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22/12/2015 | FRANCE | N°14LY00560

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre - formation à 3, 22 décembre 2015, 14LY00560


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Alloin Transports a demandé au tribunal administratif de Lyon :

- d'annuler la décision, en date du 5 août 2010, par laquelle l'inspecteur du travail de la 15ème section de l'unité territoriale du Rhône de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Rhône-Alpes a refusé d'autoriser le licenciement de M. D...C..., ensemble la décision, en date du 10 février 2011, par laquelle le ministre du travail, de l'emploi et de la sa

nté a confirmé cette décision ;

- d'enjoindre au ministre de tirer les conséquen...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Alloin Transports a demandé au tribunal administratif de Lyon :

- d'annuler la décision, en date du 5 août 2010, par laquelle l'inspecteur du travail de la 15ème section de l'unité territoriale du Rhône de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Rhône-Alpes a refusé d'autoriser le licenciement de M. D...C..., ensemble la décision, en date du 10 février 2011, par laquelle le ministre du travail, de l'emploi et de la santé a confirmé cette décision ;

- d'enjoindre au ministre de tirer les conséquences de cette annulation.

Par un jugement n° 1102398 du 17 décembre 2013, le tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 19 février 2014, présentée pour la société Kuehne + Nagel Road, venant aux droits de la société Alloin Transports, il est demandé à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 17 décembre 2013 ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir ces décisions ;

3°) d'enjoindre aux autorités compétentes de l'Etat de statuer une nouvelle fois sur la demande d'autorisation de licenciement, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, elle apporte la preuve de ce que M. C... avait exercé un harcèlement moral à l'égard de salariés placés sous ses ordres en établissant, par des éléments concrets et précis, qu'il les surveillait constamment en les menaçant en cas d'erreur, qu'il procédait à des mutations sanctions pour les personnes qui n'allaient pas dans son sens et leurs confiaient les tâches les plus difficiles et parfois irréalisables afin ensuite de les sanctionner, qu'il faisait des réflexions blessantes et prononçait des injures, que ces propos se doublaient également de menaces, que les attestations produites par M. C...ne contredisent pas les faits décrits et subis par ces salariés, l'intéressé ayant déjà été sanctionné pour avoir refusé d'aider un salarié qui n'allait pas dans son sens ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 mai 2014, M. C... conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Kuehne + Nagel Road de la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- son employeur a violé les droits de la défense dans le cadre de la procédure disciplinaire qu'il a engagée ;

- la procédure de consultation du comité d'entreprise est viciée ;

- les faits de harcèlement moral ne sont pas établis ;

- il existe un lien entre la mesure de licenciement et son activité syndicale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 janvier 2015, M. C... conclut aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens.

Par un mémoire, enregistré le 21 janvier 2015, la société Kuehne + Nagel Road conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures, par les mêmes moyens.

Elle soutient en outre que :

- elle a respecté la procédure, les droits de la défense de M. C...ayant été respectés et le comité d'entreprise ayant été régulièrement consulté ;

- il n'existe aucun lien avec le mandat de M.C....

Par un mémoire, enregistré le 6 février 2015, M. C... conclut aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 novembre 2015, M. C... conclut aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens, sauf à ce que soit désormais mis à la charge de la société Kuehne + Nagel Road la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Segado, premier conseiller ;

- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public ;

- et les observations de Me Merle, avocat de la société Kuehne + Nagel Road, et de Me Malecot, avocat de M.C....

1. Considérant que M. D...C...a été recruté le 6 février 1997 par la société Alloin Transports, spécialisée dans les transports routiers et dont le siège est situé à Villefranche-sur-Saône (Rhône), en qualité de manutentionnaire sur le site de l'agence d'Epône dans les Yvelines ; qu'il a ensuite occupé les fonctions de chef de quai à compter du 30 avril 1998 ; que M. C...a été désigné délégué syndical le 28 avril 2008 et s'est porté candidat aux élections des membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail du 30 juin 2010 ; qu'estimant que M. C... était responsable de harcèlement moral à l'égard d'autres salariés de l'agence, la société Alloin Transports l'a mis à pied à compter du 29 juin 2010, a engagé une procédure de licenciement pour faute et a demandé le 9 juillet 2010 à l'inspecteur du travail l'autorisation de le licencier pour motif disciplinaire ; que, par une décision en date du 5 août 2010, l'inspecteur du travail de la 15ème section de l'unité territoriale du Rhône de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Rhône-Alpes a décidé, à la suite d'une enquête contradictoire, de refuser l'autorisation de licencier M. C...; que, par un courrier en date du 28 septembre 2010, la société a présenté un recours hiérarchique contre ce refus ; que, par une décision en date du 10 février 2011, le ministre du travail, de l'emploi et de la santé a confirmé la décision de refus de l'inspecteur du travail ; que la société Kuehne + Nagel Road, qui vient aux droits de la société Alloin Transports, relève appel du jugement du 17 décembre 2013 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande de la société Alloin Transports tendant à l'annulation de ces deux décisions ;

2. Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que, lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi ; que selon l'article L. 1235-1 du code du travail : " En cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié " ;

3. Considérant, par ailleurs, qu'aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail : " Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel " ; qu'aux termes de l'article L. 1152-5 du même code : " Tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral est passible d'une sanction disciplinaire " ; qu'il résulte de ces dispositions que le harcèlement moral se caractérise par des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel ; qu'il s'en déduit que, pour apprécier si des agissements sont constitutifs d'un harcèlement moral, l'inspecteur du travail doit, sous le contrôle du juge administratif, tenir compte des comportements respectifs du salarié auquel il est reproché de tels agissements et du salarié susceptible d'en être victime, indépendamment du comportement de l'employeur ; qu'il appartient, en revanche, à l'inspecteur du travail, lorsqu'il estime qu'un comportement de harcèlement moral est caractérisé, de prendre en compte le comportement de l'employeur pour apprécier si la faute du salarié est d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement ;

4. Considérant que la société Kuehne + Nagel Road soutient que M. C...s'est, à l'égard de quatre salariés, agents de quai et sous-chef de quai placés sous son autorité, rendu responsable d'agissements répétés qu'elle qualifie de harcèlement moral, consistant en des discriminations dans l'organisation du travail, des pressions morales, des menaces, des intimidations et des injures après qu'il avaient refusé de participer à une grève, au mois de mars 2010 ; qu'il a encore tenu des propos injurieux à l'égard d'un autre délégué du personnel, M. A..., et qu'il s'agissait d'une attitude systématique à l'égard des personnes qui étaient en désaccord avec lui ; qu'à l'appui de ses allégations, la société requérante se prévaut d'un courrier du 5 juin 2010 par lequel ces trois salariés ont dénoncé un tel comportement auprès de la direction de l'agence, propos confirmés ensuite par ces salariés lors d'une réunion du 29 juin 2010 à laquelle était convié un seul des trois délégués du personnel de l'agence, M.A..., ainsi que par des attestations rédigées par ces salariés à la suite de cette réunion ; qu'elle se prévaut également d'une attestation de l'ancien directeur de l'agence d'Epône, datée du 28 juin 2010, confirmant avoir eu connaissance des plaintes de ces trois salariés et des agissements de M.C..., ainsi que des déclarations de M. A... retranscrites dans le compte-rendu de la réunion du 29 juin 2010 et confirmées dans une attestation de celui-ci, d'une attestation écrite datée du 17 février 2010 du sous chef de quai alors en poste, et de la circonstance que M. C...avait déjà été sanctionné par le passé, le 24 avril 2009, en raison de son comportement à l'égard d'un de ces trois agents de quai ;

5. Considérant qu'il ressort toutefois des pièces du dossier que les déclarations des trois agents de quai, comme celle de l'ancien sous-chef de quai dont l'attestation a été établie tardivement, sont peu circonstanciées et ne mentionnent pas de faits précis et datés concernant les agissements qu'elles imputent à M. C... ; que, contrairement à ce que soutient la société requérante, il ne ressort ni de ces déclarations ni d'aucun autre élément du dossier que M. C... aurait été l'auteur de l'insulte " taguée " sur le vestiaire d'un de ces salariés ; qu'en outre, l'enquête menée par l'inspecteur du travail dans le cadre de l'instruction de la demande d'autorisation de licenciement a permis de recueillir le témoignage oral d'un des trois agents de quai déclarant retirer les propos tenus dans son courrier de plainte et affirmant n'avoir jamais été insulté ni menacé à raison de ce qu'il n'était pas gréviste, l'inspecteur du travail faisant état de ce que, compte tenu de l'ambiance sociale dégradée et des conflits individuels existant dans l'agence, il avait décidé de ne pas communiquer le nom du salarié qui figurait dans le rapport pour parer à d'éventuelles mesures de rétorsion ; que de même, l'attestation de l'ancien directeur de l'agence n'est pas non plus suffisamment circonstanciée pour établir la réalité des faits de harcèlement allégués par ces quatre salariés ; que, les déclarations de M. A...concernant les insultes proférées par M. C...à son encontre, alors qu'il existait, contrairement à ce que soutient la société, un différend avec l'intimé comme l'attestent les documents produits par ce dernier, ne font pas état de faits datés et précis, ne sont corroborées par aucun élément probant et ne permettent pas d'établir ses allégations quant à un comportement répétitif de M. C...à son égard, susceptible d'être qualifié de harcèlement moral ; que les déclarations de deux membres du comité d'entreprise dont fait état la société requérante se bornent à exposer des propos qui leurs auraient été rapportés, sans qu'ils aient été eux-mêmes témoins des agissements dont il est fait état et sans que ces propos soient corroborés par les pièces du dossier ; que, par ailleurs, il ressort des pièces du dossier qu'à l'occasion de l'enquête qu'il a menée, l'employeur n'a pas jugé utile de consulter le comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail, alors pourtant qu'il avait pris cette précaution, pourtant non obligatoire, lorsqu'un précédent cas de harcèlement moral avait été porté à sa connaissance ; qu'il s'est en l'espèce borné à réunir les trois plaignants et un seul des délégués du personnel, ce dernier étant en litige avec M.C..., pour vérifier les allégations de harcèlement moral, alors que l'agence d'Epône comptait un troisième délégué du personnel ; que d'autres salariés de l'agence n'ont pas été interrogés et que l'intimé, qui conteste les agissements reprochés, produit de nombreuses attestations de salariés de l'agence, dont celles des agents de quai, témoignant n'avoir jamais constaté de la part de M. C... un comportement discriminatoire, injurieux ou assimilable à des faits de harcèlement ; qu'enfin, s'il est établi que l'intéressé a été sanctionné le 24 avril 2009 pour avoir refusé, en sa qualité de chef de quai, d'entendre les réclamations de l'un des trois agents de quai, au seul motif que celui-ci avait refusé de signer une pétition relative à une grève, ce comportement, qui avait fait l'objet d'une sanction d'avertissement, ne pouvait alors fonder une nouvelle mesure disciplinaire ; qu'il pouvait seulement être pris en compte comme révélant l'existence d'un précédant comportement fautif ;

6. Considérant que, compte tenu de l'ensemble de ces éléments, les faits de harcèlement moral reprochés à M. C...ne peuvent être regardés comme étant établis ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Kuehne + Nagel Road n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ; qu'il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de la société Kuehne + Nagel Road la somme de 1 500 euros à verser M. C...au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Kuehne + Nagel Road est rejetée.

Article 2 : La société Kuehne + Nagel Road versera à M. C...la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Kuehne + Nagel Road, au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social et à M. D... C....

Délibéré après l'audience du 3 décembre 2015 à laquelle siégeaient :

M. Faessel, président de chambre,

M. Seillet, président-assesseur,

M. Segado, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 22 décembre 2015.

B...

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N° 14LY00560


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-02 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour faute.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. FAESSEL
Rapporteur ?: M. Juan SEGADO
Rapporteur public ?: Mme VIGIER-CARRIERE
Avocat(s) : CABINET CHASSANY - WATRELOT ET ASSOCIES

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Date de la décision : 22/12/2015
Date de l'import : 20/01/2016

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 14LY00560
Numéro NOR : CETATEXT000031857927 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2015-12-22;14ly00560 ?
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