pour autant que lesdites oeuvres d'art sont entrées en la possession de Mme E... suite au décès de ses parents et présentaient ainsi le caractère d'actifs successoraux. Mme E..., qui se trouvait en possession d'objets d'art achevés, n'a ainsi réalisé aucune intervention sur lesdits objets. Les revenus générés par leur vente avaient ainsi, conformément à ce qui a été dit au paragraphe 5. ci-dessus, le caractère de plus-values patrimoniales. Par suite, la circonstance que Mme E... aurait pris des dispositions en vue d'assurer la vente progressive de ces actifs, en utilisant ses connaissances du marché de l'art afin que cette vente se fasse dans les meilleurs conditions, n'est pas de nature à faire regarder la vente de ces oeuvres, lesquelles bien que nombreuses ne présentent pas un caractère illimité, comme une activité commerciale ou non commerciale exercée à titre professionnel. Compte tenu de leur caractère de plus-values patrimoniales, les produits de cette vente ne peuvent pas davantage être regardés comme des bénéfices non commerciaux ne se rattachant à aucune autre catégorie de bénéfices ou de revenus.

7. Il suit de là que Mme E... est fondée à soutenir que les revenus provenant de la vente des objets d'art en cause ne sont ni des bénéfices non commerciaux, ni des bénéfices industriels et commerciaux. L'administration n'invoquant aucun autre fondement aux rectifications prononcées en matière d'impôt sur le revenu, Mme E... est fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner ses autres moyens, à soutenir que les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu mises à sa charge au titre des années 2003 à 2012 et les pénalités correspondantes sont dépourvues de base légale.

Sur la taxe sur la valeur ajoutée :

8. Aux termes de l'article 256 du code général des impôts : " I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. (...) ". Aux termes de l'article 256 A du même code : " Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au cinquième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention. (...) / Est notamment considérée comme activité économique une opération comportant l'exploitation d'un bien meuble corporel ou incorporel en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence ". Aux termes de ces dispositions, le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée ne se limite pas aux seules activités commerciales et s'étend à l'ensemble des activités économiques telles que définies par l'article 256 A du code général des impôts. Toutefois, ce champ d'application ne s'étend pas aux opérations relevant de la gestion d'un patrimoine privé.

9. En l'espèce, ainsi qu'il a été dit ci-dessus au point 6., si Mme E... a réalisé un nombre important de ventes et en a retiré des gains conséquents, ces opérations ont été réalisées dans le cadre de la gestion privée de son patrimoine. Dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, les rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre d'une activité occulte de vente d'oeuvres d'art, ainsi que les pénalités y afférentes sont dépourvus de base légale.

10. Il résulte de ce qui précède que Mme E... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté ses demandes.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros que Mme E... demande dans le dernier état de ses écritures au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Dijon du 9 novembre 2017 est annulé.

Article 2 : Mme E... est déchargée, d'une part, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2003 à 2012, ainsi que des pénalités correspondantes et, d'autre part, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre des années 2003 à 2012, ainsi que des pénalités correspondantes.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... E... et au ministre de l'action et des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 9 avril 2019, à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme Menasseyre, présidente-assesseure,

Mme B..., première conseillère.

Lu en audience publique le 7 mai 2019.

4

N° 17LY04322

ld


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17LY04322
Date de la décision : 07/05/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Fiscal

Analyses

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Règles générales - Impôt sur le revenu.

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières.

Contributions et taxes - Taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées - Taxe sur la valeur ajoutée - Personnes et opérations taxables.


Composition du Tribunal
Président : M. BOURRACHOT
Rapporteur ?: Mme Camille VINET
Rapporteur public ?: M. VALLECCHIA
Avocat(s) : MOULINIER, DULATIER ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 21/05/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2019-05-07;17ly04322 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award