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04/12/2018 | FRANCE | N°18LY00525

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 2ème chambre - formation à 3, 04 décembre 2018, 18LY00525


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 4 janvier 2018 par lequel le préfet du Rhône a décidé sa remise aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du 18 janvier 2018, par lequel le préfet du Rhône l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 1800326 du 26 janvier 2018, la magistrate déléguée du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémo

ire, enregistrés les 10 février et 7 novembre 2018, M. A..., représenté par Me Paquet, demande à la cou...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 4 janvier 2018 par lequel le préfet du Rhône a décidé sa remise aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du 18 janvier 2018, par lequel le préfet du Rhône l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 1800326 du 26 janvier 2018, la magistrate déléguée du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 10 février et 7 novembre 2018, M. A..., représenté par Me Paquet, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement de la magistrate déléguée du tribunal administratif de Lyon du 26 janvier 2018 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 4 janvier 2018 par lequel le préfet du Rhône a décidé sa remise aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du 18 janvier 2018, par lequel le préfet du Rhône l'a assigné à résidence ;

3°) d'enjoindre au préfet du Rhône d'enregistrer sa demande d'asile en France, de lui remettre le dossier correspondant et de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile, dans un délai de 48 heures à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) subsidiairement, d'enjoindre au préfet du Rhône de réexaminer sa situation, dans un délai de 8 jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

5°) d'enjoindre la transmission de l'intégralité du dossier le concernant détenu par la préfecture de police de Paris ;

6°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

M. A... soutient que :

- la décision de transfert est entachée d'erreur de fait, de défaut d'examen complet et d'insuffisance de motivation en ce qu'elle indique à tort qu'il a sollicité l'asile dans le Rhône alors que sa demande a été enregistrée à Paris en août 2017, ne se prononce pas sur ce point, malgré les observations qu'il avait transmises en temps utile au préfet, ni ne fait état des violences qu'il a indiqué avoir subies et de ses problèmes de santé ;

- le centre d'examen de situation administrative de la Chapelle à Paris constituait bien un lieu de déclaration de demande d'asile ; la décision de transfert méconnait les articles 21 et 23 du règlement 604/2013 dès lors qu'ayant introduit sa demande d'asile en juillet 2017 et ses empreintes ayant été reprises en août 2017, le préfet aurait dû saisir les autorités italiennes au plus tard dans les trois mois suivant la première de ces deux dates et dans les deux mois suivant la seconde, ce qu'il ne démontre pas avoir fait ;

- les articles 4 et 5 du règlement 604/2013 ne lui ont pas été remises faute de remise des brochures d'information en tant utile ;

- compte tenu de son état de santé qui nécessite des soins ne devant pas être interrompus et des violences subies lors de son passage en Italie, le préfet aurait dû mettre en oeuvre la clause discrétionnaires prévue à l'article 17 du règlement 604/2013 et méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- sans accord explicite de prise en charge, l'Italie, qui a atteint un point de saturation de ses capacités d'accueil et d'hébergement, ne se reconnait pas responsable de la demande d'asile et refuse de l'examiner.

Par un mémoire en défense enregistré le 17 octobre 2018, le préfet du Rhône conclut au rejet de la requête.

Il soutient que M. A... n'apporte en appel aucun élément nouveau et s'en rapporte à ses écritures de première instance.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 février 2018.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- la Constitution ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C..., première conseillère,

- et les observations de Me Paquet, représentant M. A... ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant soudanais, né le 1er janvier 1993, est entré en France à la date déclarée du 28 juillet 2017. Par une décision du 4 janvier 2018, le préfet du Rhône a ordonné son transfert aux autorités italiennes sur le fondement du point 1 de l'article 13 du règlement susvisé n° 604/2013. Par une seconde décision du 18 janvier 2018, il l'a assigné à résidence. M. A... demande l'annulation du jugement par lequel la magistrate déléguée du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux décisions.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... dans sa requête :

2. Aux termes de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...) La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. ". Par ailleurs, l'article 17 du même règlement dispose que : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité ". Il résulte de ces dispositions que si le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 prévoit en principe dans le paragraphe 1 de son article 3 qu'une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et que cet Etat est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application des critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen des demandes d'asile est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre. Cette faculté laissée à chaque Etat membre par l'article 17 de ce règlement est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

3. Dans son arrêt du 16 février 2017 C.K., H.F. et A.S. c/ Slovénie (n° C-578/16), la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que " dès lors qu'un demandeur d'asile produit, en particulier dans le cadre du recours effectif que lui garantit l'article 27 du règlement Dublin III, des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, les autorités de l'État membre concerné, y compris ses juridictions, ne sauraient ignorer ces éléments. Elles sont, au contraire, tenues d'apprécier le risque que de telles conséquences se réalisent lorsqu'elles décident du transfert de l'intéressé (...) Il appartiendrait alors à ces autorités d'éliminer tout doute sérieux concernant l'impact du transfert sur l'état de santé de l'intéressé. Il convient, à cet égard, en particulier lorsqu'il s'agit d'une affection grave d'ordre psychiatrique, de ne pas s'arrêter aux seules conséquences du transport physique de la personne concernée d'un État membre à un autre, mais de prendre en considération l'ensemble des conséquences significatives et irrémédiables qui résulteraient du transfert. ".

4. Il ressort en l'espèce des pièces du dossier que M. A..., souffrant de sténose de l'urètre pénienne, a fait l'objet d'une intervention chirurgicale fin 2017, consistant en une résection de lésions vésicales, impliquant un suivi régulier, notamment en vue de contrôler l'amélioration de son état et des symptômes liés à ces lésions. À la date de la décision en litige, M. A... bénéficiait de consultations médicales régulières à cette fin et une nouvelle opération chirurgicale a d'ailleurs été programmée postérieurement à la décision en litige. Or, en l'absence de réponse expresse à la demande de prise en charge formulée par l'administration française en direction des autorités italiennes, il n'existe aucune garantie que ces autorités soient en mesure de prendre en compte l'état de santé du requérant et le suivi médical qu'il requiert alors qu'il ressort des pièces du dossier que le défaut de soins auraient pour lui des conséquences significatives et susceptibles d'être irrémédiables.

5. Par suite, dans les circonstances particulières de l'espèce, eu égard à la particulière vulnérabilité de M. A..., de son jeune âge et des risques personnels pour sa santé, le préfet du Rhône a entaché la décision de transfert en Italie prise le 4 janvier 2018 d'une erreur manifeste dans l'appréciation de la situation de l'intéressé en ne faisant pas usage de la faculté d'instruire sa demande d'asile en France en application des dispositions précitées du 1 de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.

6. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate déléguée du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 janvier 2018 par lequel le préfet du Rhône a décidé sa remise aux autorités italiennes. Il y a lieu, par voie de conséquence, d'annuler l'arrêté du 18 janvier 2018 par lequel le préfet du Rhône a décidé de l'assigner à résidence.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".

8. Le présent arrêt, qui annule pour erreur manifeste d'appréciation l'arrêté du 4 janvier 2018 par lequel le préfet du Rhône a décidé la remise de M. A... aux autorités italiennes, implique nécessairement qu'il soit enjoint au préfet de délivrer à ce dernier une attestation de demande d'asile lui permettant de séjourner provisoirement en France, durant l'examen de sa demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, dans un délai de deux semaines à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

9. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à Me Paquet, avocate de M. A..., au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Paquet renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

DECIDE :

Article 1er : L'arrêté du 4 janvier 2018 par lequel le préfet du Rhône a décidé la remise de M. A... aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du 18 janvier 2018, par lequel le préfet du Rhône l'a assigné à résidence sont annulés, de même que le jugement de la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon du 26 janvier 2018.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Rhône de délivrer à M. A... une attestation de demande d'asile lui permettant de séjourner provisoirement en France, durant l'examen de sa demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, dans un délai de deux semaines à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 000 euros à Me Paquet, au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Paquet renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au préfet du Rhône, au ministre de l'intérieur et à Me Paquet. Copie en sera adressée au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lyon en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative.

Délibéré après l'audience du 13 novembre 2018, à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme Menasseyre, présidente-assesseure,

Mme C..., première conseillère.

Lu en audience publique le 4 décembre 2018.

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N° 18LY00525

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18LY00525
Date de la décision : 04/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-02-03


Composition du Tribunal
Président : M. BOURRACHOT
Rapporteur ?: Mme Camille VINET
Rapporteur public ?: M. VALLECCHIA
Avocat(s) : PAQUET

Origine de la décision
Date de l'import : 11/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2018-12-04;18ly00525 ?
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