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20/09/2018 | FRANCE | N°17LY00483

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre - formation à 3, 20 septembre 2018, 17LY00483


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Lantermoz, aux droits de laquelle est venue la société Citinéa Ouvrages Résidentiels, a demandé au tribunal administratif de Lyon de fixer le solde du décompte général du lot n° 2 du marché portant sur la construction de la maison de l'emploi et, à titre principal, de condamner la ville de Saint-Étienne à lui verser la somme de 235 588,63 euros HT, dans le dernier état de ses écritures, ou, à titre subsidiaire, de condamner solidairement les sociétés E... et Iosis, à lui verser cette

même somme, outre révision et intérêts moratoires à compter du 26 novembre 2010. El...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Lantermoz, aux droits de laquelle est venue la société Citinéa Ouvrages Résidentiels, a demandé au tribunal administratif de Lyon de fixer le solde du décompte général du lot n° 2 du marché portant sur la construction de la maison de l'emploi et, à titre principal, de condamner la ville de Saint-Étienne à lui verser la somme de 235 588,63 euros HT, dans le dernier état de ses écritures, ou, à titre subsidiaire, de condamner solidairement les sociétés E... et Iosis, à lui verser cette même somme, outre révision et intérêts moratoires à compter du 26 novembre 2010. Elle a également demandé au tribunal administratif de condamner la ville de Saint-Étienne et les sociétés E...et Iosis aux entiers dépens et de mettre à leur charge une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par le jugement n° 1207407 du 24 novembre 2016, le tribunal administratif de Lyon a condamné la ville de Saint-Étienne à verser à la société Citinéa Ouvrages Résidentiels la somme de 252 877,13 euros HT au titre du solde du marché, assortie des intérêts au taux légal majoré de deux points à compter du 10 janvier 2011, mis à la charge définitive de la ville les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme totale de 30 996,40 euros ainsi que la somme de 1 500 euros à verser à la société Citinéa Ouvrages Résidentiels au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour

- I - Par une requête enregistrée le 2 février 2017 sous le n° 17LY00483 et un mémoire enregistré le 8 janvier 2018, la ville de Saint-Étienne, représentée par la SCP Riva et associés, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 24 novembre 2016 ;

2°) à titre principal, de rejeter, comme irrecevables, les demandes de la société Citinéa Ouvrages Résidentiels ;

3°) à titre subsidiaire, de rejeter ses demandes comme non fondées ;

4°) très subsidiairement, de ramener à de plus justes proportions les demandes indemnitaires de la société Citinéa Ouvrages Résidentiels ;

5°) de condamner solidairement M. A...E...et la SARL Égis Bâtiments Rhône-Alpes exerçant sous le nom commercial de Iosis Rhône-Alpes à la relever et garantir de l'ensemble des condamnations qui pourraient être prononcées contre elle ;

6°) de mettre à la charge de la société Citinéa Ouvrages Résidentiels, de M. A... E... et de la SARL Égis Bâtiments Rhône-Alpes la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La ville de Saint-Étienne soutient que :

- à titre principal, les demandes de la société Citinéa sont irrecevables ; la pièce communiquée par cette société ne constitue pas le décompte général mais le projet de décompte final de la société Lantermoz ; dans l'attente des conclusions du rapport d'expertise, le décompte général n'a été ni établi ni notifié ; en l'absence de toute mise en demeure du maître d'ouvrage d'établir le décompte, la saisine du juge est irrecevable ;

- si le décompte a été notifié à la société Citinéa le 29 octobre 2010, sa requête enregistrée le 5 novembre 2012 est tardive ;

- à titre subsidiaire, la demande de la société Citinéa n'est pas fondée : l'interruption du chantier est due à une faute qui lui est imputable, comme l'a relevé l'expert judiciaire ; le risque d'effondrement de l'immeuble n'était pas un aléa pour la société Citinéa qui avait pris connaissance de la zone des travaux et avoisinants ;

- elle-même n'a commis aucune faute, l'interruption du chantier était nécessaire en raison de l'état de péril de l'immeuble ;

- ni elle ni le maître d'oeuvre n'ont reconnu le droit à indemnisation de la société Citinéa ; l'absence d'application de pénalités de retard n'est pas une reconnaissance de l'absence de responsabilité de la société ; l'absence de réserves lors de la réception ne permet pas de conclure au bien-fondé de la créance invoquée par la société ;

- le décompte n'a pas été accepté par Iosis ;

- à titre encore plus subsidiaire, les demandes de la société Citinéa sont exorbitantes qu'il s'agisse des préjudices liés à l'interruption partielle du chantier ou de ceux liés à l'interruption totale ;

- il convient d'appeler en garantie les maîtres d'oeuvre qui auraient dû mieux préparer puis diriger les travaux compte tenu des contraintes imposées par la proximité de l'immeuble fragilisé et qui auraient dû également appeler l'attention du maître de l'ouvrage lors des opérations de réception.

Par un mémoire en défense enregistré le 23 mai 2017, l'EURL RudyE..., représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) de confirmer purement et simplement le jugement attaqué en ce qu'il n'a retenu aucune part de responsabilité imputable au cabinetE... ;

2°) de rejeter toutes les conclusions dirigées à son encontre ;

3°) de mettre à la charge de la ville de Saint-Étienne, ou qui mieux le devra, la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) à titre subsidiaire de condamner la société Lantermoz, la SARL Égis Bâtiments Rhône-Alpes et la ville de Saint-Étienne à la relever et garantir de l'ensemble des condamnations qui pourraient être prononcées contre elle.

L'EURL Rudy E...fait valoir que :

- c'est la fragilité intrinsèque de l'immeuble qui est l'origine première et principale du sinistre ; une seule origine du phénomène déclencheur involontaire du sinistre est retenue par l'expert : l'intervention effectuée peu de temps avant par l'entreprise Lantermoz consistant dans le piquage au marteau pneumatique des fondations et de la longrine en béton, porteurs de la façade ouest de l'immeuble ;

- même si un diagnostic de l'immeuble avoisinant avait été réalisé, la faiblesse du poteau litigieux n'aurait pu être démontrée ; en tout état de cause, l'absence de diagnostic initial ne relève que de la responsabilité du maître d'ouvrage ;

- il faut souligner le caractère incertain du lien de causalité ; quoi qu'il en soit, la maîtrise d'oeuvre n'a commis aucune erreur de conception, d'exécution ou lors de la réception qui ne concerne que les ouvrages achevés et pas les dommages causés aux avoisinants.

Par des mémoires en défense enregistrés les 19 juillet et 29 novembre 2017 et 22 janvier 2018, la société Citinéa, représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de la ville de Saint-Étienne ;

2°) de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il condamne la ville de Saint-Étienne à l'indemniser du préjudice subi du fait des décisions d'ajournement consécutives du chantier ;

3°) de réformer le jugement en ce qu'il fixe le solde de son marché à la somme de 252 877,13 euros HT et de fixer ce solde à la somme de 275 588,63 euros HT, outre intérêts de retard et de le confirmer dans ses autres dispositions ;

4°) de rejeter l'appel en garantie formé à titre subsidiaire par l'EURL E...ainsi que sa demande tendant à voir limiter les préjudices qu'elle a subis à la somme de 173 229,60 euros HT et de dire qu'elle est bien fondée à ce titre à demander la somme de 283 490,45 euros HT ;

5°) de mettre à la charge de la ville de Saint-Étienne la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Citinea fait valoir que :

- la ville de Saint-Étienne lui a bien transmis le décompte général le 29 octobre 2010, document qui reprend l'ensemble des éléments énumérés par l'article 13.41 du CCAG travaux ; ce décompte général a été identifié comme tel par le maître d'oeuvre et même par la ville ; peu importe que les modalités de signature et de transmission n'aient pas été respectées ;

- la requête n'est pas tardive, même si elle a été introduite deux ans après la notification du décompte général ; le délai de six mois ne court qu'à compter d'une décision expresse de rejet ; or, aucune décision expresse de rejet n'est intervenue ;

- la ville de Saint-Étienne est responsable de plein droit et ne peut invoquer l'absence de faute ou le fait du tiers ; la ville ne peut contester que son préjudice est consécutif à deux décisions d'ajournement de chantier ; le maître d'oeuvre n'a fait que répercuter ses décisions ;

- ces interruptions de chantier ne sont pas de son fait, elle a dû maintenir sur place l'intégralité de ses moyens humains et matériels et les conserver mobilisés ; en plus des prestations supplémentaires ont dû être réalisées pour permettre une reprise dans de bonnes conditions ;

- en tout état de cause, la ville a commis des fautes : elle n'a fait réaliser aucun constat des avoisinants, aucune information ne lui a été donnée pour la reprise du chantier ;

- elle-même n'a commis aucune faute ; ses travaux ont été réceptionnés sans réserve ; la cause déterminante du sinistre réside dans la fragilité structurelle de l'immeuble ; l'élément déclencheur ne peut lui être imputé ; aucun lien de causalité n'est établi entre l'intervention sur le chantier de la maison de l'emploi et le flambement d'un poteau dans l'immeuble voisin ;

- elle a subi un préjudice lié à l'interruption partielle du chantier puis à son interruption totale ; les évaluations qu'elle a faites ont été validées par le sapiteur ou l'expert ; la réparation demandée pour le préjudice indirect, défaut de couverture des frais généraux et manque à gagner, n'a rien d'exorbitant ;

- elle a droit également à l'application de la révision des prix et des intérêts moratoires prévus au CCAP.

Par un mémoire enregistré le 26 juillet 2017, la société SARL Égis Bâtiments Rhône-Alpes venant aux droits de la société Iosis, représentée par la SELARL Saint-Avit Yozgat et associés, demande à la cour :

1°) de confirmer purement et simplement le jugement attaqué ;

2°) de mettre à la charge de la ville de Saint-Étienne la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La SARL Égis Bâtiments Rhône-Alpes fait valoir qu'elle n'a commis aucune faute et, qu'à supposer qu'elle ait pu en commettre une, le lien de causalité n'est pas établi.

- II - Par une requête enregistrée le 20 mars 2017 sous le n° 17LY01242, la ville de Saint-Étienne, représentée par la SCP Riva et associés, demande à la cour d'ordonner le sursis à exécution du jugement n° 1207407 rendu par le tribunal administratif de Lyon le 24 novembre 2016.

La ville de Saint-Étienne soutient que :

- les comptes de la société Citinéa Ouvrages Résidentiels montrent une très importante dégradation de sa situation économique et cette situation expose la ville à la perte définitive d'une somme qui ne devrait pas rester à sa charge ;

- elle avance des moyens sérieux susceptibles d'entraîner l'annulation du jugement.

Par un mémoire en défense enregistré le 26 juillet 2017, la société Égis Bâtiments Rhône-Alpes, représentée par la SELARL Saint-Avit Yozgat et associés, demande à la cour :

1°) de lui donner acte qu'elle s'en rapporte à l'appréciation de la cour sur la question du sursis à exécution du jugement ;

2°) de mettre à la charge de la ville de Saint-Étienne la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire en défense enregistré le 31 octobre 2017, la société Citinéa, représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) de rejeter la demande de sursis à exécution de la ville de Saint-Étienne ;

2°) de mettre à la charge de la ville de Saint-Étienne la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Citinea fait valoir que :

- à la suite d'une opération de fusion-absorption avec effet au 30 avril 2017, la société Citinéa Ouvrages Résidentiels a disparu et a été absorbée par la société Citinéa qui fait partie du groupe Vinci ;

- la ville de Saint-Étienne ne présente aucun moyen sérieux de nature à justifier l'annulation du jugement.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 approuvant le cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicables aux marchés publics de travaux passés par les collectivités locales et leurs établissements publics

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Gondouin,

- les conclusions de M. Dursapt, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., représentant la ville de Saint-Étienne et de Me C... représentant la société Citinea ;

Considérant ce qui suit :

1. La ville de Saint-Étienne a confié la maîtrise d'oeuvre de la construction d'une maison de l'emploi à un groupement solidaire composé de M. A...E..., architecte mandataire, des sociétés Cyprium, économiste, et de OTH Rhône-Alpes, devenue Iosis Rhône-Alpes (nom commercial de la SARL EGIS Bâtiments Rhône-Alpes), bureau d'études techniques. Le lot n° 2 " terrassements, gros oeuvre, charpente métallique " a été attribué à la société Lantermoz. Les travaux ont débuté en juillet 2007 mais ont dû être interrompus pendant plusieurs mois en 2008 à la suite du risque d'effondrement d'un immeuble voisin, situé 15, rue Auguste Rateau. À la demande du syndicat des copropriétaires de cet immeuble, en mars 2008, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a désigné un expert afin de déterminer les causes du sinistre et d'évaluer les préjudices subis. Le rapport d'expertise a été déposé à la fin de l'année 2015.

2. La société Lantermoz aux droits de laquelle est venue la société Citinéa Ouvrages Résidentiels a saisi le tribunal administratif de Lyon d'une demande tendant à la condamnation, à titre principal, de la ville de Saint-Étienne à lui verser le solde du décompte général du marché, somme intégrant les différents préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des interruptions du chantier. Par un jugement du 24 novembre 2016, le tribunal administratif de Lyon a condamné la ville de Saint-Étienne à verser à la société Citinéa Ouvrages Résidentiels la somme de 252 877,13 euros HT au titre du solde du marché, assortie des intérêts au taux légal majoré de deux points à compter du 10 janvier 2011 et mis à sa charge définitive les frais d'expertise. La ville de Saint-Étienne relève appel de ce jugement par la requête enregistrée sous le n° 17LY00483 et en demande le sursis à exécution par la requête enregistrée sous le n° 17LY01242. La société Citinéa Ouvrages Résidentiels présente pour sa part des conclusions incidentes.

3. Il y a lieu de joindre les deux requêtes dirigées contre le même jugement pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.

Sur la requête n° 17LY00483 :

En ce qui concerne la recevabilité de la demande :

4. En premier lieu, aux termes de l'article 13-41 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicable au marché en cause : " Le maître d'oeuvre établit le décompte général (...) " ; aux termes de l'article 13-42 : " Le décompte général, signé par la personne responsable du marché, doit être notifié à l'entrepreneur par ordre de service (...). Si dans le cas où le maître de l'ouvrage n'établit pas le décompte général, il appartient à l'entrepreneur, préalablement à toute saisine du juge, de mettre le maître de l'ouvrage en demeure d'y procéder, il n'en est pas de même lorsque ce dernier établit ce décompte, mais omet d'y apposer sa signature ou le communique à l'entrepreneur sous une forme autre qu'un ordre de service.

5. Comme l'ont relevé les premiers juges, la ville de Saint-Étienne a notifié " le décompte général rectifié " du marché à la société Lantermoz par un courrier électronique du 29 octobre 2010. La ville soutient que ce document, qui n'a pas été communiqué à l'entreprise sous la forme d'un ordre de service, n'aurait en outre pas été signé par une personne dûment habilitée. À supposer que ce soit effectivement le cas, elle n'est pas fondée à soutenir, compte tenu de ce qui a été dit au point 4, que les conclusions de la requête tendant à l'établissement par le juge du décompte général et définitif du marché sont irrecevables faute d'avoir été précédées d'une mise en demeure tendant à l'établissement de ce décompte.

6. En second lieu, aux termes de l'article 50.32. du même CCAG : " Si, dans le délai de six mois à partir de la notification à l'entrepreneur de la décision prise conformément au 23 du présent article sur les réclamations auxquelles a donné lieu le décompte général du marché, l'entrepreneur n'a pas porté ses réclamations devant le tribunal administratif compétent, il est considéré comme ayant accepté ladite décision et toute réclamation est irrecevable ". Il résulte de l'instruction que le mémoire en réclamation de la société Citinéa, daté du 26 novembre 2010, a été envoyé par lettre recommandée avec accusé de réception au cabinetE..., à la ville de Saint-Étienne et à la société Iosis qui l'ont reçu au début du mois de décembre. Le délai de forclusion de six mois fixé par l'article 50.32 précité ne court qu'à compter de la notification d'une décision expresse du maître de l'ouvrage. En l'absence de notification d'une telle décision, la ville de Saint-Étienne n'est pas fondée à soutenir que la requête de la société Citinéa enregistrée au greffe du tribunal administratif de Lyon le 5 novembre 2012 était tardive.

En ce qui concerne la responsabilité de la ville de Saint-Étienne :

7. Aux termes de l'article 48.1 du CCAG travaux ci-dessus visé dans sa version applicable au litige : " L'ajournement des travaux peut être décidé. Il est alors procédé, suivant les modalités indiquées à l'article 12, à la constatation des ouvrages et parties d'ouvrages exécutés et des matériaux approvisionnés. / L'entrepreneur qui conserve la garde du chantier a droit à être indemnisé des frais que lui impose cette garde et préjudice qu'il aura éventuellement subi du fait de l'ajournement. / Une indemnité d'attente de reprise des travaux peut être fixée dans les mêmes conditions que les prix nouveaux, suivant les modalités prévues à l'article 14 ".

8. Il y a ajournement des travaux au sens des stipulations de l'article 48.1 lorsque le maître d'ouvrage décide de différer leur début ou d'en suspendre l'exécution. Ces stipulations prévoient un régime de responsabilité contractuelle de plein droit du maître de l'ouvrage en cas d'ajournement des travaux auquel ce dernier ne peut échapper que dans l'hypothèse où l'ajournement du chantier est directement imputable à une faute de l'entrepreneur de nature à le priver de toute indemnisation.

9. D'une part, il résulte de l'instruction que le maître d'oeuvre a informé la société Lantermoz, le 2 avril 2008, de la décision prise d'un commun accord, notamment avec le maître d'ouvrage, de la limitation de l'emprise de ses travaux, de la mise en place d'un périmètre de sécurité aux abords du bâtiment mitoyen, représentant environ un quart de la surface du bâtiment à construire, et de la suspension de toute intervention des entreprises aux abords directs de ce bâtiment. À la suite des préconisations de l'expert sur l'extension du périmètre de sécurité compte tenu de l'état de péril de ce bâtiment, le maître d'ouvrage a prescrit à la société Lantermoz par ordre de service n° 3 du 19 mai 2008, d'arrêter toute activité sur le chantier. La reprise du chantier n'a été ordonnée, par ordre de service n° 4, qu'à compter du 15 septembre 2008. Ces interruptions du chantier intervenues par ordres de service doivent être regardées comme des ajournements de travaux au sens des stipulations précitées de l'article 48.1 du CCAG.

10. D'autre part, comme l'ont relevé les premiers juges, selon l'expert, l'origine première et principale du sinistre qui a affecté l'immeuble sis 15 rue Auguste Rateau, et provoqué l'interruption du chantier, réside dans le caractère intrinsèquement fragile de cette construction édifiée dans les années 1930/1940. Cette fragilité est due à l'insuffisance de la structure métallique des planchers hauts des niveaux R+1 à R+5, en particulier au premier étage où la stabilité du poteau, mis en oeuvre sans coefficient de sécurité suffisant, n'est pas assurée. Toujours selon l'expert, la déformation du poteau métallique supportant le plancher sur R+1, constatée le 5 mars 2008, avait pour seule origine plausible l'intervention effectuée très peu de temps avant par la société Lantermoz. " Le piquage au marteau pneumatique des fondations et de la longrine en béton porteurs de la façade ouest " est à l'origine de " vibrations qui se sont transmises de façon solidienne par la structure béton des étages inférieurs de l'immeuble et sont entrées en résonnance avec le poteau défaillant ". L'expert remarque également que ces travaux réalisés par la société Lantermoz relèvent des petits travaux d'adaptation non expressément mentionnés sur son marché, exécutés conformément à ses obligations contractuelles, aux prescriptions de la maîtrise d'oeuvre et dans le respect des plans d'exécution. Mais l'expert note aussi, incidemment, qu'il aurait pu n'y avoir aucune origine à " ce phénomène déclencheur involontaire ".

11. La ville de Saint-Étienne se prévaut des stipulations du cahier des clauses techniques particulières du lot n° 2 confié à la société Lantermoz selon lesquelles cette dernière est censée s'être engagée à prendre connaissance des lieux, et à tenir compte des contraintes relatives aux propriétés voisines. Toutefois, compte tenu des conclusions de l'expert précité, aucune faute de nature à priver cette société du droit à l'indemnisation des frais de garde et d'immobilisation des matériels et du personnel prévue par les stipulations précitées de l'article 48.1 du CCAG ne peut lui être imputée. La société Lantermoz, ou la société Citinéa venant à ses droits, pouvait dès lors se prévaloir des stipulations précitées de l'article 48.1 du CCAG lui ouvrant un droit à indemnisation des préjudices subis.

En ce qui concerne le montant des préjudices :

S'agissant des conséquences de l'ajournement partiel des travaux :

12. Comme il a été dit au point 9, les travaux ont été interrompus sur une grande partie du chantier du 2 avril au 18 mai 2008. Du fait de cet ajournement partiel, la société Lantermoz a fait procéder à des constats d'huissier, installé des barrières de sécurité ainsi qu'un bungalow supplémentaire faisant office de salle de réunion, pour des sommes d'un montant, respectivement, de 390,89 euros HT, 213 euros HT et 210,56 euros HT. Elle a également dû mettre en place un escalier provisoire pour remplacer celui devenu inaccessible dans la zone de sécurité et conforter un plancher pour des sommes de 791,40 euros HT et 637,35 euros HT. Pour les premiers juges, la demande d'indemnisation de la société était fondée dans la limite des différentes sommes retenues par l'expert qui s'était adjoint les services d'un sapiteur. En outre, en se fondant sur l'évolution du niveau de facturation de la société Lantermoz, l'expert et le sapiteur ont estimé le coût de la perte de productivité de celle-ci liée à l'arrêt de son activité dans la zone de sécurité à la somme de 22 632 euros HT. La ville de Saint-Étienne ne conteste pas utilement le principe et le montant des sommes retenues.

13. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de revenir sur le montant total des sommes allouées par les premiers juges à la société Lantermoz au titre des conséquences de l'ajournement partiel des travaux du 2 avril au 18 mai 2008 et qui s'élève à 24 875,20 euros HT.

S'agissant des conséquences de l'ajournement total des travaux :

14. En premier lieu, les premiers juges ont accordé à la société Citinéa la somme de 63 000 euros HT au titre des frais d'immobilisation de son matériel, sur la base du rapport du sapiteur financier repris par l'expert. En l'absence de contestation sérieuse, en première instance comme en appel, il n'y a pas lieu de revenir sur le montant de cette somme retenu par le jugement attaqué.

15. En deuxième lieu, alors que la société Citinéa demandait la somme de 28 767,90 euros HT au titre des frais d'immobilisation de son personnel d'encadrement, ce préjudice a été évalué par le sapiteur financier à hauteur de 6 056,40 euros HT seulement, faute pour la société de démontrer que le conducteur de travaux et le chef de travaux auraient été mobilisés durant les 119 jours d'interruption de chantier. Le tribunal administratif a limité le montant de l'indemnité accordée à ce titre à la somme de 6 056,40 euros HT retenue par l'expert. La société Citinéa maintient en appel sa demande d'indemnisation pour ce poste de préjudice à hauteur de 28 767,90 euros. Mais en faisant valoir, comme en première instance, qu'il n'était pas possible de réaffecter ces personnes sur un autre chantier en raison de l'incertitude quant à la date de reprise des travaux et en se bornant à produire des courriers échangés ainsi que les feuilles de présence durant les réunions de chantier, la société n'établit pas l'étendue du préjudice dont elle se prévaut. Il n'y a pas lieu, par conséquent, de revenir sur le montant de l'indemnité accordée à ce titre par le jugement attaqué.

16. En troisième lieu, les premiers juges ont retenu que la société Citinéa avait dû, lors de la reprise du chantier, faire procéder à un contrôle de la grue maintenue sur place pour un montant de 405 euros HT, ainsi qu'à un nettoyage général du chantier et des façades pour des coûts respectifs de 227,87 euros et 1 214,48 euros HT retenus par l'expert. En l'absence de contestation pertinente sur le principe et les montants de ces sommes, le jugement attaqué doit être confirmé sur ce point.

17. En quatrième lieu, le préjudice résultant du défaut d'amortissement des frais généraux en raison de l'ajournement des travaux a été estimé par le sapiteur financier à la somme de 165 000 euros. En l'absence de contestation sérieuse, le jugement attaqué a fixé le montant de l'indemnité due à ce titre à cette somme de 165 000 euros retenue par l'expert. La ville de Saint-Étienne ne conteste pas davantage en appel, de façon pertinente, le principe et le montant de cette indemnité.

18. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de revenir sur le montant total des sommes allouées par les premiers juges à la société Lantermoz au titre des conséquences de l'ajournement total des travaux du 19 mai au 15 septembre 2008 et qui s'élève à 235 903,75 euros HT.

S'agissant du décompte général :

19. La société Citinéa, compte tenu de ce qui a été dit aux points 13 et 18 est seulement fondée, comme l'ont retenu les premiers juges, à demander l'inscription à son crédit, au décompte général de son marché, de la somme de 260 778,95 euros HT au titre des préjudices résultant des ajournements de travaux.

20. Aux termes de la première phrase de l'article 3.5. du cahier des clauses administratives particulières applicable au marché : " les prix du marché sont réputés établis sur la base des conditions économiques du mois de la signature par l'opérateur économique de son offre ; ce mois est appelé " mois zéro" ". Comme l'ont relevé les premiers juges, il ne résulte pas de ces stipulations que la clause de révision des prix prévue à cet article trouverait à s'appliquer aux sommes précédemment retenues au titre du préjudice résultant des ajournements de travaux. La société Citinéa n'est dès lors pas fondée à demander l'application de la révision des prix prévue à l'article 3.5. du CCAP.

21. Il résulte de ce qui précède que le décompte général du marché, d'un montant de 3 062 399,61 euros, doit être porté à la somme totale de 3 323 178,56 euros HT. La ville de Saint-Étienne ayant versé, à titre d'acompte, la somme de 3 070 301,43 euros HT, le solde dû à la société Citinéa, comme l'a jugé le tribunal administratif de Lyon, s'élève à la somme de 252 877,13 euros HT.

22. La société Citinéa demande, comme elle l'avait fait en première instance, qu'à la somme qui lui reste due soient appliqués les intérêts moratoires prévus par l'article 3.4.5. du CCAP à compter de la date de réception, non contestée, de son mémoire en réclamation le 26 novembre 2010. Toutefois, comme l'a jugé le tribunal administratif de Lyon, il y a lieu d'assortir la somme de 252 877,13 euros HT des intérêts au taux légal, augmenté de deux points en application des stipulations de l'article 3.4.5 du CCAP, non pas, comme le demande la société, à compter du 26 novembre 2010, date de réception de son mémoire en réclamation, mais à compter du 10 janvier 2011, date d'échéance du délai global de paiement de 45 jours prévu par ces stipulations ainsi que par les dispositions de l'article 98 du code des marchés publics alors en vigueur.

En ce qui concerne les appels en garantie :

23. Les appels en garantie formés par la ville de Saint-Étienne à l'encontre de l'EURL Rudy E...et la société Iosis Rhône-Alpes doivent être rejetés par adoption des motifs retenus par les premiers juges, la ville n'apportant pas d'éléments pertinents pour contester utilement sur ce point le jugement attaqué.

En ce qui concerne les frais liés au litige :

24. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions présentées respectivement par les parties sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur la requête n° 17LY01242 :

25. Le présent arrêt statue au fond sur l'appel présenté contre le jugement n° 1207407 rendu par le tribunal administratif de Lyon le 24 novembre 2016. Les conclusions de la requête tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution sont devenues sans objet et il n'y a donc pas lieu d'y statuer.

DÉCIDE

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 17LY01242.

Article 2 : La requête n° 17LY00483 de la ville de Saint-Étienne est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la ville de Saint- Étienne, à la société Citinéa, à l'EURL Rudy E...et la société Iosis Rhône-Alpes.

Délibéré après l'audience du 30 août 2018 où siégeaient :

M. d'Hervé, président de chambre,

Mme Michel, président-assesseur,

Mme Gondouin, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 20 septembre 2018.

11

N°s 17LY00483, 17LY01242


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Exécution technique du contrat - Conditions d'exécution des engagements contractuels en l'absence d'aléas - Marchés - Retards d'exécution.

Marchés et contrats administratifs - Exécution financière du contrat - Rémunération du co-contractant.

Marchés et contrats administratifs - Exécution financière du contrat - Règlement des marchés - Décompte général et définitif.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. d'HERVE
Rapporteur ?: Mme Genevieve GONDOUIN
Rapporteur public ?: M. DURSAPT
Avocat(s) : SCP MAURICE- RIVA-VACHERON

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Date de la décision : 20/09/2018
Date de l'import : 02/10/2018

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 17LY00483
Numéro NOR : CETATEXT000037445362 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2018-09-20;17ly00483 ?
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